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                                                                                                                                          Date : 20030612

Dossier : T-2171-98

Référence : 2003 CFPI 732

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 12 JUIN 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGESNIDER

ENTRE :

LA BANDE INDIENNE DE LOUIS BULL et LE CHEF HELEN BULL,

HENRY RAINE, NORMAN DESCHAMPS,

SIMON THREEFINGERS, SOLOMON BULL,

THERESA BULL, TERRENCE RAIN,

ELAINE ROASTING et JOSEPH DESCHAMPS,

chef et conseillers de la Bande indienne de Louis Bull agissant

en qualité de représentants de tous les membres de la

Bande indienne de Louis Bull

demandeurs

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une requête introduite par la défenderesse en vue de faire annuler l'ordonnance du 30 avril 2003 par laquelle le protonotaire Aronovitch a accueilli la requête des demandeurs visant la modification de leur déclaration et rejeté la requête incidente de la défenderesse visant la réunion ou la suspension de la présente action.

[2]                 La défenderesse demande plus spécifiquement ce qui suit :

1.         une ordonnance annulant l'ordonnance du 30 avril 2003 par laquelle le protonotaire a accueilli la requête des demandeurs et leur a attribué les dépens afférents;

2.        subsidiairement, une ordonnance annulant l'ordonnance du 30 avril 2003 par laquelle le protonotaire a rejeté la requête de la défenderesse;

3.         subsidiairement, une ordonnance réunissant la présente action et les modifications concernant le paiement de redevances ainsi que l'action T-2953-93, ou une ordonnance suspendant la présente action jusqu'à décision finale sur les questions reliées au calcul de redevances dans l'action T-2953-93;

4.         une ordonnance suspendant toute étape de la procédure relativement aux modifications jusqu'à ce que la Cour rende sa décision;

5.         les autres mesures de redressement jugées appropriées par l'honorable Cour.

[3]                 Du consentement des parties, une ordonnance suspendant toute étape de la procédure relative aux modifications jusqu'à ce que la Cour rende sa décision a été décernée le 28 mai 2003.


[4]                 Les demandeurs ont produit la déclaration originale le 20 novembre 1998. On y fait valoir que la Bande indienne de Louis Bull (la Bande) ne devrait pas être responsable de l'acquittement rétroactif des distributions par tête, pour la période de 1974 à 1983, aux quatre « enfants Fayant » dont les noms avaient été rayés de la liste d'appartenance à l'effectif de la Bande en 1974 pour y être inscrits à nouveau en 1983, par suite de la décision Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) c. Ranville, [1982] 2 R.C.S. 518.

[5]                 En 1997, le gouvernement fédéral a versé rétroactivement les distributions par tête ainsi que les intérêts courus dus aux quatre enfants Fayant, par prélèvement sur les comptes en fiducie de la Bande. Dans la déclaration originale, la Bande contestait la légalité de ce retrait de ses comptes. La question en litige est celle de savoir quelle partie devrait être responsable de l'acquittement rétroactif qui totalise 304 139,52 $.

[6]                 La présente action fait l'objet de gestion d'instance, sous la direction du protonotaire Aronovitch, depuis le 26 juillet 2000.

[7]                 En ce qui concerne la déclaration originale, on a mené à bien les interrogatoires préalables ainsi que la production de documents. Une conférence préparatoire sur cette question a été prévue pour le 15 avril 2002, puis reportée au 20 décembre 2002 pour donner aux parties la possibilité d'en arriver à un règlement.

[8]                 Peu après la tenue des interrogatoires préalables dans le cadre de la présente action, il est venu à l'esprit des demandeurs qu'une autre conséquence découlait du fait que les enfants Fayant n'ont pas été inscrits sur la liste de la Bande entre 1975 et 1983. C'est qu'il en était résulté une réduction de quatre personnes dans l'effectif de la Bande pendant chacune de ces années, et donc une réduction correspondante de la quote-part de la Bande des recettes en redevances tirées de la réserve de Pigeon Lake.

