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Date : 20030704

Dossier : T-2264-01

Référence : 2003 CF 827

ENTRE :

                               ROBERT M. FETHERSTON

                                                                          demandeur

                                       et

                  L'AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

                                                                       défenderesse

                              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]    Les présents motifs font suite à l'instruction d'une demande de contrôle judiciaire concernant la décision du Dr T.E. Wilson, DMV, membre de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'ACIA), agissant à titre de « décideur » , de « révoquer » le pouvoir du Dr Robert M. Fetherston (le demandeur) d'exercer ses fonctions à titre de vétérinaire accrédité, d'informer le College of Veterinarians of Ontario de cette annulation et des renseignements sur lesquels elle est fondée, d'interdire au demandeur de présenter une nouvelle demande d'accréditation avant le 1er novembre 2002 ou avant la date à laquelle la poursuite que pourrait instituer le College of Veterinarians of Ontario à la suite des renseignements transmis prendra fin et d'obliger le demandeur à suivre une séance d'orientation et de formation préalable à l'accréditation avant de présenter une autre demande d'accréditation. La décision attaquée est datée du 29 novembre 2001.

[2]    Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite un certain nombre de mesures de redressement dont le nombre a été considérablement réduit à l'audience. En dernière analyse, le demandeur demande l'annulation de la décision et la délivrance d'une ordonnance obligeant l'ACIA à informer le College of Veterinarians of Ontario de l'annulation de la décision attaquée. Le demandeur ne demande pas de dépens.

[3]    La défenderesse demande le rejet de la demande de contrôle judiciaire et les dépens de cette demande.

CONTEXTE

[4]    Le demandeur possède depuis 1973 un permis l'autorisant à pratiquer la médecine vétérinaire en Ontario. Le 16 mars 2001, il a signé avec l'ACIA une Entente d'accréditation des vétérinaires qui lui permettait de délivrer des certificats concernant l'anémie infectieuse des équidés (Coggins) et des certificats d'examen pour l'exportation de chevaux aux États-Unis (certificats zoosanitaires). L'accréditation du demandeur était valide jusqu'au 29 mars 2004.

[5]    Le demandeur allègue que le 3 juillet 2001, il s'est rendu aux Robert MacIntosh Stables pour examiner des chevaux qui devaient participer à des courses en divers lieux des États-Unis au cours de la fin de semaine du 4 juillet. On lui a remis des certificats Coggins pour les sept (7) chevaux qu'il devait examiner. Il a noté au cours de sa visite qu'un des chevaux qu'il devait examiner, « Yankee Leader » , ne se trouvait pas dans sa stalle. Il a appris que Yankee Leader se trouvait à l'Université de l'État du Michigan pour y recevoir un traitement médical d'urgence. Le demandeur a noté ce fait dans son agenda et a poursuivi l'examen des six (6) autres chevaux.

[6]    Les raisons pour lesquelles Yankee Leader figurait sur la liste des chevaux à examiner et pour lequel il fallait un certificat, alors qu'il se trouvait aux États-Unis plutôt que dans sa stalle, ainsi que toutes les autres circonstances, sont quelque peu complexes et ne sont pas essentielles à la décision qu'il convient de prendre en l'espèce.

[7]    Le lendemain, le 4 juillet 2001, un représentant des Robert MacIntosh Stables s'est rendu au bureau du demandeur avec les certificats Coggins correspondant aux chevaux examinés par le demandeur la veille, accompagnés d'un mémo indiquant la destination prévue aux États-Unis pour chacun des chevaux examinés. Le demandeur affirme qu'on avait préparé sept (7) certificats zoosanitaires pour qu'il les signe. Il y avait parmi ces certificats un certificat pour Yankee Leader. Le demandeur a relu son agenda et a signé les sept (7) certificats. Il déclare qu'avec le recul, il aurait dû être plus minutieux dans son examen et dans son interprétation des notes contenues dans son agenda.

[8]    Les certificats zoosanitaires, y compris celui concernant Yankee Leader, ont été transmis au bureau de district de Windsor de l'ACIA où ils ont été contresignés et délivrés. Le bureau du demandeur a facturé les Robert MacIntosh Stables une somme de 20 $ pour chacun des certificats. L'avantage financier que le demandeur a retiré de la délivrance du certificat concernant Yankee Leader est donc minime.

