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                                                                                       Date : 20010920

                                                                                   Dossier : T-655-01

                                                    Référence neutre : 2001 CFPI 1036

ENTRE :

                                  RHOXALPHARMA INC.

                                                                                          demanderesse

                                                    - et -

                          LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                          ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                 défendeurs

                                                         

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]    La Cour statue sur l'appel interjeté par AstraZeneca Canada Inc. (AstraZeneca) d'une décision en date du 13 juillet 2001 par laquelle le protonotaire Lafrenière a refusé d'ordonner au déposant de RhoxalPharma Inc. (RhoxalPharma) de comparaître de nouveau pour répondre aux questions qui lui avaient été posées et auxquelles il avait refusé de répondre lors du contre-interrogatoire sur son affidavit. Cet affidavit avait été déposé à l'appui de la demande de contrôle judiciaire par laquelle RhoxalPharma contestait la décision du ministre de la Santé du Canada (le ministre) de refuser de radier du registre des brevets un certain brevet d'AstraZeneca (le brevet).

[2]    Le brevet canadien 2133762 (762) est inscrit au nom d'AstraZeneca dans le registre que le ministre tient en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement). Le registre contient des inscriptions distinctes, sous le brevet 762 d'AstraZeneca, pour chacune des concentrations de 10 mg, 20 mg et 40 mg de capsules d'oméprazole, pour les comprimés à enrobage entérosoluble de magnésium d'oméprazole en concentrations semblables, ainsi que pour les comprimés de magnésium d'oméprazole à libération prolongée en concentrations de 10 mg et de 20 mg. En conséquence, AstraZeneca possède huit inscriptions pour l'oméprazole et le magnésium d'oméprazole au registre des brevets.

[3]    RhoxalPharma a demandé la radiation du brevet 762 au motif que le titulaire de ce brevet revendique une combinaison d'ingrédients actifs et que ce brevet n'est pas régulièrement inscrit au registre sous la seule rubrique de l'oméprazole. Dans la demande qu'elle a soumise au ministre, RhoxalPharma a soutenu que le brevet 762 devrait être inscrit au registre en tant que produit mixte et que, comme elle cherche à commercialiser uniquement l'oméprazole, elle ne serait pas tenue, aux termes du Règlement, d'envoyer un avis d'allégation à AstraZeneca pour un produit inscrit en tant que produit mixte.


[4]                 Comme je l'ai déjà mentionné, le ministre a rejeté la demande de RhoxalPharma parce qu'il était d'avis que le brevet 762 contenait des revendications portant sur l'utilisation du médicament et que c'était à bon droit qu'il figurait au registre tant pour l'oméprazole que pour le magnésium d'oméprazole.

[5]                 Le 12 avril 2001, RhoxalPharma a introduit une demande de contrôle judiciaire en vue d'obtenir des ordonnances annulant la décision du ministre de refuser de radier le brevet 762 du registre et enjoignant au ministre de radier le brevet 762 du registre relativement à toutes les concentrations et formes posologiques (capsules ou comprimés) de médicaments d'AstraZeneca, à savoir l'oméprazole et le magnésium d'oméprazole.

[6]                 À l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, RhoxalPharma a déposé l'affidavit de M. Len Arsenault, son directeur de la réglementation, qui affirme que cette compagnie de produits génériques a déposé auprès du ministre une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) conformément au Règlement sur les aliments et drogues en vue d'obtenir un avis de conformité qui lui permettrait de vendre son médicament, l'oméprazole.


[7]                 M. Arsenault a été contre-interrogé le 20 juin 2001 au sujet de son affidavit et a affirmé que RhoxalPharma avait déposé une PADN pour des comprimés d'oméprazole de 20 mg.

[8]                 M. Arsenault a été interrogé au sujet de ce produit et des trois autres produits qu'AstraZeneca avait inscrits au registre en liaison avec son brevet 762, à savoir les capsules d'oméprazole, les comprimés de magnésium d'oméprazole et les comprimés de magnésium d'oméprazole compris dans l'ensemble de comprimés à granules (MUPS).

