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Date : 20011207

Dossier : T-2351-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1349

ENTRE :

                                                                    EMILE MENNES

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

             LUCIE McCLUNG, OLE INGSTRUP, MICHEL ROY, KAREN WISEMAN,

   LIZ ESHKROD, LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,

                                      LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,

                                   LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU CANADA et

             LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

                                                                                                                                                       défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision qu'a rendue la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman, du Service correctionnel du Canada (SCC), relativement à un grief présenté au troisième palier par un détenu, n ° de référence V4000A004355, en vertu de l'alinéa 4g) et des articles 90 et 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi).


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est un détenu de l'établissement Warkworth, situé à Campbellford, en Ontario.

[3]                 Le demandeur travaille depuis environ deux ans et demi (2½) comme commis aux griefs à l'établissement Warkworth.

[4]                 Le demandeur est au courant de la politique et des procédures régissant la présentation des griefs à l'établissement Warkworth.

[5]                 Le 18 février 2000, le demandeur a déposé une plainte de concert avec le codétenu Helmut Buxbaum.

[6]                 La plainte concernait l'état dans lequel certains draps et taies envoyés à la buanderie avaient été retournés au demandeur.

[7]                 Le demandeur a soutenu que les articles en question étaient revenus dans un état [TRADUCTION] « absolument dégoûtant » , que des [TRADUCTION] « sécrétions nasales y avaient été collées sur un côté » et qu'ils [TRADUCTION] « étaient tachés en permanence d'urine et d'autres substances corporelles » (voir page 6, paragraphe 12 de l'affidavit d'Emile Mennes, dossier du demandeur).


[8]                 Sa plainte initiale ayant été rejetée, le demandeur a porté la décision en appel au premier palier (directeur de l'établissement), au deuxième palier (palier régional) et, finalement, au troisième et dernier palier (palier national). La plainte du demandeur a été rejetée à chaque palier.

[9]                 En ce qui a trait au contenu du grief qu'il a présenté au troisième palier, le demandeur a demandé qu'on lui remette de nouveaux draps et taies et que la buanderie soit convertie en une laverie automatique de façon que les détenus de Warkworth puissent nettoyer eux-mêmes leurs draps et taies.

[10]            Le 8 septembre 2000, la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman a rejeté l'appel au troisième palier du demandeur en fondant sa décision sur deux motifs.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES


3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité, d'une part, en assurant l'exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d'autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.


4. Le Service est guidé, dans l'exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

[...]

g) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

[...]

(g) that correctional decisions be made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure;90. Est établie, conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders' grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).



91. Tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs.

91. Every offender shall have complete access to the offender grievance procedure without negative consequences.


QUESTIONS EN LITIGE

[11]            1.        Le SCC a-t-il commis une erreur susceptible de révision en rejetant l'appel au troisième palier du demandeur?

2.        Le commissaire du Service correctionnel du Canada a-t-il eu raison de déléguer à la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman l'examen du grief au troisième palier du demandeur?

  

ANALYSE

1.          Le SCC a-t-il commis une erreur susceptible de révision en rejetant l'appel au troisième palier du demandeur?

[12]            Non, le SCC n'a commis aucune erreur susceptible de révision en rejetant l'appel au troisième palier du demandeur.

NORME D'EXAMEN

[13]            Dans Tehrankari c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. 495, le juge Lemieux a récemment défini la norme d'examen pertinente quant à la décision que prend le commissaire du Service correctionnel lorsqu'il applique la procédure de grief énoncée à l'article 90 de la Loi :


[par 33] Il faut dire un mot de la norme de contrôle applicable dans la présente affaire compte tenu du type de la décision prise et du décideur (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Dans cet arrêt, Madame le juge L'Heureux-Dubé a fait observer que l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1988] 1 R.C.S. 982, avait conclu qu'une décision qui se rapportait à la détermination d'une question de droit dans cette affaire (l'interprétation des dispositions d'exclusion à l'article 2 de la Loi sur l'immigrationdans leur rapport avec la définition du réfugié relevant de la Convention) par la Commission de l'immigration et du statut du réfugié était soumise à la norme de contrôle de la décision correcte, mais que, sur d'autres questions, la norme de contrôle variait.

[...]

[par 44] ] Pour conclure sur ce point, je suis d'avis qu'il faut appliquer la norme de la décision correcte si la question porte sur la bonne interprétation de l'article 24 de la Loi, mais la norme de la décision raisonnable simpliciter si la question porte soit sur l'application des principes juridiques appropriés aux faits soit sur le bien-fondéde la décision de refus de corriger les renseignements dans le dossier du délinquant. La norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique aux pures questions de fait (paragraphe 18.2(4) de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7).