[9]    L'erreur commise dans la délivrance du certificat zoosanitaire concernant Yankee Leader a été portée à l'attention de l'ACIA par les autorités américaines. La Dre Carolyn Small (Dre Small) a été chargée de faire enquête sur ces faits. Elle a interrogé le demandeur. La Dre Small a pu inspecter les dossiers du demandeur, notamment son agenda, ses feuilles de travail et ses factures. Le demandeur affirme qu'il a admis à la Dre Small que le certificat avait été délivré par erreur, une erreur qu'il considérait comme une erreur de bonne foi. Dans son rapport, la Dre Small énonce que le demandeur [traduction] « ... a reconnu qu'il n'avait pas examiné Yankee Leader [le 3 juillet] » [1].

[10] Le rapport d'enquête de la Dre Small a été transmis au Dr Jim Clark, vétérinaire principal intérimaire, Lutte contre les maladies de l'ACIA. Une des responsabilités du Dr Clark consistait à agir au nom de l'ACIA lorsqu'il s'agissait de révoquer les certificats d'accréditation.

[11] Dans une lettre datée du 19 octobre 2001, le Dr Clark a informé le demandeur que son accréditation avait été suspendue. La lettre du Dr Clark se lit ainsi :

[traduction]Vous n'avez pas respecté les termes et les conditions de l'Entente d'accréditation des vétérinaires lorsque vous avez exercé vos fonctions de vétérinaire accrédité consistant à délivrer des certificats pour l'exportation et nous considérons qu'il s'agit là d'une affaire grave qui compromet la crédibilité des certificats d'exportation du bétail délivrés par l'ACIA.

Par conséquent, vous êtes par la présente avisé du fait que l'Agence canadienne d'inspection des aliments se propose d'annuler votre accréditation et de vous retirer l'autorisation d'exécuter des activités à titre de vétérinaire accrédité parce que vous n'avez pas exécuté vos fonctions de vétérinaire accrédité conformément aux termes et conditions générales de l'Entente d'accréditation des vétérinaires que vous avez signée le 16 mars 2001, ...

L'Agence canadienne d'inspection des aliments tiendra une audience à ce sujet, et vous aurez la possibilité de vous faire entendre au sujet du projet d'annulation de votre accréditation auprès de l'Agence canadienne d'inspection des aliments[2].                                  [Nos soulignés]

[12] Il n'est pas contesté que le Dr Clark a demandé à son supérieur immédiat, un cadre de l'ACIA, l'Agence qui se proposait d'annuler l'accréditation, de tenir cette audience pour décider s'il y avait lieu de « révoquer » l'accréditation du demandeur. Il n'est pas non plus contesté que l'audience a été tenue de façon très informelle, que ceux qui ont « témoigné » n'ont pas été assermentés, ni formellement interrogés ou contre-interrogés et qu'il n'existe aucun dossier contenant les documents présentés à l'audience, ni même, apparemment, de transcription de l'audience.

[13] La demande introductive de la demande de contrôle judiciaire contient le paragraphe suivant :

[traduction]Le demandeur demande à l'Agence canadienne d'inspection des aliments d'envoyer une copie certifiée des documents suivants qui ne se trouvent pas en la possession du demandeur mais en celle de l'Agence canadienne d'inspection des aliments pour qu'ils soient communiqués au demandeur et au greffe : La décision du décideur et tous les documents à l'appui[3].

[14] L'avocat de l'ACIA a envoyé à la Cour une lettre datée du 8 mars 2002 qui contenait [traduction] « ... une copie certifiée des notes prises par le Dr Tom Wilson [à l'audience] » . L'avocat précisait :

[traduction]Ces notes ont été portées à notre attention après que nous ayons donné suite à la demande du demandeur au sujet des documents se rapportant à cette affaire et en la possession de l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

[15] Par conséquent, le seul dossier certifié du « Tribunal » et de l'audience qui a été présenté à la Cour comprend les notes manuscrites du décideur. Ces notes n'apportent aucune lumière sur les documents présentés à l'audience.

LA DÉCISION ATTAQUÉE

[16] La teneur de la décision attaquée, intitulée « Rapport du décideur » , est brièvement résumée ci-dessus dans les présents motifs. En voici un résumé plus détaillé.