[9]                 M. Arsenault a refusé de répondre aux questions portant sur les produits contenant de l'oméprazole. Son refus de répondre peut être classé sous trois catégories de questions. La première catégorie de questions portait sur la question de savoir si RhoxalPharma avait déposé une présentation de drogue nouvelle (PDN) ou une PADN pour ces produits contenant de l'oméprazole, y compris ceux qui sont vendus en concentrations (10, 20 et 40 mg) pour lesquelles les présentations en question ont été déposées. La seconde catégorie de questions se rapportait à l'état des présentations soumises au ministre de la Santé par RhoxalPharma, et la troisième catégorie de questions concernait l'identité du produit contenant de l'oméprazole auquel RhoxalPharma avait comparé son produit à l'oméprazole proposé pour chacun des produits d'AstraZeneca inscrits au registre.


[10]            Je tiens à signaler, par souci d'exhaustivité, que RhoxalPharma et AstraZeneca sont impliquées dans diverses instances introduites en vertu du Règlement au sujet des comprimés d'oméprazole visés par le brevet canadien 2025668 (le brevet 668). Je précise par ailleurs que c'est au cours de l'année 2000 qu'AstraZeneca a fait inscrire le brevet 762 au registre.

[11]            AstraZeneca a introduit devant le protonotaire Roger Lafrenière (le protonotaire) une requête en vue de contraindre M. Arsenault à répondre aux questions auxquelles il avait refusé de répondre.

[12]            Dans son ordonnance non motivée par écrit du 13 juillet 2001, le protonotaire a refusé de rendre l'ordonnance réclamée par AstraZeneca après avoir appris que RhoxalPharma répondrait aux questions suivantes :

1)         Le ministre a-t-il rejeté la(les) présentation(s) dans laquelle (lesquelles) RhoxalPharma renvoie, à des fins de comparaison, son produit à un des produits d'AstraZeneca?

2)         La(les) présentation(s) de RhoxalPharma est-elle (sont-elles) présentement en instance ?

3)         À quel produit d'AstraZeneca RhozalPharma compare-t-elle ses produits proposés?


THÈSE DE LA DEMANDERESSE

[13]            AstraZeneca interjette appel devant notre Cour de l'ordonnance prononcée par le protonotaire Lafrenière au motif que toutes les questions auxquelles M. Arsenault a refusé de répondre se rapportent à la qualité pour agir qui permettrait à RhoxalPharma de réclamer la radiation du brevet 762 du registre relativement aux diverses concentrations de formes posologiques de capsules d'oméprazole, de comprimés de magnésium d'oméprazole ou de comprimés MUPS de magnésium d'oméprazole.

[14]            AstraZeneca soutient en particulier que, si elle n'a pas de PDN ou de PADN pour une formulation ou une concentration déterminée (la première catégorie de questions), RhoxalPharma n'a peut-être pas la qualité requise pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire, car elle n'est peut-être pas directement touchée par la présence du brevet 762 dans le registre pour toutes les concentrations et formes posologiques. Elle invoque à cet égard les paragraphes 5(1) et 5(1.1) du Règlement.


[15]            AstraZeneca soutient que les questions relatives à l'état actuel d'une PDN ou d'une PADN (la seconde catégorie de questions) se rapportent également à la question de savoir si RhoxalPharma est « directement touchée » au sens de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. AstraZeneca affirme que si la PDN ou la PADN de RhoxalPharma a été rejetée, à défaut de présentation en instance susceptible d'être approuvée pour chacune des drogues pour lesquelles le brevet 762 est inscrit au registre, RhoxalPharma n'a peut-être pas la qualité pour demander la radiation du brevet 762 du registre.

[16]            Pour ce qui est de la troisième catégorie de questions, AstraZeneca affirme que, bien que RhoxalPharma ait accepté de préciser le produit de comparaison pour chacune des présentations, elle n'a pas convenu d'établir un lien entre ce produit et une présentation déterminée. AstraZeneca soutient que la concentration et la forme posologique du produit et le lien avec une présentation déterminée sont des éléments pertinents qui permettent de répondre à la question de savoir si RhoxalPharma a effectué la bonne comparaison et si RhoxalPharma est effectivement directement touchée.

