Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                            Date :    20020610

                                                                                                                Dossier : IMM-1246-01

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 653

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                            JOOBIN ABDOLREZA DIVSALAR

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 14 février 2001, que le demandeur Joobin Abdolreza Divsalar n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur, un citoyen iranien âgé de 32 ans, affirme craindre avec raison d'être persécuté du fait des opinions politiques qui lui sont imputées. Il a également un frère et une soeur dont le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu au Canada.

[3]                 Selon la preuve fournie par le demandeur, le père de celui-ci était un propriétaire foncier bien connu à l'époque où le Shah était au pouvoir; après la révolution, certaines terres de la famille ont été confisquées. Le demandeur affirme avoir été harcelé à l'école parce que son père était bien connu et qu'il était considéré comme un propriétaire foncier féodal.

[4]                 Dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur déclare en outre avoir été expulsé d'une école à cause d'une dissertation qu'il avait rédigée et dans laquelle il critiquait le régime.


[5]                 Le demandeur affirme avoir été arrêté en 1988 parce qu'il ne s'était pas présenté pour accomplir son service militaire. Il a été interrogé et s'est vu attribuer une affectation difficile; on a refusé d'assurer sa formation dans le domaine du maniement des armes et on lui faisait exécuter des tâches inférieures. Le demandeur affirme qu'à un moment donné, on avait fouillé tous ses effets et que, lorsqu'il s'était plaint de la fouille, on l'avait amené à la Section d'idéologie politique où il avait été interrogé et battu et où on l'avait détenu pendant trois nuits. Un tribunal militaire a ensuite condamné le demandeur à une peine d'emprisonnement de quatre mois et demi pour avoir insulté l'Islam.

[6]                 Après avoir accompli son service militaire, le demandeur a ouvert un commerce de produits cosmétiques avec un ami; il s'est par la suite marié. Le couple a eu un fils en 1994. Au mois de mars 1995, le fils s'est étouffé et il a fallu l'amener d'urgence à l'hôpital. Toutefois, le demandeur affirme qu'à cause de la mauvaise volonté à laquelle il faisait face au sein de la collectivité, l'enfant n'a pas reçu les soins appropriés à l'hôpital. Lorsqu'il est arrivé à l'hôpital, l'enfant était sans connaissance. Le médecin traitant a déclaré qu'il était trop tard et qu'il ne pouvait rien faire et il est ensuite parti faire ses prières. L'enfant est décédé. Le demandeur a perdu son sang-froid. Par la suite, il a été battu et on lui a administré un tranquillisant. Il s'est réveillé dans une cellule où il a été interrogé avant qu'on lui permette de retourner chez lui afin de prendre des dispositions pour les funérailles de son fils. Le demandeur a ensuite été détenu et interrogé pendant douze jours. On lui a posé des questions au sujet de son frère et de sa soeur, qui avaient fui le pays. Il a finalement été mis en liberté après avoir signé un engagement lui interdisant de s'élever contre le régime.

[7]                 La SSR n'a pas indiqué qu'il lui était difficile d'accepter cette partie de l'histoire du demandeur.


[8]                 Toutefois, la SSR avait de la difficulté à accepter l'événement déterminant qui s'était produit au mois de juillet 1999 et qui semble avoir amené le demandeur à fuir l'Iran. La narration suivante dans laquelle cet événement est relaté figure dans le FRP du demandeur :

Après mon service militaire, j'ai lancé, avec un ami, une entreprise de produits cosmétiques. En 1997, nous avons embauché Adel Moulavi, un étudiant qui a travaillé pour nous à temps partiel. Le 22 Tir (13 juillet), il s'est servi de ma voiture (qui servait aussi pour notre entreprise) pour aller faire la cueillette de chèques auprès des clients. Le soir, il n'était pas encore revenu, ce qui a commencé à nous inquiéter. J'ai appelé les clients qu'il devait visiter et ils m'ont dit qu'il n'était jamais passé les voir. Son frère ne savait pas non plus où il était. Le lendemain, j'ai communiqué avec Mehdi, un client qui était employé au ministère de la Justice. Je lui ai demandé si on avait rapporté un accident de voiture dans lequel ma voiture aurait été impliquée. Il a répondu qu'il allait voir. Ce soir-là, il est venu nous voir pour nous apprendre qu'Adel avait été arrêté par les autorités, qui prétendaient avoir trouvé des dépliants contre le régime dans sa voiture. L'employé du ministère nous a conseillé de ne pas nous montrer.