[17] Le décideur note que le demandeur, son avocat et un tiers indépendant, M. MacDonald, transporteur de chevaux pour les Robert MacIntosh Stables, ont assisté à l'audience avec les Drs James Clark et Carolyn Small, ces deux dernières personnes représentant l'ACIA. Les motifs figurant dans le rapport montrent que le Dr Clark a fourni des copies des [traduction] « ... documents concernant l'affaire » , documents qui avaient été transmis auparavant au demandeur « ... pour l'aider à se préparer pour l'audience » . La nature de ces documents n'est pas précisée dans le rapport. Cela dit, le Dr Clark a témoigné au sujet de ces documents et déclaré qu'ils comprenaient le rapport d'enquête de la Dre Carolyn Small. Il est également mentionné que l'Entente d'accréditation des vétérinaires signée par le demandeur a été également présentée à l'audience.

[18] Les circonstances ayant précédé l'audience sont très rapidement résumées dans les motifs. Ils contiennent un résumé de l' « exposé » présenté par le demandeur et son avocat mais le fait que M. MacDonald ait pris la parole n'est pas mentionné. J'hésite à qualifier ces exposés de « témoignages » ou d' « observations » . Il est noté que le demandeur a déclaré qu'il avait commis une « erreur matérielle » lorsqu'il avait préparé et signé le certificat concernant Yankee Leader.

[19] Sous la rubrique « Conclusions » du rapport, il est noté que :

            [traduction]

- Le Dr Fetherston [le demandeur] n'a contesté aucun des documents remis ni aucune des déclarations figurant dans le rapport d'enquête de la Dre Small du 8 août 2001.

[20] Le décideur a formulé de la façon suivante sa conclusion :

Le Dr Robert M. Fetherston a violé les conditions de l'article 10 de l'Entente d'accréditation en signant un certificat zoosanitaire d'exportation sans avoir effectué l'examen prévu.

Cette conclusion se fonde sur les documents transmis et les déclarations faites qui indiquent ce qui suit :

- Le Dr Fetherston n'a pu examiner Yankee Leader le 3 juillet parce que ce cheval se trouvait à la MSU [Université de l'État de Michigan].

- Le Dr Fetherston avait l'intention de préparer un certificat zoosanitaire d'exportation pour Yankee Leader comme l'indique ses dossiers et les explications concernant ces certificats.

- Le Dr Fetherston a préparé le certificat zoosanitaire en sachant que le cheval se trouvait à la MSU, tel que mentionné dans le rapport du 8 août du Dre Small.                          [Non souligné dans l'original.]

[21] Le corps du rapport suivait et il est résumé dans l' « Introduction » de ces motifs. Les parties ci-dessus du rapport étaient alors suivies des « commentaires » suivants :

            [traduction]

Les constatations faites sont incompatibles avec la commission d'une erreur matérielle. Il est essentiel de prendre des notes exactes de façon à éviter les erreurs lorsque le vétérinaire procède à des inspections en vue de délivrer des certificats d'exportation dans une écurie où il y a un grand nombre de chevaux, d'entraîneurs et d'employés. Dans cette affaire, la façon dont les notes ont été prises laisse à penser qu'il faut délivrer un certificat pour chaque cheval même si celui-ci ne se trouve pas dans l'écurie.

La personne qui exerce une fonction réglementaire doit placer les obligations associées à cette fonction au-dessus de toutes les autres. En respectant cette norme, un vétérinaire accrédité évite de prendre des mesures qui pourraient compromettre la crédibilité du processus de certification. La délivrance d'un certificat pour Yankee Leader a fait disparaître la nécessité d'examiner, d'inspecter et de certifier ce cheval aux États-Unis mais cela a également ouvert la porte à l'introduction des maladies infectieuses des équidés au Canada.

Il faut protéger la réputation internationale de l'Agence canadienne d'inspection des aliments en matière d'intégrité du processus de certification des animaux si l'on veut préserver l'accès aux marchés étrangers. Les gestes du Dr Fetherston ont compromis cette intégrité. La révocation du pouvoir qu'avait le Dr Fetherston d'exercer les fonctions de vétérinaire accrédité constitue une mesure qui nous paraît appropriée. Cette mesure est conforme à celle qu'a déjà prise l'Agence dans des situations semblables.

