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Date : 20031215

Dossier : T-708-03

Référence : 2003 CF 1470

ENTRE :

                 PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

                                                               requérante

                                    et

                       ADMINISTRATION DE PILOTAGE

                             DES LAURENTIDES

                                                                 intimée

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

Introduction

[1]                 La Cour est saisie par Pilotes du Saint-Laurent Central Inc. (dorénavant, toutefois, désignée comme la Corporation puisque la requérante est connue dans le dossier et le milieu sous cette appellation) en vertu de l'article 946.1 du Code de procédure civile (C.p.c.) d'une requête en homologation d'une sentence arbitrale (la sentence) rendue le 12 mars 2003 par l'arbitre chargé par les parties de trancher une mésentente entre elles.

[2]                 En contestation de cette requête, l'Administration de Pilotage des Laurentides (l'A.P.L.) recherche l'annulation de cette sentence.

Les parties

[3]                 L'A.P.L. est un organisme de l'administration publique fédérale créé par la Loi sur le pilotage, L.R.C. (1985), ch. P-14 (la Loi) et a pour mission selon l'article 18 de la Loi de mettre sur pied, de faire fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace sur le fleuve Saint-Laurent.

[4]                 La Corporation est une personne morale de droit privé regroupant et agissant pour les pilotes de navires circulant sur le fleuve Saint-Laurent, entre Québec et Montréal. Une autre corporation, la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent (ci-après les Pilotes du Bas Saint-Laurent) regroupe les seuls autres pilotes relevant aussi de l'A.P.L. qui se trouvent regroupés en corporation.

[5]                 Les Pilotes du Bas Saint-Laurent circulent sur le fleuve entre Québec et les Escoumins ainsi que sur le Saguenay. Les circonscriptions de la Corporation et des Pilotes du Bas Saint-Laurent sont les seules où le pilotage est obligatoire en vertu de la Loi, à l'exclusion du pilotage au Port de Montréal où les pilotes sont toutefois des employés de l'A.P.L. Nous aurons l'occasion de revenir sur la présence des Pilotes du Bas Saint-Laurent plus loin.


[6]                 Le service de pilotage géré par l'A.P.L. consiste à confier obligatoirement la conduite de navires circulant dans certaines zones du fleuve Saint-Laurent à des pilotes dont la connaissance du fleuve est reconnue, et ce, dans le but d'assurer la sécurité de la navigation.

[7]                 Les paragraphes 15(1) et (2) et l'article 18 de la Loi se lisent comme suit :

15.(1) Sous réserve du paragraphe (2), une Administration peut employer le personnel, notamment les pilotes brevetés et les apprentis-pilotes, qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses activités.

(2) Lorsque la majorité des pilotes brevetés de la région - ou d'une partie de la région - décrite à l'annexe au regard d'une Administration donnée forment une personne morale ou en sont membres ou actionnaires et choisissent de ne pas devenir membres du personnel de l'Administration, celle-ci peut conclure avec la personne morale un contrat de louage de services pour les services de pilotes brevetés et la formation d'apprentis-pilotes dans la région - ou partie de région - visée par le contrat; l'Administration ne peut alors engager de pilotes ou d'apprentis-pilotes dans la région - ou partie de région - en cause.

18. Une Administration a pour mission de mettre sur pied, de faire fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace dans la région décrite à l'annexe au regard de cette Administration.

          15. (1) Subject to subsection (2), an Authority may employ such officers and employees, including licensed pilots and apprentice pilots, as are necessary for the proper conduct of the work of the Authority.

            (2) Where a majority of licensed pilots within the region, or any part thereof, set out in respect of an Authority in the schedule who form or are members or shareholders of a body corporate elect not to become employees of the Authority, the Authority may contract with that body corporate for the services of licensed pilots and the training of apprentice pilots in the region or part thereof where the contract is to be effective, and the Authority shall not employ pilots or apprentice pilots in the region or that part thereof where such a contract is in effect.

          18. The objects of an Authority are to establish, operate, maintain and administer in the interests of safety an efficient pilotage service within the region set out in respect of the Authority in the schedule.


