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Date : 20031216

Dossier : T-210-03

Référence : 2003 CF 1475

ENTRE :

                                                             JOHN KEITH WILSON

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                 John Keith Wilson comparaît-il devant moi en tant qu'un Canadien de naissance qui veut revenir chez lui ou comparaît-il devant moi en tant qu'un Américain? Le ministre doit délivrer un certificat de citoyenneté aux citoyens qui en font la demande. L'agent de citoyenneté a refusé de délivrer un certificat au motif que le demandeur n'était pas citoyen canadien. M. Wilson a présenté une demande de contrôle judiciaire en prétendant que toute loi qui le dissuade de faire une demande viole la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[2]                 Les faits dont disposait l'agent de citoyenneté sont simples. Le droit, qui offre un aperçu fascinant de l'évolution de la souveraineté canadienne au cours du XXe siècle, ne l'est pas. Après avoir traité des faits, j'analyserai le droit relatif aux lois antérieures en matière de citoyenneté, à la Loi sur la citoyenneté présentement en vigueur et à la Charte canadienne des droits et libertés.

LES FAITS

[3]         M. Wilson est né dans l'État du Michigan en 1946. Son père et sa mère étaient tous deux nés au Canada, mais ils vivaient aux États-Unis au moment de leur mariage célébré en 1940. Le père du demandeur a été naturalisé citoyen américain en 1941. Le dossier ne mentionne pas si sa mère a pris des mesures en vue de devenir citoyenne américaine.

[4]                 La seule indication dans le dossier quant aux mesures prises par John Keith Wilson à l'égard de la citoyenneté canadienne est sa demande de certificat de citoyenneté présentée en 2002.

LES LOIS ANTÉRIEURES EN MATIÈRE DE CITOYENNETÉ

[5]         En 1914, le Parlement impérial a adopté la British Nationality and Status of Aliens Act 1914, 4 & 5 Geo. 5, ch. 17, et le Parlement du Canada a adopté la Loi de naturalisation, S.R.C. 1927, ch. 138.


[6]                 Aux fins des présentes, il n'est pas nécessaire d'examiner la loi adoptée par le Parlement impérial. La Loi de naturalisation (la Loi de 1914) était la loi en vigueur au moment de la naissance de M. Wilson en 1946. Il est important de noter qu'à ce moment la citoyenneté canadienne n'existait pas de façon distincte. Il n'y avait que des sujets britanniques, soit de naissance, soit par suite d'une naturalisation.

[7]                 M. Wilson, qui est une personne « née en dehors des dominions de Sa Majesté » et dont « le père est né sous l'allégeance de Sa Majesté » , n'est pas un sujet britannique de naissance parce que son père n'était pas un « sujet britannique à l'époque de [sa] naissance » (alinéa 3b)).

[8]                 Le fait que le père de M. Wilson soit devenu citoyen américain a également eu des conséquences pour la mère du demandeur. Son mariage a fait d'elle une étrangère. Cependant, elle pouvait faire une déclaration par laquelle elle aurait exprimé son désir de garder sa nationalité britannique et elle serait ainsi restée sujet britannique (article 13). On ne sait pas si elle a pris des mesures à cet égard.

[9]                 La deuxième loi à examiner est la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, connue de façon pratique sous le nom de la Loi de 1947 étant donné qu'elle est entrée en vigueur le premier janvier de l'année 1947. C'est cette loi qui a conféré la citoyenneté canadienne aux sujets britanniques nés ou résidant au Canada.

[10]            Une personne comme M. Wilson, née hors du Canada, était considérée être un citoyen canadien de naissance si « son père ou, dans le cas d'une personne née hors du mariage, sa mère » était né au Canada et n'était pas devenu étranger lors de la naissance de ladite personne.


[11]            M. Wilson se plaint qu'il s'agit de discrimination fondée sur le sexe et c'est effectivement ce dont il s'agit. Cependant, à moins que sa mère ait pris de mesures visant à garder sa nationalité britannique, à la naissance de M. Wilson, lui et ses parents étaient tous des étrangers (alinéa 4b)).

[12]            L'article 6 de la Loi de 1947 est également pertinent en ce qu'il prévoyait qu'un mineur né à l'étranger, qui aurait autrement eu droit à la citoyenneté, cessait d'être un citoyen canadien à moins d'être légalement admis au Canada en tant que résident permanent ou à moins, après avoir atteint l'âge de 21 ans, d'avoir revendiqué sa citoyenneté canadienne par une déclaration de rétention et, s'il était citoyen d'un autre pays, d'avoir renoncé à cette citoyenneté. Étant donné que M. Wilson est né aux États-Unis d'un père américain, je ne peux que tenir pour acquis qu'il est un citoyen américain.