La situation qui est décrite ici porte sur le fait que le Dr Fetherston ne s'est pas acquitté de ses responsabilités en matière de réglementation mais elle soulève peut-être également une question concernant le respect de ses responsabilités professionnelles, aspect qui devrait être examiné par ses pairs[4].

LES QUESTIONS EN LITIGE

[22] Aucun des avocats n'a abordé dans ses observations écrites la question de la norme de contrôle. Lorsque cette question a été soulevée par le tribunal au début de l'audience et que celui-ci a suggéré que dans le cas d'une analyse « pragmatique et fonctionnelle » , la norme appropriée était celle du caractère raisonnable simpliciter des questions de fait, aucun des avocats ne s'y est opposé.

[23] L'avocat du demandeur a présenté à la Cour les questions en litige de la façon suivante : premièrement, la question de savoir si les circonstances ayant entouré l'audience qui a débouché sur la décision attaquée et, en particulier, les rapports existants entre le Dr Jim Clark, qui a suspendu la certification du demandeur et déclenché le processus qui a débouché sur la décision attaquée, et le décideur, soulève un risque raisonnable de partialité; deuxièmement, la question de savoir si le processus utilisé pour l'audience a entraîné une violation de la justice naturelle; et enfin, la question de savoir si les motifs à la base de la décision attaquée comporte des insuffisances telles qu'elles constituent une erreur susceptible de révision.

ANALYSE

a) La crainte raisonnable de partialité

[24] Le critère à utiliser pour déterminer s'il existe une crainte raisonnable de partialité n'a pas été contesté. Dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'Énergie)[5], le juge de Grandpré, parlant au nom de la minorité a écrit à la page 394 :

La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne censée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[25] L'avocat du demandeur nous invite à donner une réponse affirmative à la question posée par le juge de Grandpré, compte tenu des faits de l'espèce. Il signale que le Dr Clark, la personne qui a décidé de suspendre le demandeur, qui a déclenché le processus débouchant sur l'audience et sur la décision contestée et qui a présenté le point de vue de l'ACIA à l'audience, et le décideur, étaient tous deux des employés de l'ACIA et que le Dr Clark était le subordonné direct du décideur. En fait, il a nommé son propre supérieur au poste de décideur. En outre, le Dr Clark, dans la lettre dans laquelle il informait le demandeur de la suspension de son accréditation, informait également le demandeur que l'ACIA, son employeur ainsi que celui du décideur, « ... se proposait d'annuler votre accréditation... »

[26] Dans MacBain c. Commission canadienne des droits de la personne[6], le juge Heald, parlant au nom de la Cour a écrit ce qui suit à la page 129 après avoir cité le passage des motifs du juge de Grandpré que nous venons de citer ici :

La seconde importante distinction factuelle qui s'impose entre l'affaire Valente et l'espèce a trait à la distinction qui doit être faite entre l'indépendance en matière d'administration (qui, ainsi que nous l'avons vu, n'existe pas totalement à l'heure actuelle) et l'indépendance en matière de décision qui, selon moi, constitue un composant essentiel de l'indépendance judiciaire et de la bonne administration de la justice. L'indépendance en matière de décision comprend nécessairement des questions telles la préparation des rôles, la décision sur l'ordre d'appel des causes, l'affectation des juges aux diverses causes et la désignation des salles d'audience. Le juge en chef Deschênes classe ces éléments sous le titre « gérance des rôles » . Voici d'ailleurs ses commentaires... :

Il s'agit là d'éléments qui conditionnent l'intégrité du processus judiciaire lui-même. On en laisse le contrôle à des tiers, fonctionnaires du gouvernement ou autres, et l'on verra bientôt un juge particulier affecté à une cause particulière, pour des motifs inavouables. L'indépendance de la magistrature exige absolument qu'elle et elle seule, gère et contrôle le mouvement des causes au rôle d'audience et l'affectation des juges qui les entendront.

À mon avis, ces commentaires sont particulièrement pertinents en ce qui concerne la constitution d'un tribunal en vertu de cette Loi [Loi canadienne sur les droits de la personne]. Face à un mécanisme où se retrouvent les deux caractéristiques répréhensibles examinées par le juge en chef Deschênes, précité, c'est sans aucune hésitation que j'en viens à la conclusion qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait qu'il y a, en l'espèce, crainte raisonnable de partialité en vertu du présent mécanisme.

