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Date : 20030613

Dossier : IMM-98-01

Référence neutre : 2003 CFPI 743

ENTRE :                                                                                                                                                       

                                                             LAI SHEUNG EVA LEE,

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON


[1]                 La demanderesse, une citoyenne de Hong Kong âgée de 38 ans, veut établir et exploiter « une entreprise qui s'adresserait aux Canadiens sinophones et assurerait des services d'aide-hygiéniste aux personnes âgées » . Elle a demandé la résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes, en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R. 1985, c. I-2 (la Loi) et duRèglement sur l'immigration, 1978, DORS/78-172 (le Règlement), maintenant aboli. La présente demande concerne un contrôle judiciaire de la décision d'un agent des visas du 29 novembre 2000, refusant la demande de la demanderesse et la confirmation de cette décision par le consul et directeur-adjoint du programme (le directeur) le 12 décembre 2000.

[2]                 La demanderesse demande une ordonnance d'annulation des décisions de l'agent des visas et du directeur, une ordonnance déclaratoire stipulant que le défendeur a commis un abus de procédure de la cour, et les frais sur la base procureur-client. La demanderesse a aussi demandé une ordonnance prescrivant au défendeur de traiter la demande de résidence permanente dans les 90 jours, mais cette demande a été retirée et remplacée par d'autres demandes dont il sera question plus loin dans les présents motifs.

CONTEXTE


[3]                 La demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente au consulat général du Canada à New York, en février 1999. Un agent des visas a refusé la demande le 1er juin 1999. La décision de l'agent des visas a été annulée par un contrôle judiciaire et la question a été renvoyée en vue d'un réexamen. Une agente des visas différente a réalisé l'entrevue de la demanderesse le 14 novembre 2000. À la fin de l'entrevue, l'agente des visas a déclaré qu'elle refuserait la demande. Le 28 novembre 2000, par une télécopie au consulat, l'avocat de la demanderesse a demandé que la décision soit retardée pour permettre à la demanderesse de donner d'autres renseignements. L'agente des visas a reçu cette communication le 1er décembre 2000, deux jours après avoir rendu une décision négative et émis une lettre de refus concernant la demande. L'agente des visas a transmis la correspondance de l'avocat et le dossier au directeur. Le directeur a établi que la demande avait été évaluée au fond, qu'une décision écrite avait été remise et que la question était tranchée. Le directeur a transmis une lettre « pas de révision » à l'avocat de la demanderesse, en indiquant que la décision de l'agente des visas était définitive et que le dossier de la demanderesse était fermé.

[4]                 La demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire et, ensuite, par voie de requête, a demandé à modifier la réparation en justice demandée. La requête a été accordée le 15 mai 2003 et la demanderesse demande maintenant que, si sa demande de contrôle judiciaire est reçue, la question soit réexaminée à la date du refus et sur la base de la Loi, telle qu'elle existait au moment du refus. En relation avec cette requête, la demanderesse sollicite un jugement déclaratoire stipulant que l'article 190 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR) contient une directive facultative plutôt qu'obligatoire, que l'article 350 du Règlement d'application de la LIPR va au-delà des pouvoirs du cadre de l'article 190 de la LIPR, qu'une interprétation obligatoire du terme « s'applique » de l'article 190 de la LIPR contrevient à l'alinéa 2 e) de la Déclaration canadienne des droits, en privant la demanderesse « du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale » , ou bien qu'il y a une présomption naturelle contre l'interprétation du mot « s'applique » d'une manière qui entraînerait une rétroactivité.

QUESTIONS

[5]                 La demanderesse délimite les questions comme suit :

1)        Est-ce que la ressemblance entre les motifs de l'agente des visas et les motifs du précédent agent des visas dont les décisions ont été annulées lors d'un contrôle judiciaire


a)         constitue un outrage au tribunal et/ou un abus de procédure;

b)         relève de la doctrine de la chose jugée et/ou de la préclusion pour question déjà tranchée;

c)         montre une ignorance volontaire d'une décision d'un tribunal qui justifie une allocation des dépens?

2)         Est-ce que l'agente des visas a contrevenu au devoir d'agir équitablement,

a)         en ne montrant pas dans ses motifs la façon dont son évaluation diffère de l'évaluation du précédent agent des visas;

b)         en ne faisant pas état de ses préoccupations avec la demanderesse et en ne lui accordant pas une possibilité adéquate de répondre?