THÈSE DE RHOXALPHARMA


[17]            RhoxalPharma soutient qu'aucune des réponses auxquelles M. Arsenault a refusé de répondre n'est pertinente. RhoxalPharma affirme que l'instance qu'elle a introduite contre le ministre au motif qu'il a inscrit à tort le brevet 762 au registre au cours de l'année 2000 est bien formulée. Elle soutient que le ministre a inscrit le brevet 762 séparément pour l'oméprazole et le magnésium d'oméprazole en diverses concentrations au lieu d'enregistrer ce brevet en le considérant comme portant sur la combinaison de deux ingrédients actifs comme l'indique l'intitulé du brevet 762, en l'occurrence, « association synergique d'une substance ayant pour effet d'inhiber la sécrétion d'acide gastrique et d'un antibiotique dégradable en milieu acide » .

[18]            RhoxalPharma soutient que la question est importante étant donné qu'elle cherche à commercialiser l'oméprazole seul et que, si le brevet avait été inscrit au registre en tant que produit mixte, elle n'aurait pas eu à envoyer un avis d'allégation au sujet d'un brevet inscrit relativement à un produit mixte, parce qu'elle ne le vendrait pas.

[19]            Se fondant sur l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Apotec Inc. et Novopharm Ltd., (1997), 72 C.P.R. (3d) 517, de la Cour d'appel fédérale, RhoxalPharma soutient qu'elle a un intérêt suffisant pour justifier le prononcé de l'ordonnance sollicitée dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[20]            RhoxalPharma n'est pas d'accord avec la thèse d'AstraZeneca, qui soutient qu'elle a un intérêt pour agir uniquement en ce qui concerne la liste de brevets relative au produit de référence déterminé auquel le produit visé par la PADN est comparé. RhoxalPharma fait valoir qu'une fois que la qualité pour agir a été établie, c'est à la Cour qu'il appartient de se prononcer sur la légalité de l'inscription d'AstraZeneca au registre.


[21]            RhoxalPharma affirme que la seule question en litige dans la présente instance en contrôle judiciaire est celle de savoir si un brevet portant sur un produit composé d'une combinaison d'oméprazole et d'un antibiotique peut être inscrit sous l'oméprazole seul. Si l'inscription est irrégulière en ce qui concerne une forme posologique et une concentration d'oméprazole et de magnésium d'oméprazole, elle est irrégulière pour toutes les formes posologiques et concentrations d'oméprazole et de magnésium d'oméprazole.

[22]            Plus précisément, en ce qui concerne la première catégorie de questions relatives à ses PDN et PADN, RhoxalPharma affirme que ces questions ne sont pas pertinentes, compte tenu du libellé du paragraphe 5(1) du Règlement. Elle affirme que c'est l'utilisation d'un produit de référence qui rend nécessaire l'envoi d'un avis d'allégation et que, hormis le fait qu'un produit de référence est mentionné et est utilisé, le contenu de la présentation sous-jacente ne joue aucun rôle dans le processus. Elle soutient qu'elle a de toute évidence déposé un avis de conformité en comparaison ou en référence à un médicament pour lequel il existe une liste de brevets. RhoxalPharma a convenu de divulguer la nature du(des) produit(s) de référence, ce qui permettra à AstraZeneca de déterminer la présumée « portée » de l'intérêt de RhoxalPharma dans la présente instance, ce qui en soi démontre qu'elle a effectivement qualité pour agir. Elle ajoute que le nombre de présentations, qu'elles soient abrégées ou non et qu'elles visent des comprimés d'oméprazole ou des comprimés de magnésium d'oméprazole, des capsules ou des MUPS n'est pas pertinent et ce, indépendamment de leur concentration, et elle affirme que le nombre de présentations ne fera pas progresser le débat sur la question de la qualité pour agir.