[27]       Dans MacBain, la Cour était saisie d'un cas où la Commission canadienne des droits de la personne s'était prononcée sur une plainte avant qu'une enquête ait été faite et avait choisi le juge à temps partiel qui constituerait la formation du Tribunal canadien des droits de la personne chargée d'entendre la plainte et devant lequel la Commission allait défendre sa position selon laquelle sa décision antérieure était correcte. À la page 132 des motifs, le juge Heald a déclaré :

Ce mécanisme auquel a recours la Commission revient à faire justifier après coup, par des juges qu'elle a elle-même choisis, une décision qu'elle a déjà prise.

[28]       Je suis convaincu que les termes utilisés par le juge Heald s'appliquent tout à fait aux faits de l'espèce. Le Dr Clark a conclu que les faits dont il disposait justifiaient la suspension, et même l'annulation, de l'accréditation du demandeur. Pour l'essentiel, il était manifestement convaincu que les faits présentés justifiaient la suspension et, se faisant apparemment le porte-parole de son employeur et de l'éventuel décideur, l'annulation. Il a ensuite choisi le « juge » . Il a choisi comme « juge » son propre supérieur. Il a ensuite présenté les arguments de l'ACIA devant le « juge » .

[29]       L'avocat de l'ACIA soutient que, quelle que puisse être la conclusion sur ce point, la décision contestée ne devrait pas être annulée en raison d'une crainte raisonnable de partialité parce que l'argument de la partialité n'a pas été soulevé au début de l'audience tenue par le décideur, ni même à aucun moment pendant cette audience, mais uniquement après que la décision contestée ait été publiée et au moment où, peu après, la demande de contrôle judiciaire a été introduite. Je rejette cet argument.

[30]       Il n'existe aucune base législative ou réglementaire qui décrive le processus à utiliser pour prendre une décision comme celle qui est examinée ici. En outre, il n'existe absolument aucune restriction au pouvoir discrétionnaire d'une personne comme le Dr Jim Clark de choisir la personne chargée de présider l'audience qui doit déboucher sur cette décision. Le demandeur et son avocat se sont rendus à l'audience sans savoir qui serait le décideur et certainement sans savoir, ou avoir des motifs de croire, que le décideur serait un dirigeant de l'ACIA et le supérieur hiérarchique immédiat du Dr Clark. Dans les circonstances, il aurait été très difficile de s'attendre à ce que le demandeur et son avocat commencent, dès le début de l'audience, à contre-interroger le décideur pour déterminer s'il existait une crainte raisonnable de partialité et ensuite exprimer une objection s'ils n'avaient pas été satisfaits des résultats du contre-interrogatoire.

[31]       Par conséquent, sur cette seule question, je suis convaincu que la décision contestée doit être annulée. Je vais néanmoins traiter brièvement des deux autres questions soulevées pour le compte du demandeur.

b) Violation de la justice naturelle ou de l'obligation d'agir de façon équitable

[32]       Dans Murray c. Canada (Ministre de l'Agriculture)[7], le juge Strayer, de la Section de première instance de notre Cour à l'époque, a écrit à la page 2 :

À supposer qu'il existe une exigence d'équité, ce que j'accepte, je reconnais que, d'une part, nous sommes dans un cas qui concerne la vie professionnelle d'un vétérinaire, le Dr Murray et que, d'autre part, la décision sur l'agrément a une importance considérable pour lui, non seulement parce qu'il tire une grande partie de son revenu des activités d'inspection, mais aussi à cause des répercussions potentielles que cette décision aurait pour lui, sans sa propre profession. Je présume ici, bien entendu, que si une décision négative était finalement rendue sur l'agrément du Dr Murray, dans d'autres instances en vertu de la Loi, son organisme professionnel traiterait toute la question à nouveau et n'accepterait pas d'office une décision du ministère de l'Agriculture comme une décision péremptoire en matière professionnelle. Néanmoins, il s'agit d'une décision importante pour Dr Murray et, par conséquent, le ministère se doit d'être prudent dans la matière dont il traite l'annulation de l'agrément.

