Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                           Date : 20021231

                                                                                                                                     Dossier : T-1224-02

                                                                                                        Référence neutre : 2002 CFPI 1331

Ottawa (Ontario), le 31 décembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                    MARY CLANCY

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le défendeur, le ministre de la Santé, sollicite une ordonnance pour que soit radiée la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse à l'égard de la décision rendue le 18 juillet 2002 par le Commissaire à l'information du Canada (CIC). Le défendeur demande aussi les dépens de la requête et, subsidiairement, une prorogation du délai de signification et de production de son affidavit pour le cas où la requête serait rejetée.


Les faits

[2]                 Le 29 septembre 1996, la demanderesse demandait à Santé Canada (le ministère), en application de la Loi sur l'accès à l'information, communication de toutes les pièces de correspondance et rapports concernant la sécurité environnementale du 5e étage de l'édifice Ralston, rue Hollis, à Halifax.

[3]                 Une deuxième demande de communication était présentée le 21 février 1997. La demanderesse voulait [traduction] « ... une liste de toutes les matières dangereuses expédiées vers les laboratoires de la Direction générale de la protection de la santé, ou reçues de tels laboratoires, durant les périodes où elle était employée. Une liste également de tous les produits chimiques et composés chimiques utilisés dans les laboratoires de la Direction générale de la protection de la santé durant les périodes où elle était employée » . La demanderesse a indiqué qu'elle a travaillé à la Direction générale de la protection de la santé en 1969 et en 1988-1989.

[4]                 La demanderesse a reçu une réponse, datée du 6 mars 1997, de la Division de l'accès à l'information et de la coordination (la DAIC) du ministère. La réponse mentionnait que la liste demandée des produits chimiques n'existait plus après une si longue période (c'est-à-dire après plus de 10 ans) et que la requête de la demanderesse ne pouvait donc être honorée.


[5]                 La demanderesse a envoyé d'autres demandes de communication de renseignements en 1997. Elle a été informée par le CIC, dans une lettre datée du 5 juin 1997, que les dossiers qu'elle demandait n'existaient pas parce que ces dossiers sont détruits tous les six ans en application de la loi.

[6]                 La demanderesse a déposé d'autres demandes d'accès à l'information durant la période 2000-2002, pour recevoir de nouveau des réponses négatives de la DAIC. Selon le défendeur, la demanderesse a déposé une plainte auprès du CIC le 31 octobre 2001 ou vers cette date.

[7]                 Le 18 juin 2002, le CIC envoyait à la demanderesse une lettre concernant sa plainte. Dans cette lettre, le Commissaire écrivait :

[traduction]     Eu égard aux entrevues tenues avec plusieurs fonctionnaires du ministère, l'enquête a confirmé que Santé Canada ne conserve pas les documents décrits dans votre demande d'accès, c'est-à-dire les comptes rendus de l'utilisation quotidienne de produits chimiques. Le personnel de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) a pris des mesures spéciales afin que soient explorés tous les moyens possibles dans la recherche des dossiers pertinents. Après examen approfondi de l'affaire durant l'enquête, je suis d'avis que le ministère ne détient pas de documents qui puissent être jugés conformes à votre demande. Mon enquêteur a sollicité vos observations dans cette affaire le 7 mars 2002, en vous demandant de répondre d'ici au 28 mars 2002. Vous n'avez pas envoyé d'autres observations.

  

[8]                 À la suite de cette lettre, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire en application de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information, ainsi formulé :

  


La personne qui s'est vu refuser communication totale ou partielle d'un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l'information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l'expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation. (Non souligné dans l'original)

Any person who has been refused access to a record requested under this Act or a part thereof may, if a complaint has been made to the Information Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Information Commissioner are reported to the complainant under subsection 37(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow. (My emphasis)


La demanderesse sollicite (i) le contrôle judiciaire des décisions du ministre de la Santé et de la « Division de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels de Santé Canada » ; (ii) une déclaration ou une ordonnance enjoignant le ministre de la Santé, le directeur de la Direction générale de la protection de la santé et les employés concernés des laboratoires de la Direction générale de la protection de la santé pour les années 1988-1989 « de comparaître à l'audition de la demande de contrôle judiciaire et de produire la preuve documentaire visée par la demande d'accès à l'information, ainsi que de répondre aux questions » posées par la demanderesse; (iii) les autres redressements nécessaires pour que la demanderesse obtienne les documents et réponses visés par la demande d'accès à l'information et se rapportant à la contamination chimique de l'édifice Ralston.


