Dossier : IMM-2806-18
Référence : 2019 CF 303
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 13 mars 2019
En présence de monsieur le juge Bell
Dossier : IMM-2806-18
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ENTRE :
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SALWA SALIM CHARAFEDDINE
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
La nature de l’affaire
[1]
La demanderesse [Mme Charafeddine] demande le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR], rendue le 30 mai 2018 [la décision]. La SPR a jugé que Mme Charafeddine n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Elle a conclu qu’elle n’était exposée à aucun risque objectif et raisonnable de persécution. Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejette la demande de contrôle judiciaire.
II.
Résumé des faits
[2]
Mme Charafeddine est une citoyenne du Liban âgée de 50 ans. Elle allègue que deux (2) de ses anciens amants au Liban ont proféré des menaces à son endroit et l’ont maltraitée. L’allégation la plus grave, celle de menaces de mort, a été transmise à son frère au Liban en février 2012 pendant que Mme Charafeddine demeurait au Canada.
[3]
En 2010, alors qu’elle travaillait dans un café à Beyrouth, elle a rencontré Borhan Hamada avec qui elle a commencé à entretenir une liaison. Elle s’est souvent rendue à l’appartement de ce dernier à Beyrouth. Quatre (4) mois après le début de sa liaison, elle a appris que celui‑ci était marié et avait des enfants. Elle a mis fin à leur relation et cette rupture l’a contrariée; il l’aurait alors apparemment insultée, menacée et agressée. Mme Charafeddine a quitté l’appartement de M. Hamada et elle a démissionné de son poste, pour que M. Hamada ne puisse la retrouver.
[4]
En octobre 2010, soit trois (3) mois après avoir quitté M. Hamada, Mme Charafeddine a trouvé un nouvel emploi, où elle y a rencontré M. Fayez Msage. Elle croyait que celui‑ci pourrait la protéger contre les menaces de M. Hamada vu sa taille, sa force et sa vive personnalité. En février 2011, ayant vu Mme Charafeddine avec M. Msage, M. Hamada s’est remis à menacer celle‑ci. Elle a de nouveau quitté son emploi. Elle est restée chez elle jusqu’en avril 2011, moment où elle a commencé à travailler à un autre nouvel endroit.
[5]
En août 2011, Mme Charafeddine a appris par un collègue que M. Msage avait une liaison avec d’autres femmes et qu’il achetait et vendait des voitures volées. Lorsqu’elle l’a interrogé au sujet de ses activités commerciales, il a répondu que celles-ci étaient lucratives. Mme Charafeddine a allégué ne pas vouloir fréquenter une telle personne et craindre que M. Msage la menace comme l’avait fait M. Hamada. Elle a conservé son lien avec M. Msage pendant qu’elle communiquait avec sa mère au Canada et faisait une demande de visa canadien de visiteur. Le 18 octobre 2011, elle a reçu son visa et, le 2 décembre 2011, elle quittait le Liban pour le Canada. Elle n’a pas immédiatement présenté de demande d’asile.
[6]
Mme Charafeddine n’a pas communiqué avec les autorités policières du Liban concernant M. Hamada ni M. Msage.
[7]
Elle prétend que, lorsque M. Msage a appris qu’elle était au Canada, il s’est mis à la dénigrer. Son frère, qui vit au Liban, l’a appris et a affronté M. Msage. En février 2012, le frère de Mme Charafeddine et M. Msage ont eu une altercation physique, altercation initiée par le premier. Dans cet accrochage, le frère s’est brisé le bras, et M. Msage aurait menacé de tuer Mme Charafeddine si elle devait retourner au Liban. La bagarre entre son frère et M. Msage, et les menaces de mort proférées par celui‑ci dans l’éventualité où elle retournait au Liban, ont amené Mme Charafeddine à présenter une demande d’asile au Canada. Ni la demanderesse ni son frère ne se sont plaints à la police au sujet de cette bagarre ou des menaces apparentes de mort qui sont survenues en février 2012.
[8]
L’audience de la SPR sur la demande d’asile a eu lieu le 24 mai 2018. La SPR a rejeté cette demande dans une décision datée du 30 mai 2018. Ce rejet est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
III.