[23]            La deuxième catégorie de questions relatives à la qualité pour agir et la question de savoir si la(les) présentation(s) a(ont) été acceptée(s) n'est pas pertinente, vu le libellé du paragraphe 5(2) du Règlement. RhoxalPharma affirme que ce n'est pas l'acceptation d'une présentation qui supprime la nécessité de formuler une allégation mais la délivrance de l'avis de conformité. Elle soutient qu'elle aura la qualité pour agir tant que le brevet 762 continuera à être inscrit au registre. Que sa présentation soit ou non acceptée, un tel avis de conformité ne peut être délivré tant que le brevet 762 n'a pas été examiné. RhoxalPharma affirme toutefois qu'elle est d'accord pour répondre à la partie de la question qui porte sur le rejet d'une présentation qui fait état d'un produit de référence mais elle refuse d'identifier une présentation déterminée autrement que par rapport à un produit de comparaison précis d'AstraZeneca.

[24]            Pour ce qui est de la troisième catégorie, RhoxalPharma a accepté de révéler le(s) produit(s) de référence mentionné(s) dans sa(ses) présentation(s), mais refuse une fois de plus de révéler le nombre de présentations qu'elle a en instance ou la nature des produits dont elle demande l'approbation.

NORME DE CONTRÔLE


[25]            La norme de contrôle applicable a été définie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, à la page 463, où le juge MacGuigan, adoptant la jurisprudence anglaise, a déclaré que « le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants » :

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

[...]

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[26]            De toute évidence, la décision du protonotaire est une décision discrétionnaire et à mon avis, pour les motifs ci-après exposés, elle ne porte pas sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Dans ces conditions, le critère approprié, selon l'arrêt Aqua-Gem, est celui de savoir si la décision du protonotaire est manifestement erronée. Comme le protonotaire n'a pas motivé sa décision, je suis contraint de pousser l'analyse un peu plus loin que je ne serais autrement tenu de le faire (voir le jugement Wellcome Foundation Ltd. et autre c. Novopharm Ltd., (1999), 177 F.T.R. 182)).


ANALYSE

          (1)        Principes applicables

[27]            Je prends comme point de départ ce que le juge Hugessen a écrit dans l'affaire Merck Frosst Canada Inc. et al. c. Ministre de la Santé et al., (1997), 80 C.P.R. (3d) 550, confirmé par la Cour d'appel fédérale à (1999), 3 C.P.R. (4th) 288. Cette affaire portait sur une requête visant à forcer une personne à répondre à des questions et à produire des documents dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex après que la Cour eut rejeté la demande présentée par Merck en vue d'obtenir un bref de prohibition en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

[28]            Au paragraphe 4 de son jugement, le juge Hugessen a exposé certains principes régissant les contre-interrogatoires dans le contexte d'une instance en contrôle judiciaire. Voici ce qu'il écrit :

[4] ] Il convient tout d'abord de rappeler certaines notions élémentaires. Le contre-interrogatoire n'est pas un interrogatoire préalable et il diffère de celui-ci sous plusieurs rapports importants. Plus particulièrement,

a) la personne interrogée est un témoin, et non une partie;

b) les réponses données sont des éléments de preuve, et non des aveux;

c) le témoin peut légitimement répondre qu'il ignore quelque chose; il n'est pas tenu de se renseigner;


d) on ne peut exiger d'un témoin qu'il produise un document que s'il en a la garde ou la possession, les mêmes règles s'appliquant à tous les témoins;

e) les règles relatives à la pertinence sont plus restreintes.

[29]            Le juge Hugessen a ensuite précisé qu'il y a deux types de pertinence : la pertinence formelle et la pertinence juridique. Voici ce qu'il écrit aux paragraphes 7 et 8 de ses motifs de jugement :

[7]    La pertinence formelle est liée aux questions de fait qui opposent les parties. Dans le cas d'une action, ces questions sont délimitées par les actes de procédure, mais dans le cas d'une demande de contrôle judiciaire, où aucun acte de procédure n'est déposé (l'avis de requête lui-même ne devant faire état que du fondement juridique, et non factuel, de la demande de contrôle), elles sont circonscrites par les affidavits que déposent les parties. Le contre-interrogatoire de l'auteur d'un affidavit ne peut donc porter que sur les faits énoncés dans celui-ci ou dans un autre affidavit produit dans le cadre de l'instance.

