Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030908

Dossier : IMM-4190-02

Référence : 2003 CF 1042

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2003

Présent : L'honorable juge Blais

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                                demandeur

                                    et

                              JUNIOR MWAMBA

                                    

                                                                défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de l'arbitre Dianne Tordorf [l'arbitre] de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue sur le banc le 23 août 2002, dans laquelle elle ordonne la libération sous certaines conditions de Junior Mwamba [le défendeur].


FAITS

[2]                 Le défendeur est citoyen de la République du Congo [le Congo]. Il a déclaré être arrivé au Canada (Dorval) le 26 juillet 2002.

[3]                 Le ou vers le 31 juillet 2002, il a revendiqué le statut de réfugié.

[4]                 Le 22 août 2002, le défendeur a rencontré l'agent d'immigration Sabine Simard. Durant cette entrevue, il s'est identifié sous le nom de Junior Mwamba, date de naissance le 4 mars 1983, né au Congo.

[5]                 Le défendeur a déclaré avoir quitté le Congo le 25 juillet 2002 via un transit au Cameroun et en France. Il a ensuite déclaré avoir pris un vol d'Air Canada de Paris pour arriver en après-midi à Dorval. De plus, le défendeur a déclaré ne plus se souvenir du numéro de vol et d'avoir détruit son billet d'avion.

[6]                 Le défendeur a voyagé avec un passeport français émis au nom de Jean-Jacques Lambert, dont il ne se souvenait plus de la date de naissance.

[7]                 Il a retourné le passeport par courrier dans une enveloppe pré-adressée en France et ne se souvenait pas de cette adresse.

[8]                 Il a voyagé seul et a obtenu le document de voyage par l'entremise d'un ami de son père dénommé Bienvenu Bondo, Colonel.

[9]                 Le défendeur a passé par les douanes canadiennes et a été admis sous la foi du passeport français.

[10]            Il ne connaissait personne au Canada, n'avait pas d'argent et a déclaré n'avoir jamais eu de passeport de son pays émis à son nom. De plus, il a déclaré ne pas pouvoir obtenir un autre document d'identité, car sa famille aurait disparu.

[11]            Le défendeur a déclaré craindre la persécution au motif qu'il est recherché par l'armée de son pays.


[12]            Suite à l'entrevue, l'agent d'immigration a émis un rapport aux termes du paragraphe 44 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [la Loi] dans lequel elle allègue que le défendeur est visé par l'alinéa 20(1)(a) de la Loi et l'article 6 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés [le Règlement], soit l'interdiction de territoire. Une mesure d'interdiction de séjour a été émise au nom de Junior Mwamba.

[13]            Le même jour, conformément à l'alinéa 58(1)(d) de la Loi, le délégué du Ministre a émis l'opinion que l'identité du défendeur n'a pas été prouvée, mais pouvait l'être.

[14]            Le défendeur a également été arrêté sans mandat en vertu de l'alinéa 55(2)(b) de la Loi pour fins d'identité parce qu'il y a des motifs raisonnables de soupçonner qu'il fait partie de la catégorie visée à l'alinéa 20(1)(a) de la Loi et à l'article 6 du Règlement. Une ordonnance de détention aux fins d'identité a également été émise.

[15]            Le 22 août 2002, l'arbitre a révisé la détention du défendeur. Après avoir entendu les parties, elle a ordonné la libération du défendeur en l'assujettissant à certaines conditions.

[16]            C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

QUESTION EN LITIGE

[17]            L'arbitre a-t-elle commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour en ordonnant la libération du défendeur?

ANALYSE

[18]            Je suis d'avis que l'arbitre a erré en ordonnant la libération du défendeur. Effectivement, les motifs de sa décision démontrent qu'en plus de considérer une partie des facteurs énoncés dans le Règlement, l'arbitre aurait tenu compte d'un facteur non pertinent.

[19]            Le fait pour l'arbitre d'avoir considéré la mesure de renvoi comme un élément démontrant que la CISR acceptait l'identité du défendeur est une erreur manifestement déraisonnable (soit un excès de juridiction) comme le prétend le demandeur.