Point en litige

[9]                 Puisque l'accès à un document demandé en vertu de la Loi sur l'accès à l'information n'a pas été refusé à la demanderesse, l'avis de demande de contrôle judiciaire produit par la demanderesse devrait-il être radié pour défaut de compétence de la Cour?

Analyse

[10]            La Cour a compétence pour rejeter une demande de contrôle judiciaire lorsqu'il n'y a aucune possibilité de succès ou lorsque la demande est frivole, vexatoire ou abusive [David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588]. Pour les demandes introduites en application de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information, il faut que le demandeur se soit heurté à un « refus » d'accès. Sans un « refus » selon cet article, la Cour n'a pas compétence pour statuer sur la demande [Wheaton c. Société canadienne des postes [2000] A.C.F. 1127 en ligne : QL, au paragraphe 7].

[11]            Dans le jugement Wheaton, le demandeur avait fait, en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, une série de demandes portant sur des documents en la possession de Postes Canada. L'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, une disposition examinée dans l'affaire Wheaton, est semblable à l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information, et par conséquent le ratio decidendi du jugement Wheaton est applicable à la présente affaire.


[12]            Dans l'affaire Wheaton, la Société canadienne des postes avait communiqué ce qui, selon elle, représentait l'ensemble des documents en sa possession et se rapportant à la demande. Le protonotaire Hargrave a jugé que, d'après les circonstances de cette affaire, il n'y avait pas eu « refus d'accès » . Il s'est exprimé ainsi :

La jurisprudence établit clairement que, pour se prévaloir de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui est la seule disposition de cette loi à attribuer compétence à la Cour, M. Wheaton doit prouver qu'il s'est vu refuser la communication de renseignements personnels. Non seulement M. Wheaton a omis de plaider pareil refus, mais encore il doit répondre à une solide preuve établissant qu'il a obtenu tous les documents en possession de Postes Canada et il n'a réfuté cette preuve d'aucune façon. Tous ces éléments placent la Cour devant des circonstances exceptionnelles et spéciales, car elle ne peut trancher la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Wheaton que s'il répond aux conditions d'application de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ce qui n'est pas le cas puisque, comme je l'ai mentionné, l'article 41 exige qu'il se soit effectivement vu refuser la communication de renseignements personnels. Pareil refus de communication constitue une condition préalable à la présentation d'une demande en vertu de cette disposition. La demande présentée par M. Wheaton n'a aucune chance d'être accueillie. La demande de contrôle est radiée. (Non souligné dans l'original)

[13]            Dans l'affaire Blank c. Canada (Ministre de l'Environnement) [2000] A.C.F. no 1620, en ligne : QL, le demandeur voulait obtenir des documents qui, selon lui, n'avaient pas encore été communiqués par Environnement Canada. Selon le juge Muldoon, au paragraphe 11, lorsqu'un demandeur prétend que la communication de documents a été refusée, « il doit exister une preuve, il ne doit pas s'agir d'un simple soupçon » . Le fait que le demandeur n'ait pu produire des « éléments de preuve concrets » rendait sa réclamation irrecevable, et « puisque ces allégations ne sont pas vraiment étayées, la demande de révision doit être rejetée pour défaut de compétence étant donné que la législation ne prévoit aucun redressement dans ce cas-ci » . (paragraphe 19).


