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Date : 20030213

Dossier : T-2792-96

Référence neutre : 2003 CFPI 159

Ottawa (Ontario), le 13 février 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                               MERCK & CO., INC.

MERCK FROSST CANADA & CO.

ZENECA LIMITED

ASTRAZENECA UK LIMITED et

ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                            demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

                                                                                   et

                                                                       APOTEX INC.

                                                                                                                                               défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une requête des demanderesses, présentée en vertu de l'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), pour porter en appel l'ordonnance du protonotaire Morneau, en date du 2 mai 2002, par laquelle celui-ci autorisait la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) à déposer une nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée (la défense modifiée) et les précisions s'y rapportant. Dans le cadre du présent appel, les demanderesses sollicitent une ordonnance annulant la décision du protonotaire, puisqu'elles maintiennent leur opposition à l'égard de deux des catégories de modifications autorisées dans l'ordonnance.

CONTEXTE

[2]                 La présente action, intentée le 19 décembre 1996, porte sur des allégations concernant la contrefaçon et la validité du brevet canadien no 1,275,350 (brevet 350), dont l'une des revendications, parmi plusieurs autres, contient une catégorie de composés comprenant le lisinopril, un médicament utilisé pour réduire l'hypertension. Les questions en litige dans l'instance principale se limitent à savoir si le lisinopril, dont Apotex a fait l'acquisition, contrefait le brevet 350, et si ce dernier est valide.

[3]                 Selon Apotex, le lisinopril qu'elle avait acheté et ensuite vendu n'emporte pas contrefaçon pour l'une ou l'autre des raisons suivantes : (i) le lisinopril a été fabriqué avant l'octroi du brevet 350 le 16 octobre 1990, (ii) il a été fabriqué et vendu par un titulaire de licence autorisé en vertu du brevet 350 avant l'expiration de la licence, ou (iii) l'emploi et la vente du lisinopril dihydrate par Apotex ne sont pas revendiqués dans le brevet 350. Ce dernier moyen de défense constitue l'une des modifications autorisées dans la décision du protonotaire Morneau frappée d'appel.


LA DÉCISION DU PROTONOTAIRE

[4]                 Dans la requête qu'Apotex a présentée devant le protonotaire, les modifications proposées étaient regroupées par catégories, dont trois étaient contestées par les demanderesses. Mis à part les principes applicables exposés par le protonotaire Morneau, que je répéterai dans le paragraphe suivant, celui-ci ne s'est donc penché que sur les questions soulevées dans ces trois catégories.

[5]                 L'arrêt Ministre du revenu national c. Canderel Ltd., [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), à la page 10, et l'arrêt Visx Inc. c. Nidek Co. et al. (1998), 234 N.R. 94, à la page 95 (C.A.F.), énoncent les principes, appliqués par le protonotaire, qui servent à modifier les actes de procédure. Dans l'arrêt Canderel, la Cour d'appel a indiqué que la « règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice » . Dans l'arrêt Visx, la Cour d'appel a ajouté « [...] que, quelque négligente ou insouciante qu'ait été la première omission, et quelque tardive que soit la modification proposée, celle-ci devrait être autorisée si elle peut être apportée sans qu'il en résulte une injustice pour la partie adverse [...] » .


[6]                 Le protonotaire s'est reporté aux motifs du juge Décary dans l'arrêt Cardinal et al. c. Canada (1993), 164 N.R. 301 (C.A.F.), dans lequel celui-ci disait au paragraphe 8 : « Nous avons entendu les appels en supposant fondamentalement que, dans ces domaines, la Cour ne radie les plaidoiries ou ne refuse les modifications que dans les cas clairs et évidents où il n'existe aucun doute. »

[7]                 La première catégorie de modifications contestées se rattachait au composé chimique connu sous le nom de lisinopril dihydrate. Le protonotaire était convaincu qu'Apotex avait pu, avec les documents produits et les interrogatoires préalables, faire la découverte préliminaire du fait alléguant que le lisinopril dihydrate n'était pas compris dans la portée du brevet 350 et que la version commercialisée du médicament d'Apotex (de même que celui de Merck) ne contenait en fait que le composé lisinopril dihydrate. Par conséquent, le protonotaire a conclu qu'on pouvait affirmer que les modifications proposées dans cette catégorie révélaient l'existence d'une défense raisonnable contre la contrefaçon alléguée par les demanderesses.