[9]                 La Bande est l'une des quatre bandes d'Hobbema (les autres étant les bandes indiennes de Samson, d'Ermineskin et de Montana) qui se partagent les redevances provenant de l'exploitation du pétrole et du gaz dans la réserve de Pigeon Lake. Comme la distribution annuelle de ces redevances entre les bandes qui y ont droit se fait par tête, la quote-part qui revient à la bande de Louis Bull et à chacune des autres bandes est fonction du nombre de membres inscrits sur chacune des listes de bande le 30 juin de chaque année. Pour la période de 1974 à 1983, par conséquent, la Bande a reçu un montant de redevances se fondant sur le nombre de membres de la Bande, duquel étaient soustraits les quatre enfants Fayant. Les obligations de la défenderesse relativement à la gestion, l'administration et l'investissement des recettes (les redevances) tirées de la réserve de Pigeon Lake font l'objet d'un différend ainsi que d'un litige en cours devant notre Cour (l'action de 1993 intitulée La Bande indienne de Louis Bull c. Canada et al., T-2953-93 (l'action de 1993), dont il est traité au paragraphe 29 ci-après).


[10]            Au moyen d'une requête datée du 24 janvier 2003, les demandeurs ont présenté une requête pour autorisation de déposer une déclaration modifiée. Les modifications auraient pour effet d'ajouter la revendication concernant les paiements de redevances. En plus de modifications mineures ou accessoires à la déclaration, la modification la plus importante proposée concernait les « dommages-intérêts spéciaux » . Voici le libellé du sous-alinéa 1 (B)(ii) proposé :

[traduction]

(ii)        au gré de l'honorable Cour, des dommages-intérêts spéciaux, notamment

a)         une somme égale au montant des redevances tirées de la réserve de Pigeon Lake que les demandeurs auraient reçues de 1975 jusqu'à 1983, inclusivement, si ce n'avait été de la radiation unilatérale par la défenderesse des enfants Fayant de la liste de bande des demandeurs, ainsi que les intérêts sur le montant de ces redevances;

b)         ^    une somme égale au montant du paiement rétroactif versé aux enfants Fayant pendant leur période d'émancipation, de 1974 à 1983, et prélevé du compte de capital des demandeurs, ainsi que les intérêts accumulés sur le montant de ce paiement;

c)        ^    subsidiairement au point b) ci-dessus, une somme égale à tous les intérêts payable sur tout paiement rétroactif aux enfants Fayant.                                             (Modifications indiquées.)


L'ordonnance du protonotaire

[11]            Par ordonnance datée du 30 avril 2003, le protonotaire Aronovitch a accueilli la requête des demandeurs visant la modification de leur déclaration et rejeté la requête incidente de la défenderesse visant, subsidiairement, la réunion ou la suspension de la présente action. Voici les motifs, sous forme d'adhésion, du protonotaire Aronovitch :

[traduction]

Quant à la requête des demandeurs, j'admets leurs observations à l'appui de la requête et j'y donne mon adhésion. En particulier, je suis convaincue qu'il découlera des modifications proposées qu'on tranchera les véritables questions en litige dans la présente action, que la défenderesse ne subit aucun préjudice qui n'est pas indemnisable par des dépens et que les modifications serviraient l'intérêt de la justice.

Pour ce qui est de la question du préjudice, la preuve par affidavits de la Couronne concernant des retards additionnels dans l'instance et la prolongation du procès n'est pas convaincante puisqu'elle se fonde sur l'hypothèse erronée selon laquelle les modifications proposées mettent en cause la décision de la Cour relativement au mode approprié de calcul des redevances et se substituent à cette décision.

Les faits et la question en litige ne sont pas les mêmes que ceux dans l'affaire désignée « l'action de 1993 » par la Couronne, et désignée l'affaire « de la mauvaise administration ou de l'abus de confiance » par les demandeurs. Les modifications ne donnent pas lieu, à mon avis, à une répétition d'instance. Chacun des paragraphes cités dans l'argumentation de la Couronne comme répétant la plaidoirie dans l' « action de 1993 » était déjà inclus dans la demande, avant les modifications proposées. La Couronne n'a toujours pas demandé la réunion, pour ce motif, avant la présente requête.

Pour ce qui est de la requête incidente, une fois encore, je souscris aux observations des demandeurs et je la rejetterai, essentiellement pour les mêmes motifs que ceux donnés relativement à la requête concernant les modifications. En résumé, la défenderesse ne s'est pas acquittée du fardeau lui incombant de convaincre la Cour que sont réunies les conditions requises en vue soit d'une réunion, soit d'une suspension.


