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Date : 20031024

Dossier : T-1755-01

Référence : 2003 CF 1248

ENTRE :

                                                          GLAXOSMITHKLINE INC.

                                                  et SMITHKLINE BEECHAM P.L.C.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

                                                                 GENPHARM INC.

                                                    et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                              (Motifs d'ordonnance confidentiels rendus le 3 octobre 2003)

LA JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION


[1]                 GlaxoSmithKline Inc. et SmithKline Beecham P.L.C. (GSK ou les demanderesses) cherchent à obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité en vertu de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, à Genpharm Inc. (Genpharm ou la défenderesse) avant l'expiration des lettres patentes canadiennes 1,287,060 (le brevet 060). Genpharm demande la délivrance d'un avis de conformité à l'égard de ses comprimés de chlorhydrate de paroxétine en concentrations de 10 mg, 20 mg et 30 mg.

LE BREVET

[2]                 Le brevet 060, intitulé [traduction] « Chlorhydrate cristallin de paroxétine » , a été déposé au Bureau canadien des brevets le 23 octobre 1986. Il revendique la priorité à l'égard de demandes déposées devant le British Patent Office le 25 octobre 1985. Le brevet 060 a été délivré par le Bureau canadien des brevets le 30 juillet 1991. Comme le brevet a été déposé au Canada avant le 1er octobre 1989, il est régi par les dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, qui étaient alors en vigueur.

[3]                 Le brevet 060 vise le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté et ses procédés d'obtention et d'utilisation comme agent thérapeutique sous une forme acceptable sur le plan pharmaceutique. Dans la présente demande, GSK ne s'oppose qu'à la revendication 10 du brevet. La revendication 10, qui porte sur une composition de matières, indique :

10             [traduction] Chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté


[4]                 Le brevet 060 a déjà été examiné par la Cour : voir la décision de la juge McGillis dans l'affaire Smithkline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 99 (C.F. 1re inst.), confirmée par (2001), 267 N.R. 101 (C.A.F.). Plus récemment, le brevet 060 a été traité dans la décision GlaxoSmithKline Inc. et SmithKline Beecham P.L.C. c. Apotex Inc. et Le ministre de la Santé, 2003 CFPI 687, encore que cette décision concernait principalement un autre brevet de GSK, soit les lettres patentes canadiennes 2,214,575 (le brevet 575). À l'origine, la présente procédure incluait le brevet 575 et les lettres patentes canadiennes 2,178,637 (le brevet 637). Au début de l'audience, GSK a retiré sa demande à l'égard des deux autres brevets, en partie tout au moins, en raison de la décision GlaxoSmithKline c. Apotex, précitée, 2003 CFPI 687, publiée la veille de l'audience.

Le chlorhydrate de paroxétine

[5]                 Le chlorhydrate de paroxétine est un inhibiteur de la recapture de la sérotonine utilisé dans le traitement de la dépression et de l'anxiété. Le brevet initial qui a divulgué pour la première fois le médicament paroxétine était le brevet américain n º 4,007,196 (le brevet américain 196), délivré le 8 février 1977 à une société danoise ayant pour dénomination Ferrosan. Ce brevet divulguait une classe de composés qui étaient des inhibiteurs de la 5-hydrotryptamine (5-HT) et leur utilisation thérapeutique comme antidépresseurs.

[6]                 Deux articles rédigés par des employés de Ferrosan, Lund et al., et publiés en 1979 et 1982, décrivaient le chlorhydrate de paroxétine comme un nouveau médicament dont il était établi qu'il avait un effet antidépresseur. Ces articles sont annexés à l'affidavit de M. Story, versé au dossier de la demande des demanderesses.

[7]                 Dans un article postérieur publié en 1988, [traduction] « Formes de chlorhydrate de paroxétine à l'état solide » , Buxton et al. ont décrit deux formes différentes de paroxétine à l'état solide :

[traduction] Le chlorhydrate de paroxétine existe sous deux formes solides, se distinguant par leur degré d'hydratation. La forme I est un hémihydrate non hygroscopique, la plus stable au point de vue thermodynamique. La forme II est un composé hygroscopique anhydre, dont la teneur en humidité est régie par l'humidité ambiante. La forme II est convertie en forme I s'il y a présence de cristal germe de forme I, si elle est exposée à des conditions humides ou encore si elle est soumise à une compression.

[8]                 Le composé chimique en cause dans la présente procédure se trouve sous forme solide, « cristalline » . Lorsqu'on incorpore de l'eau dans le cristal, on obtient un « hydrate » . Lorsque le rapport nombre de molécules d'eau/nombre de molécules de composé est 1:1, ce dernier est appelé « monohydrate » . Lorsque ce rapport est 0,5:1, le composé est un « hémihydrate » . S'il n'y a pas présence d'eau dans la structure cristalline, le composé est dit « anhydre » . Le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté est donc une forme cristalline solide de chlorhydrate de paroxétine, où une demi-molécule d'eau est liée à chaque molécule de chlorhydrate de paroxétine comme composante structurelle du réseau cristallin. Même si la forme anhydre ne renferme pas d'eau comme composante dans sa structure cristalline, elle est hygroscopique, ce qui signifie qu'elle a tendance à attirer l'humidité. L'environnement dans lequel se trouve la forme anhydre peut donc influer sur la teneur en humidité du composé. La différence entre la forme anhydre et la forme hémihydratée du chlorhydrate de paroxétine a été abordée par la juge McGillis dans la décision SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc., précitée, au paragraphe 13.

[9]                 Selon cette description, il existe une différence entre les formes cristallines anhydre et hémihydratée. On a suggéré que cette différence s'expliquait par le caractère dominant de la forme plus stable, l'hémihydrate, sur la forme moins stable, l'anhydre. On a dit dans la présente procédure que ce caractère dominant donne naissance au phénomène de [traduction] « disparition de formes cristallines » . L'une des explications fournies au phénomène est l' « ensemencement » , c'est-à-dire la croissance dans l'environnement de germes d'une forme cristalline donnée.

[10]            L' « ensemencement » peut être délibéré, c'est-à-dire résulter de l'introduction délibérée de germes de la forme cristalline recherchée dans le système où se produit la cristallisation. Il peut y avoir un ensemencement spontané dans le cas où les germes d'une forme cristalline particulière sont présents dans l'environnement et contaminent la structure moléculaire, la convertissant dans la forme cristalline des germes. La notion d' « ensemencement » est pertinente dans le cadre de la présente procédure puisque la capacité de Genpharm de produire une forme anhydre de chlorhydrate de paroxétine est une question critique.

L'AVIS D'ALLÉGATION


[11]            Par lettre datée du 17 août 2001, Genpharm a signifié un avis d'allégation à GSK au sujet des brevets en vertu de l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Genpharm a allégué que six des brevets figurant dans la liste de GSK soumise au ministre sont invalides et que quatre ne seront pas contrefaits par le produit de Genpharm.

[12]            Dans l'avis d'allégation, Genpharm a déclaré qu'elle cherche à commercialiser des comprimés administrés par voie orale contenant du chlorhydrate de paroxétine en concentrations de 10, 20 et 30 mg. Genpharm a joint à l'avis d'allégation deux déclarations détaillées, l'une au sujet du brevet 060 et l'autre au sujet des brevets 637 et 575. Ces pièces jointes exposent de manière détaillée le fondement des allégations de l'avis d'allégation.

[13]            Genpharm identifie le produit envisagé comme une forme de chlorhydrate de paroxétine anhydre obtenu par solvatation. Les comprimés de Genpharm sont fabriqués en Australie avec du chlorhydrate de paroxétine anhydre comme principe actif. Cet ingrédient est mêlé à d'autres composants non médicamenteux de la formulation, appelés collectivement « excipients » , par un processus de compression par voie sèche.

[14]            Genpharm prétend que son produit contiendra une forme anhydre de chlorhydrate de paroxétine et non une forme hémihydratée.


[15]            Le 4 octobre 2001, les demanderesses ont déposé une demande auprès de la Cour pour obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi) et de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à la défenderesse. En réponse à l'avis d'allégation de Genpharm, GSK soutient que le brevet 060 est valide et sera contrefait par le produit de Genpharm.

LE TÉMOIGNAGE DES EXPERTS

[16]            GSK et Genpharm ont toutes les deux produit une preuve par affidavit, notamment des témoignages d'expert, à l'appui de leurs positions respectives. GSK a déposé les affidavits des experts suivants : Victor W. Jacewicz, John E. Richardson, Kurt Justin Baldwin, Thomas M. Niemczyk, Stephen Byrn et Gerald Brenner.

[17]            Genpharm a déposé les affidavits des experts suivants : Michael Story, Antony Godwin, James Durig, Dennis V. Stynes et Elias Ndzie.

[18]            GSK a procédé à des analyses du produit de Genpharm, précisément d'une quantité de 50 mg du produit en vrac fabriqué en Australie, de comprimés non commerciaux en concentrations de 10 mg, 20 mg et de 30 mg ainsi que de comprimés commerciaux en concentration de 20 mg.


[19]            Le produit en vrac a été analysé par Thomas Niemczyk, expert en chimie analytique. Il a utilisé une technique appelée « moindres carrés partiels » et a analysé les données du spectre infra-rouge. Il en est arrivé à la conclusion que le produit en vrac contenait une quantité décelable d'hémihydrate, suffisante pour produire l'ensemencement. Dans son affidavit, il précise ce qui suit :

[traduction] D'après mon rapport , annexé comme pièce B, il est clair que le produit en vrac de Genpharm contient une certaine quantité de chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté comme le spécifie la revendication 10 du brevet 060 et comme il est décrit à la figure 2 du même brevet. Mes expériences ont montré que le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté est présent dans l'échantillon de produit en vrac de Genpharm à une teneur de 0,18 " 0,08 % (0,08 est l'écart-type pour cinq analyses répétées)[1].

[20]            Monsieur Baldwin, chimiste spécialiste en chimie analytique et expert en spectroscopie, a analysé des échantillons de comprimés tant commerciaux que non commerciaux. Il croit comprendre que les comprimés non commerciaux étaient quantitativement et qualitativement identiques aux comprimés commerciaux. M. Baldwin a utilisé la technique de la microscopie Raman. Il a décrit celle-ci comme étant une méthode qui permet de caractériser la structure moléculaire d'après les fréquences de vibration des molécules. M. Baldwin estime qu'il s'agit d'une technique offrant la sensibilité voulue pour déceler le médicament dans les comprimés pharmaceutiques, car le médicament produit habituellement un signal Raman plus fort que les excipients qui généralement l'entourent. La structure moléculaire de la substance est déterminée en comparant le spectre Raman obtenu aux spectres enregistrés de substances déjà caractérisées et de produits de référence.

[21]            Il a déterminé que, dans le cas des comprimés non commerciaux de 10 mg, entre 0,86 % et 17,59 % présentaient l' « empreinte » du chlorhydrate de paroxétine hémihydraté. M. Baldwin a obtenu une empreinte se situant entre 0,86 % et 21,76 % pour le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté et le chlorhydrate de paroxétine anhydre combinés dans les comprimés de 10 mg qu'il a analysés. Il n'a pas décelé la présence de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté dans les comprimés non commerciaux de 20 mg et 30 mg.

[22]            Monsieur Baldwin a trouvé du chlorhydrate de paroxétine hémihydraté dans tous les comprimés commerciaux de 20 mg analysés. Les quantités variaient de 1,00 % à 28,57 % pour le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté, et de 3,48 % à 48,39 % pour le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté et le chlorhydrate de paroxétine anhydre combinés.

[23]            Monsieur Byrn est un expert en chimie des solides, notamment en chimie des cristaux, en chimie pharmaceutique et en techniques de procédés, de polymorphisme et en techniques analytiques. Il a étudié les rapports et les affidavits de M. Niemczyk et de M. Baldwin, qui ont analysé respectivement le produit en vrac et les comprimés de Genpharm. M. Byrn a traité la question de l'invalidité du brevet 060 au motif de l'évidence et fait des observations sur certaines publications sur lesquelles s'est appuyée Genpharm à ce sujet. Il a conclu que les techniques d'analyse employées par M. Niemczyk et M. Baldwin étaient des outils analytiques appropriés.

