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Date : 20020628

Dossier : IMM-3877-01

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 28 JUIN 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                                    DENA KOZMAN

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue par le tribunal en date du 6 juillet 2001 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'elle fasse l'objet d'un nouvel examen. Aucune question n'a été proposée à des fins de certification.

                                                                                                                                     « François Lemieux »     

                     Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020628

Dossier : IMM-3877-01

Référence neutre : 2002 CFPI 714

ENTRE :

                                                                    DENA KOZMAN

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Dena Kozman (la demanderesse), qui est née en Égypte le 15 février 1980, est arrivée au Canada le 18 janvier 2000. Elle a revendiqué le statut de réfugié 12 jours plus tard, en invoquant sa religion - elle est une chrétienne copte.

[2]                 Sa revendication a été entendue par un tribunal formé d'un seul commissaire (le tribunal) le 20 juin 2001. Au début de l'audience, le tribunal a demandé à la demanderesse si elle préférait prêter serment sur la Bible ou faire une affirmation solennelle. Elle a répondu qu'elle voulait [traduction] « faire une affirmation solennelle en levant la main » .

[3]                 Au moment où elle devait commencer son témoignage, le tribunal a dit à son avocat :


[traduction] Maître, pourriez-vous d'abord lui demander pourquoi, compte tenu de sa dévotion, elle n'a pas prêté serment sur la Bible et a préféré faire une affirmation solennelle? J'aimerais d'abord régler cette question. Il est vrai que c'est son choix, nous le savons, mais la question de la religion est fondamentale en l'espèce.

[4]    L'avocat de la demanderesse a alors interrogé celle-ci sur ce point. La demanderesse a expliqué que son père avait recommandé à ses enfants de ne pas prêter serment sur la Bible parce qu'il s'agit d'un livre très sacré et que les humains ne sont pas parfaits. Son avocat lui a ensuite posé différentes questions sur le même sujet, et le tribunal est lui-même intervenu à deux reprises.

[5]    Le tribunal a posé la question suivante à la demanderesse :

[traduction] Pourquoi votre père vous a-t-il dit cela? Quand avez-vous besoin de prêter serment sur la Bible dans la vie de tous les jours?

La demanderesse a répondu :

[traduction] Je suis un être humain et, en tant qu'être humain, je ne peux pas prétendre que je suis parfaite. La Bible est un livre tellement sacré que je ne peux pas prêter serment sur elle.

Le tribunal a ensuite demandé :

[traduction] Ce que je veux savoir, c'est pourquoi on vous a déjà dit de ne pas prêter serment sur la Bible?

L'avocat de la demanderesse a répondu :

[traduction] Je suis certain que vous savez que, dans certaines religions, il est strictement interdit de prêter serment sur la Bible. C'est le cas en particulier chez les Témoins de Jehovah.

Ce à quoi le tribunal a répondu :

[traduction] Oui. Ne -- poursuivez. Mais ne pas prêter serment sur la Bible, c'est --


[6]                 L'échange s'est poursuivi entre le tribunal et l'avocat de la demanderesse :

[traduction]

                                                            L'avocat

Il semble qu'elle a le choix et son explication --

                                               Le commissaire Ghosh

Elle a le choix.

                                                            L'avocat

-- Est-ce à cause de directives religieuses qu'elle aurait reçues dans le passé qu'elle pense qu'elle ne devrait pas prêter serment sur la Bible?

                                               Le commissaire Ghosh

D'accord. C'est bien. Poursuivons.

[7]                 Après avoir entendu le témoignage de la demanderesse et avoir examiné les documents produits en preuve, le tribunal a refusé de reconnaître le statut de réfugié à la demanderesse le 6 juillet 2001, notamment parce que son témoignage était incohérent et n'était pas parfaitement crédible. Les exemples qui suivent illustrent l'incertitude démontrée par la demanderesse sur certains points.