I)         ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire

[12]            Les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable à l'appel d'une décision d'un protonotaire a été énoncée par le juge MacGuigan dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.) (Aqua-Gem), au paragraphe 463 :

[...] le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)      l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b)     l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal [...].

[13]            Il ressort également d'Aqua-Gem, précitée, le principe selon lequel, lorsque la décision du protonotaire est de l'une ou l'autre catégorie ci-dessus mentionnée, le juge chargé de la révision peut exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[14]            La décision du protonotaire Aronovitch a été rendue en contexte de gestion d'instance. Les demandeurs ont attiré mon attention sur un certain nombre d'affaires où le tribunal a refusé d'intervenir à l'égard de décisions discrétionnaires rendues par des juges ou des protonotaires en contexte de gestion d'instance (James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc., [1997] A.C.F. n ° 152 (1re inst.) (QL); Sunbeam Products Inc. c. Mister Coffee & Services Inc., 2002 CFPI 139, [2002] A.C.F. n ° 169 (QL); Bande indienne de Montana c. Canada, 2002 CAF 331, [2002] A.C.F. n ° 1257 (QL). En particulier, les demandeurs ont renvoyé au passage suivant, au paragraphe 7, de la décision Bande indienne de Montana de la Cour d'appel, précitée :


Nous aimerions insister une fois encore sur le lourd fardeau qui incombe aux parties désirant faire annuler une ordonnance interlocutoire rendue par un juge responsable de la gestion de l'instance. Notre Cour répugne en tout état de cause à intervenir en regard de telles ordonnances, en raison des retards et frais occasionnés par pareils appels dans quelque instance que ce soit. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'appel est interjeté de la décision interlocutoire d'un juge responsable de la gestion de l'instance qui a une connaissance intime de l'historique des faits ainsi que des détails d'une affaire complexe. La gestion d'instance ne peut être efficace que si notre Cour n'intervient que « dans les cas où un pouvoir discrétionnaire a manifestement été mal exercé » , pour reprendre l'expression du juge Rothstein dans Bande indienne de Sawridge et al. c. Canada, 2001 CAF 339, (2001) 283 N.R. 112.

[Non souligné dans l'original.]

[15]      Il y a des motifs impérieux pour faire preuve de beaucoup de retenue face aux décisions des juges ou des protonotaires en contexte de gestion d'instance. Celle-ci met en jeu une relation suivie entre les parties et le juge ou le protonotaire, et une décision donnée peut s'inscrire dans une série continue de requêtes et d'actions connexes. Pour le juge saisi d'une requête en révision d'une telle décision, cette relation lui rend nécessaire d'examiner avec soin les principes énoncés dans Aqua-Gem, précitée. Quoi qu'il en soit, cela ne veut pas dire que de telles décisions ne sont pas susceptibles de révision.

[16]            Pour ce qui est de l'ordonnance dont je suis saisie, je relève que la requête qu'on a fait valoir devant le protonotaire Aronovitch portait sur une question tout à fait nouvelle. Le protonotaire Aronovitch n'avait pas rendu diverses décisions ou ordonnances relativement aux modifications proposées; c'était la première fois qu'elle se penchait sur la nature de celles-ci. À ce titre, son ordonnance n'a pas été rendue dans le cadre de la fonction de gestion d'instance, mais plutôt en regard d'une nouvelle question sur laquelle elle n'avait pas de connaissances particulières.


Une influence déterminante sur l'issue du principal

[17]            Tel qu'on l'a mentionné précédemment, la Cour peut intervenir et exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début si l'ajout de modifications à la déclaration soulève des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. La défenderesse soutient que ces modifications pourraient donner lieu à une toute nouvelle cause d'action, tel qu'il en était des modifications demandées dans Scannar Ind. Inc. (séquestre judiciaire de) c. Canada, [1993] A.C.F. n ° 1194 (1re inst.) (QL), conf. [1994] A.C.F. n ° 984 (C.A.) (QL). La défenderesse soutient qu'une décision pouvant être soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue doit être considérée déterminante en l'espèce sur l'issue du principal (Aqua-Gem, précitée, aux pages 464 et 465). Par conséquent, à son avis, l'ordonnance en cause est déterminante sur l'issue du principal et justifie l'intervention de la Cour.