J'ai immédiatement appelé le cousin de ma femme à Khoy et je m'y suis rendu. Ma femme se trouvait à Mazandaran à ce moment-là. Quelques jours plus tard, j'ai appris que les Gardiens de la Révolution avaient fait une descente chez moi et qu'ils interrogeaient les voisins à mon sujet. J'ai aussitôt appelé un vieil ami de la famille, qui m'a dit que la maison familiale avait aussi été fouillée et que mon père et ma soeur avaient été arrêtés et ma mère interrogée. De retour à la maison, ma femme a, elle aussi, été arrêtée et détenue pendant dix jours. Elle a été relâchée après qu'on lui eut donné l'ordre de se rapporter chaque semaine. Il lui était interdit de quitter la ville. J'ai appelé Mehdi sur son cellulaire; il m'a conseillé de quitter le pays parce que le régime était au courant de toutes mes difficultés passées et était convaincu que j'étais de connivence avec Adel. Mon associé Omid, absent à cette époque, a été interrogé pendant une semaine après son retour. La boutique a fermé ses portes.

En septembre, je me suis rendu chez des parents de ma femme dans la banlieue de Khoy. Un de ses oncles avaient des parents mêlés à des affaires de contrebande. Je suis resté là jusqu'au début du mois de Mehr (septembre) où on m'a fait passer illégalement en Turquie en empruntant des sentiers de montagne.


[9]                 L'employé qui travaillait à temps partiel pour le demandeur a été arrêté le 13 juillet 1999, soit le cinquième jour des manifestations étudiantes, qui avaient commencé le 8 juillet. Les documents portant sur la situation dans le pays confirment qu'il s'agissait d'une manifestation importante qui avait causé de graves bouleversements à Téhéran. La manifestation a continué à prendre de l'ampleur et de nombreux non-étudiants y ont participé. Selon le « Department of State Report » , au moins 4 étudiants ont été tués, 300 ont été blessés et 400 ont été mis sous garde.

[10]            Selon la preuve soumise par le demandeur, le passeur voulait qu'il obtienne un permis de conduire international et qu'il se rende en Turquie comme second chauffeur d'un camion gros porteur qui transportait des marchandises jusqu'en Turquie. Toutefois, le passeur a changé d'idée et, en fin de compte, le demandeur a franchi la frontière à pied, près d'un petit village.

DÉCISION DE LA SSR

[11]            La SSR a conclu que le récit du demandeur relatif aux événements qui s'étaient produits le 13 juillet 1999, en ce qui concerne son départ de l'Iran, n'était pas plausible ou crédible et elle a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[12]            La SSR a retenu une partie de la preuve présentée par le demandeur, mais elle a rejeté d'autres éléments. Elle a jugé crédibles les éléments ci-après énoncés :

·           L'identité du demandeur a été reconnue;


           ·           Il a été conclu que le frère et la soeur du demandeur avaient obtenu au Canada, en 1990 et en 1991 respectivement, le statut de réfugié au sens de la Convention, pour le motif qu'ils craignaient avec raison d'être persécutés du fait de leurs opinions politiques. Toutefois, ces revendications n'ont aucun rapport avec la revendication du demandeur, si ce n'est l'allégation selon laquelle les autorités iraniennes considèrent qu'il s'oppose au gouvernement du fait de ses opinions politiques;

           ·           L'enfant du demandeur est décédé et le demandeur a subséquemment été détenu lorsqu'il a accusé les préposés d'avoir causé ce décès;

·           Pendant qu'il était détenu, le demandeur a été interrogé, notamment au sujet de son frère et de sa soeur, qui avaient obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention.

POINTS LITIGIEUX

1.         La SSR a-t-elle omis d'apprécier la preuve crédible dont elle disposait lorsqu'il s'est agi de déterminer le bien-fondé de la crainte qu'avait le demandeur d'être persécuté?


