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Date : 19991102


Dossier : IMM-2674-98



ENTRE :


INGRID GARASOVA


demanderesse


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS D"ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]      La demanderesse, Ingrid Garasova, conteste, par la présente instance qu"elle a introduite en vertu de l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale avec l"autorisation de la Cour, la décision, datée du 11 mai 1998, dans laquelle l"agente d"immigration L. M. Nunez (l"agente d"immigration) a rejeté la demande qu"elle avait présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration en vue d"obtenir une dispense de l"application du paragraphe 9(1) de la Loi afin que sa demande de résidence permanente soit traitée sans qu"elle doive quitter le Canada. Voici la décision de l"agente d"immigration :

[TRADUCTION] Après avoir soigneusement examiné votre demande et votre situation, j"ai déterminé qu"il n"y avait pas suffisamment de motifs d"ordre humanitaire pour justifier une dispense de l"application des exigences législatives habituelles.

[2]      La demanderesse et le défendeur ont déposé leurs dossiers à la Cour avant que la Cour suprême ne rende sa décision dans l"affaire Mavis Baker c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (pourvoi no 25823, 9 juillet 1999). Avant la tenue de l"audition de la présente affaire, j"ai demandé aux avocates de tenir compte de l"incidence que l"arrêt Baker , précité, pourrait avoir sur l"espèce, ce qu"elles ont fait.

LE CONTEXTE

[3]      Ingrid Garasova est née en République tchèque en 1975. En 1990, elle s"y est trouvé un emploi à temps plein. Le 16 janvier 1993, elle a donné naissance à son fils, Patrik; son conjoint l"a alors abandonnée.

[4]      En mai 1993, la demanderesse est venue au Canada munie d"un permis de travail valide. On lui a offert un emploi de danseuse exotique. Elle a laissé son fils Patrik à sa mère, laissant entendre qu"elle reviendrait après avoir fait de l"argent au Canada.

[5]      La demanderesse est retournée en République tchèque en 1993 pour y fêter Noël; elle y a fait un séjour de trois mois avant de revenir au Canada, en mars 1994. Son objectif consistait à faire des économies en vue d"acheter une copropriété dans la République tchèque.

[6]      En juillet 1994, la demanderesse a atteint son objectif : elle a acheté une copropriété, une voiture et des meubles en République tchèque. Sa mère et son fils s"y sont installés, mais elle n"est pas restée. Elle est de nouveau revenue au Canada, à la fin de 1994, et a décidé d"acheter une maison à Toronto, à titre d"investissement. Elle a trouvé des pensionnaires qui l"aideraient à payer l"hypothèque. Elle a également loué une voiture.

[7]      En mars 1995, elle a fait la rencontre d"un parent seul, Robert MacDonald, qu"elle a épousé le 4 mai 1995.

[8]      En juin 1995, elle s"est rendue en République tchèque avec l"intention d"amener son fils au Canada. Cependant, comme elle n"a pu obtenir de visa pour son fils, elle est rentrée seule au pays.

[9]      Dans un affidavit qu"elle a déposé pour étayer sa demande de contrôle judiciaire, elle a déclaré que lorsqu"elle a conclu une opération immobilière au Canada le 17 juin 1995, le courtier en hypothèques lui a conseillé d"ajouter le nom de son époux en tant que propriétaire de la maison, vu qu"elle n"avait pas le statut de résidente permanente au Canada.

[10]      En juillet 1995, elle est tombée enceinte. Elle dit dans son affidavit qu"à partir de ce moment-là, l"attitude de son époux a changé, le mariage s"est détérioré, et ce dernier a commencé à lui faire subir des sévices physiques. En août 1995, elle a fait une fausse couche. Dans son affidavit, elle décrit un cycle d"abus, de réconciliation et de détérioration du mariage. Elle est tombée de nouveau enceinte en décembre 1995.

[11]      Le 11 avril 1996, après que sa mère et son fils Patrik lui ont rendu visite au Canada, elle a décidé de retourner en République tchèque pour être plus près de celui-ci. Pendant son séjour, son époux voulait qu"elle et lui se réconcilient. La relation que la demanderesse entretenait avec sa mère s"est détériorée car, comme elle le dit dans son affidavit, [TRADUCTION] " elle s"est rendue compte à la longue que sa mère maltraitait son fils vu que, bien qu"il fût déjà âgé de trois ans, il ne parlait toujours pas et était extrêmement agressif ". Comme elle avait des problèmes avec sa mère et qu"elle était enceinte de six mois, elle a décidé de tenter de faire fonctionner son mariage.