3)         L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en droit,

a)         en mettant de façon indue l'accent sur le manque d'expérience antérieur en exploitation d'une entreprise en évaluant la capacité de la demanderesse à établir une entreprise fructueuse au Canada;

b)         en se demandant, dans l'évaluation finale, si l'entreprise proposée par la demanderesse « contribuerait de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada » ?


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES


Règlement sur l'immigration de 1978

2.(1) Dans le présent règlement,

« travailleur autonome » s'entend d'un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.

Immigration Regulations, 1978

2(1) In these Regulations,

"self-employed person" means an immigrant who intends and has the ability to establish or purchase a business in Canada that will create an employment opportunity for himself and will make a significant contribution to the economy or the cultural or artistic life of Canada;


8.(1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint : ...

b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe; ...

4) Lorsqu'un agent des visas apprécie un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, il doit, outre tout autre point d'appréciation accordé à l'immigrant, lui attribuer 30 points supplémentaires s'il est d'avis que l'immigrant sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada.

8(1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant ...

(b) in the case of an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factor set out in item 5 thereof; ...

(4) Where a visa officer assesses an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, he shall, in addition to any other units of assessment awarded to that immigrant, award 30 units of assessment to the immigrant if, in the opinion of the visa officer, the immigrant will be able to become successfully established in his occupation or business in Canada.



ANALYSE

QUESTION 1) : Est-ce que la ressemblance entre les motifs de l'agente des visas et les motifs du précédent agent des visas dont les décisions ont été annulées lors d'un contrôle judiciaire

a) constitue un outrage au tribunal et/ou un abus de procédure;

b) relève de la doctrine de la chose jugée et/ou de la préclusion pour question déjà tranchée;

c) montre une ignorance volontaire d'une décision d'un tribunal qui justifie une allocation des dépens?

[6]                 Pour les raisons qui suivent, je conclus qu'il faut répondre par la négative à chacune des questions mentionnées ci-dessus.

[7]                 La demanderesse allègue que la décision négative de l'agente des visas repose essentiellement sur les mêmes motifs que la décision du précédent agent des visas, qui a été annulée par un contrôle judiciaire. Précisément, la demanderesse prétend que « ... les deux refus se rapportaient au manque présumé d'expérience en exploitation d'une entreprise de la demanderesse » et que, « ...en fait, les deux lettres de refus étaient pratiquement identiques » . Cela indique, de l'avis de la demanderesse, un outrage au tribunal et un abus de procédure, du fait que l'agente des visas a simplement ignoré la précédente décision judiciaire. De plus, la demanderesse prétend que la doctrine de la chose jugée devrait s'appliquer à ces faits et agir pour empêcher l'agente de contester la question de son manque d'expérience en exploitation d'entreprise, alors qu'un tribunal a déjà examiné la question. La demanderesse dit aussi que les actions de l'agente des visas montre « une ignorance volontaire d'une décision d'un tribunal » , ce qui justifie une allocation des frais sur la base procureur-client.

[8]                 Après avoir examiné soigneusement les décisions ainsi que les notes du CAIPS de chaque agent des visas, je ne trouve pas que les décisions sont identiques, comme le laisse entendre la demanderesse. Il y a d'indubitables ressemblances entre les décisions, mais je conviens avec le défendeur que, lorsqu'une demande est examinée pour la deuxième fois, il est inévitable qu'il y ait certaines ressemblances. Il y a deux différences frappantes qui, à mes yeux, font une différence entre les deux décisions. Tout d'abord, la première décision indique que cinq unités d'évaluation ont été accordées pour le facteur de l'éducation. Le premier agent des visas notait que, dans les circonstances, il aurait été impossible pour la demanderesse d'obtenir le minimum requis de 70 unités, même si la demanderesse avait obtenu les 30 points de bonification. Par ailleurs, la deuxième décision montre que 10 unités d'évaluation ont été accordées pour l'éducation. Il était donc théoriquement possible pour la demanderesse d'obtenir les 70 unités requises. Mais avant tout, le deuxième refus était entièrement fondé sur l'incapacité de la demanderesse à répondre aux exigences d'un travailleur indépendant.