Liens juridiques entre les parties

[8]                 Un contrat de service (le contrat) est intervenu entre les parties en vertu du paragraphe 15(2) de la Loi.

[9]                 Le contrat contient une annexe « A » qui traite des honoraires de pilotage. Les articles 15.02 et 15.03 reproduits ci-après touchent plus précisément à la mésentente qui fut soumise à l'arbitre dont la décision fait l'objet de la requête à l'étude :

15.02 a)    À compter du 1er juillet 2000, tous les montants d'honoraires des pilotes contenus à l'annexe « A » en vigueur au 30 juin 2000 sont augmentés d'un pourcentage égal à 3.0%;

          b)    À compter du 1er juillet 2001, tous les montants d'honoraires des pilotes contenus à l'annexe « A » en vigueur au 30 juin 2001 sont augmentés d'un pourcentage égal à 3.0%;

          c)    À compter du 1er juillet 2002, tous les montants d'honoraires des pilotes contenus à l'annexe « A » en vigueur au 30 juin 2002 sont augmentés d'un pourcentage égal à 3.0%.

15.03        Nonobstant le paragraphe 15.02 c), une ou l'autre des PARTIES pourra, en donnant un préavis écrit à l'autre 90 jours avant le 1er juillet 2002, dénoncer l'augmentation des honoraires de la présente annexe prévue pour le 1er juillet 2002. Les PARTIES devront alors négocier de bonne foi l'augmentation des honoraires prévue pour la période visée à l'article 15.02 c), et à défaut d'entente négociée à ce sujet dans un délai raisonnable, la procédure de règlement des litiges ou mésententes prévue à l'article 19 du contrat de service se trouvera engagée pour déterminer le quantum de cette augmentation des honoraires de l'article 15.02 c) ci-haut.

[10]            L'article 15.03 prévoit donc une possibilité pour l'une des parties de dénoncer l'augmentation des honoraires prévus pour la dernière année du contrat, soit celle allant du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003 (clause 15.02 c)).


[11]            L'article 15.03 prévoit également qu'à défaut d'une entente négociée, un arbitre sera saisi du dossier pour déterminer le quantum de l'augmentation des honoraires pour cette dernière année du contrat.

[12]            Un arbitre en l'espèce fut donc saisi du dossier pour déterminer le quantum de l'augmentation des honoraires de pilotage pour la dernière année du contrat puisque la Corporation a dûment dénoncé l'augmentation des honoraires prévue à l'article 15.02 c) de l'Annexe « A » du contrat et que les parties n'ont pu en venir à une entente négociée sur ce point.

[13]            L'article 15.03 de l'Annexe « A » prévoit que la mésentente sera soumise à la procédure de règlement des litiges ou mésententes prévue à l'article 19 du contrat.

[14]            Cette clause constitue une clause d'arbitrage obligatoire permettant aux parties de régler, à l'exclusion des tribunaux judiciaires, les mésententes qui peuvent survenir dans le cours de leurs relations contractuelles.

[15]            L'article 19.10 du contrat prévoit que la décision de l'arbitre est exécutoire et sans appel comme un jugement rendu par un tribunal compétent, sujet aux formalités prévues par la loi.

[16]            Les articles 19.01, 19.03, 19.09 et 19.10 prévoient, entre autres, que l'arbitre possède la juridiction exclusive d'interpréter et d'appliquer le contrat. Pour ce faire, les parties lui ont octroyé tous les pouvoirs requis à l'exercice de sa juridiction. L'arbitre peut également trancher toute question relative au respect des conditions convenues.

Les dispositions du C.p.c. et les principes jurisprudentiels les entourant

[17]            Pour être exécutoire, une sentence arbitrale doit être homologuée en vertu de l'article 946 C.p.c. Les dispositions pertinentes du C.p.c. se lisent comme suit:

943. Les arbitres peuvent statuer sur leur propre compétence.

943.1 Si les arbitres se déclarent compétents pendant la procédure arbitrale, une partie peut, dans les 30 jours après en avoir été avisée, demander au tribunal de se prononcer à ce sujet.

Tant que le tribunal n'a pas statué, les arbitres peuvent poursuivre la procédure arbitrale et rendre leur sentence.