[12]      Elle dit avoir eu une bataille juridique avec sa mère relativement à la vente de sa copropriété tchèque. Elle dit que sa mère l"a faussement accusée, devant la police tchèque, de faire subir des sévices physiques à Patrik et de menacer de l"envoyer dans un foyer d"accueil en République tchèque. Elle fait mention d"une bataille devant les tribunaux tchèques en vue d"obtenir la garde de l"enfant. Elle dit que les tribunaux lui ont confié la garde exclusive de son fils et qu"en conséquence, [TRADUCTION] " depuis cette époque, ma mère et moi nous ne sommes jamais plus parlé ". Suivant le conseil de son avocat tchèque, elle a amené sa fils Patrik au Canada. Elle a donné naissance à sa fille Rebecca, au Canada, le 14 août 1996.

[13]      Elle déclare que son époux a ensuite recommencé à lui faire subir des sévices physiques et qu"il s"est mis à la manipuler sur le plan financier. En 1997, elle a déposé devant les tribunaux ontariens une action en vue d"obtenir le divorce, la garde de l"enfant et des aliments. Ces actions n"avaient pas encore été réglées lorsqu"elle a fait son affidavit. La demanderesse a obtenu la garde provisoire de sa fille de même que des aliments provisoires pour celle-ci, et elle ajoute que le tribunal de la famille de l"Ontario a rendu une ordonnance, toujours en vigueur, interdisant que sa fille sorte de l"Ontario, vu que l"action visant à obtenir la garde de l"enfant et des aliments n"a pas encore été tranchée. Son époux, Robert, a toujours des droits de visite. Elle mentionne qu"elle a un emploi au Canada et qu"elle gagne environ 1 000 $ à 1 500 $ par semaine, qu"elle a payé ses impôts chaque année, et qu"elle n"a jamais reçu de prestations de l"aide sociale.

[14]      La demanderesse dit ne pas pouvoir retourner en République tchèque; la seule famille qu"elle a là-bas sont sa mère, sa soeur et son frère. Elle ne parle plus à sa mère, elle s"est éloignée de sa soeur, et son frère n"a que quatorze (14) ans. Elle n"a pas d"amis dans ce pays et elle a vendu la résidence qu"elle y avait. Elle ne saurait où aller avec ses deux jeunes enfants. Elle dit qu"elle est établie au Canada.

[15]      Le 31 octobre 1997, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d"ordre humanitaire, sans quitter le Canada. Son époux avait cessé de la parrainer. Elle déclare dans son affidavit que son avocate lui a dit qu"il existait des directives applicables aux demandes fondées sur des motifs d"ordre humanitaire qui traitaient de situations dans lesquelles il y avait rupture de mariage, et que son établissement au Canada serait le facteur principal dont il serait tenu compte, pourvu que son mariage à un citoyen canadien avait été authentique.

[16]      La demanderesse a eu une entrevue avec l"agente d"immigration le 4 avril 1998. À l"entrevue, elle dit avoir exposé à l"agente d"immigration tous les faits susmentionnés. Elle lui a remis une copie de l"ordonnance du tribunal l"empêchant d"amener sa fille à l"extérieur de l"Ontario. Elle a dit à l"agente d"immigration que son mariage à un citoyen canadien avait été authentique, mais que ce dernier lui avait fait subir des sévices terribles et que son mariage avait été un échec. Elle a dit à l"agente d"immigration qu"elle devait comparaître le jour suivant devant le tribunal pour témoigner contre son époux relativement à six accusations d"agression et d"agression sexuelle à son égard. Elle a montré à l"agente d"immigration une preuve établissant qu"elle avait fait d"importantes économies et qu"elle s"était établie au Canada.

[17]      Elle dit également dans son affidavit que le lendemain de son entrevue, son époux Robert a été reconnu coupable de six accusations d"agression et d"agression sexuelle et qu"il a été condamné à une peine d"emprisonnement de cinq mois et à une période de probation de trois ans. L"agente d"immigration a été informée de ces condamnations.

[18]      L"argument original de la demanderesse était fondé sur certaines directives que prévoit le paragraphe 9.14(3) du Guide de l"immigration en matière de rupture de mariage. Ces directives traitent de la situation dans laquelle la personne qui devait parrainer la demande de l"immigrant éventuel cesse de parrainer la demande avant l"arrivée de ce dernier. Comme il a déjà été souligné, la présente affaire est de cette nature. Voici ce que prévoient les directives :

