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Date : 20030402

Dossier : T-113-02

Référence : 2003 CFPI 392

Ottawa (Ontario), le mercredi 2 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                            STEVE BUGERA, ROSE BUGERA,

                                       GERALD BUGERA, ALLAN BUGERA

                                                           ET GAIL MCLEOD

                                                                                                                                      demandeurs

                                                                            et

                                      LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Les demandeurs sont des contribuables qui, dans la présente demande de contrôle judiciaire, contestent la décision par laquelle le représentant du ministre du Revenu national a refusé, le 24 décembre 2001, d'autoriser la production tardive de plusieurs choix effectués en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).


HISTORIQUE

[2]                 Les demandeurs Steve et Rose Bugera sont les parents de cinq enfants adultes, dont trois sont également demandeurs dans la présente demande de contrôle judiciaire. La famille possédait et exploitait conjointement un pub à Kelowna. Elle le faisait par l'entremise d'une société connue sous le nom de Zodiac Pub Ltd. (Zodiac).

[3]                 La société Zodiac a été réorganisée au moyen d'un gel successoral et par la suite au moyen d'un dégel. Le gel successoral a eu lieu en 1992, lorsque les parents ont conservé les actions privilégiées qu'ils détenaient dans la société et ont transféré les actions ordinaires et le droit de propriété y afférent aux cinq enfants adultes. Le dégel a eu lieu en 1994 lorsque les cinq enfants ont remis leurs actions ordinaires en échange d'actions privilégiées, les parents reprenant le contrôle de la société en acquérant les actions ordinaires. Le gel successoral a eu lieu afin de permettre que l'intérêt futur détenu dans la société Zodiac soit accumulé au nom des cinq enfants et afin de permettre à M. et à Mme Bugera Sr. de tirer parti de l'exonération enrichie des gains en capital dont ils pouvaient se prévaloir par suite de la vente des actions d'une société exploitant une petite entreprise admissible. Le dégel a eu lieu afin de faciliter la cristallisation des gains en capital qui s'étaient accumulés à l'égard des actions détenues par les enfants Bugera.

[4]                 Au moment du dégel successoral, M. Bugera père a reçu une lettre des avocats de la famille, qui lui faisaient savoir que les choix prévus à l'article 85 de la Loi devaient être produits dans un délai précis, les avocats comptant sur le conseiller fiscal de la famille Bugera pour produire les choix. Les demandeurs affirment que le conseiller fiscal s'était engagé à produire les choix appropriés dans le délai prescrit. Toutefois, il n'a pas produit les choix à temps ou il ne les a même pas produits. La famille Bugera affirme qu'elle n'était pas au courant de cette omission et que l'omission n'a été décelée qu'après l'expiration du délai prévu aux fins de la production des choix.

[5]                 Au mois de juin 1997, la famille Bugera a vendu les actions qu'elle détenait dans Zodiac à un tiers sans lien de dépendance. Elle déclare qu'elle n'aurait pas vendu la société si elle avait su que les choix prévus à l'article 85 n'avaient pas été produits.

[6]                 À l'automne 1997, le nouveau comptable de la famille a informé M. Bugera père que les choix prévus à l'article 85 n'avaient pas été produits à temps à l'égard de la réorganisation des actions de Zodiac au cours des années 1992 et 1994. Le comptable a alors rassemblé les renseignements nécessaires pour permettre à Revenu Canada d'examiner l'affaire.


[7]                 Le 1er décembre 1997, le comptable a conseillé à M. Bugera et à sa famille de verser à Revenu Canada le montant estimatif des pénalités, des intérêts et des impôts sur le revenu, de façon que les intérêts cessent de courir et pour démontrer leur bonne foi. Ce mois-là, M. Bugera père a versé à Revenu Canada, Impôt, un montant de 455 000 $ afin d'acquitter ses propres dettes fiscales ainsi que celles de sa famille.

[8]                 Au mois de décembre 1997 également, le comptable a fait une divulgation volontaire à Revenu Canada pour le compte de la famille.

[9]                 Revenu Canada semble avoir eu de la difficulté à traiter les paiements effectués par M. Bugera père. Le comptable de la famille a reçu de Revenu Canada des états de compte indiquant que le ministère avait attribué les paiements aux acomptes provisionnels respectifs de 1997 de M. Bugera et de sa famille. Lorsque le comptable a appelé Revenu Canada pour informer le ministère de cette erreur, on lui a apparemment dit que le système informatique de Revenu Canada n'était pas programmé pour attribuer et enregistrer les paiements effectués à l'égard de dettes qui n'avaient pas encore fait l'objet d'une cotisation.