[14]            La demanderesse affirme que les documents qu'elle recherche existent bel et bien et qu'ils sont tout simplement retenus par le défendeur. Elle dit dans son deuxième dossier de requête qu'elle a prouvé que l'information existe effectivement, information qui [traduction] « constitue une preuve documentaire convaincante annexée à l'avis de demande, notamment : liste des produits chimiques utilisés dans les laboratoires de la DGPS, édifice Ralston; rapport des opérations des laboratoires pour 1978; et rapports d'inspection du gouvernement pour 1970 et 1971 » . La demanderesse affirme qu'elle a obtenu ces documents après avoir été informée par le CIC que les documents qu'elle recherchait étaient détruits au bout de six ans.

[15]            La demanderesse affirme : [traduction] « le fait est que la Direction de l'accès à l'information de Santé Canada a nié l'existence de la preuve demandée, en affirmant qu'elle avait été détruite. Je suis d'avis que cela constitue un refus de communiquer la preuve. C'est la preuve absolue qu'il est très probable qu'il existe d'autres éléments de preuve dans les dossiers de la DGPS et certainement dans les fichiers électroniques des employés de bureau et de laboratoire de la DGPS, en particulier ceux des laboratoires... » .


[16]            Je ne puis accepter les arguments de la demanderesse. Le fait que la demanderesse ait en sa possession les documents susmentionnés - la liste des produits chimiques et les rapports d'inspection gouvernementale remontant aux années 1970 - ne prouve pas que le ministère refuse communication de l'information. La provenance de ces documents est incertaine. Il m'est impossible de dire que, parce qu'elle a les documents, ces documents continuent d'exister au ministère. D'ailleurs, les documents remontent aux années 1970, ce qui s'accorde avec l'affirmation selon laquelle, s'ils sont détruits tous les six ans, alors le ministère ne les a plus. La demanderesse ne présente aucun « élément de preuve concret » à l'encontre des conclusions du CIC selon lesquelles le ministère n'a pas en sa possession de documents susceptibles de correspondre à sa demande. Les affirmations de la demanderesse sont fondées sur des suppositions qui ne sont confirmées par aucune preuve. Elle n'a donc pas prouvé que ses demandes d'accès à l'information ont été « refusées » comme le requiert l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information, et sa demande de contrôle judiciaire n'est pas recevable pour défaut de compétence de la Cour.

Conclusion

[17]            La demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse sera radiée, puisqu'il n'y a pas eu « refus » de communiquer l'information, au sens de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information. La Cour n'a donc pas compétence pour accorder le redressement demandé.


[18]            J'observe que, en l'absence d'un refus d'accès selon la Loi sur l'accès à l'information, c'est le CIC et non la Cour qui est en mesure de recevoir la plainte de la demanderesse et de considérer le redressement qui s'impose. Le dossier ne dit pas clairement si les documents en la possession de la demanderesse, sur lesquels la demanderesse fonde son argument du refus d'accès, ont été portés à l'attention du CIC. Le CIC faisait observer dans sa réponse du 18 juin 2002 que la demanderesse n'avait pas envoyé d'autres observations sur cette question malgré une demande en ce sens de l'enquêteur. Si cela avait été fait, l'existence des documents en la possession de la demanderesse aurait peut-être eu une incidence sur l'enquête du Commissaire.

[19]            Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je n'adjugerai pas de dépens au titre de cette demande.

  

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête est accordée.

2.         La demande de contrôle judiciaire datée du 31 juillet 2002 est radiée;

3.         Il n'est pas adjugé de dépens sur la requête.

   

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                                                                 Juge                               

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                           T-1224-02

INTITULÉ :                                        MARY CLANCY c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ

   

LIEU DE L'AUDIENCE :                 HALIFAX

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 13 NOVEMBRE 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                      LE 31 DÉCEMBRE 2002

   

COMPARUTIONS :

MARY CLANCY                                                                         POUR LA DEMANDERESSE,

EN SON PROPRE NOM

MELISSA R. CAMERON                                                           POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MORRIS ROSENBERG                                                              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.