9.14(3)
b)      Si la demande n"a pas encore été traitée, on examinera le cas pour déterminer si le conjoint peut réussir à s"établir au Canada et s"il existe des considérations humanitaires (voir l"IE 9.07) qui pourraient justifier que la demande suive son cours jusqu"à ce que l"octroi du droit d"établissement.
c)      Au moment d"examiner ces cas, les facteurs suivants devraient être pris en considération. Le fait de répondre à l"un de ces facteurs n"est pas une raison suffisante justifiant l"approbation de la demande. Les agents devraient plutôt évaluer la portée de tous les facteurs avant de rendre une décision :
     i)      Évaluation des possibilités d"établissement :
     - Le requérant semblait-il pouvoir s"établir, compte tenu de ses études, de sa formation et de ses emplois antérieurs?
     - A-t-il des parents au Canada qui veulent et qui peuvent l"aider?
     - Quelle est la composition de la famille à parrainer et les membres se trouvent-ils au Canada ou à l"étranger?
     ii)      Détermination des considérations humanitaires possibles :
     - Le mariage a-t-il été à l"origine contracté de bonne foi et a-t-il simplement échoué en raison de l"incompatibilité des parties ou avait-il pour unique objet de tourner la législation?
     - Existait-il des éléments de fraude, de présentation erronée ou de mauvaise foi de la part du requérant, par exemple, la personne a-t-elle attiré l"attention du personnel du CIC par suite d"une investigation plutôt qu"après s"être présentée aux autorités de son plein gré?
     - Dans ses rapports avec le répondant, le requérant a-t-il été victime de brutalité physique, ou de cruauté mentale, par exemple, le répondant a-t-il menacé de retirer son engagement d"aide afin de garder le requérant sous sa dépendance? Une preuve de mauvais traitement ou de cruauté mentale peut étayer la décision d"étudier une demande en vue de l"octroi du droit d"établissement, mais elle ne devrait pas constituer en soi un motif suffisant d"octroyer le droit d"établissement à quelqu"un. Dans ces cas, les conjoints maltraités ont le choix de retourner dans leur foyer pour y trouver la sécurité et la protection de leur famille.
     - La requérante est-elle enceinte?
     - Y-a-t-il un enfant canadien qui souffrirait si le conjoint devait quitter le Canada?
     - Le retour dans le pays d"origine présenterait-il seulement un inconvénient pour la personne concernée ou pour tout membre de la famille demeurant au Canada ou leur causerait-il de sérieux embarras pécuniaires et (ou) une grave interruption des études?
     - Offre-t-on dans le pays d"origine de l"aide à l"établissement?
     d) Les agents sont invités à essayer d"obtenir des renseignements généraux sur les personnes en cause et, si possible, sur les traditions culturelles et moeurs de leur pays d"origine, en communiquant avec le bureau à l"étranger. Un des facteurs importants dont les agents doivent tenir compte dans tous les cas c"est la question de savoir si la personne en cause ou le parent au Canada pourrait devenir un fardeau pour les services sociaux au Canada par suite de la décision rendue.
     e) S"il existe des considérations humanitaires insuffisantes pour l"octroi du droit d"établissement, il faut demander à la section des décrets, AC, de retirer le nom de la personne de la liste soumise au gouverneur en conseil et de prendre les mesures d"exécution de la loi à l"égard de cette personne.
     f) S"il y a des considérations humanitaires suffisantes, un nouveau IMM 655 sera envoyé à la section des décrets accompagné d"une note de service, et la demande sera traitée de façon prioritaire. Par ailleurs, si le cas de la personne a été examiné dans un délai de quelques jours, la section des décrets continuera le traitement et la personne obtiendra le droit d"établissement lorsque le décret sera approuvé.
[Non souligné dans l"original.]

[19]      L"avocate de la demanderesse a également renvoyé à l"article 9.15 du Guide de l"immigration intitulé " RÉSIDENTS DE FAIT EN SITUATION ADMINISTRATIVE IRRÉGULIÈRE ". Voici les dispositions qui m"ont été soumises :

1) Critère d"approbation
Les agents doivent faire la distinction entre les personnes qui sont simplement des " illégaux de longue date " et celles qui sont d"authentiques " résidents de fait ". Pour que leur demande soit approuvée, les personnes devraient, règle générale, répondre aux trois critères exposés ci-dessous.
     a) Les cas de ces personnes auront auparavant échappé à l"attention des autorités de l"immigration, p. ex. les demandeurs du statut de réfugié éconduits, les personnes dont le cas fait partie de l"arriéré ou les personnes ayant déjà été frappées de renvoi ne sont pas admissibles.
     b) Ces personnes sont si bien établies sur les plans financier, social et culturel que le Canada, et non leur pays d"origine, est leur véritable pays de résidence. Il devrait falloir plusieurs années pour être ainsi établi. Les critères permettant de déterminer si l"établissement est vraiment réalisé sont énoncés au paragraphe 3 ci-dessous.
     c) Il faut qu"il y ait des preuves que ces personnes et les membres de leur famille qui se trouvent au Canada feraient face à des difficultés excessives si elles devaient quitter le Canada et obtenir un visa d"immigrant de la manière habituelle.