[9]                 Le premier agent des visas, en établissant que la demanderesse ne répondait pas à la définition d'un travailleur autonome, s'est attardé sur un facteur - la capacité à établir une entreprise fructueuse. En faisant cette évaluation, l'agent des visas a tenu compte de certaines conclusions de fait mentionnées dans la lettre de refus, plus précisément que la demanderesse n'avait aucune expérience dans l'exploitation d'une entreprise profitable ou qu'elle n'avait jamais été engagée dans des transactions commerciales. Le dossier de la présente demande n'appuie pas la détermination que la deuxième agente des visas a tiré des conclusions identiques ou s'est fondée sur de telles conclusions. Même si la deuxième agente des visas a conclu que la demanderesse n'avait pas la capacité d'établir et de maintenir une entreprise viable au Canada, elle a aussi conclu que, présumant que si ce n'était pas le cas, cette entreprise « ...ne contribuerait pas de façon significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada » . De ce fait, la demanderesse ne répondait pas àla définition de travailleur autonome.

[10]            Bien que le résultat final de chaque décision soit le même, les tests appliqués et les faits constatés sur lesquels les agents des visas se sont basés étaient différents. Je ne peux conclure qu'il y a eu abus de procédure ou outrage au tribunal. Le dossier ne montre aucune preuve de mauvaise foi, de malice, de partialité ou d'ignorance de l'ordonnance du tribunal par l'agente des visas. Au contraire, un examen du dossier montre que l'agente des visas a fait ce que le tribunal lui demandait de faire - réexaminer la demande. En outre, l'agente dépose qu'elle a examiné l'ordonnance qui annulait la première décision et en a tenu compte dans son évaluation.


[11]            Pour ce qui est de la doctrine de la chose jugée, comme je l'ai indiqué à l'avocat pendant l'audience, je suis d'avis que la doctrine ne s'applique pas. Dans la mesure où la cause de préclusion d'action est concernée, l'ordonnance annulant la première décision ne constitue pas une conclusion selon laquelle la demanderesse a répondu à la définition de travailleur autonome ou que sa demande devrait être approuvée. Le juge a plutôt conclu qu'il existait « ... une erreur susceptible de révision, qui peut, à la suite d'un réexamen, avec un nouvel examen d'autres facteurs, résulter en l'allocation d'unités dvaluation suffisantes pour appuyer la conclusion que la demanderesse répond aux exigences d'admission au Canada » . La demande « ... était renvoyée au défendeur pour un réexamenet une révision par un agent des visas différent » (c'est nous qui soulignons). Il n'y avait pas de décision finale sur les mérites et il n'y a pas de fondement pour une cause de préclusion d'action. Également, pour ce qui est de la préclusion d'une question déjà tranchée, qui empêche un nouveau procès pour les mêmes questions entre les mêmes parties, il n'y avait pas de décision concernant une question en particulier dans le premier contrôle judiciaire. L'ordonnance du tribunal ne dit pas que le manque d'expérience en exploitation d'entreprise de la demanderesse n'était pas pertinente, que le plan d'entreprise était viable ou que la demanderesse avait la capacité de réussir à s'établir au Canada en tant que travailleur autonome. La question de la contribution éventuelle à l'économie n'a pas été prise en compte dans la décision du premier agent des visas. La deuxième agente des visas devait donc trancher ces questions dans le réexamen de la demande.


[12]            Les circonstances de fait dans les textes sur lesquels se base la demanderesse ne sont pas semblables aux faits qui sont devant moi. Dans Kaloti c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 289 (T.D.) confirmé. (2000), 285 N.R. 184 (C.A.F.), le demandeur tentait de faire juger de nouveau une question pour laquelle le tribunal avait déjà rendu une décision, que sa conjointe « stait mariée principalement à des fins d'admission au Canada » . Dans Shaju c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 97 F.T.R. 313 (T.D.), le demandeur soulevait une question concernant la manque de traduction adéquate à l'audience, après que le tribunal, en rejetant la précédente demande d'autorisation de contrôle judiciaire, avait rendu une décision. Dans Raman c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 67 (T.D.), le demandeur cherchait à obtenir le sursis d'une mesure d'exclusion, en alléguant un préjudice éventuel irréparable, après un refus du même recours, lorsqu'il n'a pu convaincre le tribunal qu'un tel préjudice irréparable se produirait probablement.