2.        La SSR a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en appréciant la preuve dont elle disposait pour ce qui est du bien-fondé de la revendication du demandeur, et, en particulier :

a)         Les conclusions de la SSR, en ce qui a trait à la crédibilité et à l'invraisemblance, ont-elles été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont la SSR disposait?

b)        La SSR a-t-elle fait des inférences non appropriées ou a-t-elle omis de tenir compte de la preuve dont elle disposait ou mal interprété cette preuve?

ANALYSE

[13]            Selon un argument préliminaire invoqué par le demandeur, la SSR a commis une erreur en omettant d'apprécier les éléments de preuve crédibles dont elle disposait lorsqu'il s'agissait de déterminer si le demandeur faisait face à un risque s'il retournait en Iran.


[14]            Le demandeur affirme que les circonstances qui ont entraîné la reconnaissance du statut de réfugié, en ce qui concerne son frère et sa soeur, et qui ont entraîné sa détention en 1995 étaient les facteurs qui avaient pour effet de le mettre en danger. Cet élément de preuve a résisté à l'examen que la SSR a effectué pour en déterminer la crédibilité et la SSR a commis une erreur en omettant d'apprécier cet élément de preuve crédible en vue de déterminer si le demandeur fait face à un risque à son retour en Iran.

[15]            Il est utile de reproduire l'appréciation de cet élément de preuve, qui figure à la page 9 des motifs de la SSR :

Le tribunal rejette cette prétention. Étant donné que nous croyons que les événements du 13 juillet 1999 et des jours suivants ne se sont pas déroulés, selon la prépondérance des probabilités, de la façon indiquée par le revendicateur, nous ne pouvons admettre comme fondée sa prétendue crainte d'être persécutée. Nous reconnaissons que le revendicateur n'était pas heureux en Iran, particulièrement après la mort tragique et malheureuse de son enfant et la détention qu'il a eu à subir en 1995, mais tout cela ne fait pas de lui pour autant un réfugié au sens de la Convention.

[16]            Le défendeur soutient qu'étant donné que le demandeur n'a pas prouvé que le régime lui avait causé des problèmes ou avait causé des problèmes aux membres de sa famille à cause de son frère et de sa soeur entre le moment où il avait été détenu en 1995 et le mois de juillet 1999, la SSR pouvait avec raison rejeter cet argument.

[17]            Eu égard aux circonstances de l'affaire, il était, à mon avis, raisonnable pour la SSR d'inférer que le demandeur éprouvait peut-être certaines craintes au moment de l'événement de 1995, mais que cette crainte n'était plus raisonnable puisqu'aucun événement justifiant une crainte de persécution ne s'était produit entre le moment où le demandeur avait été détenu en 1995 et les événements du 13 juillet 1999.


[18]            Je suis convaincu que la SSR a de fait apprécié les éléments de preuve crédibles dont elle disposait, notamment « [...] la mort tragique et malheureuse de son enfant et la détention qu'il a eu à subir en 1995 [...] » , comme il en est fait mention dans ses motifs. La SSR a conclu que l'intéressé « n'était pas heureux en Iran » , mais qu'il n'était néanmoins pas un réfugié au sens de la Convention.

[19]            Compte tenu de l'ensemble de la preuve dont disposait la SSR, je suis d'avis qu'il était avec raison loisible à la SSR de tirer cette conclusion et que, dans les motifs qu'elle a prononcés sur ce point, la SSR n'a pas commis d'erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[20]            Toutefois, les autres conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité et, en particulier, les conclusions relatives à la vraisemblance, me préoccupent énormément.

[21]            Avant d'examiner les conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité et de la vraisemblance, je crois qu'il est utile d'examiner la norme de contrôle qui s'applique à pareilles conclusions.


[22]            La jurisprudence de la Cour a clairement établi que la SSR a entièrement compétence pour déterminer la vraisemblance d'un témoignage; dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables au point de justifier une intervention, les conclusions tirées par la SSR ne peuvent pas faire l'objet d'un examen judiciaire. [Voir Aguebor c. ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, pages 316 et 317, paragraphe 4.]