Par ailleurs, une question importante se pose, eu égard à la santé publique et à la réputation du Canada dans l'exportation de bétail. Le fait de ne pas bien faire l'inspection d'animaux exportés peut avoir, je présume, une incidence importante sur la santé des habitants d'autres pays, sur la santé du bétail dans les autres pays et, en fin de compte, sur la réputation du Canada en tant que pays exportateur de bétail. En droit administratif, une jurisprudence considérable permet de dire qu'en matière de sécurité ou de santé publique, les exigences de l'équité doivent parfois être réduites afin de permettre que des mesures rapides soient prises en temps opportun pour protéger les intérêts du public. Lorsqu'il s'agit d'un conflit entre l'intérêt privé d'une ou de deux personnes, et la santé publique en général, ou le bien-être du public en général, il peut être nécessaire de prendre des mesures rapides sans suivre toutes les formalités qui caractérisent la procédure équitable, même si un autre examen est requis par la suite, une fois que l'aspect de la sécurité est protégé par une action provisoire.                                                           [Non souligné dans l'original.]

[33]

            On pourrait dire exactement la même chose à propos des faits de l'espèce à la différence qu'ici, la question est celle du transport de chevaux entre les États-Unis et le Canada plutôt que l'exportation de bétail. Comme le juge Strayer, compte tenu des répercussions pour des personnes comme le demandeur, je reconnais qu'il existe une exigence d'équité en faveur de ce dernier.

[34]       J'ai beaucoup de difficulté à conclure que le processus utilisé à l'endroit du demandeur respectait l'obligation d'équité à laquelle il avait droit. Comme cela a été noté plus haut, le processus susceptible de déboucher sur des décisions comme la décision attaquée n'est pas encadré par des dispositions législatives ou réglementaires et les personnes comme le demandeur et son avocat doivent donc finalement deviner comment elles devraient conduire leur « défense » . Comme je l'ai également indiqué ci-dessus, aucun dossier du tribunal n'a été constitué. Aucune liste de pièces n'a été dressée. L'audience qui a été conduite n'était pas le moindrement structurée. La Dre Small était présente à l'audience et il semble que son rapport d'enquête ait été remis au décideur, mais elle n'a pas fait d'exposé et le demandeur et son avocat n'ont pas eu la possibilité de l'interroger, encore moins de la contre-interroger, au sujet de ses conclusions, en particulier sur celles qui portaient sur les motifs qui ont poussé le demandeur à agir comme il l'a fait.

[35]       L'avocat du demandeur soutient qu'aucune structure formelle n'est nécessaire et que la nature de l'intérêt public en jeu, comme l'a mentionné le juge Strayer, est telle qu'il justifie que l'on utilise un processus informel et accéléré conduit par une personne, comme le décideur ici, qui comprend le régime législatif mis en place par la Loi sur la santé des animaux[8]et les règlements connexes.

[36]       L'argument basé sur l'absence de formalités, l'urgence et l'expertise particulière des membres de l'ACIA n'est pas convaincant. Les pouvoirs du demandeur ont été suspendus et il n'est pas contesté que le Dr Clark possédait le pouvoir de mettre en oeuvre cette suspension. Les arguments justifiant le choix d'un décideur comme celui qui a été choisi ici n'ont pas été complètement développés. Il n'existe aucune preuve présentée à la Cour qui indique qu'il y avait une pénurie de tiers indépendants capables de conduire des audiences comme celle qui a débouché sur la décision attaquée.

[37]       Compte tenu de la conclusion à laquelle je viens d'arriver au sujet de la crainte raisonnable de partialité, je ne me prononce pas sur la violation de la justice naturelle, ni sur l'équité; j'invite toutefois la défenderesse à réexaminer sa façon de procéder à l'égard des questions comme celle qui est examinée ici.

c) Caractère suffisant des motifs

[38]       L'avocat du demandeur soutient que le décideur n'a tenu aucun compte des explications du demandeur selon lesquelles il avait commis une « erreur administrative » et l'a donc jugé non digne de foi lorsqu'il a conclu que le demandeur « avait l'intention » de préparer un certificat zoosanitaire pour Yankee Leader et avait préparé le certificat zoosanitaire « sachant » que Yankee Leader se trouvait à l'extérieur du Canada. L'avocat soutient que les motifs avancés à l'appui de cette conclusion sont tout à fait insuffisants.