[24]            Monsieur Byrn a conclu que la présence partielle de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté dans les produits de Genpharm, à savoir le produit en vrac et les comprimés, correspondait au phénomène de l'ensemencement et de la conversion. L'ensemencement est relié à la conversion de la forme anhydre en forme hémihydratée. Il a dit que toute quantité présente a la faculté d'agir comme germe pour produire la croissance de cristaux de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté.

[25]            Monsieur Byrn a rejeté l'argument de l'invalidité sur le fondement de l'antériorité et établi qu'avant la première préparation de l'hémihydrate, la personne qui fabrique du chlorhydrate de paroxétine aurait produit un anhydre ou une forme amorphe de chlorhydrate de paroxétine. Cela diffère des développements postérieurs à la découverte de la forme hémihydratée, étant donné que le forme hémihydratée affecte la capacité de conversion de l'anhydre. Il a conclu que le brevet 196 et les articles Lund n'enseignaient pas la fabrication du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté.

[26]            Monsieur Jacewicz est un spécialiste de la chimie de synthèse qui travaille pour GSK. Il a participé en qualité de chimiste au développement du chlorhydrate cristallin de paroxétine. Il a traité la question de l'ensemencement et déclaré qu'il croyait [traduction] « hautement improbable, voire impossible » de recréer certaines formes cristallines attribuables à la présence d'un ensemencement étendu.

[27]            M. John Richardson, l'un des inventeurs désignés dans le brevet 060, a déposé un affidavit où il décrit la découverte du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté au milieu de décembre 1984. À l'époque, M. Richardson et d'autres personnes préparaient des lots de chlorhydrate de paroxétine. Les 22 premiers lots contenaient du chlorhydrate de paroxétine anhydre, mais le lot 23, de manière imprévue, contenait la forme cristalline de l'hémihydrate. Cette forme nouvelle s'est révélée stable et non hygroscopique, et d'une teneur en eau uniforme. Par la suite, M. Richardson et d'autres scientifiques de GSK ont été incapables de produire de l'anhydre hygroscopique, le procédé ne donnant que du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté.

[28]            Monsieur Brenner, expert en chimie organique détenant une expérience particulière des formes cristallines et polymorphes des composés, a été appelé à donner une opinion sur les allégations d'invalidité soulevées par Genpharm au sujet du brevet 060. Dans son rapport, il a passé en revue certains documents, notamment la décision de la juge McGillis Smithkline Beecham Inc. c. Apotex, précitée, les affidavits de M. Richardson, de M. Jacewicz, de M. Niemczyk et de M. Baldwin ainsi que le procédé de formulation de Genpharm. Il a formulé des observations sur l'ensemencement et la conversion. Il a interprété la revendication 10 du brevet de la manière suivante :

[traduction] À la lumière de ce qui précède, j'interprète la revendication 10 comme incluant le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté fabriqué par tout procédé, notamment par cristallisation ou recristallisation, avec ou sans ensemencement, par l'effet du hasard ou d'une autre manière, et par conversion du chlorhydrate de paroxétine anhydre sous pression ou dans le temps.

[29]            Il a exprimé l'avis que le brevet 060 était valide, nonobstant le brevet 196 et les deux articles Lund. Il a conclu également que le brevet 060 serait contrefait par le produit de Genpharm, au motif que le produit en vrac de Genpharm contient suffisamment d'eau pour permettre la conversion d'environ 86 % de ce produit en chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté. Il a conclu, sur la foi des analyses de MM. Niemczyk et Baldwin, que le produit de Genpharm serait une contrefaçon du brevet 060 du fait [traduction] « qu'une certaine partie » de chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté était décelée dans le produit en vrac ainsi que dans les comprimés non commerciaux et commerciaux.

[30]            Il a rejeté les expériences menées par Genpharm, exposées dans un document intitulé « Investigations » , daté du 29 mars 2001, essentiellement parce que ces analyses ont été conduites après l'apparition du nouveau polymorphe, le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté, parce que le nouveau polymorphe plus stable, par la voie du procédé d'ensemencement, nuirait à la production réussie du polymorphe antérieur moins stable, soit le chlorhydrate de paroxétine anhydre. M. Brenner a fait des observations sur la possibilité d'une conversion vraisemblable du produit en vrac de Genpharm en chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté.


[31]            Genpharm a répondu aux témoignages des experts présentés par GSK par des témoignages parallèles de ses experts. En réponse à M. Niemczyk et à M. Baldwin, elle a déposé l'affidavit de M. Durig, expert en chimie analytique possédant de l'expérience en infrarouge et en spectroscopie Raman. On lui a demandé des observations sur les trois analyses décrites dans le brevet 060 pour caractériser le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté et leur usage à la date de la délivrance du brevet 060, soit le 30 juillet 1991. Il a également fait des commentaires sur la technique de la microscopie Raman, la décrivant comme un outil de laboratoire plutôt qu'un outil analytique. Il a déclaré qu'elle était moins sensible que l'infrarouge.

[32]            Monsieur Durig a également examiné la fiche maîtresse du médicament du chlorhydrate de paroxétine anhydre qu'il croyait être la matière première des produits de Genpharm. Il s'est dit d'avis que la matière première de Genpharm, selon les tableaux de la fiche maîtresse du médicament, n'est pas le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté et, en outre, que rien n'établit que la matière première contient du chlorhydrate de paroxétine hémihydraté.


[33]            Monsieur Durig se réfère aux analyses de la matière première de Genpharm à l'aide des trois méthodes décrites dans le brevet 060, soit la spectroscopie infrarouge, la calorimétrie à balayage différentiel (CBD) et la diffraction des rayons X. Ces résultats sont consignés dans la fiche maîtresse du médicament. Il a comparé les résultats de la fiche avec les données pour les mêmes analyses correspondant au brevet 060 et a constaté des différences entre la matière première de Genpharm et la substance décrite dans le brevet 060. Il décrit les différences, au niveau de la CBD, comme [traduction] « importantes » et, au niveau de la diffraction des rayons X, comme [traduction] « énormes » . D'après les différences observées lorsque les méthodes du brevet 060 étaient utilisées avec la matière première de Genpharm, il en est arrivé à la conclusion que la matière première analysée n'était pas la même que celle qui est décrite dans le brevet.

[34]            Monsieur Durig a aussi fait des observations sur les affidavits de M. Niemczyk et de M. Baldwin. S'agissant de M. Niemczyk, il a critiqué le choix fait par celui-ci de l'outil analytique, la technique des moindres carrés partiels d'analyse infrarouge. Il a dit qu'elle ne convenait pas à la micro-analyse, soit moins de 1 %, dans les cas où l'échantillon comporte des variantes importantes. Il a également critiqué les conclusions de M. Niemczyk concernant la quantité de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté présente dans le produit en vrac de Genpharm, soit 0,18 % " 0,11 %. M. Durig a exprimé d'autres critiques à l'égard de la méthodologie et des conclusions de M. Niemczyk.

[35]            De même, M. Durig a critiqué le choix d'analyse de M. Baldwin, la microscopie Raman. Selon lui, cette méthode n'est pas identifiée dans le brevet 060 comme mode d'identification du chlorhydrate de paroxétine hémihydraté. Il note aussi la différence des résultats de M. Baldwin dans son analyse des comprimés, où il détecte du chlorhydrate de paroxétine hémihydraté dans les comprimés non commerciaux de 10 mg, aucun dans les comprimés non commerciaux de 20 mg et de 30 mg, et une [traduction] « certaine quantité » dans tous les comprimés commerciaux de 20 mg. M. Durig dit que ces résultats diffèrent tellement des résultats des analyses du produit en vrac de M. Niemczyk qu'on ne peut accorder crédit aux procédures des experts dans les deux cas.


[36]            Monsieur Stynes, chimiste expert en chimie organique et dans les formes cristallines, a traité la question de la disparition de formes cristallines et présenté des observations sur la preuve de GSK dans ce domaine, en particulier sur les affidavits de M. Jacewicz, de M. Richardson et de M. Brenner. Il a rejeté la théorie de la disparation de polymorphes en disant qu'elle n'avait aucun fondement scientifique théorique ou pratique. Il fait des commentaires, en particulier, sur une publication antérieure de M. Jacewicz dans laquelle l'auteur [traduction] « démystifiait » la théorie de la disparition de polymorphes. M. Stynes a également émis l'opinion qu'il est toujours possible de créer la forme antérieure existante, soit la forme anhydre de chlorhydrate de paroxétine et que si tel n'est pas le cas, il faut l'imputer aux activités de GSK qui ont contaminé l'environnement avec la forme hémihydratée, sans possibilité de confinement, semble-t-il.

[37]            Monsieur Story est un chimiste qui travaille actuellement comme conseil auprès de la branche pharmaceutique. Il a élaboré la déclaration détaillée relative au brevet 060 jointe à l'avis d'allégation de Genpharm. Il s'est dit d'avis que la revendication 10 du brevet avait été antériorisé, en particulier dans le brevet 196 et les deux articles Lund. Pour cette raison, il a conclu que le brevet 060 est invalide.

[38]            Monsieur Story a également fait des observations sur les témoignages de M. Byrn, de M. Brenner, de M. Jacewicz et de M. Richardson au sujet du brevet 060. Il conteste leurs conclusions, en particulier en ce qui touche la « disparition » de la forme anhydre.


LES QUESTIONS EN LITIGE

1.          L'avis d'allégation est-il déficient?

2.          Comment faut-il interpréter la revendication 10 du brevet 060?

3.          L'allégation de Genpharm d'invalidité du brevet 060 est-elle fondée?

A) Sur le plan de l'évidence

B) Sur le plan de l'antériorité

4.          L'allégation de Genpharm selon laquelle son produit ne contrefera pas le brevet 060 est-elle justifiée?

LA NATURE DE LA PROCÉDURE

[39]            La présente demande vise à empêcher la délivrance d'un avis de conformité à la défenderesse pour son produit contenant du chlorhydrate cristallin de paroxétine anhydre. Les demanderesses attaquent l'avis d'allégation de la défenderesse au motif que les allégations d'invalidité et d'absence de contrefaçon du brevet 060 ne sont pas fondées.

[40]            L'avis de conformité confère une autorisation de commercialisation de médicaments au Canada. Il est délivré par le gouvernement fédéral, ce qui indique que toutes les conditions prescrites par le Règlement sur les aliments et drogues pour la protection de la santé et de la sécurité du public ont été remplies. Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) autorise les titulaires de brevets de produits pharmaceutiques à soumettre une « liste de brevets » à l'égard des produits pour lesquels un avis de conformité leur a été délivré. Le Règlement sur l'avis de conformité désigne la personne qui soumet cette liste comme la « première personne » . En l'espèce, les demanderesses sont la « première personne » .

[41]            Le cadre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) permet aux fabricants de médicaments génériques de s'appuyer sur l'autorisation antérieure d'un produit pharmaceutique connexe lorsqu'ils demandent l'autorisation de commercialiser la forme générique des produits. Les fabricants qui produisent le même médicament peuvent déposer une demande d'avis de conformité qui fait référence à l'autorisation délivrée à la version du médicament d'origine et s'appuie sur elle. Ce fabricant est désigné la « seconde personne » et c'est la qualité de la défenderesse.


[42]            Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité avant l'expiration de tous les brevets pertinents de produit ou d'exploitation reliés au médicament antérieurement autorisé, tels qu'ils sont décrits dans la liste de brevets. Par conséquent, la seconde personne doit, soit attendre l'expiration du brevet avant la délivrance d'un avis de conformité, soit présenter un avis d'allégation au ministre avec la présentation de drogue nouvelle.

[43]            Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) prévoit que l'avis d'allégation est signifié à la première personne. L'article 5 expose les fondements sur lesquels doit s'appuyer l'avis d'allégation. En résumé, l'avis d'allégation doit déclarer soit que la première personne n'est pas le breveté, soit que le brevet est expiré ou n'est pas valide, soit encore que le brevet ne serait pas contrefait en cas de délivrance de l'avis de conformité.

[44]            Après la signification de l'avis d'allégation, le ministre peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne, à moins que la première personne ne fasse valoir son droit, en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), de demander une ordonnance de la Cour fédérale du Canada interdisant au ministre de délivrer l'avis de conformité. Cette mesure doit être prise par la première personne dans un délai de 45 jours de la réception de l'avis d'allégation et une fois cette procédure engagée, la délivrance d'un avis d'allégation à la seconde personne est suspendue pour un délai maximal de vingt-quatre mois.