[13]            Dans Lau c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 189 F.T.R. 53 (T.D.), le demandeur demandait un contrôle judiciaire de la décision finale d'un agent des visas, après le rejet de sa demande de contrôle judiciaire de la décision « préliminaire » du même agent. La lettre « inchoative » de l'agent énonçait les motifs du refus de la demande de résidence permanente et donnait au demandeur la possibilité de répondre. Le demandeur a cherché à obtenir un contrôle judiciaire de la lettre de l'agent, en la caractérisant comme une « décision » . Le tribunal a rejeté la demande. Le demandeur a alors répondu à la lettre de l'agent et présenté des preuves complémentaires. L'agent, n'étant toujours pas convaincu, a rendu une décision finale en refusant la demande pour les motifs mentionnés antérieurement. Le tribunal, en appliquant la doctrine de la chose jugée, a refusé d'effectuer un nouvel examen des mêmes motifs. Tout élément découlant du cas Lau, ci-dessus, milite contre la position de la demanderesse. La lettre « préliminaire » de l'agent était en elle-même une réponse à une décision du tribunal annulant une décision antérieure d'un agent des visas et ordonnant à l'agent de fournir les motifs et de donner au demandeur la possibilité de répondre. Le tribunal a rejeté les arguments de la chose déjà jugée du demandeur (dans sa demande d'un contrôle judiciaire de la lettre de l'agent des visas), prétendant que l'agent avait ignoré une décision du tribunal en émettant la lettre.

[14]            En bref, les textes sur lesquels s'appuie la demanderesse ne soutiennent pas sa présentation. Tous concernent des cas de parties s'efforçant d'obtenir un nouveau procès pour des questions sur lesquelles un tribunal avait statué. Ce n'est pas le cas ici et la préclusion pour question déjà jugée ne s'applique pas.

[15]            La requête de la demanderesse concernant les frais est basée sur un argument relatif à l'abus de procédure et à la chose déjà jugée. Puisque je n'ai pas été persuadée par ces arguments et puisque le dossier ne montre pas de conduite choquante ou vexatoire de la part de l'agente des visas, adjuger les dépens sur une base procureur-client n'est pas approprié, même si, pour d'autres motifs, l'on trouve la décision déraisonnable.

QUESTION 2) : Est-ce que l'agente des visas a contrevenu au devoir d'agir équitablement,

a) en ne montrant pas dans ses motifs la façon dont son évaluation diffère de l'évaluation du précédent agent des visas;

b) en ne faisant pas état de ses préoccupations avec la demanderesse et en ne lui accordant pas une possibilité adéquate de répondre?

           


[16]            D'après moi, il faudrait répondre aussi à ces questions par la négative. La demanderesse prétend que « ... à la lumière du premier refus » , l'agente des visas avait « ... le devoir d'expliquer à la demanderesse la façon dont ses préoccupations différaient de celles du précédent agent des visas, si elles en différaient vraiment » . L'agente des visas n'a pas donné cette explication « ... dans la lettre de refus, les notes du CAIPS ou son affidavit » et ce manquement, fait valoir la demanderesse, contrevient à l'équité de la procédure. On prétend que le silence de l'agente des visas à propos du précédent refus, soulève « ... l'implication ou l'inférence que si l'agente des visas avait tenter d'expliquer, son explication n'aurait pas été crédible » . La demanderesse allègue en plus que l'agente des visas a manqué à son devoir de formuler ses préoccupations spécifiques (concernant la viabilité de l'entreprise proposée par la demanderesse et le manque de valeur culturelle ou économique de cette entreprise) et de donner à la demanderesse la possibilité de répondre. À l'audience, la demanderesse a retiré l'argument portant sur le défaut de l'agente des visas d'exercer une discrétion positive en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement.