946. La sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'après avoir été homologuée.

946.1 Une partie peut, par requête, demander au tribunal l'homologation de la sentence arbitrale.

946.2Le tribunal saisi d'une requête en homologation ne peut examiner le fond du différend.

946.3 Le tribunal peut surseoir à statuer sur l'homologation si une demande en vertu de l'article 945.6 a été présentée aux arbitres.

Le tribunal peut alors, à la demande de la partie qui demande l'homologation, ordonner à l'autre partie de fournir caution.

946.4 Le tribunal ne peut refuser l'homologation que s'il est établi:

1O qu'une partie n'avait pas la capacitépour conclure la convention d'arbitrage;


2O que la convention d'arbitrage est invalide en vertu de la loi choisie par les parties ou, à défaut d'indication à cet égard, en vertu de la loi du Québec;

3O que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n'a pas étédûment informée de la désignation d'un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou qu'il lui a étéimpossible pour une autre raison de faire valoir ses moyens;

4O que la sentence porte sur un différend non visédans la convention d'arbitrageou n'entrant pas dans ses prévisions, ou qu'elle contient des décisions qui en dépassent les termes; ou

5O que le mode de nomination des arbitres ou la procédure arbitrale applicable n'a pas étérespecté.

Toutefois, dans le cas prévu au paragraphe 4O, seule une disposition de la sentence arbitrale à l'égard de laquelle un vice mentionnéà ce paragraphe existe n'est pas homologuée, si cette disposition peut être dissociée des autres dispositions de la sentence.

946.5 Le tribunal ne peut refuser d'office l'homologation que s'il constate que l'objet du différend ne peut être réglépar arbitrage au Québec ou que la sentence est contraire à l'ordre public.

946.6 La sentence arbitrale telle qu'homologuée est exécutoire comme un jugement du tribunal.

947. La demande d'annulation de la sentence arbitrale est le seul recours possible contre celle-ci.

947.1 L'annulation s'obtient par requête au tribunal ou en défense à une requête en homologation.

947.2 Les articles 946.2 à 946.5 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à la demande d'annulation de la sentence arbitrale.

(Je souligne.)


[18]            Quant aux principes jurisprudentiels les entourant, notre Cour a eu la chance de les résumer lors d'un arrêt non lointain impliquant les mêmes parties qu'en l'espèce. Dans cet arrêt, Pilotes du Saint-Laurent Central Inc. c. Administration de Pilotage des Laurentides, protonotaire Morneau, 20 novembre 2000, dossier T-1032-00; confirmé en appel le 8 août 2002 par le juge Pelletier (alors juge de première instance), référence neutre 2002 CFPI 846, il fut édicté ce qui suit aux paragraphes [22] à [28] :

[22]          Premièrement, il appert que le fardeau de preuve repose sur les épaules de la partie cherchant à s'opposer à l'homologation et que cette dernière ne sera refusée que si l'un des éléments des articles 946.4 ou 946.5 C.p.c. est clairement établi. En effet, tel que l'indique la Cour supérieure dans l'arrêt Entreprises Apac Inc. c. Université Bishop's, J.E. 98-740 (C.S.), en page 5:

L'homologation n'est pas une procédure d'appel et il est clair que les pouvoirs d'intervention du tribunal sont limités.

En effet, celui-ci, saisi d'une requête en homologation et/ou en annulation d'une sentence arbitrale, ne peut examiner le fond du différend.

De plus, il ne peut annuler, en tout ou en partie, une telle sentence que pour les seuls motifs édictés aux articles précités 946.4 et 946.5 C.p.c.

Par conséquent, si la partie qui réclame l'annulation n'établit pas un de ces motifs ou ne démontre aucun manquement sérieux à une règle de justice naturelle, la sentence doit être homologuée.