[20]      Avant l"entrevue qu"elle a eue avec la demanderesse, l"agente d"immigration a reçu des représentants légaux de cette dernière d"abondantes observations écrites datées du 31 octobre 1997. L"avocate de la demanderesse a également assisté à l"entrevue et fait des observations finales. Ces observations traitaient de questions liées à la capacité de la demanderesse de subvenir à ses besoins, à l"établissement de cette dernière au Canada, et à d"éventuelles difficultés excessives qu"elle éprouverait. L"avocate a également renvoyé à une loi américaine, la Violence Against Women Act , qui contient des dispositions en matière d"immigration et permet à la femme victime d"agression de [TRADUCTION] " présenter sa demande de façon indépendante, sans qu"il soit nécessaire que son époux, qui la maltraite, parraine la demande ".

[21]      Les observations concernant les difficultés excessives mettent l"accent sur les points suivants :

     a)      la demanderesse ne peut retourner en République tchèque étant donné qu"elle n"y a aucun réseau de soutien ni nulle part où aller. Elle a deux jeunes enfants et elle aurait besoin d"un domicile et de soutien;
     b)      sa famille immédiate ne peut lui offrir un tel soutien;
     c)      au Canada, son fils Patrik se développe normalement. Il parle; il n"est plus agressif;
     d)      elle craint qu"elle perdra sa fille Rebecca si elle est expulsée vers la République tchèque.

LES MOTIFS ET NOTES DE L"AGENTE DE L"IMMIGRATION

[22]      L"agente d"immigration a exposé les motifs pour lesquels elle a tranché de façon défavorable la demande fondée sur des motifs d"ordre humanitaire dans des notes dactylographiées qui reprennent essentiellement ses notes manuscrites. Elle a dit :

[TRADUCTION]
L"intéressée s"est trouvée et au Canada, et à l"étranger depuis qu"elle est arrivée au pays en 1993. Elle a toujours eu l"intention de faire de l"argent puis de rentrer dans son pays d"origine afin d"y fonder une entreprise. Son mariage, qui a mal tourné, lui a fait subir des difficultés excessives ici aux mains de son époux, d"avec qui elle est sur le point de divorcer. À mon avis, l"intéressée ne subirait pas de difficultés excessives si on lui demandait de présenter sa demande à partir de l"étranger. Elle dit qu"elle n"a rien dans son pays d"origine ni d"endroit où aller, mais en vérité, toute sa famille s"y trouve. Comme elle a toujours été indépendante depuis l"âge de 16 ans, je suis tout à fait d"avis qu"elle n"a jamais vraiment eu besoin de sa famille. Elle n"a pas de famille ici vu qu"elle a demandé le divorce. L"intéressée a également dit qu"elle ne pouvait retourner dans son pays d"origine vu qu"elle ne peut quitter l"Ontario sans sa fille. Cependant, j"estime que, compte tenu des antécédents de violence du père de l"enfant, elle n"aurait pas de difficulté à obtenir la garde exclusive de l"enfant. L"intéressée est parvenue à économiser un important montant d"argent dans une très courte période, de sorte qu"elle a pu acquérir une demeure dans son pays d"origine de même qu"au Canada. Bien qu"elle ait vendu la demeure qu"elle possédait dans son pays d"origine et qu"elle soit sur le point de perdre la demeure qu"elle a ici, elle a assez d"économies en banque pour se réinstaller dans son pays d"origine. De plus, elle obtiendra d"autres ressources financières par suite du divorce. À mon avis, les motifs que l"intéressée a invoqués pour étayer sa demande de résidence permanente sont de nature temporaire, et le degré d"indépendance dont elle jouissait avant de venir au Canada me donne à croire qu"elle peut se débrouiller et qu"elle se débrouillera effectivement sans soutien familial.... La lettre de refus a été postée à PC et une copie a été envoyée à l"avocate. Le dossier a été envoyé à GTEC pour fins d"enquête. [Non souligné dans l"original.]

[23]      Comme il a déjà été souligné, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement et exposé ses motifs dans l"affaire Mavis Baker c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration le 9 juillet 1999. C"est le juge L"Heureux-Dubé qui a écrit les motifs principaux pour son propre compte et celui des juges Gonthier, McLachlin, Bastarache et Binnie. Le juge Iacobucci (le juge Cory souscrivant à ses motifs) a, quant à lui, écrit des motifs concordants. À mon avis, l"arrêt Baker a une incidence importante sur la présente affaire. Cet arrêt porte sur la décision dans laquelle un agent d"immigration a rejeté la demande que Mavis Baker avait présentée en vue d"obtenir la même dispense que celle que la demanderesse cherche à obtenir en l"espèce.