[17]            Comme cela a été indiqué plus avant, les motifs de la deuxième agente des visas de refuser la demande de la demanderesse n'étaient pas les mêmes que ceux du premier agent des visas. La demanderesse ne s'est pas référée à une disposition d'autorité ou législative qui demande à un agent des visas, en évaluant une demande renvoyée pour un réexamen à la suite d'un contrôle judiciaire, de se référer spécifiquement à l'ordonnance du tribunal et de donner les motifs sur la façon et la raison pour lesquelles la deuxième décision diffère de la première. Un agent des visas a pour devoir d'établir si le demandeur répond aux conditions prescrites de l'admission au Canada. Le contenu du devoir d'agir équitablement varie selon le contexte : Baker c. Canada, [1999] 2 R.C. S. 817. Les divers facteurs pertinents pour établir le contenu dans le contexte des demandes de visas sont clairement exprimées dans Khan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 2 C.F. 413, 283 N.R. 173 (C.A.F.). Elles incluent : l'absence d'un droit reconnu par la loi d'obtenir un visa; l'obligation pour le demandeur de visa d'établir son admissibilité à un visa; les conséquences moins graves en général du refus d'un visa pour l'intéressé, en comparaison à la suppression d'un avantage. L'extrait suivant de Khan est particulièrement significatif :


... Finalement, lorsqu'elle fixe le contenu du devoir d'équité qui s'impose pour le traitement des demandes de visas, la Cour doit se garder d'imposer un niveau de formalité procédurale qui risque de nuire indûment à une bonne administration, étant donné le volume des demandes que les agents des visas doivent traiter. La nécessité pour l'État de maîtriser les coûts de l'administration et de ne pas freiner le bon déroulement du processus décisionnel doit être mise en parallèle avec les avantages d'une participation de l'intéressé au processus.

[18]            La demanderesse ne dit pas qu'elle a été privée de participation au processus. Exiger, comme élément du devoir d'équité, qu'un agent des visas donne une explication des facteurs distinguant une décision de réexamen d'une décision initiale est un fardeau onéreux, à n'en pas douter. À mon avis, une telle exigence n'existe pas. L'agente des visas avait pour devoir de se conformer à l'ordonnance du tribunal (de réexaminer et de réviser la question) et non le devoir d'en discuter.


[19]            À propos du devoir de l'agente des visas d'informer la demanderesse de ses préoccupations et de permettre à la demanderesse d'y répondre, le dossier montre que l'agente s'est pleinement acquittée de ce devoir. Lors de l'entrevue, l'agente a expliqué à la demanderesse qu'elle n'était pas convaincue de la capacité de la demanderesse d'établir au Canada une entreprise viable et elle a expliqué pourquoi il en était ainsi. Elle a donné à la demanderesse la possibilité de répondre et celle-ci l'a fait, mais d'une manière non satisfaisante pour l'agente des visas. Et l'agente des visas n'avait pas l'obligation de retarder sa décision pour permettre à la demanderesse de présenter des documents supplémentaires. Cette question ne se présente pas vraiment ici, parce que l'agente des visas n'a reçu la correspondance suivant l'entrevue de l'avocat de la demanderesse qu'après avoir pris sa décision. Même si ce n'eut pas été le cas, c'était le deuxième traitement de la demande et toute documentation d'appui aurait dû être présentée au moment de l'entrevue ou avant celle-ci.

QUESTION 3) : L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en droit,

a) en mettant de façon indue l'accent sur le manque d'expérience antérieur en exploitation d'une entreprise en évaluant la capacité de la demanderesse à établir une entreprise fructueuse au Canada;

b) en se demandant, dans l'évaluation finale, si l'entreprise proposée par la demanderesse « contribuerait de façon significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada » ?

[20]            De nouveau, je conclus qu'il faut répondre aux questions par la négative. La demanderesse allègue que l'expérience antérieure en exploitation d'une entreprise n'est pas une condition préalable pour des immigrants travailleurs autonomes et elle prétend que « ... l'expérience antérieure de travailleur autonome ne devrait pas revêtir une importance primordiale » dans les circonstances particulières qui sont les siennes.