[8]                 Dans la deuxième catégorie de modifications, Apotex voulait soutenir que la demande canadienne no 607,198 (demande 198), qui a conduit au brevet 350, n'est pas une demande complémentaire correcte par rapport à la demande de brevet no 314,340 (demande 340), au sens du paragraphe 36(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, parce que l'invention revendiquée dans la demande 198 est la même que celle divulguée dans la demande 340. Même si Apotex n'a pas cité de jurisprudence pour étayer sa thèse, le protonotaire Morneau a autorisé les modifications selon la méthode énoncée dans l'arrêt Canderel, précité.

[9]                 Dans la troisième catégorie de modifications, un seul paragraphe, savoir le paragraphe 19(m)(v), faisait toujours l'objet d'une contestation de la part des demanderesses. Le projet d'allégation modifié indique que le breveté n'a pas révélé que le lisinopril était instable et qu'il pouvait se dégrader et se transformer, et qu'il contrevient ainsi à l'article 34 de la Loi sur les brevets. Le protonotaire a autorisé les modifications parce qu'il était convaincu que la découverte préliminaire des faits avait résulté des communications préalables de documents et des interrogatoires préalables des demanderesses. Qui plus est, il a indiqué qu' « [o]n ne peut dire que les allégations actuelles et les projets d'allégation d'Apotex à l'égard de l'article 34 de la Loi sur les brevets sont désespérés, vains ou "indubitablement voués à l'échec" » . L'ajout de ce paragraphe dans les actes de procédure obligeait le protonotaire à ordonner le dépôt des précisions y afférentes.

[10]            Enfin, le protonotaire a décidé qu'Apotex n'avait pas le droit de poursuivre l'interrogatoire préalable à l'égard des modifications introduites dans sa défense modifiée.

QUESTIONS EN LITIGE

[11]            1.          Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.          Le protonotaire a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits?


ANALYSE

1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

[12]            La norme de contrôle régissant les appels contre les ordonnances discrétionnaires d'un protonotaire est bien établie. Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), le juge MacQuigan a expliqué, au paragraphe 95, la norme de contrôle que le juge des requêtes devait appliquer à l'égard d'une décision discrétionnaire du protonotaire :

Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière dans Stoicevski v. Casement (1983) 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a.             l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b.             l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

[13]            La question relative à la norme de contrôle a été débattue à fond lors de l'audience. D'une part, les demanderesses soutiennent que l'ordonnance du protonotaire doit être examinée de nouveau parce qu'il a mal apprécié les faits et le droit, et que les questions soulevées par les modifications ont une influence déterminante sur l'issue du principal. D'autre part, Apotex affirme que le critère applicable au présent contrôle judiciaire est de savoir si le protonotaire avait « commis une erreur flagrante » .

[14]            Selon les demanderesses, il y aurait lieu que je procède à une audition de l'affaire de novo, et non à un contrôle judiciaire. Les motifs en faveur de cet argument se trouvent aux pages 464 et 465 de l'arrêt Aqua-Gem, précité :

La question se pose donc de savoir quel genre d'ordonnance interlocutoire est en cause en l'espèce. L'appelante engage la Cour à suivre le précédent Stoicevski, mais n'a pas été en mesure d'expliquer que la décision du protonotaire en l'espèce ne portait pas sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Les conclusions de lord Wright comme du juge Lacourcière, J.C.A., soulignent le contraste entre « les questions de procédure courantes » (lord Wright) et « la modification sans importance des actes de procédure » (le juge Lacourcière, J.C.A.) d'une part, et les questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause principale, c'est-à -dire sa solution, de l'autre.

La matière soumise en l'espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu'il a prononcéen faveur de l'appelante. Eût-il prononcé en faveur de l'intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause; Voir P-G du Canada c. S.F. Enterprises et autre (1990), 90 DTC 6195 (C.A.F.) aux pages 6197 et 6198; Ainsworth v. Bickersteth et al., [1947] O.R. 525 (C.A.). Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de « l'influence déterminante sur l'issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).