[8] Toutefois, outre la pertinence formelle, les questions posées en contre-interrogatoire doivent avant tout satisfaire à l'exigence de la pertinence juridique. Même le fait énoncé dans un affidavit produit dans le cadre de l'instance n'est pertinent sur le plan juridique que lorsque son existence ou son inexistence peut contribuer à déterminer si le redressement demandé peut ou non être accordé. (Je laisse de côté les questions visant à miner la crédibilité du témoin, car elles constituent une catégorie à elles seules.) Ainsi, par exemple, il serait très exceptionnel qu'une question se rapportant au nom et à l'adresse, souvent déclinés par le déposant, ait une pertinence juridique, c'est-à-dire qu'elle puisse avoir une incidence sur l'issue du litige.


[30]            Développant ce qu'il avait dit comme membre de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. et al. c. Ministre de la Santé et du Bien-être social et al., (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, une affaire portant sur une demande présentée par Merck en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) en vue d'empêcher la délivrance d'un avis de conformité à Apotex, le juge Hugessen a ensuite analysé le régime réglementaire de commercialisation des médicaments au Canada qui est ancré dans la Loi sur les aliments et drogues et dont l'objectif premier est la santé et la sécurité. Voici ce qu'il écrit aux paragraphes 10 et 11 :

[10]    [...] la loi est claire : en tant que breveté et titulaire d'un avis de conformité à l'égard d'un médicament, Merck n'a pas le droit d'invoquer l'inobservation, par le Ministre, de la Loi sur les aliments et drogues ou de son règlement d'application, en ce qui concerne la délivrance réelle ou projetée d'un avis de conformité à un autre fabricant de médicaments. Plus précisément, Merck ne peut s'opposer à la délivrance à Apotex d'un avis de conformité relatif à un médicament pour lequel elle détient déjà un tel avis parce qu'Apotex ou le Ministre aurait omis de se conformer à cette loi ou à ce règlement [...]

[11] Dans certaines des décisions, on invoque à titre d'expédients des notions comme l'absence de qualité pour agir et la non-justiciabilité, pour décrire cette limitation des droits du breveté [...] Ce n'est pas l'absence de qualité pour agir ou de justiciabilité qui, au sens strict, les empêche de soulever l'inobservation des objectifs de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d'application en matière de santé et de sécurité; ces questions ne les concernent tout simplement pas et ne peuvent être soulevées par elles pour contester la décision du Ministre de délivrer un avis de conformité. Il incombe au Ministre de veiller lui-même à la protection de la santé et de la sécurité publiques, et sa prétendue omission de s'acquitter de ses obligations vis-à-vis d'autres personnes ne confère aucun droit d'ordre privé aux requérantes.

[31]            Le juge Hugessen a ensuite souligné que le Règlement (le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)), dont l'objet est manifestement de faciliter la protection des droits privés commerciaux conférés par le brevet, a été greffé au régime de réglementation des aliments et drogues en tant qu'exception à l'exercice par le ministre de son pouvoir de délivrer un avis de conformité en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, donnant ainsi le feu vert à la commercialisation du médicament au Canada.


[32]            Au sujet du Règlement, le juge Hugessen a écrit ce qui suit :

[...] le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) -- le règlement « de liaison » --, confère aux requérantes Merck le droit, à tout le moins tacite, de contraindre Apotex et le Ministre à se conformer à ce règlement et de s'opposer à la délivrance d'un avis de conformité en cas d'inobservation de ce dernier.

[33]            Le juge Hugessen a autorisé certaines questions sur le fondement de la principale prétention formulée dans la demande de contrôle judiciaire dont il était saisi, en l'occurrence l'inobservation du règlement de liaison découlant de l'absence de synchronisme entre les présentations de drogue nouvelle d'Apotex et les avis d'allégation et les déclarations détaillées qu'elle avait déposés conformément au Règlement.