[23]            Il existe également certaines décisions faisant autorité selon lesquelles la Cour intervient et annule une conclusion relative à la vraisemblance lorsque les motifs invoqués ne sont pas étayés par la preuve dont était saisi le tribunal. Dans la décision Yada et autre c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 264, Monsieur le juge MacKay a dit ce qui suit, page 270, paragraphe 25 :

Lorsque la conclusion de non-crédibilité repose sur des invraisemblances relevées par le tribunal, la Cour peut, à l'occasion d'un contrôle judiciaire, intervenir pour annuler la conclusion si les motifs invoqués ne sont pas étayés par les éléments de preuve dont était saisi le tribunal, et la Cour ne se trouve pas en pire situation que le tribunal connaissant de l'affaire pour examiner des inférences et conclusions fondées sur des critères étrangers aux éléments de preuve tels que le raisonnement ou le sens commun.

[24]            En outre, il est reconnu que le tribunal qui rend une décision fondée sur l'absence de vraisemblance doit agir avec prudence. Je crois qu'il est utile de reproduire le passage suivant tiré de L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham : Butterworths Canada Ltd. 1992), page 8.10, paragraphe 8.22, qui traite des conclusions relatives à la vraisemblance et de l'effet de la preuve documentaire dont le tribunal dispose :


[TRADUCTION] 8.22 Les conclusions relatives à la vraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas particulièrement clairs - lorsque les faits tels qu'ils ont été présentés sortent tellement de l'ordinaire que le juge des faits peut avec raison conclure qu'il est impossible que l'événement en question se soit produit, ou lorsque la preuve documentaire dont dispose le tribunal démontre que les événements n'ont pas pu se produire de la façon dont l'affirme l'intéressé. Les conclusions relatives à la vraisemblance devraient donc être étayées par la preuve documentaire. En outre, le tribunal qui rend une décision fondée sur l'invraisemblance doit agir avec prudence, compte tenu en particulier du fait que les revendicateurs viennent de milieux culturels différents, de sorte que des actions qui pourraient sembler invraisemblables si elles étaient jugées selon des normes canadiennes pourraient être vraisemblables lorsqu'elles sont considérées par rapport aux antécédents de l'intéressé.

[25]            J'examinerai maintenant à tour de rôle les conclusions que la SSR a tirées au sujet du manque de crédibilité, lesquelles sont fondées sur des invraisemblances.

[26]            La SSR a fondé un certain nombre de conclusions d'invraisemblance sur la preuve documentaire selon laquelle il y avait des émeutes générales qui s'étaient étendues en dehors de la cité universitaire lorsque l'événement allégué par le demandeur se serait produit au mois de juillet. La SSR a essentiellement conclu que la ville de Téhéran était en plein chaos et que le récit du demandeur n'était tout simplement pas vraisemblable dans ce contexte; en particulier, elle a tiré les conclusions suivantes :

           (i)         La SSR a conclu qu'il n'était pas vraisemblable que le demandeur « se contente de s'informer d'un éventuel accident de voiture alors que des centaines et des centaines d'étudiants ont été arrêtés et que la ville même de Téhéran est en plein chaos » ;


           (ii)        La SSR a également conclu qu'il n'était pas vraisemblable, dans ce contexte, que la famille d'Adel n'ait pas fait de démarches à la suite de la disparition de celui-ci et elle a également jugé qu'il n'était pas vraisemblable que la famille d'Adel n'ait pas communiqué avec le demandeur si Adel avait été arrêté comme il avait été allégué;

           (iii)       La SSR a également conclu que, compte tenu de la situation à Téhéran, puisque 1 500 personnes avaient été arrêtées et que leur cas avait été traité, il était pour le moins peu vraisemblable que Mehdi (le commis au ministère de la Justice) ait pu obtenir des renseignements au sujet de l'enquête en quelques heures seulement.

[27]            Il n'est pas contesté qu'Adel n'a pas participé aux manifestations étudiantes et il est également clair que la SSR n'a pas tiré pareille conclusion. La voiture qu'Adel conduisait appartenait au demandeur et, Adel n'étant pas revenu, le demandeur a cherché à savoir s'il avait eu un accident de voiture. À mon avis, il est vraisemblable que pareille demande ait été faite. Même si l'on reconnaît que Téhéran était en plein chaos ce jour-là, et même si le demandeur ou Adel ne participaient pas directement aux manifestations étudiantes, et il n'existe aucun élément de preuve à ce sujet, je ne vois pas comment la demande que le demandeur a faite pour savoir si l'employé qui conduisait sa voiture avait eu un accident peut être invraisemblable.