[23]         L'auteur Donald Béchard, dans Homologation et annulation de la sentence arbitrale, Développements récents en arbitrage civil et commercial (1997), volume 94, Cowansville, Les éditions Yvon Blais, en pages 122 et 125, s'exprime comme suit:

1.4            Le fardeau de la preuve

Qui a le fardeau de la preuve en matière d'homologation? La réponse à cette question nous est donnée par le début du texte de l'article 946.4 C.p.c. qui s'énonce comme suit:

Le tribunal ne peut refuser l'homologation que s'il est établi: [...] (Nos italiques)

Le fardeau repose donc sur la partie qui veut empêcher l'homologation. De plus, le deuxième alinéa de l'article 2803 C.c.Q. (l'ancien article 1203 C.c.B.C. était sensiblement au même effet) peut servir d'appui à cet énoncé:

[...]

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.


Finalement, le professeur Marquis est d'opinion qu'une présomption de validité s'applique à la sentence arbitrale:

[...] une présomption de validité s'applique à la sentence. Il appartient donc à la partie qui soulève un motif de nullité d'en faire la preuve à l'intérieur du cadre établi par le Code de procédure civile.

(citations omises)

1.6.2                 Les motifs de l'article 946.4 C.p.c. sont limitatifs et doivent être interprétés restrictivement

Les motifs de l'article 946.4 C.p.c. sont limitatifs et doivent être interprétés restrictivement, tel qu'il appert, notamment, des décisions suivantes:

(citation des arrêts omise)

[24]         Deuxièmement, la présente Cour ne peut revoir tout ce qui a trait au fond du litige, y inclus l'interprétation d'une loi, d'un règlement ou du contrat sur lesquels était fondé, en tout ou en partie, le différend devant l'arbitre (voir Fortin c. Centre communautaire juridique du Nord-Ouest, [1984] C.A. 662, en page 666).

[25]         Troisièmement, la convention d'arbitrage doit recevoir une interprétation large et libérale. Tel qu'indiqué dans l'arrêt CJMF-FM Ltée c. Paré, D.T.E. 92T-6 (C.S.), en page 15 et suivantes:

Comme l'écrit Me John E. C. Brierly « l'idée dominante en matière d'arbitrage est de prendre appui sur la volonté des parties. C'est leur convention qui forme le cadre de l'arbitrage, trace les limites de l'autorité des arbitres en ce qui concerne la matière qui y est soumise et qui précise la manière suivant laquelle les arbitres vont procéder » .

Il est évident que le législateur, depuis la législation de 1986 concernant l'arbitrage, a indiqué de façon claire et nette qu'il entend créer et légitimer un système de règlement des différends distinct des tribunaux dits réguliers.

Le législateur a énoncé que tout différend est arbitrable sauf ceux portant sur l'état et la capacité, ceux d'ordre familial et d'ordre public (1926.2).

Comme l'écrit Me Brierly « Le législateur québécois a pris soin, en sa nouvelle loi, de faire passer le message que l'arbitrage n'a plus à être considéré comme une institution dérogatoire et donc, assujettie dans ses principes mêmes à une interprétation restrictive » .


Sujette donc à une interprétation large, la convention d'arbitrage est une convention distincte à telle enseigne que la nullité du contrat n'entraîne pas de plein droit la nullité de la convention d'arbitrage (1626.5).

(citations omises)

et en page 21:

A la lumière de la législation actuelle en matière d'arbitrage conventionnel et des pouvoirs du Tribunal de prononcer sur la compétence de l'arbitre, il faut, à mon avis, permettre, même en cas de doute à la convention des parties de « respirer » et de prendre effet pour employer l'heureuse expression de M. le juge Viau.

[26]         Quatrièmement, le fait que le résultat du différend, tel qu'émis par l'arbitre, ait un impact sur des tiers n'est pas un facteur qui peut être retenu pour ne pas donner effet à la convention d'arbitrage.

[27]         À cet égard, dans l'arrêt Guns N'Roses Missouri Storm Inc. c. Productions musicales Donald K. Donald Inc., [1994] R.J.Q. 1183 (C.A.), en page 1186, le tribunal s'est exprimé comme suit:

On the second question, I do not see why an arbitration clause agreed upon by two parties should necessarily become inapplicable merely because the dispute also involves a third party or third parties. In the Mont Saint-Sauveur case (supra), for example, the arbitration clause had formed part of a contract between a builder and an owner contemplating the construction of a condominium project. The owner then sued the builder and the architect. The presence in the dispute of the third party architect was held not to prevent the application of the arbitration clause which the builder and the owner had agreed upon.