[45]            Avant d'examiner les aspects spécifiques de l'espèce, je vais brièvement étudier la jurisprudence applicable au fardeau de la preuve et la question à trancher dans une procédure relative à un avis de conformité. Il est bien établi que la charge d'établir que les allégations de la seconde personne, en l'occurrence Genpharm, ne sont pas fondées repose sur la personne qui demande l'ordonnance d'interdiction, GSK en l'espèce. GSK doit établir, suivant la prépondérance de la preuve, que les allégations de Genpharm ne sont pas justifiées. Genpharm doit mettre en jeu les allégations de son avis d'allégation. Cependant, cela fait, GSK est tenue d'établir que ces allégations ne sont pas fondées, suivant la prépondérance de la preuve : voir les arrêts Eli Lilly Co. c. Nu-Pharm Inc. (1996), 69 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.) et la décision SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2001] 4 C.F. 518 (1re inst.), confirmée par (2002), 291 N.R. 168 (C.A.F.).

[46]            Deuxièmement, la Cour doit décider si les allégations d'invalidité et de non-contrefaçon de Genpharm sont ou ne sont pas justifiées. Dans l'arrêt Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a fait les observations suivantes, à la page 216, au sujet de la norme applicable dans ce type de procédure :

... ces procédures ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d'un brevet : il s'agit plutôt de procédures visant à établir si le ministre peut délivrer un avis de conformité. Cette décision doit être axée sur la question de savoir si la société générique fait valoir des allégations suffisamment bien fondées pour appuyer la conclusion tirée à des fins administratives (la délivrance d'un avis de conformité) que la mise en marché du produit générique ne violerait pas le brevet du requérant.

LE CARACTÈRE SUFFISANT DE L'AVIS D'ALLÉGATION

[47]            Le paragraphe 5(1) et l'alinéa 5(3)a) Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) disposent :


5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité. ...

5. (1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

(b) allege that

(i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed. ...

5(3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée aux alinéas (1)b) ou (1.1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :

a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde; ...

5(3) Where a person makes an allegation pursuant to paragraph (1)(b) or (1.1)(b) or subsection (2), the person shall

(a) provide a detailed statement of the legal and factual basis for the allegation; ...


[48]            L'avis d'allégation de Genpharm satisfait-il à cette condition du Règlement, en fournissant le droit et les faits sur lesquels Genpharm fonde ses allégations d'invalidité et de non-contrefaçon?

[49]            Dans l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a déclaré au paragraphe 23 :

L'intimée prétend que la liste des antériorités de l'énoncé détaillé ne se veut pas exhaustive, d'où la présence du mot « notamment » , de telle sorte que subsistait la possibilité d'ajouter à cette liste dans le cadre de l'instance relative à la demande visée à l'article 6. Je suis toutefois d'opinion que l'alinéa 5(3)a) n'envisage pas cette possibilité. L'intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l'énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6. La présente Cour a déjà prévenu des personnes dans la position de l'intimée qu'elles assument le risque qu'une allégation en particulier puisse ne pas être conforme au Règlement et que les lacunes ne puissent pas être comblées par le tribunal dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6.

[50]            S'appuyant sur l'arrêt AB Hassle, précité, ainsi que sur la décision Hoffman-La Roche Ltd. et al. c. Apotex Inc. et al. (1997), 72 C.P.R. (3d) 480 (C.F. 1re inst.), confirmée par (1998), 82 C.P.R. (3d) 284 (C.A.F.), les demanderesses disent que la défenderesse n'a pas inclus dans son avis d'allégation certaines questions maintenant soulevées dans l'argumentation juridique. Par conséquent, GSK fait valoir que Genpharm ne devrait pas être autorisée à affirmer que de nouvelles antériorités, dont il n'est pas fait mention dans l'avis d'allégation, invalident le brevet 060. GSK soutient aussi que l'avis d'allégation est déficient du fait qu'il n'indique pas les articles de loi sur lesquels Genpharm comptait se fonder.


[51]            La défenderesse fait valoir que l'avis d'allégation, notamment l'énoncé détaillé relatif aux revendications du brevet 060, n'est pas insuffisant dans la mesure où GSK n'est pas tenue dans l'ignorance des véritables fondements des allégations de la défenderesse portant qu'il n'y aurait pas contrefaçon du brevet et que le brevet est invalide. La défenderesse s'appuie sur la décision Merck Frosst Canada Inc. et al. c. Ministre de la Santé et al. (2000), 8 C.P.R. (4th) 87 (C.F. 1re inst.), confirmée par (2001), 12 C.P.R. (4th) 447 (C.A.F.). Dans cette décision, le juge Muldoon a déclaré au paragraphe 10 :

En réponse au reproche des demanderesses, l'avocat d'Alcon signale plusieurs allégations de fait de l'avis d'allégation qui, à son avis, pourraient justifier une allégation de non-contrefaçon, si elles étaient tenues pour avérées. Il appelle en particulier l'attention sur les allégations suivantes : le produit d'Alcon contient de la gomme xanthane et cette gomme ne subit pas une transition de phase liquide-gel, se gélifiant in situ sous l'effet d'une augmentation de la force ionique et les demanderesses ont déjà admis le second fait allégué. Comme les demanderesses le soulignent, ces allégations ne pèchent pas par excès de précision. Elles satisfont toutefois aux exigences de l'alinéa 5(1)a) du Règlement, car elles justifieraient l'allégation de non-contrefaçon d'Alcon si on les tenait pour véridiques. Elles précisent par ailleurs le terrain du débat sur lequel les demanderesses auraient à combattre l'allégation de non-contrefaçon d'Alcon si elles choisissaient ce parti. L'allégation de non-contrefaçon n'est pas, en d'autres termes, une simple assertion vague.

[52]            La défenderesse soutient que dès que le demandeur présente une argumentation dans une procédure d'avis de conformité, le défendeur doit être autorisé à déposer une preuve en réponse. La preuve qui est nouvelle et ne devrait pas être autorisée, selon les demanderesses, doit donc être considérée comme une preuve déposée en réponse à la preuve et à l'argumentation des demanderesses. C'est la position qu'a tenue le juge Muldoon dans la décision Merck Frosst, précitée, au paragraphe 11.

[53]            Au terme de mon examen de l'avis d'allégation, qui comporte un énoncé détaillé écrit de M. Story, je conclus que l'avis d'allégation expose de manière suffisante les faits et le droit sur lesquels se fondent les allégations de la défenderesse.

[54]            L'énoncé détaillé déposé par la défenderesse soulève clairement des allégations d'invalidité fondées sur l'antériorité et la nouveauté à l'égard de la revendication 10. L'énoncé détaillé renvoie à trois antériorités pour l'allégation d'antériorité. Il renvoie aux trois mêmes antériorités et à deux autres brevets américains pour l'allégation d'évidence.

[55]            L'énoncé détaillé soulève également la question de l'absence de contrefaçon. Bien qu'il ne soit pas précisément fait mention de l'argument de l'applicabilité de la règle de minimis dans l'appréciation de la contrefaçon, cet argument est à mon avis inhérent à l'allégation générale de non-contrefaçon. Les demanderesses ont en effet soutenu que toute contrefaçon est interdite et qu'elles ne sont pas prises au dépourvu par la subtilité que représente l'argument de minimis.

[56]            Les demanderesses ont longuement développé l'argument selon lequel la défenderesse n'aurait pas traité l'alinéa 27(1)a) de la Loi antérieure à 1989. Elles ont présenté des observations sur cette disposition de la loi.

[57]            L'énoncé détaillé expose clairement les motifs du paragraphe 27(1) qui fondent l'allégation d'antériorité touchant la revendication 10 dans les termes suivants :

[traduction] Pour décider si une invention est nouvelle, on doit se poser les questions suivantes :

a)             L'invention était-elle connue ou utilisée par une autre personne avant la date où les inventeurs désignés ont fait l'invention? À défaut d'autre élément de preuve, cette date est vraisemblablement la date de priorité, soit le 25 octobre 1985.


b)            L'invention a-t-elle été décrite dans un autre brevet ou publication imprimée au Canada ou dans un autre pays plus de deux ans avant le dépôt de la demande de brevet, soit avant le 23 octobre 1984?

c)             L'invention a-t-elle été utilisée en public ou vendue au Canada plus de deux ans avant la date de la demande, soit avant le 23 octobre 1984?

S'agissant de la question b) ci-dessus, pour qu'une invention puisse faire l'objet d'une antériorité dans une publication antérieure, toutes les caractéristiques essentielles de l'invention doivent être divulguées dans un seul document.

[58]            Le fait que l'énoncé détaillé ne fasse pas spécifiquement mention du « paragraphe 27(1) » ne constitue pas une erreur fatale. Cette critique du caractère suffisant de l'avis d'allégation est rejetée.

[59]            Par conséquent, je conclus que l'avis d'allégation, y compris l'énoncé détaillé, satisfait au critère du caractère suffisant tel qu'il est exposé dans la jurisprudence pertinente. La preuve par affidavit déposée par la défenderesse répondait à la preuve et à l'argumentation déposées par les demanderesses. Comme l'établit la décision Merck Frosst, précitée, cette possibilité doit être autorisée pour permettre le bon fonctionnement du processus contradictoire.

L'INTERPRÉTATION DE LA REVENDICATION 10 DU BREVET 060


[60]            Pour trancher le bien-fondé des allégations de Genpharm de non-contrefaçon et d'invalidité, la première étape consiste à interpréter la revendication attaquée du brevet 060. Suivant la Cour suprême du Canada dans les arrêts Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067 et Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, la revendication du brevet doit être interprétée selon la méthode « téléologique » et la Cour doit considérer l'ensemble du mémoire descriptif du brevet pour comprendre les mots tels qu'ils sont énoncés dans la revendication contestée.

[61]            Le juge Binnie, au nom de la Cour suprême du Canada, a déclaré dans l'arrêt Whirlpool, précité, à la page 1098 :

J'ai déjà exposé les raisons qui m'incitent à conclure que, dans la mesure où les appelantes préconisent une méthode consistant à s'en tenir au dictionnaire pour interpréter le sens des mots utilisés dans les revendications du brevet 803, cette méthode doit être rejetée. Dans l'arrêt Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, notre Cour a cité des décisions antérieures portant sur le mot [traduction] « conduit » utilisé dans une revendication de brevet. À la page 572, le juge en chef Duff a souscrit à la proposition selon laquelle [traduction] « [i]l faut consulter non pas le dictionnaire pour y vérifier le sens du mot "conduit", mais plutôt le mémoire descriptif pour vérifier le sens dans lequel les brevetés ont utilisé ce mot » . Comme nous l'avons vu, le juge Dickson a estimé, dans l'arrêt Consolboard, précité, qu'il fallait considérer l'ensemble du mémoire descriptif (y compris la divulgation et les revendications) « pour déterminer la nature de l'invention » (p. 520). L'énoncé du juge Taschereau, dans l'arrêt Metalliflex Ltd. c. Rodi & Wienenberger Aktiengesellschaft, [1961] R.C.S. 117, à la p. 122, va dans le même sens :

[traduction] On doit naturellement interpréter les revendications en se reportant à l'ensemble du mémoire descriptif, qui peut donc être consulté pour faciliter la compréhension et l'interprétation d'une revendication, mais on ne peut pas permettre que le breveté élargisse la portée de son monopole décrit expressément dans les revendications « en empruntant tel ou tel élément à d'autres parties du mémoire descriptif » .

Plus récemment, Hayhurst, loc. cit., à la p. 190, a prévenu que [TRADUCTION] « [l]es mots doivent être interprétés dans leur contexte, de sorte qu'il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d'un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif » . J'estime que le juge de première instance pouvait parfaitement examiner le reste du mémoire descriptif, y compris le dessin, pour comprendre le sens du mot « ailette » utilisé dans les revendications, mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle était écrite et, ainsi, interprétée.