[10]            Après que des renseignements additionnels eurent été fournis à Revenu Canada et que des communications additionnelles aient eu lieu entre les conseillers professionnels de la famille et Revenu Canada, une demande formelle visant l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 85(7.1) de la Loi a été faite. À la suite d'un examen, le représentant du ministre du Revenu national a fait savoir qu'il refusait d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de permettre la production des choix tardifs. La demande de contrôle judiciaire se rapporte à cette décision.

LA DÉCISION DU REPRÉSENTANT DU MINISTRE

[11]            La lettre par laquelle la décision du représentant était communiquée était brève; elle était ainsi libellée :

[TRADUCTION] Notre bureau a minutieusement examiné la lettre du 14 novembre dans laquelle vous demandiez au ministre de permettre la production de plusieurs choix prévus à l'article 85 après l'expiration du délai de trois ans conformément aux dispositions du paragraphe 85(7.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).

Les choix se rapportent à la réorganisation des actions de Zodiac Pub Ltd., effectuée en 1992 et en 1994 par sept membres individuels de la famille Bugera (vos clients). Nous aimerions faire les remarques suivantes au sujet de votre demande.

Les décisions de certains clients, dans des années d'imposition subséquentes, d'investir dans des valeurs mobilières créant des soldes de PNCP ont été prises sur les conseils de conseillers professionnels. Or, vos clients sont en fin de compte responsables de leurs propres décisions. Cette demande aurait été inutile si ces investissements n'avaient pas été effectués.

La demande visant à faire modifier quelque vingt-cinq déclarations de revenu de vos clients, en 1998, ne constituait pas une « divulgation volontaire » au sens de la circulaire d'information IC 85-1R2 et n'a pas été acceptée comme telle. Les demandes de modification ont été renvoyées à la Vérification. Vos clients n'ont jamais produit les choix appropriés relatifs à la réorganisation des actions et aucune des sommes qui ont été payées en acompte n'a été désignée aux fins du paiement des pénalités applicables aux choix prévus à l'article 85 qui ont été produits tardivement.

En fin de compte, la Vérification a refusé d'effectuer les modifications se rapportant à la réorganisation et à l'application de l'article 85. En l'absence de choix valides, vos clients n'avaient aucun gain à déclarer par suite de la réorganisation, en 1992 ou en 1994, étant donné qu'aucune contrepartie non composée d'actions n'était en cause. Le traitement fiscal qui s'applique aux échanges d'actions est reporté tant que les actions échangées ne sont pas finalement aliénées, ce qui dans ce cas-ci s'est produit en 1997.


Vous avez soutenu que vos clients ont omis de produire à temps les choix appropriés par suite d'erreurs commises par inadvertance. Toutefois, aucune inadvertance n'a été commise lorsqu'il s'est agi de prendre des mesures aux fins de cet effort de planification fiscale complexe. Il semble que les erreurs, pour ce qui est de la production, aient été attribuables à la négligence ou au manque de diligence plutôt qu'à une inadvertance.

Pour ces motifs, j'estime qu'il ne serait pas juste ou équitable de faire droit aux demandes de vos clients conformément aux dispositions du paragraphe 85(7.1) de la Loi.

LES POINTS LITIGIEUX

[12]            Dans cette demande de contrôle judiciaire, trois erreurs sont alléguées. Il s'agit des erreurs suivantes :

1.          Le représentant du ministre a commis une erreur de droit en décidant que, pour que le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 85(7.1) de la Loi puisse être exercé, les demandeurs devaient produire leurs choix et payer les montants estimatifs des pénalités à l'égard des choix.

2.          Le représentant a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées lorsqu'il a conclu que les demandeurs n'avaient pas produit de choix appropriés et n'avaient pas payé le montant estimatif des pénalités. (Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le ministre n'a pas continué à affirmer que les demandeurs n'avaient pas fait de divulgation volontaire. Ce point n'est donc pas en litige.)