La décision susceptible de contrôle
[9]
La question déterminante pour la SPR était celle de la crédibilité des menaces. La SPR a conclu que Mme Charafeddine manquait de crédibilité dans la question de la crainte subjective, et ce, pour diverses raisons : (1) la durée des relations avec MM. Msage et Hamada était trop brève pour que celles‑ci soient considérées comme sérieuses; (2) rien ne prouve que ces deux hommes s’intéressent encore à la demanderesse après la fin de ces relations il y a plus de six ans; (3) en dehors de la preuve de la bagarre du frère de Mme Charafeddine et de M. Msage, bagarre initiée par le frère, la demanderesse n’a pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle ces deux hommes s’intéressent encore à elle et à ses allées et venues, et (4) les actes n’ont jamais été dénoncés à la police. De plus, la SPR a conclu que Mme Charaffedine n’avait pas démontré qu’elle était exposée à un risque objectif et raisonnable de persécution aux mains de M. Hamada ou de M. Msage. Selon la SPR, les éléments subjectifs et objectifs requis pour établir les motifs visés à l’article 96 ou 97 n’étaient pas satisfaits. La SPR s’est fondée en l’espèce sur l’affaire Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680.
IV.
Les dispositions applicables
[10]
Les dispositions applicables de la LIPR sont les articles 96 et 97, qui sont intégralement reproduits dans l’annexe des présents motifs.
V.
Analyse
[11]
Mme Charafeddine soutient que l’interprétation qu’a faite la SPR de la LIPR devrait être appréciée selon la norme de la décision correcte. Quant au défendeur, il fait valoir qu’il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable à toutes les questions, en s’appuyant notamment sur la décision Cerra Gomez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1233, au paragraphe 14. Je souscris à la prétention du défendeur. L’interprétation de la LIPR emporte celle de la loi constitutive de la SPR. Toutes les autres questions sont des questions mixtes de fait et de droit. Dans les deux cas, la norme de contrôle de la décision raisonnable est applicable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 51, 53, 54 et 164) [Dunsmuir]. Étant donné que toutes les questions en litige commandent l’application de cette norme, il est bien établi que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la SPR, tout en examinant si le processus décisionnel était justifié, transparent et intelligible et en s’assurant que la décision relève des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).
[12]
Même si on devait admettre que Mme Charafeddine a établi l’existence de sa crainte subjective de M. Msage, la SPR a conclu qu’elle n’avait pas démontré qu’elle était exposée à un risque objectif et raisonnable de persécution aux mains de ce dernier. Vu les circonstances dans lesquelles M. Msage a proféré les menaces en question, et compte tenu notamment de la conduite du frère de Mme Charaffedine et de l’absence de dénonciation à la police, je suis d’avis qu’une telle conclusion satisfait au critère du caractère raisonnable.
[13]
Mme Charafeddine semble reconnaître que, compte tenu des circonstances dans lesquelles la menace a été transmise à son frère, il ne s’agissait pas d’une menace sérieuse. Elle affirme par ailleurs qu’une menace n’a pas à être sérieuse pour qu’on établisse une possibilité sérieuse de persécution. Je ne suis pas d’accord : si la menace n’était pas sérieuse, il s’ensuit qu’il n’y a pas de danger pour la demanderesse (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, au paragraphe 36, 329 NR 346; Mohebbi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 182, aux paragraphes 3 et 4).
VI.
Conclusion
[14]
Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale pour la Cour d’appel fédérale et, par conséquent, aucune n’est certifiée.
JUGEMENT dans IMM-2806-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.
« B. Richard Bell »
Juge
ANNEXE
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2806-18
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INTITULÉ :
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SALWA SALIM CHARAFEDDINE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 7 FÉVRIER 2019
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
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LE JUGE BELL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 13 MARS 2019
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COMPARUTIONS :
John Rokakis
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POUR LA DEMANDERESSE
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Christopher Crighton
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John Rokakis
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
JOHN ROKAKIS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
CHRISTOPHER CRIGHTON
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