[62]            Les demanderesses disent, en s'appuyant sur l'arrêt Beecham Canada Ltd. c. Procter & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1 (C.A.F.), que le sens de la revendication 10 du brevet 060 est clair et non ambigu et qu'il n'est donc pas nécessaire que la Cour se réfère à la divulgation du brevet pour interpréter la revendication. Dans l'arrêt cité, le juge Urie a déclaré à la page 9 :

Ayant posé ces principes généraux, on doit ensuite se rappeler que les revendications définissent la portée du monopole et peuvent, [traduction] « afin de faciliter leur compréhension » être rapprochées de l'exposé de l'invention qui figure vers le début du mémoire descriptif : voir Noranda Mines Ltd. v. Minerals Separation North American Corp. (1949), 12 C.P.R. 99, [1950] R.C.S. 36 à la p. 56, 9 Fox Pat. C. 165 [confirmé par 15 C.P.R. 133, 12 Fox Pat. C. 123]. Qu'il s'agit là de la bonne façon d'interpréter les revendications devient apparent à la lecture du passage reproduit ci-après, extrait de la cause célèbre Electric and Musical Industries Ltd. et al v. Lissen Ltd. et al. (1939), 56 R.P.C. 23. Dans le passage en question, lord Russel of Killowen dit aux pp. 41 et 42 :

[traduction] Mais je ne connais aucune règle ni aucun principe qui justifie que l'on s'écarte du sens grammatical clair d'une revendication ni que l'on en restreint ou étend la portée en sous-entendant des termes qui ne s'y trouvent pas; il n'y a pas non plus de règle ni de principe qui autorisent à utiliser certains membres de phrase figurant dans le corps d'un mémoire descriptif dans une tentative de réduire ou d'agrandir le champ du monopole prévu expressément dans une revendication.

[63]            Les demanderesses renvoient également à l'arrêt Whirlpool, précité, pour soutenir qu'il appuie leur observation portant que la revendication 10 n'est pas ambiguë et que le mémoire descriptif du brevet ne doit pas être pris en compte pour « élargir ou restreindre la portée de la revendication » .

[64]            La défenderesse fait valoir que la revendication 10 doit s'interpréter dans le contexte de l'ensemble du mémoire descriptif du brevet et que la jurisprudence la plus récente de la Cour suprême du Canada appuie cette approche. Selon la défenderesse, si la prétention de GSK était accueillie, la revendication 10 du brevet 060 s'appliquerait alors à la moindre quantité de chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté trouvée dans quelque chose, n'importe où, n'importe quand.


[65]            La défenderesse soutient également que l'interprétation de la revendication en fonction du mémoire descriptif du brevet aboutit à la conclusion que le « chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté » , tel qu'il est défini dans la revendication 10, ne peut viser qu'une substance trouvée par les méthodes d'analyse qui existaient en juillet 1991, date de délivrance du brevet canadien. Autrement, si les demanderesses peuvent s'appuyer sur d'autres techniques d'analyse non mentionnées dans le mémoire descriptif du brevet, elles se fondent alors sur des connaissances acquises postérieurement pour élargir la portée du brevet.

[66]            Dans l'interprétation de la revendication en cause, la Cour doit identifier les éléments essentiels de la revendication. Je renvoie de nouveau à l'arrêt Whirlpool, précité, où le juge Binnie a déclaré au paragraphe 45 :

L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention.


[67]            En l'espèce, ce travail est exigeant car la revendication ne comporte que quatre mots et se lit comme suit : [traduction] « chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté » . L'établissement des éléments essentiels de la revendication doit être fait en fonction des connaissances courantes de la personne du métier au moment de la délivrance du brevet, soit en juillet 1991. Les éléments de preuve fournis par les experts des deux parties en qualité de personnes du métier doivent être pris en considération dans l'interprétation du brevet. En me fondant sur les témoignages des experts, je suis persuadée qu'une personne du métier en 1991 aurait connu la description donnée par Buxton des formes hémihydratée et anhydre du chlorhydrate cristallin de paroxétine et des avantages de la forme hémihydratée sur la forme anhydre.

[68]            En plus de déterminer les éléments essentiels de la revendication, la jurisprudence actuelle exige une interprétation par la Cour, fondée sur l'objet visé. Cela signifie qu'il faut tenir compte de l'ensemble du brevet, y compris de la divulgation. Les pages 2 et 3 du brevet décrivent comme suit l'objet visé :

[traduction] De façon générale, on préfère pour des fins thérapeutiques utiliser le chlorhydrate (sel) d'un composé basique en raison de son acceptabilité au niveau physiologique.

Cependant, pour des fins d'utilisation commerciale, il est important aussi que le produit solide soit facile à manipuler.

Nous avons constaté que le chlorhydrate de paroxétine amorphe est un solide hygroscopique pas très facile à manipuler.

On a maintenant découvert que le chlorhydrate de paroxétine peut être produit sous une forme cristalline, reproductible à l'échelle commerciale.

La présente invention permet d'obtenir le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté sous forme de substance nouvelle, et notamment sous une forme pharmacoacceptable.

Le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté est un composé stable, non hygroscopique. Il est caractérisé par un diffractogramme de rayons X sur poudre, comme l'illustre la représentation jointe (fig. 1). Un spectre dans l'infrarouge avec du Nujol (fig. 2) et un profil de CBD (obtenu à l'aide d'un échantillon de 2,26 mg dans un contenant scellé (fig. 3) sont également illustrés. Dans des conditions de dessication extrême, l'eau fixée peut être retirée pour donner une forme anhydre, laquelle se rehydrate rapidement pour former de nouveau un hémihydrate.

Le brevet traite aussi de méthodes de formulation du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté, mais ces revendications ne sont pas en cause dans la présente procédure.


[69]            Cette description fait référence à trois méthodes spécifiques de caractérisation du brevet. La défenderesse fait valoir que dans la présente procédure, ces méthodes d'analyse sont essentielles à l'interprétation correcte du brevet et qu'elles sont les seuls outils d'analyse qui devraient être utilisés dans l'interprétation du brevet et dans la décision relative à la contrefaçon. La défenderesse s'appuie sur l'arrêt Free World Trust, précité, et sur l'arrêt Whirlpool, précité, comme faisant autorité au sujet de la proposition selon laquelle des connaissances acquises postérieurement, comme des méthodes d'analyse non mentionnées dans le brevet, ne peuvent être utilisées pour élargir la portée du monopole conféré par le brevet.

[70]            Il s'agit d'un argument inédit, mais qui ne s'appuie sur aucune jurisprudence canadienne. À mon avis, la mise en garde exprimée par la Cour dans l'arrêt Free World Trust, précité, et dans l'arrêt Whirlpool, précité, portant qu'il ne faut pas se fonder, pour l'interprétation des revendications du brevet, sur les connaissances acquises après la date de délivrance du brevet, n'appuie pas l'argument que seules les méthodes d'analyse mentionnées dans un brevet peuvent servir à interpréter les revendications du brevet. En l'absence de jurisprudence appuyant cet argument, je refuse de l'accueillir. Je ne suis pas disposée à conclure que l'interprétation de la revendication 10 est déterminée par les méthodes d'analyse dont il est fait mention dans l'exposé de la divulgation.

[71]            Dans l'arrêt Free World Trust, précité, la Cour suprême du Canada a décrit la nature du brevet comme un accord passé entre l'État et l'inventeur. La Cour a effectivement déclaré à la page 1035 :

La protection assurée par un brevet se fonde sur la notion d'un marché conclu entre l'inventeur et le public. En contrepartie de la divulgation de l'invention, l'inventeur obtient, pour un certain laps de temps, le droit exclusif de l'exploiter. Il en a toujours été ainsi. Même avant la Statute of Monopolies (1623), l'État récompensait l'inventeur en lui accordant un monopole pour une période restreinte en échange de la divulgation [traduction] « d'une nouvelle invention et d'une nouvelle activité dans le royaume [... ] ou lorsqu'un homme faisait la découverte de quelque chose de nouveau » : Clothworkers of Ipswich Case (1653), Godb. 252, 78 E.R. 147, à la p. 148, où la cour a ajouté qu'un monopole injustifié avait pour effet [traduction] « d'abolir le libre échange, qui est un droit que chaque sujet acquiert en naissant » .

[72]            Toutefois, ce monopole n'est pas à durée indéterminée. La méthode téléologique d'interprétation du brevet doit faire référence aux mots effectivement utilisés, identifier les éléments essentiels de l'invention et prendre en compte l'objet pour lequel le brevet a été conféré au départ. Selon les extraits de la divulgation cités précédemment, le composé de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté sous forme cristalline présentait de meilleures qualités au plan de la manipulation que la forme de chlorhydrate de paroxétine qu'on connaissait auparavant. On décrit la forme hémihydratée comme stable et non hygroscopique. Selon la documentation citée par les parties, elle est moins hygroscopique que la forme anhydre.


[73]            Selon l'approche téléologique, la revendication 10 ne peut faire l'objet d'une interprétation si étendue qu'elle excéderait l'objet déclaré du brevet. De manière générale, les demanderesses font valoir que les quatre mots de la revendication 10 signifient du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté qui se trouve n'importe où, en n'importe quelle quantité, pour n'importe quelle raison. D'autre part, la défenderesse soutient que les mots de la revendication 10 signifient du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté qui se trouve sous une forme acceptable au plan pharmaceutique en quantité suffisante pour permettre l'amélioration de ses qualités de manipulation pendant la fabrication. À mon avis, les demanderesses défendent une approche extrêmement littérale alors que la défenderesse présente une approche fonctionnelle. Je n'accepte pas les observations des demanderesses parce que leur argument excède effectivement le monopole accordé par le brevet.

[74]            L'interprétation avancée par les demanderesses entraînerait un résultat contraire à l'objet déclaré du brevet, qui est l'amélioration des qualités de manipulation d'un médicament fabriqué avec du chlorhydrate de paroxétine comme principe actif. Il n'est pas raisonnable d'interpréter la revendication comme visant de minuscules et infimes quantités de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté qui, selon le témoignage des experts, est maintenant extrêmement répandu depuis la découverte du produit en 1984, en raison de l'usage courant du médicament et des facteurs de l'ensemencement et de la conversion.


[75]            L'objet de l'invention indiqué à la revendication 10 est l'utilisation du composé mentionné comme principe actif d'un médicament pour le traitement de la dépression et de l'anxiété et l'emploi d'une forme particulière de chlorhydrate de paroxétine, la forme hémihydratée par opposition à la forme anhydre, parce qu'elle facilite la fabrication. La revendication 10 vise le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté présent dans un médicament en quantité suffisante pour améliorer les propriétés de manipulation du médicament au cours du processus de fabrication.

LA VALIDITÉ DU BREVET 060

L'ÉVIDENCE

[76]            La défenderesse soutient que le brevet est invalide pour deux motifs : l'évidence et l'antériorité. Les demanderesses contestent l'allégation d'absence de nouveauté, ou d'évidence, soulevée par la défenderesse. Cette dernière s'appuie sur cinq antériorités en regard de son allégation d'invalidité du brevet 060 au motif de l'évidence. Les antériorités visées sont le brevet 196, les deux articles Lund, le brevet américain 4,248,876 (le brevet américain 876) et le brevet américain 4,032,642 (le brevet américain 642).

[77]            Les demanderesses font valoir que la défenderesse ne satisfait pas au critère établissant l'absence de nouveauté, tel qu'il est exposé dans l'arrêt Beloit, précité. Elles affirment que ces articles et les brevets n'aident pas la défenderesse à établir l'absence de nouveauté ou l'évidence de la revendication 10; au mieux, la défenderesse peut seulement établir l'existence du chlorhydrate de paroxétine en solution.

[78]            Dans l'arrêt Tye-Sil Corp. et al. c. Diversified Products Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a décrit à la page 365 les conditions prescrites pour qu'une invention ne soit pas évidente :

Il n'existe aucune disposition particulière de la Loi sur les brevets concernant l'inventivité ou la conception originale, mais il a été jugé et il n'est plus contesté que par l'utilisation des mots « invention » ou « inventeur » , le législateur entend que l'inventivité ou la conception originale est requise en vue de l'obtention d'un brevet valide. ...

[79]            Le critère de l'évidence est exposé dans l'arrêt Beloit, précité, à la page 294 en ces termes :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[80]            Pour évaluer l'allégation d'évidence, la Cour doit examiner ensemble toutes les antériorités citées. Les demanderesses soutiennent, en se fondant sur la preuve de M. Byrn et de M. Brenner, que toutes ces antériorités ne laissent pas supposer l'existence du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté. Dans son affidavit, M. Byrn déclare :


[traduction] À mes yeux, la mise au point du nouvel hémihydrate polymorphe aurait représenté un résultat tout à fait inattendu. L'invention d'un nouveau composé polymorphe est une science incertaine, sans aucune prévisibilité. De plus, une expérimentation poussée ne permettrait pas nécessairement de trouver tous les composés polymorphes ni même plusieurs composés polymorphes. La préparation et la caractérisation des composés polymorphes sont à la fois compliquées et pleines d'incertitudes. Il est impossible de prévoir les résultats des expériences de cristallisation. Même aujourd'hui, on ne peut prévoir avec certitude qu'il existe plusieurs formes polymorphes d'un composé donné. C'était certainement au moins aussi vrai en 1984.