3.          Le représentant du ministre a outrepassé sa compétence en tenant compte de considérations non pertinentes et, plus précisément du fait que certains demandeurs avaient investi des fonds dans des valeurs qui créaient des soldes de perte nette cumulative sur placement (PNCP).

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[13]            Le paragraphe 85(7.1) de la Loi qui conférait au ministre le pouvoir discrétionnaire voulu pour autoriser la production tardive des choix est libellé comme suit :



85(7.1). Lorsque le ministre est d'avis que les circonstances d'un cas sont telles qu'il serait juste et équitable,

a) soit de permettre qu'un choix visé au paragraphe (1) ou (2) soit fait après la fin du délai de 3 ans qui suit la date à laquelle il devait être fait au plus tard en vertu du paragraphe (6),

b) soit de permettre qu'un choix fait en vertu du paragraphe (1) ou (2) soit modifié,

le choix ou choix modifié est réputé avoir été fait au plus tard à la date à laquelle le choix devait être ainsi fait, si les conditions suivantes sont réunies:

c) le choix ou choix modifié est fait selon le formulaire prescrit;

d) le contribuable ou la société de personnes, selon le cas, paie le montant estimatif de la pénalité relative au choix ou choix modifié, au moment où celui-ci est fait.

Lorsque le présent paragraphe s'applique à la modification d'un choix, celui-ci est réputé n'avoir jamais été en vigueur.

85(7.1). Where, in the opinion of the Minister, the circumstances of a case are such that it would be just and equitable

(a) to permit an election under subsection (1) or (2) to be made after the day that is 3 years after the day on or before which the election was required by subsection (6) to be made, or

(b) to permit an election under subsection (1) or (2) to be amended,

the election or amended election shall be deemed to have been made on the day on or before which the election was so required to be made if

(c) the election or amended election is made in prescribed form, and

(d) an estimate of the penalty in respect of the election or amended election is paid by the taxpayer or partnership, as the case may be, when the election or amended election is made,

and where this subsection applies to the amendment of an election, that election shall be deemed not to have been effective.


LA NORME DE CONTRÔLE


[14]            Un pouvoir discrétionnaire étendu est conféré au ministre par le paragraphe 85(7.1) de la Loi. Dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut pas exercer le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre. Elle ne peut intervenir et annuler la décision discrétionnaire faisant l'objet de l'examen que si la décision a été rendue de mauvaise foi, sans qu'il soit tenu compte de faits importants ou sur la base de faits non pertinents, ou encore si la décision était contraire au droit. Voir : Barron c. ministre du Revenu national (1997), 209 N.R. 392; (demande d'autorisation de pourvoi refusée le 10 juillet 1997 [1997] C.S.C. no 207).

ANALYSE

1.          Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur de droit en décidant que, pour que le pouvoir discrétionnaire puisse être exercé, les demandeurs devaient produire leurs choix et payer les montants estimatifs des pénalités à l'égard des choix?

[15]            Les demandeurs affirment que lorsqu'il a refusé de leur permettre de produire des choix tardifs, le représentant a fait savoir qu'à son avis, pour qu'il puisse exercer son pouvoir discrétionnaire, il fallait que les choix appropriés soient produits et que le montant estimatif des pénalités soit payé. Ils ajoutent que le représentant doit d'abord exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de permettre les choix et qu'une fois que l'autorisation a été accordée, le contribuable peut se prévaloir de cette autorisation en produisant les choix appropriés et en payant le montant estimatif des pénalités.


[16]            À l'appui de cet argument, les demandeurs disent que, si le législateur avait voulu que les choix et les paiements constituent une condition de l'exercice du pouvoir discrétionnaire, il l'aurait expressément prévu au paragraphe 85(7.1). Les demandeurs notent que, dans la circulaire d'information 76-19R3, le ministre a établi une ligne directrice prévoyant que les choix tardifs devaient être envoyés avec une demande écrite adressée au ministre accompagnée du paiement relatif au montant estimatif des pénalités applicables. Toutefois, ils affirment que le contenu d'une politique doit être conforme au pouvoir octroyé par la loi habilitante. À l'appui de cet argument, ils se fondent sur la décision que Monsieur le juge Rouleau a rendue dans l'affaire Boyko c. Canada (Ministre de l'Agriculture) (2000), 191 F.T.R. 6 (1re inst.), au paragraphe 13. Les demandeurs disent que, dans ce cas-ci, la politique voulant que l'on exige qu'un choix soit produit tardivement et que le montant estimatif des pénalités soit payé avant que l'examen prévu au paragraphe 85(7.1) soit effectué contredit la Loi et excède le pouvoir accordé au ministre.