[13]            Rien ne démontre que M. Wilson ait fait quoi que ce soit à l'égard des mesures précédemment mentionnées, et, en fait, il ne pouvait rien faire puisqu'il est né alors que ses parents étaient mariés et que son père était un étranger.

[14]            L'article 11 de la Loi de 1947 accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire d'émettre un certificat de citoyenneté à une femme qui, en vertu de la Loi de naturalisation de 1914, avait cessé d'être sujet britannique du seul fait de son mariage à un étranger. Le dossier ne mentionne rien quant à la question de savoir si la mère de M. Wilson avait fait une demande à cet égard.


[15]            L'article 11 accorde également au ministre un pouvoir discrétionnaire d'octroyer la citoyenneté à un mineur dans un cas particulier. Une fois de plus, rien ne démontre que M. Wilson ait fait quoi que ce soit à cet égard.

[16]            La dernière loi qui précède la Loi sur la citoyenneté actuelle est la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, ch. C-19 (la Loi de 1970). Suivant l'article 4, M. Wilson n'était pas un citoyen canadien de naissance parce qu'il est né hors du Canada, qu'il était un étranger et que son père était un étranger. Suivant le paragraphe 10(3), la mère de M. Wilson pouvait présenter une demande de certificat de citoyenneté que le ministre, à sa discrétion, aurait pu accorder au motif qu'elle n'était devenue une étrangère que du seul fait de son mariage et au motif qu'elle aurait été une Canadienne de naissance si la Loi était entrée en vigueur immédiatement avant son mariage. Une fois de plus, il n'existe pas d'éléments de preuve démontrant qu'elle a présenté une telle demande.

LA LOI ACTUELLE

[17]       La loi actuelle, la Loi sur la citoyenneté, 1974-75-76, ch. 108, est souvent nommée la Loi de 1977 étant donné qu'elle s'applique depuis le 14 février 1977.


[18]            Suivant le paragraphe 5(2), une personne née à l'étranger avant le 15 février 1977, comme M. Wilson, d'une mère ayant à ce moment-là (1946) qualité de citoyen, qui n'était pas admissible à la citoyenneté aux termes de l'ancienne loi parce que son père était un étranger, pouvait de plein droit obtenir la citoyenneté. Cependant, au moment de la naissance de M. Wilson, sa mère n'était pas citoyenne canadienne, parce que la citoyenneté canadienne n'existait pas avant 1947 et, à moins qu'elle ait pris des mesures à l'effet contraire, elle avait perdu son statut de sujet britannique étant donné que son époux était devenu citoyen américain en 1941.

LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS, LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1982

[19]            Le paragraphe 15(1) de la Charte, en vigueur depuis 1985, prévoit ce qui suit :

La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination. And, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

L'article 1 garantit que ces droits et libertés « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique » . Il est évident que le droit à la citoyenneté par son père et non par sa mère, à moins d'être une personne née hors du mariage, comme le prévoyaient la Loi de 1914, la Loi de 1947 et la Loi de 1970, viole l'article 15 de la Charte. Cependant, toutes ces lois ont été abrogées bien avant l'entrée en vigueur de l'article 15. Avant ce moment, il était peu louable, mais non illégal, de faire de la discrimination fondée sur la race, l'origine, le sexe ou l'âge.


[20]            M. Wilson demande qu'il soit déclaré que les alinéas 3(1)e) et 5(2)b) de la Loi de 1977 sont inconstitutionnels et violent les droits prévus par l'article 15 en ce qu'ils maintiennent la disposition discriminatoire énoncée à l'alinéa 4b) de la Loi de 1947.

[21]            Il prétend qu'il n'est pas nécessaire d'appliquer la Charte de façon rétroactive étant donné que la disposition discriminatoire contenue dans la Loi de 1947, qui reprenait la disposition discriminatoire originale énoncée dans la Loi de 1914, est à ce jour maintenue et que le point de déclenchement a été en 2002 lorsqu'il a présenté une demande afin d'obtenir son certificat de citoyenneté canadienne, environ 7 ans après l'entrée en vigueur de l'article 15. L'arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d'État et le greffier de la citoyenneté), [1997] 1 R.C.S. 358, est au coeur de sa prétention.