De plus, il était totalement imprévisible que la forme hémihydratée serait stable et non hygroscopique et, par conséquent, permettrait une meilleure manipulation que la forme anhydre.

...

La thèse de Genpharm fondée sur le brevet 876 et le brevet 642 auxquels fait référence la page 39 de son rapport, semble être basée sur l'hypothèse que, si on connaît l'existence d'une forme hémihydratée d'un chlorhydrate de pipéridine, alors tous les chlorhydrates de pipéridine devraient exister sous la forme hémihydratée. Cela est tout simplement faux. La capacité de prévoir les formes polymorphes ou hémihydratées d'un composé quel qu'il soit ne vaut généralement que pour ce composé.

[81]            Monsieur Brenner reconnaît que les brevets 876 et 642 visent les pipéridines, notamment une structure en anneau de pipéridine, et que la paroxétine est un composé de cette nature. Il conclut toutefois qu'avant décembre 1984, une personne du métier n'aurait pas été capable de prévoir l'existence d'un polymorphe donné. Au moment où apparaît le nouveau polymorphe et où l'ensemencement s'est produit, le vieux procédé produira le nouveau produit. La personne du métier ne prendrait en considération aucune des antériorités citées, soit le brevet 196, les deux articles de Lund ainsi que les brevets 876 et 642 par rapport à l'évidence.

[82]            La défenderesse, qui s'appuie sur M. Story et M. Stynes, adopte une autre perspective. Dans l'énoncé détaillé, M. Story fait la déclaration suivante :

[traduction] La revendication 10 est invalide pour cause d'absence d'activité inventive compte tenu de la divulgation de la préparation des chlorhydrates cristallins hémihydratés des pipéridines.


Il renvoie alors aux brevets américains 876 et 642. Dans son affidavit, il dit que le brevet 196 divulgue complètement l'hémihydrate à la personne du métier qui connaissait la préparation d'un sel de paroxétine, soit le chlorhydrate de paroxétine.

[83]            La défenderesse attaque aussi la validité de la revendication 10 du brevet 060 en faisant valoir qu'aucun brevet n'est conféré pour une simple [traduction] « découverte » d'une chose jusque-là inédite, mais qu'il était néanmoins connu de la personne du métier et possédant les connaissances cumulatives de la science chimique au moment de l'invention que la production de l'hémihydrate « vaille la peine d'être tentée » . À l'appui de son argumentation, Genpharm renvoie à l'arrêtFarbwerke Hoechst A/G c. Halocarbon (Ontario) Ltd., [1979] 2 R.C.S. 929 aux pages 944 à 946 et à la décision Farbwerke Hoechst A/G c. Halocarbon (Ont.) Ltd. (1983), 74 CPR (2d) 95 (C.F. 1re inst) à la page 99, l'affaire ayant été renvoyée à la Section de première instance pour une décision au sujet de l'évidence.


[84]            Pour leur part, les demanderesses disent que la revendication 10 du brevet 060 est valide et ne pèche pas par défaut d'inventivité en raison de la découverte empirique, grâce à des recherches qui ont produit un résultat inattendu, soit la découverte et l'identification d'une forme hémihydratée de chlorhydrate cristallin de paroxétine dans le 23e lot de la préparation de M. Richardson à la mi-décembre 1984. GSK a découvert que la forme hémihydratée possédait des qualités plus avantageuses au plan commercial que la forme anhydre connue. Les demanderesses soutiennent qu'en dépit du fait que la découverte a été faite par hasard, l'inventeur a néanmoins droit à un brevet valide, la découverte étant non évidente et utile.

[85]            À mon avis, l'arrêt Farbwerke, précité, n'appuie pas la défenderesse sur ce point. En effet, la Cour suprême du Canada a déclaré aux pages 944 et 945 :

... À mon avis, la doctrine a été bien formulée par le Conseil privé dans Pope Appliance Corporation c. Spanish River Pulp and Paper Mills, Ltd. [1929] A.C. 269, où le vicomte Dunedin a dit (aux p. 280 et 281) :

... [traduction] ... Après tout, qu'est-ce qu'une invention? C'est trouver quelque chose que personne d'autre n'a trouvé. C'est ce que Pope a fait pour ce brevet. Il a trouvé que le papier adhérerait de la sorte et le problème pratique a été résolu. Les savants juges d'instances inférieures disent que quiconque a expérimenté les « dispositifs » et les « jets d'air » déjà connus aurait pu y arriver. C'est-à-dire que quelqu'un d'autre aurait pu l'inventer. Il y a plusieurs exemples, dans différents domaines de la science, de chercheurs indépendants qui ont fait la même découverte. Cela ne veut pas dire que le premier qui demande et obtient un brevet n'a pas un bon brevet. ...

[86]            À mon avis, la preuve relative à l'état des connaissances à la date de l'invention, soit la découverte de la forme hémihydratée et de ses propriétés avantageuses dans la fabrication du chlorhydrate cristallin de paroxétine, n'indique pas que d'autres personnes versées dans l'art auraient connu la façon de créer, de détecter et de documenter les avantages de la forme hémihydratée. Sans doute, cette forme a peut-être existé avant le 23e lot de M. Richardson, mais il reste que personne jusque-là n'avait remarqué et décrit un tel composé. Par conséquent, le caractère accidentel de la découverte est sans effet sur l'ingéniosité de l'invention.


[87]            Comme on l'a signalé précédemment, il est très difficile de satisfaire au critère de l'évidence. Il demande que la personne du métier mais sans imagination étudie les connaissances courantes dans le domaine à la date de l'invention et réalise immédiatement, sans génie inventif, l'invention décrite. J'estime qu'en l'espèce les antériorités citées ne satisfont pas à ce critère. Je conclus que la défenderesse n'a pas établi l'invalidité de la revendication au motif de l'évidence.

L'ANTÉRIORITÉ

[88]            Si on passe à la question de l'antériorité, la défenderesse dit que le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté est antériorisé par le brevet 196 et deux articles écrits en collaboration par Lund et al., le premier en 1979 et le second en 1982.

[89]            Les demanderesses disent que ni le brevet 196 ni les articles Lund, pris séparément, ne répondent au critère de l'antériorité exposé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.). Elles soutiennent que le brevet 196 et les articles Lund ne fournissent que des enseignements généraux sur le chlorhydrate de paroxétine et n'enseignent pas la forme cristalline, ou spécifiquement l'hémihydrate.

[90]            La défenderesse fait valoir que le brevet 196 et les deux articles Lund divulguent le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté. À cet égard, la défenderesse s'appuie sur le rapport établi par M. Story. Ce rapport figure dans l'énoncé détaillé joint à l'avis d'allégation.

[91]            Les demanderesses prétendent également que la défenderesse n'a pas établi que les antériorités mentionnées l'étaient effectivement, aux termes de l'alinéa 27(1)b) de la Loi. Seuls les brevets délivrés le 23 octobre 1984 ou avant cette date ou les articles imprimés avant le 23 octobre 1984 tombent sous le coup de l'alinéa 27(1)b). La demande de brevet 060 a été déposée au Bureau canadien des brevets le 23 octobre 1986.

[92]            Les demanderesses se fondent sur l'arrêt Beloit, précité, dans lequel la Cour a décidé qu'il est satisfait au critère de l'antériorité dans le cas où la publication antérieure contient des enseignements suffisamment clairs pour qu'une personne versée du métier qui en prend connaissance et s'y conforme puisse arriver infailliblement à l'invention revendiquée. Les demanderesses s'appuient également sur la décision Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting and Embroidery Ltd. (1978), 43 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.) et sur l'arrêt Consolboard c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, qui indiquent plusieurs facteurs qui doivent être réunis pour fonder une conclusion d'invalidité pour cause d'antériorité. Le critère applicable à l'antériorité a été défini comme suit par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Beloit, précité, à la page 294 :


On se souviendra que celui qui allègue l'antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l'invention était connue du public avant la date pertinente. L'enquête porte sur l'invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l'évidence, sur l'état de la technique et des connaissances générales. De plus, ... l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. Lorsque, comme c'est le cas ici, l'invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d'antériorité.

La Cour suprême du Canada a cité ce critère d'antériorité en l'approuvant dans l'arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 26.

[93]            En l'espèce, les antériorités mentionnées par Genpharm contiennent-elles des instructions d'une clarté telle qu'une personne du métier qui en prend connaissance et s'y conforme arrive infailliblement à l'invention revendiquée?

[94]            Sur ce point, les demanderesses soutiennent que les trois antériorités que fait valoir la défenderesse à l'appui de son allégation d'invalidité pour cause d'antériorité, soit le brevet 196, un article de 1979 de J. Lund et al. et un article de 1982 de J. Lund et al., ne satisfont pas au critère visé. Ces documents ne divulguent pas le chlorhydrate de paroxétine solide, forme cristalline de chlorhydrate de paroxétine, ni les formes cristallines hémihydratée ou anhydre. Plus particulièrement, le brevet 196 ne divulgue aucune forme de chlorhydrate de paroxétine et à ce sujet, les demanderesses renvoient au témoignage par affidavit de M. Byrn et de M. Brenner ainsi qu'au contre-interrogatoire de M. Story.


[95]            S'agissant des deux articles Lund, pris séparément, les demanderesses disent qu'ils ne divulguent pas de forme solide de chlorhydrate de paroxétine ni d'enseignement sur le procédé de formulation qui aurait pu être suivi. Encore une fois, les demanderesses s'appuient sur les témoignages de M. Byrn et de M. Brenner ainsi que sur le contre-interrogatoire de M. Story, expert de la défenderesse.

[96]            Comme on l'a noté ci-dessus, le critère applicable à l'antériorité exige que la Cour considère de manière indépendante chaque antériorité citée par la défenderesse. En l'espèce, la défenderesse doit établir qu'au moins un des articles antérieurs contenait des instructions « d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art » arriverait infailliblement à l'invention.

[97]            Les paragraphes 27(1) et 61(1) de la Loi, pertinents au sujet de la question de l'antériorité, prévoient :


27. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande » , et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété d'une invention qui n'était pas :

a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite;

b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

c) en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

27. (1) Subject to this section, any inventor or legal representative of an inventor of an invention that was

(a) not known or used by any other person before he invented it,

(b) not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and

(c) not in public use or on sale in Canada for more than two years prior to his application in Canada,

may, on presentation to the Commissioner of a petition setting out the facts, in this Act termed the filing of the application, and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in the invention.


61. (1) Aucun brevet ou aucune revendication dans un brevet ne peut être déclaré invalide ou nul pour la raison que l'invention qui y est décrite était déjà connue ou exploitée par une autre personne avant d'être faite par l'inventeur qui en a demandé le brevet, à moins qu'il ne soit établi que, selon le cas :

a) cette autre personne avait, avant la date de la demande du brevet, divulgué ou exploité l'invention de telle manière qu'elle était devenue accessible au public;b) cette autre personne avait, avant la délivrance du brevet, fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait du donner lieu à des procédures en cas de conflit;

c) cette autre personne avait à quelque époque fait au Canada une demande ayant, en vertu de l'article 28, la même force et le même effet que si elle avait été enregistrée au Canada avant la délivrance du brevet et pour laquelle des procédures en cas de conflit auraient dû être régulièrement prises si elle avait été ainsi enregistrée.

61. (1) No patent or claim in a patent shall be declared invalid or void on the ground that, before the invention therein defined was made by the inventor by whom the patent was applied for, it had already been known or used by some other person, unless it is established that

(a) that other person had, before the date of the application for the patent, disclosed or used the invention in such manner that it had become available to the public;

(b) that other person had, before the issue of the patent, made an application for patent in Canada on which conflict proceedings should have been directed; or

(c) that other person had at any time made an application in Canada which, by virtue of section 28, had the same force and effect as if it had been filed in Canada before the issue of the patent and on which conflict proceedings should properly have been directed had it been so filed.