Je pense que cette approche est aussi celle qu'adopte la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Stoicevski, par lequel le juge Lacourcière, J.C.A., conclut (à la page 439) que [traduction] « une modification [apportée à une défense] qui peut avoir pour effet de réduire le quantum des dommages-intérêts recouvrables par le demandeur a manifestement une influence déterminante sur l'issue de la cause principale » [non souligné dans l'original].


[15]            Les demanderesses font donc valoir que, pour décider s'il s'agit d'une décision dont l'influence est déterminante sur l'issue du principal, ce n'est pas la décision même du protonotaire qu'il me faudrait examiner, mais plutôt la question en litige avant que le protonotaire y eût répondu, et, ce faisant, en supposant que les modifications d'Apotex aient été refusées, la décision aurait réglé la question de façon définitive. Si tel est le cas, je dois alors considérer le présent appel comme un appel de novo et décider s'il convient, en fait, que j'autorise ou que je refuse les modifications.

[16]            Toutefois, dans James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc. et al., (1997) 72 C.P.R. (3d) 157, le juge Reed a donné, à la page 160, des exemples de ce qui constitue une question ayant une influence sur l'issue du principal. Ces exemples comprennent notamment, « l'enregistrement d'un jugement par défaut, la décision refusant la modification d'un acte de procédure; celle permettant l'ajout de défendeurs additionnels, [etc ...] » [non souligné dans l'original]. La décision, comme en l'espèce, qui autorise les modifications aux actes de procédure n'a donc pas, si on raisonne a contrario des motifs du juge Reed, une influence déterminante sur l'issue du principal.

[17]            À mon avis, cette dernière interprétation est plus subtile; la décision du protonotaire n'a pas une influence déterminante sur l'issue du principal parce que les nouvelles allégations modifiées feront l'objet d'une décision définitive lors du procès. J'examinerai donc si le protonotaire a commis une erreur flagrante dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.


Le protonotaire a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits?

[18]            Apotex avait admis, il y a cinq ans, que le médicament qu'elle vendait était compris dans les revendications du brevet 350, mais qu'il n'emportait pas contrefaçon parce qu'il était fondé sur l'exception à la contrefaçon relative aux biens d'inventaire préalablement acquis. Les demanderesses font valoir que les modifications, concernant l'allégation selon laquelle le lisinopril dihydrate n'était pas compris dans le brevet 350, autorisées par le protonotaire contredisent cet aveu initial. Par conséquent, les demanderesses affirment que la première catégorie de modifications constitue une rétractation de l'aveu.

[19]            Sur ce point, je partage l'opinion qu'Apotex se fait de la jurisprudence et je conclus qu'il importe peu si les modifications équivalent à la rétractation de l'aveu puisque le même critère, énoncé dans les arrêts Canderel, précité, et Visk, précité, s'applique. À mon avis, il s'agit de l'interprétation à donner au passage suivant que l'on trouve aux pages 611 et 612 de la décision Andersen Consulting c. Canada, [1998] 1. C.F. 605 :

À l'autre extrémité, les cours de Colombie-Britannique, adoptant une conception plus souple, ne posent pas pour condition essentielle de rétractation que l'aveu contenu dans la défense ait été fait par inadvertance ou de façon hâtive. Le critère qu'elles observent pose que dans toutes les circonstances de la cause, il doit y avoir un point jugeable, qui devrait passer en jugement dans l'intérêt de la justice et qui ne devrait pas se résoudre par une admission de fait. Selon ce critère, l'inadvertance, l'erreur, la précipitation, l'ignorance des faits, la découverte de faits nouveaux, et l'introduction en temps opportun de la requête sont autant de facteurs à prendre en considération pour examiner s'il ressort des circonstances qu'il y a un point jugeable, lequel devrait passer en jugement dans l'intérêt de la justice.