[34]            À son avis, les questions qui visent à établir le fondement factuel de ces arguments ont une pertinence sur le plan juridique.

[35]            Il est indubitable que la Cour d'appel fédérale continue d'établir une nette distinction entre le champ d'étude permis par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et celui qui découle de la Loi sur les aliments et drogues. Un exemple récent de cette tendance est l'arrêt Merck & Co. Inc., no du greffe A-475-98, 23 septembre 1999, dans lequel le juge Marceau déclare ce qui suit au paragraphe 4 :


[4] . . . LeRèglement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) qui a récemment été pris en application de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, ne doit pas être interprété de façon rigide, sans tenir compte de son intention et de sa portée véritables. Le processus judiciaire qu'il a instauré il y a quelques années à la suite de l'abolition du système de licences obligatoires en vue d'accorder une certaine protection aux titulaires de brevets dont les droits de propriété risquaient d'être violés trop facilement, bien que par inadvertance, est distinct du processus administratif de longue date qui est prescrit par le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, qui a été pris en application de la Loi sur les aliments et drogues et qui vise à satisfaire à certaines exigences en matière d'innocuité et d'efficacité. Certes, les deux processus ne peuvent être déclenchés que par un fabricant de médicaments qui envisage de commercialiser un nouveau produit. Mais rien n'exige qu'ils soient mis en branle simultanément. Le processus judiciaire n'a rien à voir avec le processus administratif et vice-versa. Ce sont des processus parallèles. Ils ne se recoupent que sur le plan de leurs résultats : le ministre ne peut délivrer un avis de conformité sans tenir compte de l'issue des deux processus.

[36]            On trouve un autre exemple dans l'arrêt que la Cour d'appel fédérale a rendu dans l'affaire Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., (1999), 3 C.P.R. (4th) 476 (C.A.F.). Il s'agissait de l'appel d'une décision de la Section de première instance dans laquelle le juge des requêtes avait conclu qu'Eli Lilly n'avait pas prouvé que la délivrance par le ministre d'un avis de conformité à Novopharm emporterait la contrefaçon du brevet en cause. Le juge des requêtes avait également jugé que les documents produits par Novopharm à l'appui de sa présentation de drogue nouvelle (PDN) se rapportant aux formes posologiques de 1 g et de 10 g n'étaient pas complets et que le ministre ne pouvait donc délivrer un avis de conformité qu'à l'égard de la forme posologique de 500 mg. Plus précisément, le juge des requêtes avait estimé que « la mention du médicament sous une forme de posologie dans la présentation de drogue nouvelle [ne respecte pas] les exigences du Règlement et [ne permet pas] de protéger les autres formes de posologie [du médicament] » . Comme la PDN déposée par Novopharm contenait des renseignements détaillés uniquement au sujet de la forme posologique de 500 mg, le juge des requêtes a conclu que le ministre ne pouvait pas juger de l'innocuité et de l'efficacité des formes posologiques de 1 g et de 10 g et délivrer un avis de conformité à leur égard.


[37]            Voici ce que le juge Strayer a déclaré au nom de la Cour dans les motifs du jugement faisant droit à l'appel, aux pages 478 et 479 :

La procédure particulière établie à l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « règlement » ) pour l'obtention d'une ordonnance d'interdiction est liée à la protection des droits conférés par un brevet, et son issue devrait dépendre du bien-fondé des allégations de la seconde personne (en l'occurrence Novopharm) formulées en application de l'alinéa 5(1)b) du Règlement. Les allégations se rapportent toutes à la contrefaçon possible des brevets figurant dans la liste déposée par la première personne (en l'occurrence Lilly). C'est à tort que cette procédure a servi à rendre une ordonnance d'interdiction sur le fondement de la prétendue omission de Novopharm d'établir une PDN appropriée à l'intention du ministre, l'établissement d'une telle présentation suivant le paragraphe 5(1) constituant une étape nécessaire au dépôt d'un avis d'allégation. Après avoir conclu comme il l'a fait que Novopharm n'avait pas déposé une PDN conforme, le juge des requêtes aurait dû refuser de rendre une ordonnance d'interdiction parce qu'il était prématuré de le faire. Il aurait dû tenir pour acquis que le ministre aurait refusé de délivrer un avis de conformité en l'absence d'une PDN conforme et qu'il ne serait pas nécessaire de rendre une ordonnance d'interdiction avant que la PDN ne soit complète.