[98]            La défenderesse fait valoir que les décisions anglaises Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. v. H.N. Norton & Co. Ltd., [1996] R.P.C. 76 (HL) et Evans Medical Ltd's Patent, [1998] R.P.C. 517 (UK Pat. Crt.) soutiennent sa position, soit que dans la mesure où le public connaît l'existence d'un produit avant la revendication d'un brevet, la connaissance de la composition du produit est sans importance pour le respect de la condition relative au caractère « accessible au public » visée à l'alinéa 61(1)a) de la Loi du Canada.

[99]            Les demanderesses ne partagent pas cette position. Elles disent que les conditions prescrites aux alinéas 27(1)a) et 61(1)a) signifient que la revendication 10 doit avoir été connue ou exploitée avant la date de demande du brevet de manière à être devenue « accessible au public » . Les demanderesses font valoir que la connaissance et l'exploitation que la défenderesse prétend antérieures n'étaient pas « accessible[s] au public » avant la date de demande du brevet.


[100]        À mon avis, l'argument de la défenderesse selon lequel la revendication 10 est antériorisée en vertu de l'alinéa 27(1)a) de la Loi, c'est-à-dire que l'invention « était déjà connue ou exploitée » par une autre personne avant la date de priorité, n'est pas fondé parce que cette connaissance ou exploitation auraient dû être « accessible[s] au public » , conformément à l'alinéa 61(1)a) de la Loi. Je n'accepte pas l'argument portant que dans la mesure où le public est au courant de l'existence du « produit » final, la connaissance de la composition du produit n'est pas importante. Dans l'arrêt Merrell Dow, précité, la Chambre des Lords a fondé son raisonnement sur ce point sur une affaire de brevet visant un concentré de soupe au poulet, dont le procédé de fabrication avait été divulgué dans une recette d'un livre de recettes, mais en termes non techniques. Elle a conclu que puisque la recette produisait « infailliblement » la substance faisant l'objet du brevet du concentré, le brevet était invalide parce qu'il était antériorisé du fait de la connaissance devenue accessible au public.

[101]        Or la présente affaire se distingue de l'arrêt Merrell Dow, précité. S'il y avait effectivement de la documentation sur le chlorhydrate de paroxétine accessible au public avant 1984, cette documentation ne menait pas « infailliblement » , à mon avis, à l'invention du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté. Deuxièmement, cette jurisprudence est issue des tribunaux anglais et, tout utile qu'elle soit à la Cour, elle ne lie pas la Cour.


[102]      En outre, comme le souligne l'arrêt Evans Medical, précité, la Cour dans l'arrêt Merrell Dow a bien signalé que le raisonnement préconisé par la défenderesse sur ce point faisait exception à la règle générale selon laquelle [traduction] « dans la plupart des affaires la connaissance de la composition chimique du produit sera nécessaire pour permettre au public d'exploiter l'invention » (paragraphe 30 de l'arrêt Evans Medical).

[103]        Je passe maintenant à la question de l'antériorité, aux termes de l'alinéa 27(1)b) de la Loi. En particulier au brevet 196 cité par Genpharm comme antériorité. Les éléments de l'antériorité alléguée par rapport au brevet 196 sont décrits aux paragraphes 69 et 71 de l'affidavit de M. Story, comme suit :

[traduction] Comme il est expliqué plus en détail dans mon rapport sur l'hémihydrate aux pages 18 à 20, le chimiste aurait su d'après son expérience que, lorsqu'un sel acide d'un médicament basique est requis dans une formulation pharmaceutique, on préfère généralement le sel chlorhydrate de paroxétine pour les applications thérapeutiques en raison de son acceptabilité physiologique. Le chimiste aurait su d'après les articles de Lund que le chlorhydrate de paroxétine, un sel en solution, avait déjà été expérimenté sur des humains.

...

Le chimiste aurait su, grâce au brevet 196, comment préparer la paroxétine. L'exemple 1 du brevet 196 (exemple 1 de 196) aurait montré au chimiste comment préparer un sel de paroxétine, à savoir le chlorhydrate de paroxétine. Comme je l'explique plus en détail aux pages 10 à 13 de mon Rapport sur l'hémihydrate et comme le prouvent les « 2001 Investigations » (Études de 2001), qui, comme j'en ai été informé, font l'objet d'un autre affidavit dans cette procédure, l'exemple 1 de 196 montre à un chimiste comment préparer le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté. Lesdites études ont suivi la procédure décrite dans l'exemple 1 de 196, aux lignes 38 à 45. Elles ont montré que la forme solide obtenue par le chimiste, en suivant l'exemple 1 de 196 et en utilisant la base libre paroxétine au lieu de la méthylparoxétine, aurait été du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté.


[104]        Les études de 2001 mentionnées ci-dessus ont été réalisées par M. Ndzie en mars 2001. M. Ndzie déclare dans son affidavit qu'il a pour l'essentiel suivi l'exemple 1 du brevet 196, utilisant la base libre paroxétine au lieu de la n-méthylparoxétine. Il décrit ses résultats comme produisant une forme solide à partir du procédé du brevet 196 dont on a trouvé qu'elle correspondait à du chlorhydrate de paroxétine hémihydraté. M. Ndzie a comparé les spectres IR des précipités qu'il a produits aux spectres IR du chlorhydrate de paroxétine hémihydraté représentés à la figure 2 du brevet 060 et a trouvé que les spectres des solides produits dans ses études étaient conformes aux spectres IR du brevet 060. Il a conclu que les précipités qu'il avait réalisés en suivant le brevet 196 étaient du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté.

[105]        M. Byrn et M. Brenner ont contesté l'argument que le brevet 196 antériorisait la revendication 10. Au paragraphe 98 de son affidavit, M. Byrn a fait observer que la défenderesse utilisait la paroxétine au lieu de la n-méthylparoxétine. Il dit qu'au début des années 80, la réalisation de l'exemple 1 avec la paroxétine produisait du chlorhydrate de paroxétine anhydre. Toutefois, M. Byrn était d'avis qu'après l'invention de l'hémihydrate en 1984, il devenait impossible de reproduire la forme anhydre du chlorhydrate de paroxétine en raison de l'ensemencement.

[106]        Monsieur Brenner a également formulé des observations sur l'étude effectuée par M. Ndzie. Il a parlé de la reproduction de l'exemple 1 du brevet 196 et a noté que M. Ndzie a utilisé la base libre paroxétine au lieu de la n-méthylparoxétine. Il a indiqué que M. Ndzie suivait [traduction] « généralement » l'exemple 1. De plus, il n'était pas surpris que M. Ndzie obtienne ces résultats après l'invention de l'hémihydrate et l'effet de l'ensemencement non intentionnel. Au paragraphe 84 de son affidavit, il précise ce qui suit :


[traduction] Certaines expériences ont été effectuées par Genpharm et sont décrites dans un document appelé « Investigations » , daté du 29 mars 2001. Ces expériences ont été effectuées après l'apparition du nouveau composé polymorphe, à savoir le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté. Il n'est donc pas surprenant que Genpharm ait obtenu ces résultats, à savoir la synthèse du composé polymorphe plus stable nouvellement apparu. Cela ne signifie pas qu'on aurait obtenu ces résultats si les expériences avaient été effectuées avant décembre 1984. De fait, ils ne peuvent refléter les résultats qui auraient été obtenus à cette date, car le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté n'existait pas encore. D'après mes connaissances, en supposant que l'expérience de Genpharm ait produit une forme cristalline du chlorhydrate de paroxétine si elle avait été effectuée avant la première synthèse du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté, ces expériences auraient probablement produit le chlorhydrate de paroxétine hygroscopique anhydre avec lequel a travaillé GSK avant décembre 1984.

[107]        M. Byrn et M. Brenner ont critiqué à la fois la tentative de la défenderesse de reproduire l'exemple 1 du brevet 196 et l'emploi, dans cette tentative, de la paroxétine sous forme de base libre, plutôt que de la n-méthylparoxétine. M. Story, dans la déclaration détaillée, parle comme suit de l'emploi de la paroxétine comme base libre :

[traduction] En ce qui concerne l'étape 2 de la revendication 1, la précipitation de l'hémihydrate cristallin, Genpharm a effectué cinq expériences, annexées en tant que pièce 1, afin de déterminer si la méthode de l'exemple 1 du brevet 196 pour la conversion de la base (n-méthylparoxétine) en chlorhydrate produirait le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté si la base libre paroxétine était employée à la place de la n-méthylparoxétine. Ces travaux ont été présentés dans un rapport du Merck Generics Raw Material Support Group du 29 mars 2001, intitulé « Attorney Client Privileged Work Product, Investigations » (les études). Ces travaux ont consisté en cinq essais dans lesquels la paroxétine, base libre, a été convertie en son sel chlorhydrate selon la méthode de l'exemple 1 du brevet américain 4,007,196 (colonne 6, lignes 38 à 45). La paroxétine, base libre, a été d'abord dissoute dans l'oxyde de diéthyle et séchée avec du sulfate de magnésium anhydre. L'oxyde de diéthyle a ensuite été évaporé jusqu'à obtention d'un résidu huileux.

...


Les produits solides blancs provenant des cinq essais ont été séchés et analysés par IR sous forme de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté. Au microscope, on a constaté que le solide blanc était constitué de cristaux en forme d'aiguilles. Ces analyses ont montré que l'emploi de la paroxétine, base libre, à la place de la n-méthylparoxétine utilisée dans l'exemple 1 du brevet américain 4,007,196, aurait donné le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté (revendication 10). Pour une personne possédant des connaissances ordinaires du domaine, le brevet 196 divulgue l'utilisation de la paroxétine, base libre, au lieu de la n-méthylparoxétine, si le produit recherché est le chlorhydrate de paroxétine. Comme il a été démontré dans les analyses décrites ci-dessus, le produit précipité, obtenu en suivant la procédure du brevet, est alors le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté (revendication 10).

...

Les divulgations et les revendications du brevet 196 constituent donc des antériorités qui divulgueraient la préparation d'une solution de chlorhydrate de paroxétine et la cristallisation rapide des sels de la famille de composés de type paroxétine. Ce brevet divulgue les revendications 1, 2, 9 et 10 du brevet de l'hémihydrate.

[108]        À mon avis, cette explication ne répond pas à la question soulevée par les demanderesses sur l'utilisation de la base libre paroxétine plutôt que de la n-méthylparoxétine. La dernière objection opposée par les demanderesses a trait à l'impossibilité alléguée de fabriquer, après 1984, un produit sans hémihydrate en suivant l'exemple 1 de 196. Les demanderesses s'appuient ici sur les témoignages de M. Byrn et de M. Brenner qui parlent de l'effet de l'ensemencement non intentionnel, après 1984. Les germes ne permettraient à personne de faire un autre produit que l'hémihydrate.

[109]        Je conclus que l'objection des demanderesses sur ce point est corroborée par la preuve. La fiabilité des études de M. Ndzie est mise en question, en raison de l'existence de la forme hémihydratée dans son laboratoire à la date où il a réalisé les études. Cela ressort du contre-interrogatoire relatif à son affidavit :

CONTRE-INTERROGATOIRE PAR M. CREBER :

[traduction]


Q.             Je voudrais seulement vérifier des dates, car vous avez effectivement deux études dans votre affidavit. Vous en avez une qui cherchait à réaliser des études relatives au brevet 196 et vous avez aussi fait des études de contrainte, n'est-ce pas?

R.             Oui.

Q.             Si je comprends bien vos rapports, en particulier la pièce B et la pièce F, le premier de vos rapports dans l'ordre chronologique correspondait à la pièce F. Est-ce exact? Il a été réalisé le 15 mars 2001 ou à tout le moins a commencé à cette date? C'est le paragraphe 13 de votre affidavit.

R.             Oui.

Q.             C'est donc deux semaines plus tard que vous avez fait les études qui forment la pièce B de votre affidavit?

R.             Oui.

Q.             Selon la pièce F, vous avez fait des études à la fois sur le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté et sur le chlorhydrate de paroxétine anhydre?

R.             Oui.

Q.             Par conséquent, le 29 mars 2001, quand vous avez reproduit les expériences ou fait les études relatives au brevet 196, vous aviez déjà eu au même laboratoire du chlorhydrate de paroxétine hémihydraté?

R.             Oui.

Q.             Cette matière était-elle toujours présente au laboratoire le 29 mars 2001?

R.             Oui.


[110]        Les témoins des parties diffèrent d'opinion sur le caractère inévitable de l'ensemencement et ses effets sur la reproduction de la forme « antérieure » de chlorhydrate de paroxétine. Les demanderesses s'appuient sur la théorie de la [traduction] « disparition de polymorphes » pour dire que la production de l'anhydre est impossible, en raison de l'invention de la forme hémihydratée, plus stable. La défenderesse, en se basant sur M. Stynes et M. Story, soutient que cette théorie n'a aucun fondement.