[8]                 Premièrement, un examen de la transcription révèle que la demanderesse croyait qu'un incident de persécution était survenu le dimanche 18 mars 1999, alors que le 18 mars était un jeudi. Le tribunal a écrit :

Selon le tribunal, comme la revendicatrice n'est pas certaine du moment où elle a été attaquée, agression dont elle dit se souvenir « clairement » , il doute de la véracité de son histoire.

[9]                 Deuxièmement, le tribunal a constaté que la demanderesse était revenue sur son témoignage concernant une agression en particulier (on a lancé de l'acide sur elle). Il a poursuivi :


On lui a demandé si elle est allée voir la police après cet incident. Elle a répondu qu'elle n'y est pas allée parce qu'on était un dimanche. Le tribunal, incrédule, lui a demandé si la police égyptienne ne travaillait pas le dimanche. Elle a répondu que les policiers travaillaient le dimanche, mais que le policier qui n'avait pas donné suite à ses plaintes précédentes travaillerait ce jour-là. Ainsi, elle a décidé de ne pas signaler l'incident. Il ne fait aucun doute pour le tribunal que la revendicatrice a inventé ses réponses. Selon lui, une fois de plus, la revendicatrice a décrit l'incident de persécution allégué de façon hésitante et incertaine, ce qui vient miner davantage sa crédibilité. [non souligné dans l'original]

[10]            Le tribunal a ensuite examiné le fondement objectif de la crainte de la demanderesse à l'aide de la preuve documentaire, afin de déterminer dans quelle mesure une personne ayant le profil et les ressources de la demanderesse pouvait être protégée, et si le gouvernement prenait des mesures à l'égard des militants musulmans qui s'en prennent à des chrétiens. Le tribunal a considéré que la preuve documentaire démontrait que le gouvernement égyptien, loin de participer à la persécution de la population chrétienne, prenait des mesures sévères pour éliminer le terrorisme des fondamentalistes. Il a conclu que, même si la protection contre les militants criminels en Égypte n'était pas parfaite, elle était quand même offerte. Selon lui, il n'était pas raisonnable, d'un point de vue objectif, que la demanderesse n'ait pas fait d'efforts sérieux pour obtenir la protection des autorités de son pays. Le tribunal a conclu :

Vu le profil de la revendicatrice, le manque de crédibilité de son témoignage et l'ensemble de la preuve documentaire présentée, le tribunal détermine que la revendicatrice ne s'expose à aucune possibilité sérieuse d'être persécutée si elle retourne en Égypte.

[11]            Dans l'affidavit qu'elle a déposé au soutien du présent contrôle judiciaire et à l'égard duquel elle n'a pas été contre-interrogée, la demanderesse a déclaré, au paragraphe 7 :

[traduction] J'ai toujours pensé que le commissaire n'allait pas ajouter foi à mon témoignage à cause des questions soulevées par le fait que je n'avais pas prêté serment sur la Bible. [non souligné dans l'original]


[12]            L'avocat de la demanderesse prétend qu'à cause de cette question du serment et de l'affirmation solennelle la demanderesse n'a pas eu une audition équitable de sa revendication comme elle en avait le droit. Les questions qui ont été posées au sujet de sa décision de faire une affirmation solennelle n'étaient pas pertinentes puisqu'elle avait le droit de faire une telle affirmation suivant l'article 14 de la Loi sur la preuve au Canada.

[13]            L'avocat de la demanderesse prétend en outre que ces questions l'ont rendue mal à l'aise et ont eu une incidence sur son aptitude à répondre aux questions. Ces questions avaient empoisonné l'atmosphère de l'audience et déséquilibré la demanderesse dès le début. Il ajoute que le tribunal a fondé sa conclusion relative à la crédibilité sur la façon dont la demanderesse a répondu aux questions, plus particulièrement sur ses hésitations et ses incertitudes.

[14]            L'avocat du défendeur a admis que le tribunal avait entrepris un examen inacceptable lorsqu'il avait voulu interroger la demanderesse au sujet des raisons pour lesquelles elle avait choisi de faire une affirmation solennelle au lieu de prêter serment. Il a reconnu que, dans les circonstances, il était difficile de réfuter la prétention de la demanderesse selon laquelle la question de l'affirmation solennelle et du serment l'avait déséquilibrée ou avait empoisonné l'atmosphère, ce qui avait eu une incidence à la fois sur le contenu de son témoignage et sur sa façon de témoigner.