[17]            En ce qui concerne la circulaire d'information 76-19R3, intitulée « Transfert de biens à une société en vertu de l'article 85 » les dispositions pertinentes en l'espèce se trouvent aux paragraphes 15 et 21, qui traitent de la production tardive de choix. Ces paragraphes sont ainsi libellés :

Choix tardifs ou modifiés

15. En vertu du paragraphe 85(7) , vous avez jusqu'à trois ans après la date limite de production mentionnée au numéro 12 pour faire un choix. Le paragraphe 85(7.1) stipule que vous pouvez produire un choix plus de trois ans après la date limite initiale ou modifier un choix n'importe quand si le ministre est d'avis que, compte tenu des circonstances, il est juste et équitable d'accepter le choix tardif ou modifié. Le ministre délègue le pouvoir d'accepter ces choix tardifs ou modifiés aux directeurs des bureaux des services fiscaux. Vous ou votre représentant devez envoyer votre choix tardif ou modifié, prévu au paragraphe 85(7.1), au bureau des services fiscaux qui dessert le cédant, avec une demande écrite au ministre d'accepter le choix. La demande doit préciser pourquoi, selon vous, il serait juste et équitable que le ministre accepte le choix. Si vous ne donnez pas de raisons, le Ministère ne traitera pas le choix. De plus, au moment de faire le choix, vous devez payer le montant estimatif de la pénalité applicable (voir le numéro 21).

[...]


Pénalités pour choix tardifs ou modifiés

21. Le Ministère n'accepte pas un choix tardif ou modifié fait selon le paragraphe 85(7) ou (7.1), à moins que le cédant ne calcule et ne paie la pénalité estimative au moment de produire le choix. Ultérieurement, nous déterminerons le solde de la pénalité que le cédant doit acquitter sans délai.                         [Non souligné dans l'original]

[18]            La circulaire d'information 92-1, intitulée « Lignes directrices concernant l'acceptation des choix tardifs, modifiés ou révoqués » est également pertinente. Les dispositions pertinentes sont les paragraphes 3, 10, 11 et 16, qui sont ainsi libellés :

3. Ce qui est énoncé ici ne constitue que des lignes directrices. La présente circulaire n'est donc pas exhaustive et ne doit pas être interprétée comme limitant l'esprit ou l'intention des mesures législatives. Ces lignes directrices seront modifiées au besoin suivant l'expérience acquise.

[...]

10. Le Ministère peut accepter une demande dans les situations suivantes :

a) Lorsqu'une situation a entraîné des conséquences fiscales non voulues par le contribuable et qu'il peut être prouvé que le contribuable a pris des mesures raisonnables pour se conformer à la loi. Tel est notamment le cas lorsque le contribuable a, de bonne foi, obtenu pour un bien une évaluation qui, après examen par le Ministère, s'est révélée inexacte.

b) Lorsque la demande est attribuable à une situation qui est manifestement indépendante de la volonté du contribuable. Les situations extraordinaires peuvent comprendre les calamités naturelles ou les catastrophes provoquées par l'homme comme une inondation ou un incendie; les troubles civils ou les interruptions de services comme une grève des postes; les maladies ou les accidents graves; les troubles émotifs sérieux ou les souffrances morales graves comme le décès d'un membre de la famille immédiate.

c) Lorsqu'il est évident que le contribuable a agi en se fondant sur des renseignements erronés fournis par le Ministère, notamment une réponse écrite inexacte qu'il aurait reçue concernant une demande de renseignements ou une erreur contenue dans une publication du Ministère.


d) Lorsque la demande est attribuable à une situation qui découle manifestement d'une erreur mécanique. Tel est notamment le cas lorsque le contribuable a utilisé la valeur comptable nette alors qu'il est évident qu'il voulait utiliser la fraction non amortie du coût en capital ou qu'il s'est trompé en utilisant un certain coût pour des calculs.

e) Lorsque la comptabilisation postérieure des opérations a été faite par toutes les parties comme si le choix avait été exercé ou avait été exercé d'une manière donnée.

f) Lorsque le contribuable peut démontrer qu'il ne savait pas qu'il pouvait exercer le choix, malgré les efforts raisonnables qu'il avait déployés pour observer la loi, et qu'il a pris sans tarder des mesures correctives.