[111]        La défenderesse a présenté des éléments de preuve que la forme « antérieure » anhydre peut encore être produite. À ce sujet, je renvoie aux expériences conduites par M. Godwin avec la demande de brevet 8526407 de Grande-Bretagne (la demande 407), qui est la demande de priorité relative au brevet 060, ainsi qu'à certains brevets obtenus par les demanderesses elles-mêmes pour la forme anhydre. Ces brevets, appelés [traduction] « Brevets de formes » dans l'affidavit de M. Story, ont été obtenus par les demanderesses après la délivrance du brevet 060. Au paragraphe 87 de son affidavit, M. Story déclare sans ambages :

[traduction] Le mythe créé par les demanderesses relatif à la disparition de polymorphes et à la prétendue incapacité de fabriquer l' « anhydre antérieur » depuis l'invention alléguée de l'hémihydrate, a été contredit par la demande 407, les expériences de Godwin, les expériences répétées et les Brevets de formes.

[112]        Les éléments auxquels renvoie M. Story dans le paragraphe précédent ne sont pas des antériorités mais des éléments sur lesquels les demanderesses appuient leur argumentation touchant l'impossibilité de créer la forme anhydre de chlorhydrate de paroxétine après l'invention de la forme hémihydratée en 1984.

[113]        À mon avis, la défenderesse a suffisamment établi la possibilité de reproduire la forme anhydre pour jeter un doute sur la position avancée par les demanderesses à cet égard.

[114]        J'en viens maintenant au premier article de Lund. Les demanderesses reconnaissent qu'il divulgue le chlorhydrate de paroxétine en solution, mais rien d'autre. La défenderesse fait valoir qu'il divulgue la dissolution d'une forme solide et porte à conclure que ce solide est du chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté.

[115]        Les parties proposent la même argumentation au sujet du second article de Lund.

[116]        Je ne suis pas persuadée, sur le fondement du texte du premier article de Lund, qu'il est satisfait au critère exposé dans l'arrêt Beloit, précité. Il n'y a rien de plus que la divulgation d'une forme de chlorhydrate de paroxétine dans de l'eau. Il n'y a pas d'enseignement touchant l'état solide de la forme divulguée ou l'existence de la forme hémihydratée de chlorhydrate de paroxétine.

[117]        S'agissant du second article de Lund, je n'y vois aucun enseignement qui divulgue la dissolution d'une forme solide de chlorhydrate de paroxétine.

[118]        En conclusion, j'accepte les arguments des demanderesses concernant les deux articles Lund, soit que ces articles ne satisfont pas au critère de l'antériorité. Deuxièmement, pour les raisons exposées précédemment, je ne suis pas convaincue que les analyses de M. Ndzie ont établi de manière fiable que le brevet 196 antériorisait la revendication 10 du brevet 060.


LA CONTREFAÇON

[119]        La dernière question soulevée concerne la contrefaçon. Les demanderesses font valoir que toute présence d'hémihydrate dans le produit de la défenderesse, sans égard à l'intention ou aux efforts raisonnables pour éviter la contrefaçon, constitue une contrefaçon du brevet 060. Elles renvoient aux éléments de preuve tirés des analyses de la substance en vrac de Genpharm, des comprimés commerciaux australiens et des comprimés non commerciaux canadiens.

[120]        Les demanderesses prétendent que les analyses des divers experts de la substance en vrac de la défenderesse ainsi que des comprimés non commerciaux et commerciaux révèlent des degrés divers d'hémihydrate. La substance en vrac contenait une faible quantité d'hémihydrate, soit 0,18 %. Elle a été analysée par M. Niemcyzk à l'aide de la technique mathématique des moindres carrés partiels. M. Baldwin a effectué une spectroscopie Raman, forme d'analyse infrarouge, des comprimés non commerciaux en concentrations de 10 mg, 20 mg et 30 mg. Il n'a pas trouvé d'hémihydrate dans les comprimés de 20 mg et 30 mg, mais en a trouvé dans les comprimés de 10 mg.


[121]        De même, les comprimés commerciaux de 20 mg ont été analysés par M. Baldwin. Il y a trouvé une certaine quantité d'hémihydrate, en pourcentages divers. Selon les demanderesses, M. Baldwin a réalisé une analyse semi-quantitative mettant en évidence la présence d'hémihydrate. Ces résultats sont en contradiction avec la position qu'adopte la défenderesse dans son avis d'allégation, soit que le produit ne contenait aucun hémihydrate.

[122]        Les demanderesses renvoient également aux éléments de preuve tirés du contre-interrogatoire des témoins de la défenderesse, dont M. Durig. Celui-ci était un témoin présenté en parallèle avec M. Baldwin. Dans son contre-interrogatoire, il a admis que la substance en vrac révélait de faibles quantités d'hémihydrate. Il y avait une [traduction] « certaine quantité » d'hémihydrate dans les comprimés non commerciaux et une quantité plus grande dans les comprimés commerciaux.

[123]        Les demanderesses ont critiqué la technique d'analyse utilisée par M. Durig. Elles affirment qu'il a eu recours à une technique qui rendait la détection de l'hémihydrate difficile. En outre, cette technique ne permettait pas de résoudre le problème de l'extraction des excipients entourant la paroxétine. M. Durig n'a pas réalisé ses propres spectres du produit de Genpharm mais seulement examiné et commenté les spectres IR de la fiche maîtresse du médicament de Genpharm. Par comparaison, l'expert des demanderesses, M. Baldwin, a employé une technique qui lui permettait de séparer les excipients de la paroxétine, avec un meilleur résultat.


[124]        Les demanderesses contestent également le témoignage de M. Stynes, présenté en contrepartie de celui de M. Byrn. M. Stynes est un expert en chimie des solides. Les demanderesses soutiennent que M. Stynes, contre-interrogé, est revenu sur une opinion exprimée dans son affidavit au sujet de la notion de la [traduction] « disparition des polymorphes » . Dans son affidavit, M. Stynes s'était dit d'avis que cette proposition n'avait aucun fondement, en théorie ou en pratique. Selon les demanderesses, M. Stynes aurait fait une distinction dans son contre-interrogatoire entre l'ensemencement étendu et la disparition de polymorphes.

[125]        Les demanderesses disent que M. Stynes a trouvé de l'hémihydrate dans le produit de la défenderesse. Selon elles, c'est la manifestation de l'ensemencement étendu. En pareilles circonstances, il est difficile d'éviter la conversion. Selon la preuve, disent les demanderesses, le produit de la défenderesse contient des germes d'hémihydrate. En théorie, il devrait y en avoir davantage.

[126]        La défenderesse reconnaît que les analyses des demanderesses révèlent la présence d'hémihydrate dans son produit. Toutefois, fait-elle valoir, les demanderesses, en utilisant des méthodes d'analyse non mentionnées dans le brevet, cherchent à tort à étendre la portée du brevet, ce qui est contraire à la loi. La défenderesse note que dans les cas où son produit est analysé à l'aide des méthodes du brevet, on n'y observe pas d'hémihydrate.


[127]        En outre, soutient la défenderesse, rien n'établit que l'hémihydrate [traduction] « découvert » en 1984 ne contenait pas de germes. Si la production actuelle de l'anhydre est impossible en raison de l'ensemencement, elle est donc attribuable à l'action des demanderesses qui ont rendu les germes accessibles. Sur ce point, la défenderesse renvoie au témoignage de M. Stynes.

[128]        La défenderesse soutient également qu'une conclusion voulant que son produit constitue une contrefaçon du brevet des demanderesses, lorsque seulement des traces minuscules sont décelées à l'aide de méthodes non identifiées dans le brevet et lorsque les demanderesses elles-mêmes ont contribué à l'omniprésence de l'hémihydrate grâce à un ensemencement étendu, n'est pas fondée. La position de la défenderesse, énoncée simplement, est que son produit obtenu par solvatation avec l'isopropanol n'est pas une contrefaçon lorsqu'on interprète correctement le brevet, y compris la divulgation.

[129]        La substance en vrac a été analysée par M. Niemczyk grâce à la technique mathématique des moindres carrés partiels. Il a déterminé que la substance en vrac contient une quantité décelable d'hémihydrate suffisante pour produire l'ensemencement. La quantité décelée était faible, soit 0,18 % " 0,08 %. La technique des moindres carrés partiels n'est pas mentionnée dans le brevet 060.


[130]        Monsieur Baldwin a utilisé la spectroscopie Raman pour analyser les comprimés, aussi bien les comprimés commerciaux australiens que les comprimés non commerciaux canadiens. Il a analysé les comprimés australiens de 20 mg ainsi que les comprimés canadiens non commerciaux de 10 mg, 20 mg et 30 mg. Il a décelé une « empreinte » de 1 % à 20,5 % pour le chlorhydrate de paroxétine prélevé dans des comprimés commerciaux. Il a obtenu une « empreinte » de 3,48 % à 48,39 %, qui révélait la présence à la fois de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté et de chlorhydrate de paroxétine anhydre. Ces « empreintes » ne représentent pas une mesure de la quantité de l'hémihydrate dans les comprimés.

[131]        Comme dans le cas des comprimés non commerciaux, M. Baldwin a décelé une « empreinte » de chlorhydrate de paroxétine dans les comprimés de 10 mg. Entre 0,86 % et 17,59 % des points présentaient du chlorhydrate de paroxétine. Entre 0,86 % et 21,76 % des points pour les comprimés non commerciaux de 10 mg révélaient une empreinte à la fois pour le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté et le chlorhydrate de paroxétine anhydre. Aucun chlorhydrate de paroxétine n'a été décelé dans les comprimés non commerciaux de 20 mg et de 30 mg, et ce même si M. Baldwin se disait d'avis que [traduction] « ce résultat n'exclut pas la présence de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté en des points autres que ceux qui ont été analysés » .

[132]        La technique utilisée par M. Baldwin, soit la spectroscopie Raman, n'est pas mentionnée dans le brevet 060. Les demanderesses ont choisi de leur propre initiative d'utiliser cette technique ainsi que la méthode des moindres carrés partiels. Elles n'ont effectué aucune analyse des comprimés commerciaux ou non commerciaux de substance en vrac, selon les analyses spécifiées dans le brevet 060. Il s'agissait là des techniques utilisées par la défenderesse.

[133]        Monsieur Durig a examiné la fiche maîtresse du médicament pour la substance de la défenderesse et en est arrivé à la conclusion que le produit n'était pas une contrefaçon d'après les méthodes de détection apparaissant dans le brevet 060. Il a examiné les spectres IR de la matière première de Genpharm et les a comparés avec les spectres IR correspondant au brevet 060 pour en arriver à la conclusion que les spectres IR de Genpharm ne révélaient aucune présence d'hémihydrate. Il a également examiné la CBD pour le brevet 060 et l'a comparée à la CBD pour la matière première de Genpharm; il en est arrivé à la conclusion qu'elles étaient différentes. Enfin, il a examiné le diffractogramme des rayons X pour la figure 1 du brevet 060 et l'a comparé avec le diffractogramme des rayons X pour la matière première de Genpharm pour aboutir à la conclusion qu'il y avait une [traduction] « énorme » différence.

[134]        Il a comparé les spectres IR pour les comprimés non commerciaux canadiens avec les spectres IR pour la figure 2 du brevet 060 et en est arrivé à la conclusion, après examen des spectres, que les comprimés canadiens ne renferment pas de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté. De plus, il a noté que les spectres correspondant aux comprimés canadiens présentent des bandes qui ne sont pas caractéristiques de l'hémihydrate illustré à la figure 2 du brevet 060.


[135]        Monsieur Durig a critiqué la technique utilisée par le témoin des demanderesses dans leurs analyses de la matière première de la défenderesse et des comprimés canadiens non commerciaux. Il a déclaré que le type d'analyse IR avec la méthode des moindres carrés partiels, choisie par M. Niemczyk, n'est pas appropriée pour la micro-analyse, c.-à-d. moins de 1 %, lorsqu'il y a de [traduction] « fortes variations dans le contenu de l'échantillon » . Il a notamment indiqué que l'analyse IR obtenue par la méthode des moindres carrés partiels ne peut être comparée aux spectres infra-rouges présentés à la figure 2 du brevet 060, du fait que la [traduction] « méthode des moindres carrés partiels ne produit pas de spectre comme l'envisage » le brevet 060.