Nous préférons la voie empruntée par les tribunaux de Colombie-Britannique, qui assure à la juridiction saisie d'une requête en modification des plaidoiries, même lorsque la modification vise à rétracter un ou des aveux, la souplesse nécessaire pour faire en sorte que les points jugeables passent en jugement, sans que les parties n'aient à subir d'injustice.

[...]

De fait, notre collègue le juge Décary, J.C.A., a expliqué en ces termes dans Canderel, la souplesse souhaitable en matière de modification de plaidoiries, ce qui s'entend également, à notre avis, de la rétractation d'aveux : [non souligné dans l'original].           

[. . .] même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.

[20]            Compte tenu de cet extrait, je conclus que le même critère s'applique quel que soit le genre de modification (y compris la rétractation de l'aveu par modification) et quel que soit le stade de l'instance. Je conviens avec les demanderesses que le moment de présentation de la requête en modification est un facteur à considérer, mais je ne crois pas que les modifications tardives soient préjudiciables et, lorsqu'elles sont autorisées, qu'elles l'emportent sur l'intérêt de la justice.


[21]            Par ailleurs, les demanderesses soutiennent que la conclusion du protonotaire, selon laquelle les interrogatoires préalables ont permis la découverte préliminaire des faits alléguant que le lisinopril dihydrate n'était pas compris dans la portée du brevet 350 et que la version commercialisée du médicament d'Apotex ne contenait que le composé lisinopril dihydrate, constitue une mauvaise appréciation des faits. Elles font valoir que dans le dossier dont le protonotaire était saisi, rien dans la preuve n'étayait ces conclusions de fait, celle-ci indiquant plutôt qu'Apotex savait, dès 1996, que le lisinopril était, en réalité, du lisinopril dihydrate. Les demanderesses prétendent que, de toute manière, il n'est pas pertinent de savoir si deux molécules d'eau ont été ajoutées au composé formé de lisinopril pour que celui-ci devienne du lisinopril dihydrate, parce qu'un ajout à un brevet n'empêche pas la contrefaçon.

[22]            Apotex affirme que la preuve dont était saisi le protonotaire Morneau établit que les documents produits par les demanderesses et l'interrogatoire préalable des inventeurs désignés du brevet 350 révèlent des renseignements cruciaux sur lesquels reposent en grande partie ces modifications. Les interrogatoires préalables ont révélé que l'affirmation faite au paragraphe 13 de la demande modifiée, selon laquelle le nom « lisinopril » ne peut pas désigner ni comprendre le composé décrit comme étant le lisinopril dihydrate, n'était pas étayée par les renseignements obtenus à partir des documents des demanderesses et du témoignage du Dr. Wyvatt, l'un des inventeurs désignés. En outre, selon l'affidavit de M. Hugues, on n'a reconnu l'importance de la distinction entre les composés qu'au moment où Apotex a appris, lors de l'interrogatoire préalable, que le lisinopril dihydrate n'avait même pas été synthétisé à la date de priorité du brevet 350.


[23]            Ce renseignement appuie la conclusion du protonotaire que les interrogatoires préalables ont permis de déceler et de prouver les projets d'allégation fondés sur la distinction entre le lisinopril et le lisinopril dihydrate. On ne peut dire qu'en décidant de retenir le témoignage fourni par l'affidavit de M. Hugues, au lieu de l'argument des demanderesses selon lequel Apotex aurait dû reconnaître avant les interrogatoires préalables que le lisinopril et le lisinopril dihydrate étaient des composés différents, le protonotaire Morneau a mal apprécié les faits; il a plutôt exercé son pouvoir discrétionnaire et décidé que l'examen de ces renseignements pouvait être utile au juge de première instance. Néanmoins, la question de savoir si Apotex savait ou aurait dû savoir que le lisinopril et le lisinopril dihydrate se situent hors de la portée des revendications du brevet 350 n'empêche pas Apotex de faire les modifications qui, au présent stade de l'instance, confirment qu'elle en a connaissance.