[24]      Comme l"a dit le juge L"Heureux-Dubé, le pourvoi dans l"affaire Baker " porte essentiellement sur la démarche à suivre lorsqu"un tribunal procède au contrôle judiciaire de ces décisions, à la fois sur le fond et sur le plan de la procédure. Ce pourvoi soulève également des questions relatives à la crainte raisonnable de partialité, à la rédaction de motifs écrits dans le cadre de l"obligation d"agir équitablement et au rôle de l"intérêt des enfants dans le contrôle judiciaire de décisions rendues conformément au par. 114(2) ". Les questions relatives à l"équité procédurale, à la crainte raisonnable de partialité et à la rédaction de motifs écrits qui ont été soulevées dans l"affaire Baker , précitée, ne l"ont pas été dans la présente affaire. Je considère que les notes de l"agente d"immigration constituent de tels motifs. J"estime qu"en ce qui concerne la présente affaire, l"arrêt Baker revêt une importance cruciale pour ce qui est des motifs sur lesquels la demande de contrôle judiciaire est fondée, du rôle des directives et de la nécessité de tenir compte de l"intérêt des enfants.

[25]      Le juge L"Heureux-Dubé a décrit, aux deuxième et troisième paragraphes de ses motifs, les faits sur lesquels elle s"est fondée :

2      Mavis Baker, citoyenne de la Jamaïque, est entrée au Canada à titre de visiteur en août 1981 et y vit depuis. Elle n"a jamais obtenu le statut de résidente permanente, mais a subvenu illégalement à ses besoins en travaillant pendant 11 ans comme travailleur domestique. Elle a eu quatre enfants (qui sont tous citoyens canadiens) au Canada: Paul Brown, né en 1985, les jumeaux Patricia et Peter Robinson, nés en 1989, et Desmond Robinson, né en 1992. Après la naissance de Desmond, Mme Baker a souffert d"une psychose post-partum et on a diagnostiqué qu"elle était atteinte d"une schizophrénie paranoïde. À cette époque, elle a présenté une demande d"assistance sociale. Quand on a découvert qu"elle était atteinte de troubles mentaux, deux de ses enfants ont été confiés aux soins de leur père naturel et les deux autres ont été placés en foyer d"accueil. Son état s"étant amélioré, elle a de nouveau la garde des deux enfants placés en foyer d"accueil.
3      En décembre 1992, une ordonnance d"expulsion a été prise contre l"appelante, lorsqu"on a découvert qu"elle avait travaillé illégalement au Canada et avait séjourné au-delà de son visa de visiteur. En 1993, Mme Baker a demandé d"être dispensée de faire sa demande de résidence permanente de l"extérieur du Canada, pour des raisons d"ordre humanitaire, conformément au par. 114(2) de la Loi sur l"immigration. Elle a obtenu l"aide d"un avocat pour remplir cette demande, et a notamment ajouté, comme documents additionnels, des observations de son avocat, une lettre de son médecin et une lettre d"un travailleur social de la Société d"aide à l"enfance. Les documents présentés indiquaient que, même si elle éprouvait toujours des problèmes psychiatriques, elle faisait des progrès, mais qu"elle pourrait retomber malade si elle était forcée de retourner en Jamaïque, parce qu"elle ne pourrait peut-être pas y bénéficier d"un traitement. Mme Baker a aussi clairement indiqué qu"elle était la seule à pouvoir prendre soin de deux de ses enfants nés au Canada et que ses deux autres enfants avaient besoin de son soutien affectif et étaient régulièrement en contact avec elle. Les documents mentionnaient également qu"elle subirait aussi des difficultés d"ordre émotionnel si elle était séparée d"eux.

[26]      Avant de considérer les principes juridiques applicables, le juge L"Heureux-Dubé a principalement traité de deux questions :

     1)      la nature de la décision; et

     2)      le rôle des lignes directrices figurant au chapitre 9 du Guide de l"immigration: examen et application de la loi.

Comme il s"agit de questions ou facteurs qui sont importants à mon avis, je les analyserai brièvement.

[27]      Voici ce que le juge L"Heureux-Dubé a écrit au paragraphe 15 de ses motifs à propos de la nature de la décision :

15      Les demandes de résidence permanente doivent normalement être présentées à l"extérieur du Canada, conformément au par. 9(1) de la Loi. L"une des exceptions à cette règle est l"admission fondée sur des raisons d"ordre humanitaire. En droit, conformément à la Loi et au règlement, c"est le ministre qui prend les décisions d"ordre humanitaire, alors qu"en pratique, ces décisions sont prises en son nom par des agents d"immigration: voir, par exemple, Ministre de l"Emploi et de l"Immigration c. Jiminez-Perez, [1984] 2 R.C.S. 565, p. 569. En outre, même si, en droit, une décision d"ordre humanitaire est une décision qui prévoit une dispense d"application du règlement ou de la Loi, en pratique, il s"agit d"une décision, dans des affaires comme celle dont nous sommes saisis, qui détermine si une personne qui est au Canada, mais qui n"a pas de statut, peut y demeurer ou sera tenue de quitter l"endroit où elle s"est établie. Il s"agit d"une décision importante qui a des conséquences capitales sur l"avenir des personnes visées. Elle peut également avoir des répercussions importantes sur la vie des enfants canadiens de la personne qui a fait la demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire puisqu"ils peuvent être séparés d"un de leurs parents ou déracinés de leur pays de citoyenneté, où ils se sont installés et ont des attaches. [Non souligné dans l"original.]