11. Une demande est refusée dans les cas suivants :

a) Il est raisonnable de conclure que le contribuable a présenté la demande dans un but de planification fiscale rétroactive. Tel est notamment le cas lorsque le contribuable veut profiter de modifications législatives qui sont entrées en vigueur après l'expiration du délai d'exercice du choix.

b) La documentation existante ne permet pas au Ministère de vérifier s'il peut accepter la demande.

c) Il est raisonnable de conclure que le contribuable a dû faire une demande, parce qu'il a fait preuve de négligence ou d'imprudence en ce qui concerne l'observation de la loi.

[...]

16. Lorsqu'une demande vise plus d'un contribuable, elle doit aussi contenir le consentement aux changements demandés, signé par toutes les parties.

                                                                                                                           [Non souligné dans l'original]

[19]            Quant aux arguments invoqués par les demandeurs, je ne suis pas convaincue, compte tenu de la preuve, que le représentant du ministre ait considéré que la production de choix signés de la façon appropriée et le paiement des sommes désignées de la façon appropriée au titre des pénalités soient des conditions aux fins de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Si le représentant avait considéré qu'il en était réellement ainsi, la demande n'aurait pas été traitée.

[20]            Compte tenu des motifs énoncés par le représentant du ministre, je suis convaincue que le représentant a de fait tenu compte de l'absence de choix signés de la façon appropriée et de paiements désignés de la façon appropriée en appréciant au fond l'ensemble de la demande. Je traiterai ci-dessous de la question de savoir si, eu égard à la preuve, les conclusions tirées par le représentant du ministre étaient fondées, mais je suis convaincue qu'en droit, ces facteurs peuvent être pris en considération et qu'ils sont pertinents.

[21]            Sur ce point, le ministre peut formuler des lignes directrices générales, comme il l'a fait dans les circulaires d'information 92-1 et 76-19R3, afin de faciliter l'exercice uniforme du pouvoir discrétionnaire. Ces lignes directrices exigent que les choix normalement tardifs soient produits avec une demande écrite en vue de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 85(7.1) et que le montant estimatif des pénalités applicables soit payé à ce moment-là. Par conséquent, dans la mesure où les circulaires d'information constituent des lignes directrices valides, le représentant du ministre pouvait à bon droit se demander si les choix avaient été produits et si un montant estimatif désigné de la façon appropriée avait été payé au titre des pénalités.


[22]            Les demandeurs soutiennent que les lignes directrices doivent être conformes à l'intention du législateur et que la circulaire d'information 76-19R3 va à l'encontre de cette intention. Ils affirment que l'intention du législateur est d'exiger la production des formulaires et le paiement des pénalités après que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon favorable et non auparavant, comme le prévoient les lignes directrices du défendeur.

[23]            J'ai minutieusement examiné le paragraphe 85(7.1) de la Loi; je ne suis pas convaincue que les lignes directrices aient été formulées de mauvaise foi et compte tenu de considérations non pertinentes ou de buts étrangers à l'intention du législateur. Il n'y a rien dans le libellé du paragraphe 85(7.1) de la Loi qui m'amène à conclure que l'intention du législateur est frustrée si les personnes qui demandent au ministre d'exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire sont généralement tenues de joindre à leur demande un formulaire de choix rempli de la façon appropriée et de payer un montant estimatif désigné de la façon appropriée au titre des pénalités qui sont dues à l'égard du choix demandé.

[24]            Le paragraphe (7.1) prévoit que lorsque le ministre est d'avis qu'il est juste et équitable de permettre un choix tardif, le choix est réputé avoir été fait en temps opportun s'il est fait selon le formulaire prescrit et si le montant estimatif des pénalités est payé au moment où le choix est fait. Obliger le contribuable à faire son choix et à payer le montant estimatif des pénalités en attendant que le ministre exprime son avis est conforme au libellé du paragraphe (7.1). Une fois que ces deux choses ont été accomplies, il incombe au ministre de déterminer s'il est juste et équitable de permettre la production tardive d'un choix ou d'y donner effet.