[28]            Rien ne montre que la famille d'Adel ait eu des renseignements au sujet de son arrestation. De fait, selon certains éléments de preuve, les personnes qui étaient détenues étaient gardées au secret. [United States Department of State, Country Reports on Human Rights Practices, pour l'Iran, 1999.] À mon avis, il n'existe tout simplement pas suffisamment d'éléments de preuve à l'appui de la conclusion de la SSR selon laquelle il n'était pas vraisemblable que la famille d'Adel n'ait pas pris de mesures ou n'ait pas communiqué avec le demandeur. Pour que la famille le fasse, il devait exister des éléments de preuve montrant qu'elle était au courant de l'arrestation; or, il n'existe aucun élément à ce sujet. La conclusion est fondée sur une conjecture et ne peut pas tenir.

[29]            À mon avis, il n'existe pas non plus d'éléments de preuve permettant à la SSR de fonder la conclusion selon laquelle il n'était pas vraisemblable pour Mehdi d'obtenir des renseignements au sujet de l'enquête en quelques heures seulement. Aucun élément de preuve ne donne à entendre qu'un employé du ministère de la Justice n'aurait pas pu découvrir l'identité d'une personne qui était arrêtée. Il me semble que cela serait tout à fait vraisemblable. Je souscris également à la prétention de l'avocat du demandeur selon laquelle le fait que Mehdi a fourni des renseignements incomplets (c'est-à-dire qu'il ne savait pas où Adel était détenu) permet difficilement de conclure que les renseignements n'ont jamais été fournis ou qu'ils étaient erronés en l'absence d'une preuve contraire.


[30]            La SSR a également conclu qu'il n'était pas vraisemblable que les autorités n'aient pas rendu visite à l'intéressé dans les 24 heures qui ont précédé sa présumée fuite, en particulier à un moment où l'on prenait de fortes mesures de répression contre les dissidents. Cette conclusion va à l'encontre des autres conclusions, en particulier lorsque la SSR a conclu qu'à cause du chaos qui régnait à Téhéran, les autorités étaient occupées à arrêter des centaines d'étudiants; on pouvait se demander si elles avaient le temps de trouver l'employeur d'une personne qui était détenue dans un délai de 24 heures. Compte tenu de la preuve, je conclus donc qu'il n'était pas raisonnablement loisible à la SSR de tirer cette conclusion relative à la vraisemblance.

[31]            La SSR a conclu que le demandeur s'était contredit en ce sens qu'il avait déclaré que son père et sa soeur avaient été détenus; or, dans son témoignage oral, le demandeur a affirmé qu'ils n'avaient pas été détenus, mais simplement interrogés. J'estime que certains éléments de preuve étayent cette conclusion. Dans son FRP, le demandeur a clairement déclaré que son père et sa soeur avaient été détenus et que sa mère avait été interrogée. Il est clair que le demandeur a fait cette distinction et qu'il la comprenait.

[32]            Toutefois, je suis également d'avis que cette contradiction n'est pas suffisamment sérieuse ou importante, dans le contexte de l'ensemble de la preuve, pour justifier le rejet de la revendication ou pour justifier une conclusion générale de manque de crédibilité. [Voir Djama c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 5 juin 1992, no A-738-90 (C.A.).]


[33]            La SSR a fondé sa décision sur une autre conclusion d'invraisemblance. Elle a conclu que la preuve présentée par le demandeur était invraisemblable parce que le permis de conduire international, que le demandeur avait obtenu afin de quitter l'Iran, était uniquement valide en Turquie s'il était présenté avec son permis de conduire iranien. La preuve montre que le demandeur n'avait pas avec lui le permis de conduire iranien et que sa soeur lui avait envoyé le permis plus tard, avec d'autres documents. Compte tenu de sa connaissance spécialisée, en particulier pour ce qui est des permis de conduire internationaux et de la Turquie, la SSR a fait une inférence défavorable au sujet du fait que le demandeur n'avait pas apporté son permis.