[38]            Dans l'arrêt Novopharm Ltd., précité, le juge Strayer a souscrit aux propos que le juge Décary avait tenus dans l'arrêt A.B. Hassle c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1999), 3 C.P.R. (4th) 73. Cette affaire portait sur une ordonnance d'interdiction qui avait été prononcée après que Novopharm Ltd. eût retiré son avis d'allégation sans retirer toutefois la présentation de drogue nouvelle qu'elle avait soumise au ministre de la Santé. Le juge Décary a conclu que le retrait de l'avis d'allégation rendait la demande d'interdiction théorique et qu'à la date de l'audition de la demande, le ministre n'était pas en mesure de délivrer un avis de conformité parce que les conditions fixées par le paragraphe 5(3) du Règlement n'étaient plus remplies. Dans ces conditions, a-t-il déclaré, « faute de preuve que, dans un cas donné, le ministre est disposé à ne pas tenir compte de ses obligations juridiques et à outrepasser sa compétence, la Cour ne devrait pas s'engager dans l'audition d'une demande d'interdiction » .

(2)         Application des principes

[39]            Pour déterminer la pertinence de la présente demande visant à forcer le déclarant à répondre aux questions qui lui ont été posées lors de son contre-interrogatoire et auxquelles il a refusé de répondre pour des raisons de pertinence, comme l'avocate d'AstraZeneca l'affirme, il est nécessaire d'examiner « le régime législatif et la nature et la portée de l'instance introduite devant la Section de première instance » (voir l'arrêt Merck Frosst Canada et al. (C.A.F.), 55 C.P.R. (3d) 302, précité, une question que le juge Hugessen a soulignée dans le jugement Merck Frosst Canada Inc. (C.F. 1re inst.) 80 C.P.R. (3d) 550, précité, lorsqu'il a dit, au paragraphe 8 que « même le fait énoncé dans un affidavit produit dans le cadre de l'instance n'est pertinent sur le plan juridique que lorsque son existence ou son inexistence peut contribuer à déterminer si le redressement demandé peut ou non être accordé [...] [et est susceptible d']avoir une incidence sur l'issue du litige » .


[40]            Dans l'appel dont je suis saisi, l'avocate d'AstraZeneca invoque la pertinence au motif surtout qu'elle est susceptible d'avoir une incidence sur la capacité de RhoxalPharma d'obtenir les réparations qu'elle sollicite.

[41]            À cet égard, j'estime que l'argument d'AstraZeneca repose sur une conception erronée de la nature de l'instance que RhoxalPharma a introduite contre le ministre de la Santé, instance à laquelle AstraZeneca est partie.

[42]            À mon sens, RhoxalPharma sollicite le contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Santé d'inscrire le brevet 762 au registre uniquement pour l'oméprazole (ainsi que pour le magnésium d'oméprazole) au motif que ce brevet aurait dû être inscrit en tant que produit mixte, ce qui aurait dispensé RhoxalPharma d'envoyer l'avis d'allégation prévu à l'article 5 du Règlement étant donné que son avis de conformité ne visait que l'oméprazole. En d'autres termes, la prémisse fondamentale sur laquelle repose la demande de contrôle judiciaire de RhoxalPharma est que le ministre a commis une erreur en inscrivant le brevet 762 au registre comme il l'a fait, c'est-à-dire de huit façons différentes et c'est la raison pour laquelle les huit inscriptions en question devraient être radiées.