[21]            L'affidavit de l'agente des visas (appuyé par les notes du CAIPS) montre que l'agente a pris en compte des facteurs multiples dans son évaluation de la capacité de la demanderesse à établir et à maintenir au Canada une entreprise viable. L'expérience antérieure en exploitation d'entreprise de la demanderesse ou le manque de celle-ci n'était pas essentielle pour cette évaluation. L'agente a plutôt noté qu'il n'y avait pas d'éléments probants convaincants que les services de la demanderesse seraient en demande, que le type de services proposés (d'entreprise) est habituellement offert au Canada par des travailleurs peu spécialisés ou des bénévoles, que la demanderesse n'avait pas de compétence ni d'expérience en counselling (une composante des services proposés) et que la gestion d'entreprise et les plans de production de revenus de la demanderesse étaient irréalistes. La demanderesse se base sur Grube c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 118 F.T.R. 163 (T.D.) et sur Margarosyan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 123 F.T.R. 196 (T.D.) à l'appui de la proposition que l'expérience antérieure en exploitation d'entreprise n'est pas une condition préalable pour être accepté comme travailleur autonome et que le manque d'une telle expérience ne devrait pas prendre une importance indue. Ces textes n'aident pas la demanderesse, parce que, dans le cas présent, l'agente des visas n'a pas accordé une importance indue à l'expérience antérieure en exploitation d'entreprise. Ce facteur était l'un de plusieurs facteurs pris en compte par l'agente. Il n'est pas nécessaire de tenir compte de la présentation du défendeur établissant que les textes cités s'en distinguent du fait qu'ils traitent d'immigrants dont les contributions devaient être artistiques ou culturelles.

[22]            L'argument de la demanderesse concernant l'interprétation des dispositions pertinentes du Règlement (article 8 et paragraphe 2 (1)) a été retiré à l'audience.

[23]            En conséquence, je ne peux malheureusement pas conclure que l'agente des visas a commis une erreur en droit en évaluant la demanderesse dans la catégorie des travailleurs autonomes. Une décision est raisonnable si elle est appuyée par une explication valide, même si cette explication n'est pas celle que l'instance révisionnelle trouve convaincante. La question est de savoir si les motifs, dans leur ensemble, sont valides comme appui de la décision : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 C.S.C, 20, [2003] .J.C.S. No 17. Dans le cas présent, les conclusions de l'agente des visas sont raisonnables et appuyées par des éléments probants.


[24]            La demande de contrôle judiciaire sera rejetée et une ordonnance sera émise à cet effet. La réparation modifiée n'est demandée que si un contrôle judiciaire est accordé. Puisque ce n'est pas le cas, je n'ai pas besoin de m'occuper davantage des modifications.

[25]            L'avocat de la demanderesse a suggéré deux questions à certifier, dont l'une dépend du succès de la présente demande. Cette question ne sera pas certifiée. En rapport avec l'autre question proposée, le défendeur allègue qu'elle est particulière à un fait et non d'importance générale. Même si cette allégation a du mérite, il est également vrai qu'un nombre élevé de demandeurs satisfont à des demandes de contrôle judiciaire et que, dans ces cas, la pratique habituelle consiste à renvoyer la question pour un réexamen ou une révision par un agent des visas différent. La question suivante sera certifiée :

Lorsqu'un agent des visas refuse une demande de résidence permanente lors d'un réexamen, après qu'un tribunal a annulé une décision antérieure, l'agent des visas est-il obligé d'énoncer ou de mentionné spécifiquement les différences entre les deux décisions?

___________________________________

                     Juge

Ottawa, Ontario

Le 13 juin 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                       Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                           IMM-98-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                              LAI SHEUNG EVA LEE c. MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                                 11 juin 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   Toronto, Ontario.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                   madame le juge Carolyn Layden-Stevenson

DATE DES MOTIFS :                           13 juin 2003

COMPARUTIONS :              M. Cecil Rotenberg

pour la demanderesse

Mme Marissa Bielski

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS

AU DOSSIER :                                     M. Cecil Rotenberg

Toronto, Ontario.

pour la demanderesse

Mme Marissa Bielski

Ministère de la Justice

Toronto, Ontario

pour le défendeur


Date : 2003-06-13

Dossier : IMM-98-01

Ottawa, Ontario, ce 13e jour de juin 2003.

En présence de :         L' HONORABLE JUGE MADAME LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                                        LAI SHEUNG EVA LEE,

                                                                                                                                                                    demanderesse

                                                                                           et

                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                                                            défendeur

                                                                              ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La question suivante est certifiée :

« Lorsqu'un agent des visas refuse une demande de résidence permanente lors d'un réexamen, après qu'un tribunal a annulé une décision antérieure, l'agent des visas est-il obligé d'énoncer ou de mentionner spécifiquement les différences entre les deux décisions? »

_____________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

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