I do not believe that the presence of a third party in the dispute, or even the fact that a third party has initiated proceedings, should, in itself, render the arbitration clause inapplicable and deprive the parties of a forum for the settlement of their disputes which they have chosen in their contract. It is not difficult to imagine any number of commercial disputes where it would be entirely appropriate to proceed to arbitration under the arbitration clause agreed upon between two parties notwithstanding a claim against one of the parties by a third party.


[28]         Quant à une dynamique très similaire à la nôtre, la Cour supérieure a tenu les propos suivants en pages 13 et 14 de l'arrêt Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent c. Administration de pilotage des Laurentides, no C.S.Q. 200-05-012157-991, le 9 novembre 1999, honorable J. Roger Banford, J.C.S.:

Le moyen de droit fondé sur l'ordre public ne paraît pas plus convaincant. L'Administration plaide que la sentence arbitrale a l'effet de permettre à la Corporation d'imposer unilatéralement à des tiers, les armateurs, des coûts d'exploitation, contrairement aux prescriptions de la loi, notamment l'article 35 du Règlement, ce qui serait contraire à l'ordre public.

Pourtant, la décision ne vise qu'à régler un différend entre deux parties à un contrat. Elle ne change rien à la date décrétée par l'Administration pour ce qui est de la fin de la période de navigation hivernale pour 1998, ou à l'avenir. Elle n'a aucun effet rétroactif. Elle ne modifie en rien la prescription de la loi, ni ne restreint les pouvoirs de l'Administration selon l'article 35 du Règlement. Elle n'est que le constat d'une irrégularité à une obligation contractuelle.

En outre, selon les termes de la convention, c'est à l'Administration seule que revient l'obligation de rémunérer les services des pilotes. Si la facture a pu être refilée aux armateurs, cela peut découler des règlements en vigueur ou des ententes liant les parties. La sentence attaquée n'affecte en rien ces règles.

La décision de l'arbitre ne modifie pas davantage le Règlement sur le pilotage. Elle ne fait que conclure que l'Administration ne s'y est pas conformée dans une circonstance particulière. Si des tiers subissent des conséquences en raison de la sentence, elles ne peuvent être dues à la sentence elle-même, mais à l'effet des lois, règlements ou ententes concernant ces tiers et l'Administration. Si les tiers, les armateurs par exemple, se trouvent lésés par l'effet de la décision, ce n'est pas à cette dernière qu'ils doivent s'en prendre, mais à l'auteur de l'acte posé illégalement.

[19]            Quant à la norme de contrôle devant nous gouverner de façon générale, le juge Pelletier, supra, paragraphe [16], énonce ce qui suit au paragraphe [28] de sa décision :


[28]         Quelle est la norme de contrôle du tribunal à l'égard de la décision de l'arbitre dans le contexte d'une demande d'homologation et d'annulation? La Corporation prétend, et je suis d'accord, que la question de norme de contrôle est régie par l'article 946.2 C.p.c., lequel prévoit que le tribunal saisi de la requête en homologation ne peut examiner le fond du litige. En plus, l'article 946.4 C.p.c. oblige le tribunal d'accorder la requête en homologation, sauf dans le cas où l'intimé peut démontrer l'existence d'un des obstacles prévus à cet article. Alors, il n'est pas question que le tribunal se penche sur la sentence arbitrale pour y trouver une erreur de droit. Ce serait examiner le fond du litige, ce qui est expressément défendu. Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent c. Administration de pilotage des Laurentides , [1999] J.Q. No. 5368, au para. 10.