[22]            M. Benner est né en 1962 aux États-Unis d'une mère canadienne et d'un père américain. Il a présenté une demande de citoyenneté canadienne en 1988. À ce moment, la Loi sur la citoyenneté prévoyait qu'une personne née à l'étranger avant le 15 février 1977 obtiendrait la citoyenneté sur présentation d'une demande si son père ou sa mère était citoyen canadien, mais qu'elle serait tenue de se soumettre à une enquête de sécurité et de prêter le serment de citoyenneté si elle était née d'une mère canadienne. L'appelant s'est soumis à une enquête de sécurité qui a révélé qu'il avait été accusé de plusieurs infractions criminelles et qui a entraîné le rejet de sa demande. Bien que la Cour suprême ait confirmé que la Charte n'avait pas d'effet rétroactif, elle a statué que le moment déterminant était celui auquel le statut de l'appelant lui est reproché, soit le moment du rejet de sa demande de citoyenneté. Étant donné que ce refus est survenu après l'entrée en vigueur de l'article 15, la Charte s'appliquait.

[23]            À mon avis, l'arrêt Benner est différent de la présente affaire. La Loi de 1977 ne s'appliquait pas à M. Wilson qui est né avant 1947. Contrairement à M. Benner, la mère de M. Wilson n'était pas citoyenne canadienne au moment où il est né. En outre, même si la Loi de 1914, la Loi de 1947 et la Loi de 1970 ne conféraient pas de droits, selon que le père ou la mère de la personne était ou n'était pas canadien et selon que les parents étaient mariés ou non, M. Wilson, à un certain moment bien avant 1985, aurait eu à revendiquer ses droits en déclarant sa citoyenneté canadienne ou en résidant au Canada.

[24]            Comme l'a déclaré M. le juge Iacobucci au paragraphe 45 de l'arrêt Benner :

La question à trancher consiste donc à caractériser la situation : s'agit-il réellement de revenir en arrière pour corriger un événement passé, survenu avant que la Charte crée le droit revendiqué, ou s'agit-il simplement d'apprécier l'application contemporaine d'un texte de loi qui a été édicté avant l'entrée en vigueur de la Charte?

[25]            À mon avis, la Loi de 1977 a fait une rupture dans le lien de causalité entraînant que ce que M. Wilson demande en fait c'est de corriger un événement passé.


[26]            Je suis conforté dans mon opinion par la décision Dubey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 582, 222 F.T.R. 1, rendue par M. le juge Nadon, alors juge à la Section de première instance. Il a mentionné que la Loi de 1977 était censée corriger les distinctions entre les pères canadiens et les mères canadiennes de personnes nées hors du Canada après le 1er janvier 1947 et avant le 15 février 1977. Étant donné que la Loi de 1977 ne traite pas des personnes comme M. Wilson qui sont nées en 1946, cette loi n'a pas repris de dispositions législatives discriminatoires qui auraient eu à être appréciées au regard de la Charte. Que le point de déclenchement ait été l'entrée en vigueur de la Loi de 1977, selon ce qu'a déclaré le juge Nadon, ou plus tôt lorsque M. Wilson aurait pu ou aurait dû prendre des mesures, mais ne l'a pas fait, le résultat est le même. Les lois qui n'ont pas reconnu à M. Wilson le statut auquel il prétend n'ont pas d'application actuelle et ne sont ainsi pas soumises à l'application de la Charte.

[27]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Wilson sera rejetée compte tenu des faits contenus au dossier. Comme il a été noté tout au long des présents motifs, le dossier ne mentionne rien à l'égard des mesures que M. Wilson, ou sa mère qui est décédée en 1982, aurait pu prendre. Rien dans la présente décision ne devrait être interprété comme empêchant M. Wilson de faire valoir sa demande en présentant d'autres faits.

                                                                                    _ Sean Harrington _             

ligne

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 16 décembre 2003

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-210-03

INTITULÉ :                                                        JOHN KEITH WILSON

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 9 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                     LE 16 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Gregory J. Willoughby                           POUR LE DEMANDEUR

Negar Hashemi                                        POUR LE DÉFENDEUR

Jamie Todd

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McKenzie Lake                                                    POUR LE DEMANDEUR

London (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR                                  

Sous-procureur général du Canada


Date : 20031216

Dossier : T-210-03

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON     

ENTRE :

JOHN KEITH WILSON

                                                                                                 demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

    

ORDONNANCE

Sur le fondement des motifs énoncés, la demande de contrôle judiciaire présentée dans le présent dossier est rejetée.

                                                                                    _ Sean Harrington _             

ligne

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


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