[28]      Voici ce que le juge L"Heureux-Dubé a dit à propos des directives, aux paragraphes 16 et 17 de ses motifs :

16      Les agents d"immigration qui prennent des décisions d"ordre humanitaire reçoivent une série de lignes directrices, figurant au chapitre 9 du Guide de l"immigration: examen et application de la loi, qui leur servent d"instructions sur la façon d"exercer le pouvoir discrétionnaire qui leur est délégué. Le public a aussi accès à ces lignes directrices. Dans ces lignes directrices, plusieurs énoncés s"appliquent à la demande de Mme Baker. La directive 9.05 met l"accent sur le devoir des agents de décider quelles affaires devraient recevoir une recommandation favorable, en étudiant avec soin les cas sous tous leurs aspects, en faisant preuve de discernement, et en se demandant ce qu"une personne sensée ferait dans une telle situation. Elle dit également que les agents ne doivent pas "tente[r] d"approfondir des questions qui ne sont pas soulevées au cours des examens ou des entrevues. Toutefois, ils doivent essayer d"obtenir des précisions relativement à des raisons possibles d"intérêt public ou d"ordre humanitaire, même si celles-ci ne sont pas clairement formulées".
17      Ces directives définissent également les fondements de l"exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le par. 114(2) et le règlement. Deux types de raisons pouvant mener à une décision favorable sont indiquées -- les raisons d"intérêt public et les considérations humanitaires. Conformément à la directive 9.07, les agents d"immigration doivent s"assurer d"abord qu"il n"existe pas de raisons d"intérêt public, et, s"il n"y en a pas, s"il existe des considérations humanitaires. Les raisons d"intérêt public comprennent, notamment, le mariage à un résident du Canada, le fait qu"une personne a vécu au Canada, s"y est établie et est devenue un résident "de fait en situation administrative irrégulière", et le fait que la personne est titulaire d"un permis de travail de longue date ou a travaillé comme travailleur domestique étranger. La directive 9.07 dit qu"il existe des considérations humanitaires lorsque "des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l"examen de son cas si celle-ci devait quitter le Canada". Les directives traitent expressément de situations où il existe des liens familiaux de dépendance, et soulignent que l"obligation de quitter le Canada pour présenter une demande de l"étranger peut occasionner des difficultés à certains membres de la famille proche d"un résident canadien, parents, enfants ou autres proches qui n"ont pas de liens de sang avec le demandeur. Elles précisent que dans de tels cas, il faut aussi tenir compte des raisons pour lesquelles la personne n"a pas présenté sa demande à l"étranger et de la présence d"une famille ou d"autres personnes susceptibles de l"aider dans son pays d"origine.
[Non souligné dans l"original.]

[29]      Le juge L"Heureux-Dubé a ensuite entamé une analyse fondamentale de l"examen de la façon dont le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire. Elle a reconnu que le libellé de la Loi et de son règlement d"application confère un pouvoir discrétionnaire ou une latitude considérable à l"égard duquel les tribunaux doivent faire preuve de retenue. Elle a examiné et fusionné les principes traditionnels du droit administratif applicables en contrôlant l"exercice du pouvoir discrétionnaire (citant Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada , [1982] 2 R.C.S. 2) et le principe général du caractère déraisonnable. Elle a dit qu"il était inexact de parler d"une dichotomie stricte entre les décisions " discrétionnaires " et les décisions " non discrétionnaires " étant donné que la plupart des décisions administratives comporte l"exercice d"un pouvoir discrétionnaire implicite relativement à de nombreux aspects de la prise de décision. Elle a renvoyé à la démarche " pragmatique et fonctionnelle ", qui reconnaît qu"il y a une large gamme de normes de contrôle judiciaire des erreurs de droit.

[30]      Appliquant les facteurs de la présence ou de l"absence d"une clause privative, l"expertise du décideur, l"objet de la disposition, en particulier, et de la Loi dans son ensemble, de même que la nature du problème en question eu égard à l"appréciation des faits, le juge L"Heureux-Dubé a établi de la façon suivante la norme de contrôle du bien-fondé de la décision dans cette affaire :

62      Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d"en arriver à la norme d"examen appropriée. Je conclus qu"on devrait faire preuve d"une retenue considérable envers les décisions d"agents d"immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l"analyse, de son rôle d"exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l"absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d"un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d"appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d"aussi grande retenue que celle du caractère "manifestement déraisonnable". Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter. [Non souligné dans l"original.]