2.          Le représentant a-t-il fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées?

[25]            Dans la lettre de refus, le représentant du ministre a dit ce qui suit :

[TRADUCTION] Vos clients n'ont jamais produit les choix appropriés relatifs à la réorganisation des actions et aucune des sommes qui ont été payées en acompte n'a été désignée aux fins du paiement des pénalités applicables aux choix prévus à l'article 85 qui ont été produits tardivement.

[26]            Les demandeurs affirment que ces conclusions sont arbitraires, et ce, pour les motifs suivants :

(i)          comme le représentant du ministre l'a fait remarquer dans l'affidavit qu'il a déposé en opposition à la présente instance, des choix dûment signés, en vertu de l'article 85, ont été produits par Steve et par Rose Bugera, mais non par les enfants Bugera. Des choix non signés ont été remis au nom de ces derniers.

(ii)         Quant aux paiements, il est établi, et cela n'a pas été contredit, qu'au mois de décembre 1997, le demandeur Steve Bugera a versé un montant de 455 000 $ au défendeur.

[27]            En ce qui concerne la première conclusion de fait qui serait censément arbitraire, il est certain que cinq des sept contribuables n'ont pas signé les formulaires de choix qui ont été présentés au ministre. La circulaire d'information 92-1 prévoit expressément, au paragraphe 16, que lorsqu'une demande vise plus d'un contribuable, elle doit aussi contenir le consentement aux changements demandés, signé par toutes les parties. Il n'était pas déraisonnable de noter l'absence de formulaires de choix signés pour tous les contribuables concernés.


[28]            Quant à la deuxième conclusion de fait qui serait arbitraire, rien ne montre que lorsque les sommes ont été versées à Revenu Canada, elles ont été désignées comme se rapportant au montant estimatif des pénalités. La seule preuve qui se rapporte au paiement montre que les chèques ont été remis en mains propres à Revenu Canada pour chaque contribuable. Rien ne montre qu'une note ou une lettre explicative accompagnait le paiement. Lorsqu'il est devenu évident que Revenu Canada avait attribué les paiements aux acomptes provisionnels courants des contribuables, le comptable des contribuables a communiqué avec Revenu Canada; on l'a informé que le système informatique n'était pas programmé pour attribuer les paiements à des dettes qui n'avaient pas encore fait l'objet de cotisations. Rien ne montre ce que les contribuables ou leurs conseillers professionnels ont par la suite fait. Cette preuve n'établit pas que les paiements ont été effectués de la façon dont ils devraient normalement l'être.

[29]            Compte tenu de la preuve, je ne crois pas qu'il était manifestement déraisonnable pour le représentant du ministre de conclure que les enfants n'avaient pas produit de choix de la façon appropriée et [TRADUCTION] qu' « aucune des sommes qui ont été payées en acompte n'a été désignée aux fins du paiement des pénalités applicables aux choix prévus à l'article 85 qui ont été produits tardivement » . La lettre de décision ne disait pas que les paiements n'avaient pas été effectués. Elle parlait uniquement de l'omission de désigner les paiements comme se rapportant aux choix produits tardivement.


[30]            Même si ma conclusion est erronée et même si le représentant du ministre ne devait pas prendre ces facteurs en considération, je ne considère pas que ces conclusions aient été importantes aux fins de la décision. À mon avis, la décision était essentiellement fondée sur les conclusions que le représentant du ministre avait tirées au sujet de la planification fiscale rétroactive et sur le fait que les choix n'avaient pas été produits à cause d'une négligence ou d'un manque de diligence. Par conséquent, étant donné que, à mon avis, toute erreur relative à la production des choix et au paiement du montant estimatif des pénalités n'était pas importante, j'exercerai mon pouvoir discrétionnaire en refusant d'accueillir la demande de contrôle judiciaire pour ce motif. Voir Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 288 N.R. 48 (C.A.F.).

3.          Le représentant a-t-il excédé sa compétence en tenant compte de considérations non pertinentes?

[31]            Il n'est pas contesté qu'au cours des années d'imposition 1994 à 1997, un grand nombre de demandeurs ont investi de l'argent dans des abris fiscaux composés de sociétés en commandite spéculatives, ce qui a influé sur leurs soldes de PNCP et par conséquent sur les déductions pour gains en capital disponibles. Le représentant du ministre estimait que si ces investissements n'avaient pas été effectués, les demandeurs n'auraient pas eu à produire les choix prévus à l'article 85. Il a donc conclu que la présentation des demandes constituait de la planification fiscale rétroactive.