[18]            Les demandeurs soutiennent que, contrairement aux situations dont la Cour avait à connaître dans Scannar, précitée, ainsi que dans Anchor Brewing Co. c. Sleeman Brewing & Malting Co. 2001 CFPI 1066, [2001] A.C.F. n ° 1475 (QL), où le protonotaire n'avait donné aucun motif, le protonotaire Aronovitch a clairement énoncé par son adhésion le fondement de l'ordonnance qu'elle a rendue. Les demandeurs soutiennent, en outre, qu'on peut distinguer le présent appel de l'affaire Scannar. Celle-ci consistait en un appel d'une requête en autorisation de modifier une déclaration en vertu des anciennes Règles et non des actuels articles 75 et 201 des Règles de la Cour fédérale (1998). L'article 201 prévoit ce qui suit :



201. Il peut être apporté aux termes de la règle 76 une modification qui aura pour effet de remplacer la cause d'action ou d'en ajouter une nouvelle, si la nouvelle cause d'action naît de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels se fonde une cause d'action pour laquelle la partie qui cherche à obtenir la modification a déjà demandé réparation dans l'action.

201. An amendment may be made under rule 76 notwithstanding that the effect of the amendment will be to add or substitute a new cause of action, if the new cause of action arises out of substantially the same facts as a cause of action in respect of which the party seeking the amendment has already claimed relief in the action.


[19]            Les demandeurs soutiennent qu'en décidant qu'il avait affaire à une situation lui demandant d'exercer son propre pouvoir discrétionnaire pour reprendre l'affaire depuis le début, le juge Denault l'a de fait exercé dans Scannar, précitée, au paragraphe 19, en grande partie parce que le protonotaire n'avait pas donné de motifs, mais aussi « parce que les modifications en cause, si elles étaient autorisées, créeraient une cause d'action entièrement nouvelle » ; or, cette situation est maintenant prévue à l'actuel article 201 des Règles. Les demandeurs soutiennent que l'ordonnance du protonotaire n'était pas une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. On avait plutôt affaire, ce qui fait contraste à une telle question et doit en être distingué, à une simple requête portant sur une modification de routine à un acte de procédure (Stoicevski c. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C.A. Ont.); Aqua-Gem, précitée).


[20]            Il est clair que la décision du protonotaire de refuser l'ajout d'une nouvelle cause d'action à la demande existante aurait porté sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. La question est de savoir si le contraire est également vrai : la décision d'ajouter une nouvelle cause d'action porte-t-elle sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal? Il faut répondre par l'affirmative, à mon avis, en présumant que les modifications à la déclaration ont résulté en l'espèce en l'ajout d'une nouvelle cause d'action. Cette question est examinée par la suite. Je trouve appui pour mon opinion dans la déclaration suivante du juge MacGuigan dans Aqua-Gem, précitée, aux pages 464 et 465 :

La matière soumise en l'espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu'il a prononcé en faveur de l'appelante. Eût-il prononcé en faveur de l'intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause [citations omises]. Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de « l'influence déterminante sur l'issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).                                              [Non souligné dans l'original.]

[21]            Sur ce fondement, je suis d'avis qu'une décision concernant l'ajout d'une nouvelle cause d'action à une déclaration a une influence déterminante sur l'issue du principal; par conséquent, je peux exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[22]            Quoi qu'il en soit, ma conclusion sur ce point n'a pas à trancher à elle seule la question, comme je suis également d'avis que l'exercice par le protonotaire de son pouvoir discrétionnaire se fondait sur un principe erroné ou une méprise de fait, tel qu'il sera précisé par la suite.

Qualification des modifications proposées à la déclaration


[23]            Les deux parties aux présentes reconnaissent que la qualification des modifications proposées à la déclaration constitue une question essentielle à trancher dans le cadre du présent appel. La défenderesse soutient que ces modifications constituent une nouvelle cause d'action, parce qu'elles se fondent sur des questions de droit et de fait complètement différentes de la question en litige selon la déclaration originale, qui concernait la légalité des distributions par tête versées aux quatre enfants Fayant par prélèvement sur le compte de la Bande. Les demandeurs soutiennent, par contraste, que l'objet de l'action ce sont les conséquences de la radiation pour une période de neuf ans des enfants Fayant de la liste de bande. Les conséquences, selon leurs observations, sont en deux volets :

1) une fois réintégrés dans l'effectif de la Bande en 1983, les enfants Fayant avaient de nouveau droit à leur quote-part des distributions par tête;

2) la quote-part revenant à la Bande des recettes en redevances tirées de la réserve de Pigeon Lake a été réduite du fait de la radiation de la liste des membres des enfants Fayant.