[20]            L'arbitre a bel et bien examiné les critères établis par le législateur aux articles 244 et 247 du Règlement; cependant, le poids inconsidéré accordé au fait que la mesure de renvoi constitue une présomption de l'établissement de l'identité de la personne ne trouve aucun fondement, ni dans la Loi, ni dans le Règlement.

[21]         En fait, avec l'article 228, la Loi permet qu'une mesure de renvoi soit émise dès qu'une personne est considérée inadmissible; en soi, l'agent n'a pas de discrétion.

[22]            Ainsi, la mesure de renvoi est émise de façon automatique, soit même lorsque l'identité du revendicateur ou sa crédibilité n'ont pas encore été établies de façon définitive.

[23]            La portée que l'arbitre a accordée à la mesure de renvoi, allant jusqu'à suggérer que cela puisse être une présomption que l'identité a été établie, est tout à fait déraisonnable dans les circonstances.

[24]            Par ailleurs, l'arbitre souffle le chaud et le froid quant à la crédibilité du revendicateur. En effet, à la page 10 de la transcription de l'audition, l'arbitre mentionne :

Je vais dire tout de suite que je n'entrerai pas dans un débat et de peser une expertise ou est-ce que c'est suffisant ou non. Ce que j'ai devant moi, c'est un rapport du laboratoire de l'Immigration qui sont quand même spécialistes à examiner, plus spécialistes que moi, à examiner des documents pour voir s'ils sont authentiques ou non et à première vue puis d'après leur expérience, votre document comporte des caractéristiques d'un document non authentique, puis ils donnent les raisons ici.

[25]            Ailleurs, l'arbitre mentionne que le défendeur a collaboré et ne s'est pas contredit dans les informations fournies. Il semble évident que la seule preuve d'identité du défendeur, en sus de son témoignage, est l'acte de naissance dont l'authenticité est mise en doute par le ministère ainsi que par l'arbitre elle-même.

[26]            Que l'arbitre se base sur un critère autre que ceux énumérés au Règlement afin de contrebalancer les arguments avancés par le demandeur, et ce au mépris de la Loi et du Règlement, est manifestement déraisonnable. Je n'ai aucune hésitation à conclure que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

-          La demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que le dossier soit retourné à la CISR pour détermination par un arbitre différent.

-          Le défendeur a suggéré une question pour certification:

Est-ce que le fait que l'agent d'immigration ait émis une mesure de renvoi contre le défendeur constitue un facteur pertinent lorsque la CISR doit se prononcer sur sa mise en liberté en vertu de l'alinéa 58(1)d) de la Loi?


-          À mon avis, cette question ne soulève pas une question d'importance générale. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

                  Pierre Blais                      

                        J.C.F.

                                                                                                                   


                                             ANNEXE "A"

LÉGISLATION PERTINENTE

L'article 55 de la Loi prévoit qu'un étranger peut être détenu dans certaines circonstances, notamment pour des fins d'identification:



55(1) L'agent peut lancer un mandat pour l'arrestation et la détention du résident permanent ou de l'étranger dont il a des motifs raisonnables de croire qu'il est interdit de territoire et qu'il constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi.

55(2) L'agent peut, sans mandat, arrêter et détenir l'étranger qui n'est pas une personne protégée dans les cas suivants_:

                        . . .

b) l'identité de celui-ci ne lui a pas été prouvée dans le cadre d'une procédure prévue par la présente loi.

55(3) L'agent peut détenir le résident permanent ou l'étranger, à son entrée au Canada, dans les cas suivants_:

a) il l'estime nécessaire afin que soit complété le contrôle;

b) il a des motifs raisonnables de soupçonner que celui-ci est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux.

55(4) L'agent avise sans délai la section de la mise en détention d'un résident permanent ou d'un étranger.

55(1) An officer may issue a warrant for the arrest and detention of a permanent resident or a foreign national who the officer has reasonable grounds to believe is inadmissible and is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

55(2) An officer may, without a warrant, arrest and detain a foreign national, other than a protected person,

                         ...