[32]            Les demandeurs affirment que leur conduite ne peut pas constituer de la planification fiscale rétroactive parce que la preuve, qui n'a pas été contredite, montre qu'ils n'ont appris que les choix n'avaient pas été produits qu'après avoir investi des fonds dans les abris fiscaux. Ils disent qu'en l'absence de preuve montrant qu'ils savaient que les choix n'avaient pas été produits, le fait qu'ils ont présenté les demandes tardivement ne peut pas être interprété comme de la planification fiscale rétroactive.

[33]            Je ne suis pas d'accord. Les parties concèdent que, si ce n'avait été des investissements qui ont créé des soldes de PNCP, l'effet des choix demandés irait à l'encontre des intérêts de la plupart des contribuables. Ayant accumulé ces soldes, et ayant ensuite été mis au courant de l'omission antérieure de produire les choix (c'est-à-dire les faits que les contribuables invoquent), les contribuables avaient à se demander s'ils devaient chercher à produire les choix tardivement ou accepter la situation telle quelle. Eu égard à ces faits, il était à mon avis loisible au représentant du ministre de considérer la situation comme de la planification fiscale rétroactive. Si ce n'avait été des événements subséquents, les contribuables n'avaient plus intérêt à faire ce qu'ils voulaient initialement faire. Il est possible de dire qu'il s'agit de planification fiscale rétroactive et la conclusion tirée par le représentant du ministre n'était pas manifestement déraisonnable.


4.          Autres questions

[34]            Les demandeurs se plaignent également que le représentant du ministre a considéré d'une façon non appropriée comme motif de refus le fait que, s'ils étaient autorisés, les choix entraîneraient une augmentation de revenu pour des années frappées de prescription et que le représentant du ministre a commis une erreur en concluant que les choix n'avaient pas été produits à cause d'une négligence ou d'un manque de diligence.

[35]            Ni l'un ni l'autre argument ne me convainc.

[36]            Quant au premier point, la lettre de refus énonce expressément les motifs sur lesquels la décision était fondée et il n'est pas fait mention d'années frappées de prescription. Le représentant du ministre a mentionné ce motif dans son affidavit, mais j'y accorde peu d'importance. Étant donné la déclaration qui a expressément été faite dans la lettre de refus énumérant les motifs à l'appui de la décision, la décision du représentant du ministre devrait à mon avis être considérée par rapport aux motifs qui ont alors été énoncés par le représentant.


[37]            Quant à la question de savoir s'il était manifestement déraisonnable pour le représentant du ministre de conclure que les erreurs relatives à la production étaient attribuables à la négligence ou au manque de diligence, les opérations relatives au gel successoral et au dégel constituaient de la planification fiscale relativement complexe qui n'a pas été menée à bonne fin de la façon appropriée. M. Bugera a déclaré sous serment que les demandeurs avaient simplement supposé que les choix avaient été produits de la façon appropriée dans le délai imparti. Par la suite, ils ont signé des déclarations de revenu dans lesquelles le gain ou l'exonération voulue sur les échanges d'actions n'étaient pas déclarés.

[38]            À mon avis, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le représentant du ministre de considérer que l'omission de produire les choix prévus à l'article 85 dans la forme prescrite découlait d'une négligence ou d'un manque de diligence. Compte tenu de la preuve, il lui était avec raison loisible de tirer cette conclusion.

CONCLUSION

[39]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n'a été fait mention d'aucun facteur expliquant pourquoi les dépens, tels qu'ils ont été demandés par les demandeurs, ne devraient pas suivre l'issue de la cause.


ORDONNANCE

[40]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Les demandeurs verseront au défendeur les montants visés par un seul mémoire de frais, celui-ci devant être taxé comme le prévoit l'article 407 des Règles de la Cour fédérale (1998).

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-113-02

INTITULÉ :                                                                     Steve Bugera et autres

c.

MRN

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Kelowna (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 13 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE :                                                   Madame le juge E. R. Dawson

DATE DES MOTIFS :                                                  le 2 avril 2003

COMPARUTIONS :

M. Robert E. Groves                                                         POUR LES DEMANDEURS

Mme Karen A. Truscott                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Berge Horn                                                                        POUR LES DEMANDEURS

Kelowna (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 

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