[34]            Compte tenu de l'expertise particulière que possède le tribunal au sujet de la situation dans un pays, je suis d'avis qu'il serait avec raison loisible à la SSR de tirer cette conclusion si ce n'était de l'explication fournie par le demandeur. En effet, le demandeur a expliqué qu'initialement, il devait franchir la frontière en tant que second chauffeur, mais qu'il n'avait jamais été donné suite à ce projet. Le demandeur n'avait pas besoin de permis de conduire international. De fait, la preuve montre qu'il a franchi la frontière à pied. Or, cet élément de preuve n'est pas contesté. En fin de compte, l'utilisation du permis de conduite international et le fait que le demandeur devait avoir son permis iranien avec lui ne sont jamais entrés en ligne de compte. Je remets en question l'importance de cette conclusion, et compte tenu de la preuve dans son ensemble, je conclus qu'elle n'est pas suffisamment importante pour qu'il soit possible de lui accorder la portée voulue afin de conclure d'une façon générale au manque de crédibilité ou de rejeter la revendication.

[35]            Je suis également d'accord avec le demandeur lorsqu'il affirme que la conclusion de la SSR selon laquelle « [...] il [était] invraisemblable que [l]e permis ait été obtenu à Khoy » n'est pas motivée. En effet, aucun motif n'est donné au sujet de la raison pour laquelle il n'est pas logique que le permis ait été délivré à Khoy. J'estime que, pour être maintenue, cette conclusion défavorable relative à la crédibilité aurait dû être accompagnée de motifs clairs; or, elle ne l'était pas. [Voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm L.R. (2d) 199 (C.A.F.)]

[36]            Compte tenu des conclusions défavorables qu'elle avait tirées au sujet de la vraisemblance, la SSR a conclu que l'intéressé avait fabriqué cette histoire et elle a finalement conclu que les événements du 13 juillet 1999 et les événements postérieurs, selon la prépondérance des probabilités, ne s'étaient pas produits de la façon dont l'avait allégué le demandeur; elle a conclu que la présumée crainte de persécution du demandeur n'était pas fondée.


[37]            Je suis d'avis, et je conclus, qu'il n'était pas raisonnablement loisible à la SSR de tirer les nombreuses conclusions relatives à la vraisemblance dont il a ci-dessus été question. Les raisons pour lesquelles j'arrive à cette conclusion ont déjà été examinées dans l'analyse que j'ai effectuée au sujet des conclusions relatives à la vraisemblance. Je suis également d'avis que les contradictions auxquelles la SSR a conclu n'étaient pas importantes ou que leur portée ne justifiait pas une conclusion générale de manque de crédibilité ou le rejet de la revendication.

[38]            Si elle n'avait pas commis d'erreur en tirant ces conclusions d'invraisemblance, la SSR aurait peut-être tiré des conclusions différentes au sujet de la revendication, compte tenu en particulier des événements antérieurs qui s'étaient produits en 1995, événements que la SSR a jugés crédibles. Les conclusions d'invraisemblance ont été tirées par la SSR sans qu'il soit tenu compte des éléments dont celle-ci disposait; elles sont donc abusives et justifient l'intervention de la Cour.

[39]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour que celui-ci entende à nouveau l'affaire.

[40]            Le demandeur propose la certification de la question suivante :

[TRADUCTION] Une décision de la section du statut peut-elle être uniquement fondée sur une conclusion ou sur des conclusions relatives aux circonstances dans lesquelles un permis de conduire international a été obtenu, ce document ayant été obtenu en vue de permettre à l'intéressé de fuir le pays dans lequel il est persécuté?


[41]            J'ai lu les arguments écrits que les deux parties ont présentés au sujet de la question proposée. Je conclus que la question ne se pose pas eu égard aux faits de l'affaire et qu'en l'espèce, elle ne serait pas déterminante. La question ne sera pas certifiée.

ORDONNANCE

CETTE COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour qu'un tribunal différemment constitué entende à nouveau l'affaire.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-1246-01

INTITULÉ :                                                                     JOOBIN ABDOLREZA DIVSALAR

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 24 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE PAR :                                        Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                                  le 10 juin 2002

COMPARUTIONS :

M. Michael Crane                                                             POUR LE DEMANDEUR

Mme Amina Riaz                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Micheal Crane                                                            POUR LE DEMANDEUR

166, rue Pearl, bureau 200

Toronto (Ontario) M5H 1L3

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 

Ministère de la Justice

Exchange Tower

1 First Canadian Place

C.P. 36, bureau 3400

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.