[15]            Dans l'arrêt Singh et al. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177, la Cour suprême du Canada a statué que les revendicateurs du statut de réfugié ont droit à une audition visant à trancher leurs revendications, en particulier parce que celles-ci dépendent souvent de questions de crédibilité et de conclusions de fait.

[16]            Cette obligation de tenir une audition est maintenant prévue au paragraphe 69.1(5) de la Loi sur l'immigration.

[17]            La demanderesse n'avait pas seulement droit à une audition, mais aussi à une audition équitable (voir MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460).

[18]            Ce qu'il faut décider dans le présent contrôle judiciaire, c'est si, dans les circonstances, la demanderesse a eu droit à une audition équitable de sa revendication ou si, suivant les termes employés dans la Loi, elle a eu la possibilité de produire des éléments de preuve.

[19]            Il ressort de la preuve non contredite de la demanderesse que les questions qui lui ont été posées au sujet du serment et de l'affirmation solennelle ont influé grandement sur la manière dont elle a présenté sa preuve.

[20]            Je suis disposé à accepter l'affidavit à l'égard duquel la demanderesse n'a pas été contre-interrogée. Après avoir lu la décision du tribunal, j'estime que la façon dont la demanderesse a témoigné a joué un rôle important dans la conclusion que le tribunal a tirée au sujet de la question de savoir s'il ajoutait foi au témoignage de la demanderesse concernant certains actes de persécution qu'elle avait invoqués.

[21]            Au cours de l'audience, j'ai dit que j'étais préoccupé par le fait que le tribunal avait peut-être fondé sa décision non sur la manière dont la demanderesse avait présenté sa preuve, mais sur d'autres raisons qui auraient justifié la confirmation de sa décision (par exemple sur les invraisemblances qu'il a relevées, sur la question du retard et sur le fait que la demanderesse n'avait pas tenté d'obtenir la protection de l'État).


[22]            L'avocat de la demanderesse prétendait qu'il était impossible de déterminer à quel point la question du serment et de l'affirmation solennelle avait influé sur ces autres raisons parce que celles-ci étaient, du moins en partie, fondées sur des conclusions de fait tirées par le tribunal après évaluation du témoignage de la demanderesse.

[23]            À mon avis, l'appel à la prudence lancé par l'avocat de la demanderesse est sage. Cet appel est d'ailleurs étayé par l'arrêt Caron c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 97, où la Cour d'appel fédérale a dit :

[4] Il est fort possible que le manquement aux règles de justice naturelle que l'incident atteste n'ait pas eu d'influence majeure, d'autant plus que les conclusions de fait alors discutées étaient celles du Conseil arbitral où tout s'était déroulé normalement. Il est fort possible également que les prétentions quelque peu inordonnées et sans suite du requérant ne puissent recevoir quelque faveur que ce soit peu importe le cadre et la langue dans laquelle elle seront présentées. Mais nous ne croyons pas que ces considérations puissent avoir quelqu'influence que ce soit. Il nous paraît évident qu'un tel manquement àla justice naturelle ne peut que vicier la procédure devant l'arbitre et, en conséquence, la décision qui en est résultée.

  

[24]            Pour toutes ces raisons, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue par le tribunal en date du 6 juillet 2001 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'elle fasse l'objet d'un nouvel examen. Aucune question n'a été proposée à des fins de certification.

                                                                                                                        « François Lemieux »     

                                                                                                                                                    Juge                  

Ottawa (Ontario)

Le 28 juin 2002

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  IMM-3877-01

INTITULÉ :                                                 DENA KOZMAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                       Le 18 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                               Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                               Le 28 juin 2002

COMPARUTIONS :

John M. Guoba                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Lorne McClenaghan                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John M. Guoba                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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