[24]            Cela dit, les demanderesses font valoir que la seule différence entre le lisinopril et le lisinopril dihydrate est l'ajout de « deux molécules d'eau » au composé formé de lisinopril. Je comprends la thèse des demanderesses selon laquelle cet ajout n'a pas de répercussions sur la contrefaçon [voir : l'article 32 de la Loi sur les brevets et Fox, Harold G., The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e édition, 1969, The Carswell Company Limited, Toronto (Canada), aux pages 358 et 359], et n'expose aucun moyen de défense raisonnable. Toutefois, je crois que le fait de me prononcer sur ce point équivaudrait à un règlement définitif de la question à trancher. Puisque j'ai décidé que je n'entendrais pas l'affaire de novo, je laisserai donc aux parties le soin de débattre du bien-fondé de cet argument devant le juge de première instance.

[25]            L'autre argument principal concerne l'admission du paragraphe 19(m)(v). Les demanderesses soutiennent que le protonotaire a commis une erreur en concluant que ce paragraphe n'était pas désespéré, vain ou « indubitablement voué à l'échec » , et elles prétendent qu'il ne révèle aucune cause d'action raisonnable suivant l'article 34 de la Loi sur les brevets.

[26]            Le paragraphe 19(m)(v) indique que le titulaire de brevet n'a pas révélé que le lisinopril était instable, et qu'il pouvait se dégrader et se transformer, contrevenant ainsi à l'article 34 de la Loi sur les brevets. Les demanderesses font valoir que les faits allégués au paragraphe 19(m)(v) ne sauraient, en droit, entraîner l'invalidité des revendications du brevet au motif que l'article 34 n'a pas été respecté. L'article 34 de la Loi sur les brevets dispose que dans le mémoire descriptif, le demandeur décrit d'une façon exacte et complète l'invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l'inventeur.


[27]            À l'audience, les demanderesses ont soutenu qu'il ne fallait pas se demander si les renseignements concernant le brevet auraient dû être communiqués conformément à l'article 34 de la Loi sur les brevets, mais plutôt si ces mêmes renseignements seraient en fait nécessaires à la personne versée dans l'art pour pouvoir reproduire l'invention. Dans l'arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 145, la Cour suprême du Canada a reconnu, aux pages 154 et 155, le critère selon lequel « l'inventeur doit, en contrepartie de l'octroi du brevet, fournir au public une description adéquate de l'invention comportant des détails assez complets et précis pour qu'un ouvrier, versé dans l'art auquel l'invention appartient, puisse construire ou exploiter l'invention après la fin du monopole » . Les demanderesses font donc valoir que les renseignements qui, selon Apotex, auraient dû être divulgués par le titulaire du brevet, n'avaient pas à être communiqués à une personne versée dans l'art de reproduire l'invention.

[28]            À mon avis, cet argument doit être débattu au fond. En bout de ligne, les deux parties produiront au procès une preuve d'expert concernant les renseignements dont les personnes versées dans l'art auraient besoin pour réussir à établir les formes posologiques des composés en cause. Il est toutefois certain que l'allégation, telle que formulée, énonce une cause d'action raisonnable, contrairement aux observations présentées par les demanderesses. Pour ce motif, je maintiens que le protonotaire n'a pas mal exercé son pouvoir discrétionnaire en concluant qu'il y avait lieu d'autoriser la modification.

[29]            Le protonotaire, exerçant son pouvoir discrétionnaire de façon régulière, n'a pas fondé sa décision sur un mauvais principe et il n'a pas mal apprécié les faits. Par conséquent, je conclus que la présente requête devrait être rejetée.


ORDONNANCE

                                                         

LA COUR ORDONNE :

que la requête soit rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                 « Simon Noël »                    

         Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 T-2792-96

INTITULÉ :              MERCK & CO. INC, ET MERCK FROSST

CANADA INC. & Co., et al. c.          APOTEX INC.

                                                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              7 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                                     13 février 2003

COMPARUTIONS :

Gunars A. Gaikis                                     Pour la demanderesse - Syngenta Ltd

Denise Lacombe                                      Pour la demanderesse - AstraZeneca UK

Judith A. Robinson                                  Pour la demanderesse - Merck & Co.

Frédérique Amrouni                                 Pour Merck Frosst Canada & Co.

David M. Scrimger                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Nicole Roth

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SMART & BIGGAR

Avocats                                                    POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

Goodmans                                                POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)                             

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