(b) if the officer is not satisfied of the identity of the foreign national in the course of any procedure under this Act.

55(3) A permanent resident or a foreign national may, on entry into Canada, be detained if an officer

(a) considers it necessary to do so in order for the examination to be completed; or

(b) has reasonable grounds to suspect that the permanent resident or the foreign national is inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights.

55.(4) If a permanent resident or a foreign national is taken into detention, an officer shall without delay give notice to the Immigration Division.

Le paragraphe 58(1) de la Loi exige de la CISR qu'elle prononce la mise en liberté d'une personne en détention, sauf sur preuve de certains faits. L'alinéa 58(1)(d) est celui qui nous concerne :

58.(1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l'étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants_:

                                                . . .

d) dans le cas où le ministre estime que l'identité de l'étranger n'a pas été prouvée mais peut l'être, soit l'étranger n'a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l'identité de l'étranger.

58.(1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

                                                   ...

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.

L'article 244 du Règlement énonce les critères à être pris en considération lors d'une décision de détention ou de mise en liberté. L'alinéa applicable en l'espèce est 244(c):


244. Pour l'application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l'appréciation :

                        . . .

244. For the purposes of Division 6 of Part 1 of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person

                         ...

c) de la question de savoir si l'intéressé est un étranger dont l'identité n'a pas été prouvée.

(c) is a foreign national whose identity has not been established.

Les critères pertinents à l'application de l'alinéa 244(c) du Règlement sont:



247. (1) Pour l'application de l'alinéa 244c), les critères sont les suivants :

a) la collaboration de l'intéressé, à savoir s'il a justifié de son identité, s'il a aidé le ministère à obtenir cette justification, s'il a communiqué des renseignements détaillés sur son itinéraire, sur ses date et lieu de naissance et sur le nom de ses parents ou s'il a rempli une demande de titres de voyage;

b) dans le cas du demandeur d'asile, la possibilité d'obtenir des renseignements sur son identité sans avoir à divulguer de renseignements personnels aux représentants du gouvernement du pays dont il a la nationalité ou, s'il n'a pas de nationalité, du pays de sa résidence habituelle;

c) la destruction, par l'étranger, de ses pièces d'identité ou de ses titres de voyage, ou l'utilisation de documents frauduleux afin de tromper le ministère, et les circonstances dans lesquelles il s'est livré à ces agissements;

d) la communication, par l'étranger, de renseignements contradictoires quant à son identité pendant le traitement d'une demande le concernant par le ministère;

e) l'existence de documents contredisant les renseignements fournis par l'étranger quant à son identité.

[nos italiques]

247. (1) For the purposes of paragraph 244(c), the factors are the following:

(a) the foreign national's cooperation in providing evidence of their identity, or assisting the Department in obtaining evidence of their identity, in providing the date and place of their birth as well as the names of their mother and father or providing detailed information on the itinerary they followed in travelling to Canada or in completing an application for a travel document;

(b) in the case of a foreign national who makes a claim for refugee protection, the possibility of obtaining identity documents or information without divulging personal information to government officials of their country of nationality or, if there is no country of nationality, their country of former habitual residence;(c) the destruction of identity or travel documents, or the use of fraudulent documents in order to mislead the Department, and the circumstances under which the foreign national took that actions;

(d) the provision of contradictory information with respect to identity at the time of an application to the Department; and

(e) the existence of documents that contradict information provided by the foreign national with respect to their identity.

[emphasis added]


                                                            COUR FÉDÉRALE

                                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                           IMM-4190-02

INTITULÉ :                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                    ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                      demandeur

                                                                           et

                                                           JUNIOR MWAMBA

                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :     Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE : Le 5 août 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : L'honorable juge Blais

DATE DES MOTIFS :        Le 8 septembre 2003

COMPARUTIONS:


Me Michel Pépin

POUR LE DEMANDEUR

Me Hoang Nguyen

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Me Johanne Doyon et Me Hoang Nguyen

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.