[136]        Monsieur Durig conteste également les analyses effectuées par M. Baldwin. Il s'interroge sur son choix de la spectroscopie Raman, dont il n'est pas fait mention dans le brevet 060. Selon M. Durig, ce type de spectroscopie est [traduction] « rarement utilisée pour caractériser les impuretés dans un composé, car elle n'est pas assez sensible à cette fin » .

[137]        Monsieur Durig souligne le manque d'explications de M. Baldwin sur la préparation des échantillons que ce dernier a analysés et sur l'absence apparente de certaines étapes dont il faudrait tenir compte pour éviter la contamination des comprimés par la chaleur ou l'humidité présentes dans l'environnement. M. Durig estime que ces carences laissent planer un certain doute sur la fiabilité des analyses réalisées par M. Baldwin.


[138]        Monsieur Durig s'interroge aussi sur les divergences dans les résultats obtenus par M. Baldwin dans le cas des comprimés non commerciaux canadiens, où on n'a trouvé aucune « empreinte » de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté dans les comprimés de 20 mg et 30 mg, mais des traces dans ceux de 10 mg. M. Durig se réfère à la preuve de M. Niemczyk, soit la détection par celui-ci de 0,18 % " 0,11 % dans la substance en vrac. D'après M. Durig, la différence dans ces résultats est si grande qu'elle laisse là aussi planer un doute sur la fiabilité des méthodes employées et par M. Baldwin et par M. Niemczyk.

[139]        La contestation des techniques employées par M. Niemczyk et M. Baldwin ne se limite pas aux témoins de la défenderesse. M. Brenner, expert engagé au nom des demanderesses, a lui aussi mis en doute ces analyses et résultats. Au paragraphe 44 de son affidavit, M. Brenner a indiqué ce qui suit :

[traduction] Le fait que des quantités croissantes de chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté sont observées dans les substances de Genpharm à mesure que l'on progresse dans le procédé (autrement dit, il y a des quantités relativement faibles de chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté dans la substance en vrac, un peu plus dans les comprimés non commerciaux, et encore plus dans les comprimés commerciaux, qui sont quantitativement et qualitativement identiques à ceux que Genpharm commercialisera) est prévisible et concorde avec tout ce qui précède.

[140]        Cette déclaration, faite sans autres précisions, suggère que M. Brenner s'appuie sur l'effet cumulatif des analyses conduites par M. Niemczyk et M. Baldwin. Cependant, contre-interrogé sur cette déclaration, M. Brenner a commencé à apporter des réserves à sa déclaration. Il dit que les résultats des analyses ne sont pas comparables. Il répond notamment ce qui suit aux pages 80 et 82 de son contre-interrogatoire :

[traduction]

Nous avons parlé des comprimés 30 milligrammes comme étant les comprimés non commerciaux.

R.             D'accord.


Q.             Maintenant, je voudrais parler des comprimés de 20 milligrammes.

R.             D'accord.

Q.             Conviendrez-vous avec moi que les données de M. Baldwin établissent qu'il n'y a pas d'hémihydrate dans les comprimés de 20 milligrammes alors que les données de M. Niemczyk établissent un pourcentage de 0,18 d'hémihydrate dans la matière première, n'est-ce pas?

Est-ce un énoncé correct des données?

R.             Non, c'est erroné.

Q.             Qu'ai-je dit d'erroné?

R.             Ce qui est erroné, c'est que vous liez les données de M. Niemczyk et de M. Baldwin en cherchant à dire qu'elles ne concordent pas. Et vous faites une relation incorrecte, parce que vous liez un lot qui n'a pas été utilisé pour la fabrication des comprimés de 20 ou de 30 milligrammes.

Vous avez, vous savez, c'est un essai erroné de lier ces deux phénomènes. Ce n'est pas correct au plan scientifique.

Q.             Alors, pourquoi l'avez-vous fait au paragraphe 44?

Pourquoi reliez-vous les deux?

Vous nous dites au paragraphe 44, qu'il y a des quantités croissantes de paroxétine cristalline hémihydraté quand on passe du produit en vrac au produit non commercial, puis au produit commercial.

Et s'il n'est pas correct d'établir cette comparaison, alors pourquoi l'avez-vous faite?

R.             D'accord. J'ai réexaminé les arguments auxquels j'ai eu recours, vous savez, pour établir cette relation. Elle est légèrement différente de la vôtre, car vous cherchez à dire, vous savez, que les résultats de M. Niemczyk ne sont pas conformes à l'égard des comprimés de 20 et 30 milligrammes.

Q.             Ce que je dis, c'est que les résultats de M. Niemczyk ne sont pas cohérents avec ce que les données établissent selon vous.

R.             D'accord.

[141]        Monsieur Brenner a aussi été contre-interrogé sur les résultats obtenus par M. Baldwin, qui n'indiquaient la présence d'hémihydrate que dans les comprimés en concentration de 10 mg :


[traduction]

Q.             Pouvez-vous me dire exactement combien plus dans les comprimés non commerciaux que dans la substance en vrac?

R.             Ça va. L'une des questions que nous avons discutée avant la pause, était le fait que seulement une concentration des comprimés non commerciaux révélait la présence d'hémihydrate.

Q.             Oui.

R.             La concentration de dix. Pas celles de 20 ni de 30.

Q.             Oui.

R.             Et lorsque j'ai rédigé le paragraphe 44, c'était pour moi un mystère, vous savez. Comment le vrac pouvait-il en contenir alors que les comprimés n'en avaient pas?

Q.             Oui.

R.             Je cherchais à trouver une forme d'explication que - je n'arrive pas à expliquer les 20 et 30 milligrammes en regard du vrac et des dix milligrammes.

Si j'avais du vrac contenant une quantité nulle d'hémihydrate, je pourrais expliquer toutes les données à partir de ma propre expérience des comprimés à faible ou au contraire à forte concentration.

Mais le fait que le vrac contenait de l'hémihydrate, rien - la seule explication qui m'est venue à l'esprit pour les 20 et 30 milligrammes, était que des lots différents avaient servi à la fabrication des dix, 20 et 30 milligrammes. Ou peut-être que le même lot de vrac avait servi à la fabrication des 20 et des 30, et un lot différent à la fabrication des dix.

C'est la seule explication que j'ai pu trouver.

Q.             Si tous ont été produits à partir du même vrac, vous n'avez pas d'explication, n'est-ce pas?

R.             Si le même vrac a servi à fabriquer les trois, alors je n'ai pas d'explication.

[142]        Monsieur Brenner a ensuite suggéré que le vrac qui avait servi à la fabrication des comprimés de 10 mg [traduction] « pourrait être représentatif » du vrac analysé par M. Niemczyk.

[143]        Les demanderesses se fondent, en leur accordant beaucoup de poids, sur les observations finales de Madame la juge McGillis dans la décision Smithkline c. Apotex, précitée, qui a conclu que le produit de la seconde personne n'était pas contrefaisant. Elle a déclaré que s'il y avait conversion éventuelle de l'anhydre de la seconde personne en hémihydrate, en totalité ou en partie, la seconde personne ferait face à de « très graves » conséquences. Contrairement aux observations des demanderesses, j'estime que cette décision ne me lie pas, car le point n'a pas été traité par la Cour d'appel fédérale dans sa confirmation de la décision de la juge McGillis.


[144]        Je note que la décision de la juge McGillis reposait sur sa conclusion portant que les éléments de preuve produits ne soulevaient « qu'une possibilité » de contrefaçon. De la même manière, j'ai relevé des problèmes au sujet de la fiabilité des éléments de preuve présentés en l'espèce par les demanderesses touchant les analyses conduites en leur nom en vue d'établir la contrefaçon de la part de la défenderesse. Je ne mets pas en cause le choix des méthodes de détection mais plutôt la fiabilité des résultats obtenus, à la lumière des faiblesses qui ont été mises en évidence dans le contre-interrogatoire de certains témoins des demanderesses. Je ne suis pas persuadée qu'on a fourni une explication adéquate des incohérences soulevées par les analyses de M. Baldwin. Rien n'établit que M. Baldwin a tenté de reprendre ses analyses pour éliminer la possibilité d'une erreur dans ses résultats.

[145]        De même, il n'y a aucune explication adéquate de la divergence des résultats obtenus par M. Niemczyk et M. Baldwin.

[146]        On s'étonne que les questions pointues sur la preuve des analyses conduites par M. Niemczyk et M. Baldwin ne soient soulevées par M. Brenner, expert des demanderesses, qu'à l'étape du contre-interrogatoire. Selon son affidavit, M. Brenner avait examiné les affidavits de M. Niemczyk et M. Baldwin lorsqu'il a répondu à l'allégation de la défenderesse de non-contrefaçon de la revendication 10 du brevet 060. À mon avis, le fait que M. Brenner n'ait pas fait allusion, avant le contre-interrogatoire, aux limites des analyses de la substance en vrac et des comprimés, commerciaux et non commerciaux, soulève des questions au sujet de la crédibilité de l'opinion de M. Brenner et de la fiabilité des analyses.

[147]        Monsieur Brenner est un témoin important des demanderesses. Il cherche, à une étape tardive, à concilier les divergences manifestes dans les résultats des analyses de GSK. M. Durig a lui aussi mis en question les divergences dans les résultats des analyses et dit qu'elles jetaient des doutes sur la fiabilité de ces analyses.

[148]        Le fardeau de la preuve incombe aux demanderesses, qui doivent établir que le produit de la défenderesse contrefait la revendication 10 du brevet. Les demanderesses s'appuient sur des analyses de la substance en vrac et de certains comprimés. Toutefois, selon moi, la fiabilité de ces analyses a été mise en doute. Dans ces circonstances, je conclus que les demanderesses n'ont pas établi la contrefaçon de la défenderesse, suivant la prépondérance de la preuve. Il n'est donc pas nécessaire que j'examine les autres arguments soulevés par la défenderesse au sujet de la contrefaçon.

CONCLUSION

[149]        En conclusion, je décide que les demanderesses ont établi que les allégations d'invalidité faites par la défenderesse au sujet de la revendication 10 du brevet 060 ne sont pas fondées. Cependant, les demanderesses n'ont pas établi, suivant la prépondérance de la preuve, que l'allégation de non-contrefaçon de la défenderesse n'était pas justifiée. Par conséquent, la demande des demanderesses visant l'obtention d'une ordonnance d'interdiction à l'égard du brevet 060 est rejetée, les dépens étant attribués à la défenderesse.


[150]        Au début de l'audience relative à la présente demande, l'avocat de la défenderesse a demandé la possibilité d'être entendu sur les dépens relatifs aux deux autres brevets, en l'occurrence le brevet 575 et le brevet 637, à l'égard desquels les demanderesses ont retiré leur demande. Par conséquent, je réserve ma décision sur ces dépens, à moins que les parties n'en conviennent autrement. À défaut d'accord entre les parties, la défenderesse peut présenter des observations sur les dépens après avoir donné un avis aux demanderesses dix jours à l'avance; les demanderesses pourront répondre à ces observations dans un délai de (10) jours et la défenderesse devra déposer sa réponse dans un délai de cinq (5) jours à compter de la réception des observations des demanderesses.

(Signé) « Elizabeth Heneghan »

Juge

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

24 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE DOSSIER :                                             T-1755-01

INTITULÉ :                                                        GLAXOSMITHKLINE INC. ET AL.

c. GENPHARM INC. ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :              2 et 3 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Madame la juge Heneghan

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              Motifs d'ordonnance confidentiels déposés

le 3 octobre 2003 et Motifs d'ordonnance publics

déposés le 24 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Anthony Creber

James E. Mills                                        Pour les demanderesses

Roger Hughes, C.R.                               

Barbara Murchie                                                  Pour la défenderesse, Genpharm Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

160, rue Elgin, bureau 2600

Ottawa (Ontario) K1P 1C3                                 Pour les demanderesses

Sim, Hughes, Ashton & McKay

330, avenue University, 6e étage

Toronto (Ontario) M5G 1R7                               Pour la défenderesse, Genpharm Inc.



[1]            Dans le rapport de Niemczyk, annexé à son affidavit comme pièce B, il écrit dans la section « Résultats » que 0,18 " 0,11 % de chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté a été décelé dans le produit en vrac de Genpharm.

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