[31]      Le juge L"Heureux-Dubé a poursuivi son analyse de la question de savoir si le refus de l"agent d"immigration d"accorder une dispense pour des motifs d"ordre humanitaire à Mavis Baker était raisonnable. Voici le critère qu"elle a adopté pour examiner la question de savoir si la décision et l"interprétation par l"agent d"immigration de l"étendue du pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré étaient déraisonnables au sens où l"entend le juge Iacobucci dans l"arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. , [1997] 1 R.C.S. 748 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l"ensemble, n"est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s"il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s"il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.

[32]      Le juge l"Heureux-Dubé a conclu que la décision de l"agent d"immigration était déraisonnable. À son avis, il ressortait de la démarche qu"elle avait adoptée pour apprécier l"intérêt des enfants que la décision était déraisonnable au sens où l"entend le juge Iacobucci dans l"arrêt Southam, précité. Elle a dit que l"agent a complètement négligé de tenir compte de l"intérêt des enfants de Mme Baker. Elle a estimé que le défaut d"accorder de l"importance et de la considération à l"intérêt des enfants constitue un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire conféré par l"article, même s"il faut exercer un degré élevé de retenue envers la décision de l"agent d"immigration. Elle a dit que les motifs de l"agent d"immigration démontraient que sa décision n"était pas compatible avec les valeurs sous-jacentes à l"octroi d"un pouvoir discrétionnaire et qu"ils ne pouvaient donc pas résister à l"examen assez poussé qu"exige la norme du caractère raisonnable.

[33]      Le libellé du paragraphe 114(2) et de l"article 2.1 du règlement d"application exige qu"un décideur exerce le pouvoir en se fondant sur des " raisons d"ordre humanitaire ". Ces mots et leur sens doivent jouer un rôle crucial lorsqu"il s"agit de répondre à la question de savoir si une décision constituait un exercice raisonnable du pouvoir que confère le législateur.

[34]      À son avis, l"exercice raisonnable du pouvoir conféré par l"article exige que soit prêtée une attention minutieuse aux intérêts et aux besoins des enfants. Les droits des enfants, et la considération de leurs intérêts, sont des valeurs d"ordre humanitaire centrales dans la société canadienne. Une indication que l"intérêt des enfants est une considération importante dans l"exercice des pouvoirs en matière humanitaire se trouve, par exemple, dans les objectifs de la Loi, dans les instruments internationaux, et dans les lignes directrices régissant les décisions d"ordre humanitaire publiées par le ministre lui-même.

[35]      En particulier, en ce qui concerne l"importance des directives ministérielles, le juge L"Heureux-Dubé a dit :

72      Troisièmement, les directives données par le ministre aux agents d"immigration reconnaissent et révèlent les valeurs et la démarche qui sont décrites ci-dessus et qui sont énoncées dans la Convention. Comme il est dit plus haut, les agents d"immigration sont censés rendre la décision qu"une personne raisonnable rendrait, en portant une attention particulière à des considérations humanitaires comme maintenir des liens entre les membres d"une famille et éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n"ont plus d"attaches. Les directives révèlent ce que le ministre considère comme une décision d"ordre humanitaire, et elles sont très utiles à notre Cour pour décider si les motifs de l"agent Lorenz sont valables. Elles soulignent que le décideur devrait être conscient des considérations humanitaires possibles, devrait tenir compte des difficultés qu"une décision défavorable imposerait au demandeur ou aux membres de sa famille proche, et devrait considérer comme un facteur important les liens entre les membres d"une famille. Les directives sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l"article, et le fait que cette décision était contraire aux directives est d"une grande utilité pour évaluer si la décision constituait un exercice déraisonnable du pouvoir en matière humanitaire.
73      Les facteurs susmentionnés montrent que les droits, les intérêts, et les besoins des enfants, et l"attention particulière à prêter à l"enfance sont des valeurs importantes à considérer pour interpréter de façon raisonnable les raisons d"ordre humanitaire qui guident l"exercice du pouvoir discrétionnaire. Je conclus qu"étant donné que les motifs de la décision n"indiquent pas qu"elle a été rendue d"une manière réceptive, attentive ou sensible à l"intérêt des enfants de Mme Baker, ni que leur intérêt ait été considéré comme un facteur décisionnel important, elle constituait un exercice déraisonnable du pouvoir conféré par la loi et doit donc être infirmée. En outre, les motifs de la décision n"accordent pas suffisamment d"importance ou de poids aux difficultés qu"un retour en Jamaïque pouvait susciter pour Mme Baker, alors qu"elle avait passé 12 ans au Canada, qu"elle était malade et n"était pas assurée de pouvoir suivre un traitement en Jamaïque, et qu"elle serait forcément séparée d"au moins certains de ses enfants. [Non souligné dans l"original.]