[39]       Dans Hilo c. (Canada) Ministre de l'Emploi et de l'Immigration[9], le juge Heald, parlant au nom de la Cour, a cité le passage suivant des motifs de la décision qui lui était soumise

Le témoignage du revendicateur était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Ce dernier a souvent été incapable de répondre aux questions et a parfois semblé peu intéressé à le faire. Cela peut être dû en partie à son jeune âge, mais le tribunal n'a pas été pleinement convaincu de sa crédibilité en tant que témoin.

[40]       Ces explications sont certainement beaucoup plus détaillées que celles qu'a fournies le décideur sur ce point.

[41]       Le juge Heald a écrit au paragraphe [6] de ses motifs :

L'appelant est la seule personne qui a témoigné verbalement devant la Commission; ce témoignage n'a pas été contredit. Les seules observations concernant sa crédibilité figurent dans le bref passage cité ci-dessus, dont l'ambiguïté rend la situation difficile. En effet, le tribunal ne rejette pas catégoriquement le témoignage de l'appelant mais semble douter de la crédibilité de ce dernier. Selon moi, la Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l'appelant...

[42]       Le conseil qui précède mérite d'être examiné de près par les décideurs comme celui qui a prononcé la décision attaquée ici. Le demandeur a présenté sa version des faits au décideur. Cette version était apparemment confirmée, sur plusieurs aspects, par la version qui avait été fournie à l'audience par un témoin, un tiers indépendant. Le Dr Clark a présenté le point de vue de l'ACIA. Il déclare dans son affidavit :

[traduction]J'ai examiné [à l'audience] les faits de l'affaire pour le décideur. La plupart des faits sur lesquels je me suis fondé sont tirés directement du rapport de la Dre Small.

[43]       La Dre Small, comme nous l'avons noté plus haut, a assisté à l'audience mais n'a pas présenté d'exposé et n'a pas été interrogée. Le décideur a sans doute conclu qu'il préférait la version et l'interprétation des événements fournis par la Dre Small aux explications fournies par le demandeur. Le décideur n'a pas expliqué cette préférence, lorsqu'il a pris une décision qui risquait d'avoir un effet dévastateur sur la capacité du demandeur de subvenir à ses besoins dans la profession qu'il avait choisie.

[44]       Si j'étais tenu de le faire, je conclurais que les motifs de la décision attaquée sont tellement insuffisants qu'ils constituent une erreur susceptible d'être révisée.

CONCLUSION

[45]       Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision attaquée sera annulée et l'affaire renvoyée à l'ACIA pour nouvel examen, et si elle l'estime approprié, pour nouvelle décision compatible avec les présents motifs. L'ACIA devra aviser immédiatement le College of Veterinarians of Ontario de cette décision et lui fournir une copie des présents motifs et de l'ordonnance connexe.

[46]       Il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dépens.

                                                                                                                                « Frederick E. Gibson »            

                                                                                                                                                                 Juge                         

Ottawa (Ontario)

le 4 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :T-2264-01

INTITULÉ :                                           ROBERT M. FETHERSTON c.

L'AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 24 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :MONSIEUR LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :le 4 juillet 2003

COMPARUTIONS:

M. Raymond G. ColauttiPOUR LE DEMANDEUR

Mme Suzanne M. DuncanPOUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

RAPHAEL PARTNERSPOUR LE DEMANDEUR

Avocats

Windsor (Ontario)    N9A 6S7

MORRIS ROSENBERG, c.r.POUR LA DÉFENDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario) M5X 1K6



     [1]Dossier de la défenderesse, onglet 10, page 26.

     [2]Dossier de la défenderesse, page 11.

     [3]Dossier du demandeur, volume 1, page 6.

     [4]Dossier du demandeur, volume 1, pages 29 et 30.

     [5][1978] 1 R.C.S. 369

     [6](1985), 22 D.L.R. (4th) 119 (C.A.F.).

     [7][1991] A.C.F. n ° 1324 (Q.L.), (C.F. 1re inst.).

     [8]L.C. 1990, ch. 21

     [9](1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.), non mentionné devant la Cour, mais auquel la Cour s'est référée, sans faire de renvoi, au cours de l'audience.

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