[24]            Ainsi, les demandeurs soutiennent-ils, les faits d'importance sur lesquels les modifications se fondent sont les mêmes que ceux qu'on a plaidés dans la déclaration originale et ne constituent pas une nouvelle cause d'action.


[25]            Je ne puis souscrire à la prétention des demandeurs voulant qu'il s'agisse là de modifications de routine à un acte de procédure. Selon moi, la meilleure façon de qualifier les modifications, c'est en tant que demande de recalcul des distributions de redevances tirées de Pigeon Lake pour la période de neuf années en cause, en tenant compte de l'ajout à l'effectif de bande des quatre enfants, et de versement à la Bande du montant correspondant. Par contraste, la demande originale concernait le recouvrement de l'argent prélevé du compte de capital de la Bande pour rembourser les quatre enfants. Je qualifierais donc les modifications de nouvelle cause d'action ne découlant pas essentiellement des mêmes faits que la cause d'action originale. En outre, il existe des différences significatives entre les deux affaires :

1. Les sommes disponibles pour acquitter toute demande, si elle est couronnée de succès, proviendraient de deux sources complètement différentes. Dans le cas de la demande originale, l'argent prélevé par la défenderesse du compte de capital de la Bande serait versé par le gouvernement en tant que montant distinct, calculé en fonction de ce qui a été prélevé à l'origine du compte. Dans le cas des modifications, l'argent qui serait remboursé à la Bande est actuellement détenu par les trois autres bandes d'Hobbema.

2. Puisqu'avoir gain de cause sur le fondement des modifications nécessiterait de redistribuer des redevances payées aux quatre bandes d'Hobbema pendant la période en cause, de nouvelles parties seraient concernées, soit les autres bandes d'Hobbema.

[26]            Essentiellement, la déclaration initiale et les modifications ont seulement en commun de concerner les enfants Fayant, qui n'ont pas été inscrits pendant neuf ans. À tout autre égard, les deux demandes reposent sur des faits différents, en ce qui a trait principalement aux parties concernées et à la qualification de l'argent réclamé.


[27]            Ainsi, selon moi, les modifications proposées ne tombent pas sous le coup de l'article 201 des Règles et on ne devrait pas les permettre. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début, par conséquent, je rejetterais les modifications.

Appréciation erronée des faits

[28]            Dans sa décision, le protonotaire a déclaré que la défenderesse avait tiré « [traduction] l'hypothèse erronée selon laquelle les modifications proposées mettent en cause la décision de la Cour relativement au mode de calcul des redevances et se substituent à cette décision » . La défenderesse conteste cette déclaration, se fondant sur l'affidavit de Martin Reiher, avocat-conseil au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui précise le mode de recalcul des redevances en vue d'un paiement par tête aux enfants Fayant. Les demandeurs soutiennent que les modifications ne mettent pas en cause le mode selon lequel les redevances tirées de Pigeon Lake ont été et continuent d'être calculées, et qu'aucune décision n'est requise pour chiffrer la perte de revenus de la Bande du fait de redevances non touchées parce que les enfants Fayant étaient omis de la liste de la Bande. Il suffit, les demandeurs soutiennent-ils, d'un simple calcul arithmétique, de manière assez semblable à ce qui était requis pour établir le montant énoncé dans la déclaration originale.