[43]            L'avocate d'AstraZeneca ne prétend pas, si j'ai bien compris, que RhoxalPharma n'a aucune qualité pour contester la décision du ministre, étant donné que RhoxalPharma a établi qu'elle avait déposé auprès du ministre une PADN et qu'elle cherche à obtenir un avis de conformité pour commercialiser uniquement l'oméprazole en concentrations de 20 mg. RhoxalPharma est directement touchée par la décision du ministre au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[44]            Ce que l'avocate d'AstraZeneca affirme qu'elle a besoin de savoir pour se prononcer sur la qualité pour agir de RhoxalPharma, c'est si RhoxalPharma a des présentations approuvables en instance pour d'autres concentrations et formes posologiques pour lesquelles le brevet 762 est enregistré.

[45]            Je suis d'accord avec l'avocate de RhoxalPharma pour dire que le fait de savoir si RhoxalPharma a des présentations approuvables en instance pour les sept autres drogues et médicaments inscrits au sujet du brevet 762 ne fait pas avancer le débat sur la question de savoir si l'ampleur de l'erreur reprochée au ministre est proportionnelle à la réparation demandée. Ainsi que je l'ai déjà dit, RhoxalPharma a démontré qu'elle est directement touchée par la décision du ministre et il importe peu qu'elle ait des présentations approuvables en instance devant le ministre de la Santé pour d'autres drogues visées par le brevet 762 que l'oméprazole en concentrations de 20 mg.

[46]            En conséquence, les questions posées n'ont aucune pertinence juridique en ce qui concerne l'issue du litige et le présent appel devrait être rejeté.


[47]            Je tiens à préciser que j'interprète l'empressement de l'avocate de RhoxalPharma à fournir certaines réponses au sujet de l'état de ses présentations en instance et de certains autres détails comme une tentative infructueuse de convaincre AstraZeneca qu'elle est directement touchée par la décision du ministre dont elle demande le contrôle judiciaire.

[48]            Finalement, dans la mesure où l'avocate d'AstraZeneca justifie la pertinence sur des questions comme les suivantes : 1) Faut-il soumettre l'avis d'allégation prévu à l'article 5 du Règlement? 2) Quelle forme pourrait revêtir cet avis d'allégation? 3) Une présentation régulière soumise au ministre par RhoxalPharma justifie-t-elle l'envoi d'un tel avis d'allégation? 4) Le bien-fondé de toute comparaison entre la drogue visée par la présentation de RhoxalPharma et le médicament enregistré d'AstraZeneca; 5) La question de savoir si le ministre pourrait délivrer un avis de conformité sans qu'un avis d'allégation ait été déposé, j'estime que ces questions ne sont pas pertinentes car elles sont anticipatives et, partant, prématurées, ou qu'elles empiètent sur le mandat que la Loi sur les aliments et drogues et ses règlements d'application confèrent au ministre ou encore qu'elles reposent sur la présomption injustifiée qu'il agira illégalement sur le fondement de la jurisprudence précitée.


DISPOSITIF

[49]            Pour tous ces motifs, l'appel de la décision rendue le 13 juillet 2001 par le protonotaire est rejeté avec dépens quelle que soit l'issue de la cause.

                                                                                                                        « François Lemieux »   

                                                                                                                                                                                                         

                                                                                                                                                    Juge             

OTTAWA (ONTARIO)

LE 20 SEPTEMBRE 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20010920

Dossier : T-655-01

OTTAWA (ONTARIO) LE 20 SEPTEMBRE 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                    RHOXALPHARMA INC.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                         - et -

                                               LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                               ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                       défendeurs

                                                              ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, l'appel de la décision rendue le 13 juillet 2000 par le protonotaire est rejeté avec dépens quelque que soit l'issue de la cause.

                                                                                                                        « François Lemieux »   

                                                                                                                                                                                                        

                                                                                                                                                    Juge             

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  T-655-01

INTITULÉ :                                          RhoxalPharma

c.

Le Ministre de la Santé et

AstraZeneca Canada Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 23 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                        Le 20 septembre 2001

COMPARUTIONS :

Marie Lafleur                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

(514) 397-7529

Daphne Ripley                                                     POUR LES DÉFENDEURS

(416) 593-5514

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marie Lafleur                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

(514) 397-7529

Daphne Ripley                                                     POUR LES DÉFENDEURS

(416) 593-5514

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