[36]      Le juge L"Heureux-Dubé a conclu en disant qu"elle était en désaccord avec l"arrêt Shah c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1994) 170 N.R. 238, dans lequel la Cour d"appel fédérale dit qu"une décision en vertu du par. 114(2) " relève entièrement [du] jugement et [du] pouvoir discrétionnaire ". Le libellé du par. 114(2) et du règlement montre que le pouvoir discrétionnaire conféré est assorti de limites. Elle a conclu de la façon suivante :

75      La question certifiée demande s"il faut donner la primauté à l"intérêt supérieur des enfants dans l"examen du cas d"un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l"exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l"intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l"intérêt supérieur des enfants l"emportera toujours sur d"autres considérations, ni qu"il n"y aura pas d"autres raisons de rejeter une demande d"ordre humanitaire même en tenant compte de l"intérêt des enfants. Toutefois, quand l"intérêt des enfants est minimisé, d"une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

L"APPLICATION DES PRINCIPES DE L"ARRÊTBAKER À LA PRÉSENTE AFFAIRE

[37]      À mon avis, il est clair que l"arrêt Baker de la Cour suprême du Canada appelle une nouvelle perspective et un nouvel examen de la part des agents d"immigration lorsqu"ils rendent des décisions fondées sur des motifs d"ordre humanitaire en vertu de la Loi sur l"immigration. Lorsque l"affaire porte touche des enfants, l"agent d"immigration doit tenir compte des intérêts de ces derniers, qui constituent un facteur important, accorder beaucoup d"importance à ces intérêts, et en être conscient. Bien que l"arrêt Baker mette l"accent sur une considération des intérêts des enfants, les propos du juge L"Heureux-Dubé s"appliquent non seulement aux intérêts des enfants, mais également à ceux de la demanderesse, qui est adulte.

[38]      Cet aspect de l"arrêt Baker est clair, comme il ressort du paragraphe 72, où le juge L"Heureux-Dubé dit :

... les agents d"immigration sont censés rendre la décision qu"une personne raisonnable rendrait, en portant une attention particulière à des considérations humanitaires comme maintenir des liens entre les membres d"une famille et éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n"ont plus d"attaches.
[Non souligné dans l"original.]

[39]      Non seulement l"arrêt Baker exige-t-il que les agents d"immigration aient une démarche plus ciblée, mais il confère également une nouvelle responsabilité, plus " pratique ", au juge de révision. Le juge de révision doit considérer " en profondeur " la décision fondée sur des motifs d"ordre humanitaire et déterminer si elle est raisonnable, en examinant les motifs pour voir s"ils résistent à l"examen assez poussé sur le fondement de la preuve.

[40]      En examinant la décision de l"agente d"immigration dans la présente affaire, je remarque que l"analyse fondée sur des motifs d"ordre humanitaire porte exclusivement sur la demanderesse elle-même, Ingrid Garasova. Dans ces motifs, il n"a été tenu compte ni des intérêts de l"enfant né au Canada, ni de ceux de l"enfant né en République tchèque.

[41]      Or, une telle démarche de l"agente d"immigration ne saurait constituer un exercice raisonnable du pouvoir qui exige que les intérêts et les besoins des enfants soient examinés de près, étant donné que les droits des enfants et le respect de leurs intérêts constituent des valeurs humanitaires fondamentales de la société canadienne.

[42]      L"agente d"immigration a conclu que la situation de la demanderesse ne faisait pas ressortir suffisamment de motifs d"ordre humanitaire pour justifier que sa demande de résidence permanente soit traitée sans qu"elle ne présente une telle demande depuis l"étranger. Le caractère raisonnable de cette détermination exige un examen assez poussé de la preuve. À mon avis, l"agente d"immigration a, dans ses motifs, mis trop d"accent sur ses propres observations et supposé que la demanderesse saura se débrouiller.

LE DISPOSITIF

[43]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l"agente d"immigration est annulée, et l"affaire est renvoyée au ministre pour qu"un autre agent d"immigration statue à son tour sur celle-ci. Aucune question à certifier n"a été proposée.


" François Lemieux "

                                         J U G E


OTTAWA (ONTARIO)

LE 2 NOVEMBRE 1999.








Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-2674-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          INGRID GARASOVA C. MCI


LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 10 AOÛT 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                  2 NOVEMBRE 1999



ONT COMPARU :


Mme Carole Simone Dahan                      POUR LA DEMANDERESSE

Mme Geraldine Macdonald                      POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


GUBERMAN, GARSON                      POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO

M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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