[14]            Le rejet de l'appel au troisième palier du demandeur était fondé sur des conclusions de fait seulement et, par conséquent, la norme d'examen applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[15]            Les arguments que le demandeur a présentés au sujet de son appel au troisième palier étaient semblables à ceux qu'il avait invoqués aux paliers précédents; le demandeur a toutefois ajouté une demande d'accès à une laverie automatique pour les détenus de l'établissement Warkworth.

[16]            L'alinéa 82a) du Règlement s'applique à l'appel relatif à une plainte ou un grief. Voici le texte de cette disposition :



82. Lors de l'examen de la plainte ou du grief, la personne chargée de cet examen doit tenir compte :(a) des mesures prises par les agents et le délinquant pour régler la question sur laquelle porte la plainte ou le grief et des recommandations en découlant;

82. In reviewing an offender's complaint or grievance, the person reviewing the complaint or grievance shall take into consideration

(a) any efforts made by staff members and the offender to resolve the complaint or grievance, and any recommendations resulting therefrom; [...]


[17]            Dans la présente affaire, les « mesures prises par les agents » ont donné lieu à un échange des draps et taies souillés dont le demandeur s'était plaint; pourtant, le demandeur demeure insatisfait des draps et taies qu'il a reçus ainsi que de son oreiller et de son matelas, mais aucun élément de la preuve ne justifie l'intervention de la Cour.

2.        Le commissaire du Service correctionnel du Canada a-t-il eu raison de déléguer à la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman l'examen du grief au troisième palier du demandeur?

[18]            Oui, le commissaire du Service correctionnel du Canada a eu raison de déléguer l'examen du grief du demandeur à la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman.

[19]            La décision relative au grief au troisième palier que le demandeur a déposé a été rendue par la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman. Le demandeur soutient qu'en raison des paragraphes 80(2) et 80(3) du Règlement, c'est la commissaire du Service correctionnel, Mme Lucie McClung, qui aurait dû entendre l'appel, et non la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman. En plus des paragraphes 80(2) et 80(3) du Règlement, le demandeur invoque la règle delegatus non potest delegare, qui est établie depuis longtemps comme principe d'interprétation législative.


[20]            Cependant, selon le défendeur, la plainte du demandeur a été examinée à chaque palier du grief par la partie compétente en vertu de la Loi et du Règlement. Les articles 75 à 82 du Règlement énoncent la procédure relative à l'examen des griefs et il est indéniable que ni la Loi non plus que le Règlement n'exigent que le commissaire du Service correctionnel du Canada examine séparément ou directement les plaintes, qu'elles soient présentées au troisième palier d'appel ou à tout autre palier. De plus, il ne serait pas réaliste que le commissaire du Service correctionnel du Canada soit tenu d'examiner tous les griefs déposés par chaque détenu du pays à chaque palier d'appel.

[21]            La réponse à cette question provient de plusieurs sources : les articles 97 et 98 de la Loi, la directive du commissaire n ° 081 datée du 22 juin 1998 et intitulée Plaintes et griefs des délinquants (CD 081), la note imprimée au bas de la décision de la commissaire (grief au troisième palier - palier national) et, enfin, le paragraphe 2(2) de la Loi. Chacune de ces sources sera commentée dans cet ordre ci-dessous. C'est l'interaction entre ces différentes sources qui a autorisé la délégation du pouvoir à la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman relativement à la dernière étape de la procédure de grief.

[22]            L'article 97 de la Loi concerne le pouvoir du commissaire en matière d'établissement de règles :



97. Sous réserve de la présente partie et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles concernant :

a) la gestion du Service;

b) les questions énumérées à l'article 4;c) toute autre mesure d'application de cette partie et des règlements.

97. Subject to this Part and the regulations, the Commissioner may make rules

(a) for the management of the Service;

(b) for the matters described in section 4; and

(c) generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations.


[23]            Par ailleurs, l'article 98 de la Loi permet au commissaire d'établir des directives :


98. (1) Les règles établies en application de l'article 97 peuvent faire l'objet de directives du commissaire.

(2) Les directives doivent être accessibles et peuvent être consultées par les délinquants, les agents et le public.

98. (1) The Commissioner may designate as Commissioner's Directives any or all rules made under section 97.

(2) The Commissioner's Directives shall be accessible to offenders, staff members and the public.