[29]            Comme on l'a déjà mentionné, l'action de 1993 actuellement devant notre Cour constitue un litige en cours à vaste portée qui oppose les mêmes demandeurs à la même défenderesse relativement, en partie, aux montants annuels totaux de redevances passées et à la façon dont ces redevances auraient dû être partagées entre les quatre bandes de Hobbema, à compter de 1946. En 1999, les demandeurs ont tenté d'introduire une action distincte en vue de contester spécifiquement la façon dont on a crédité les bandes d'Hobbema des paiements de redevances et on les leur a versés, et de demander un redressement distinct à cet égard. Dans Bande indienne de Montana c. Canada, [1999] A.C.F. n ° 1631 (1re inst.) (QL) (l'action de 1999), le juge MacKay a statué, au paragraphe 27, que l'action de 1993 et l'action de 1999, bien qu'on y formule des demandes distinctes et sollicite des redressements différents, sont « fondées sur les mêmes faits et les mêmes éléments de preuve, et sont basées sur les même opérations ou événements qui sont à l'origine du lien juridique entre les deux parties » . Le juge MacKay a ordonné la réunion de l'action de 1999 et de l'action de 1993. Par suite de la réunion, les demandeurs réclament dans le cadre de l'action de 1993 une quote-part de 25 % des redevances, plutôt que la distribution par tête à laquelle on a eu recours pour les bandes d'Hobbema.


[30]            Les demandeurs ont reconnu qu'à une certaine étape de l'action 1993, on procédera à un recalcul complexe des redevances payables à chacune des bandes. Par conséquent, quoiqu'il serait possible de recalculer la quote-part de la Bande des redevances tirées de Pigeon Lake avant la décision définitive dans l'action de 1993, sur le fondement restreint des anciens paiements par tête, procéder ainsi donnerait lieu à une répétition inutile. En outre, tandis qu'on demandait au moyen des modifications visées dans la présente action la réévaluation des redevances, sur la base d'un calcul par tête, la demande présentée par les mêmes demandeurs dans l'action de 1993 vise une quote-part de 25 % des redevances. Les modifications donnent ainsi lieu, au mieux, à une répétition inutile de calculs de redevances et, au pire, à des actes de procédure incompatibles, en contravention de l'article 180 des Règles de la Cour fédérale, 1998. À mon avis, la présente action n'est pas le cadre approprié pour procéder à une redistribution et à un recalcul de redevances.

[31]            Même s'il n'y avait pas une autre action en cours, je conclurais que les modifications proposées mettent en cause la décision par la Cour relativement au mode approprié de calcul des redevances. Ce calcul pourrait ne donner lieu qu'à une redistribution, mais c'est un recalcul quand même. Il faudrait faire prendre part à cette redistribution les autres bandes d'Hobbema, dont la quote-part des redevances d'ensemble tirées de Pigeon Lake pour les années en question serait réduite en conséquence. Faire participer les autres bandes - et je crois qu'il serait irréaliste et déraisonnable de s'attendre à autre chose - ce serait « s'engager dans un guêpier » en ce qui concerne les listes des autres bandes d'Hobbema et d'autres questions reliées aux redevances. Ces complications entraîneraient de très importants retards dans la gestion de la présente action. Compte tenu du temps et des ressources consacrés par les parties et la Cour depuis l'introduction de la présente action en 1998, ainsi que de l'étape où en est l'instance abstraction faite des modifications, il vaut mieux utiliser les ressources restreintes de la Cour à connaître de la demande originale en propre.

Conclusion


[32]            Pour ces motifs, je suis convaincue que la décision du protonotaire ne devrait pas être maintenue. Par conséquent, je suis disposée à accorder une ordonnance accueillant l'appel à l'encontre de l'ordonnance par laquelle le protonotaire Aronovitch a fait droit à la requête des demandeurs. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début, je rejetterais les modifications proposées.

[33]            Puisque les autres requêtes de la défenderesse ont été présentées de manière subsidiaire, il ne m'est pas nécessaire de les examiner.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. L'appel est accueilli et l'ordonnance du 30 avril 2003 par laquelle le protonotaire a accueilli la requête des demandeurs et leur a attribué les dépens afférents est annulée.

2. La demande par les demandeurs d'une ordonnance les autorisant à modifier la déclaration est rejetée.

3. Les dépens de la requête devant le protonotaire, qu'elle a fixés à 3 000 $, sont payables par les demandeurs.


4. Les dépens du présent appel, fixés à 1 000 $, seront payables par les demandeurs.

                                                                                   « Judith A. Snider »             

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-2171-98

INTITULÉ :                                           LA BANDE INDIENNE LOUIS BULL et al. c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                     LE 12 JUIN 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Mme Sylvie M. Molgat                                        POUR LES DEMANDEURS

M. Robert MacKinnon                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DUBUC OSLAND                                              POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


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