[24]            Voici les paragraphes 19 et 20 de la directive du commissaire intitulée Plaintes et griefs des délinquants :


19. Le délinquant qui est insatisfait de la décision du sous-commissaire régional peut soumettre un grief au commissaire adjoint, Développement organisationnel, par l'entremise du coordonnateur des griefs de l'établissement ou du bureau de district. Le grief doit normalement être présenté dans les dix jours ouvrables suivant la réception de la réponse au niveau régional. Un délinquant peut aussi présenter un grief à ce niveau lorsque les mesures prescrites par le sous-commissaire régional n'ont pas été mises en application.

20. La décision du commissaire adjoint, Développement organisationnel, constitue l'étape finale du processus de règlement des plaintes et des griefs des délinquants.

19. An offender, who is not satisfied with the decision from the Regional Deputy Commissioner, may submit a grievance to the Assistant Commissioner, Corporate Development, through the Institutional Grievance Coordinator or through the District Office. A grievance must normally be submitted within ten working days of receipt of the reply at the regional level. An offender may also grieve at this level in cases where action was not taken in accordance with the Regional Deputy Commissioner's decision.

20. The decision of the Assistant Commissioner, Corporate Development constitutes the final stage of the Offender Complaints and Grievance process.


[25]            La source suivante est la note imprimée dans la décision de la commissaire (grief au troisième palier - palier national), laquelle note se trouve au bas de la page, au-dessus de la signature :



Le Commissaire du Service correctionnel du Canada a autorisé le Commissaire adjoint, Développement organisationnel, Michel Roy, à exercer les pouvoirs et les fonctions qui lui sont conférés en vertu du paragraphe 80(2) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (1992). Cette autorisation demeure en vigueur jusqu'à ce qu'elle soit révoquée par écrit.

Par conséquent, la décision du Commissaire adjoint, Développement organisationnel constitue l'étape finale du processus de règlement des plaintes et griefs des détenus.

The Commissioner of the Correctional Service of Canada has authorized the Assistant Commissioner, Corporate Development (ACCD), Michel Roy, to exercise the powers, duties, and functions given to him under Section 80(2) of the Corrections and Conditional Release Regulations, 1992. This authorization remains in effect until such time as it is withdrawn in writing.

Accordingly, this decision by the ACCD is to be considered the conclusion of the inmate grievance system.


  

[26]            Cependant, pour répondre à la question précise posée en l'espèce, soit celle de savoir si le commissaire adjoint Michel Roy peut déléguer son pouvoir à un commissaire adjoint intérimaire quant au prononcé d'une décision finale au cours de la procédure de grief, il convient d'examiner en dernier ressort le paragraphe 2(2) de la Loi, dont la version française est encore plus claire que la version anglaise :


Délégation

(2) Sauf dans les cas visés à l'alinéa 96b) et sous réserve de la présente partie, les pouvoirs et fonctions conférés par celle-ci au commissaire et au directeur du pénitencier sont, en cas d'absence, d'empêchement ou de vacance de leur poste, respectivement exercés par le suppléant ou par la personne qui est alors responsable du pénitencier.

Exercise of powers, etc.

(2) Except as otherwise provided by this Part or by regulations made under paragraph 96(b),

(a) powers, duties and functions that this Part assigns to the Commissioner may only be exercised or performed by the Commissioner or, where Commissioner is absent or incapacitated or where the office is vacant, by the person acting in the place of the Commissioner; and

(b) powers, duties and functions that this Part assigns to the institutional head may only be exercised or performed by the institutional head or, where institutional head is absent or incapacitated or where the office is vacant, by the person who, at the relevant time, is in charge of the penitentiary.


  

[27]            En résumé, la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman disposait du pouvoir nécessaire en vertu des sources susmentionnées lorsqu'elle a rendu sa décision finale au cours de la procédure de grief conformément aux paragraphes 80(2) et 80(3) du Règlement.


[28]            À mon avis, aucune raison ne justifie l'intervention de la Cour, étant donné que la décision de la commissaire adjointe intérimaire ne révèle aucune erreur susceptible de révision.

[29]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

            « Pierre Blais »                       

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 7 décembre 2001

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                              T-2351-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Emile Mennes

c.

Lucie McClung et al

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 28 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                     le 7 décembre 2001

COMPARUTIONS :

M. Emile Mennes                                                              POUR LE DEMANDEUR

Mme Sogie Sabeta                                                              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Emile Mennes

Campbellford (Ontario)                                                    POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LES DÉFENDEURS

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