[20]            Encore plus récemment, soit le 6 août 2003, la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Gazette (The), une division de Southam inc. c. Blondin, D.T.E. 2003T-789 a rappelé comme suit aux paragraphes [43] et [44] de sa décision toute l'économie du C.p.c. qui restreint volontairement le contrôle judiciaire afin de favoriser pleinement l'autonomie de la procédure arbitrale :

[43]      L'article 940.3 donne le ton du Livre VII du Code de procédure civile. Dans le cas des instances visées par les articles 33 et 846 C.p.c., le contrôle de la légalité des décisions par le tribunal de droit commun est de règle, mais le législateur peut restreindre ce pouvoir d'intervention du tribunal de droit commun, faculté qu'il exerce habituellement au moyen d'une clause privative. Dans le cas des tribunaux d'arbitrage consensuels, l'inverse est maintenant la règle. Le juge, comme le spécifie l'article 940.3 C.p.c., ne peut intervenir que là oùla loi le lui permet. Saisi d'une demande d'homologation ou d'annulation de la sentence arbitrale, le juge, précise l'article 946.2 C.p.c., ne peut examiner le fond du différend, et il est impossible aux parties à une convention d'arbitrage de se soustraire contractuellement à cette règle. Elles ne peuvent non plus déroger au paragraphe 4 de l'article 946.4 C.p.c., seul motif d'annulation (ou de refus d'homologation) susceptible de trouver application en l'occurrence. Par l'effet, encore, de l'article 940, d'autres dispositions du Titre I du Livre VII sont-elles aussi d'ordre public, et concernent les décisions que le juge peut être appelé à rendre pour nommer un arbitre (941.3), pour se prononcer sur sa récusation ou la révocation de son mandat (942.7), pour reconnaître sa compétence (943.2) ou pour sauvegarder les droits des parties en attente d'une sentence arbitrale (945.8). En établissant que ces décisions judiciaires sont finales et sans appel, le Code vise àrenforcer l'autonomie de la procédure arbitrale quant à son déroulement. En restreignant les motifs d'annulation ou de refus d'homologation d'une sentence, le Code vise à renforcer l'autonomie de la procédure arbitrale quant à son issue. L'adoption de ces dispositions "a marqué un tournant dans le régime québécois de l'arbitrage conventionnel", comme le faisait remarquer avec justesse la juge Thibault, au nom de la Cour, dans l'arrêt Laurentienne-vie (La), compagnie d'assurances inc. c. Empire (L'), compagnie d'assurance-vie [Voir Note 16 ci-dessous]. En réintroduisant au titre d'un contrôle de la compétence arbitrale un examen approfondi des questions de droit que l'arbitre peut avoir été amené à trancher, examen voisin du contrôle judiciaire voire de l'appel, on risque d'évoluer à rebours de ce tournant.

Note 16 : [2000] R.J.Q. 1708, [23].


[44]      Tout récemment, dans l'arrêt Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc. [Voir Note 17 ci-dessous], la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge LeBel, formulait les commentaires suivants sur une question voisine, l'ordre public mentionnéà l'article 946.5 C.p.c. :

Note 17 : 2003 CSC 17, [68].

Malgréla précision de ces dispositions du Code de procédure civile [il s'agit ici des articles 946.2, 946.4, 946.5 et 947.2] et la clartéde l'intention législative qui s'en dégage, des courants contradictoires ont traverséla jurisprudence québécoise quant aux limites des interventions judiciaires à l'occasion des demandes d'homologation ou d'annulation de sentences arbitrales régies par le Code de procédure civile. Certains jugements ont adoptéune vue large de ce pouvoir ou tendent parfois à le confondre avec le pouvoir de contrôle judiciaire en vertu des art. 33 et 846 C.p.c. (Voir à ce propos les commentaires de F. Bachand : "Arbitrage commercial : Assujettissement d'un tribunal arbitral conventionnel au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure et contrôle judiciaire d'ordonnances de procédure rendues par les arbitres" (2001), 35 R.J.T. 465.) Le jugement viséillustre cette tendance en adoptant une norme de révision fondée sur le contrôle pur et simple de toute erreur de droit commise à l'examen d'une question d'ordre public. Cette approche étend l'intervention judiciaire au moment de l'homologation ou de la demande d'annulation de la sentence arbitrale bien au-delà des cas prévus par le législateur. On oublie que le législateur a volontairement restreint ce contrôle pour préserver l'autonomie de l'institution arbitrale. L'ordre public reste certes pertinent, mais uniquement au niveau de l'appréciation du résultat global de la procédure arbitrale, comme nous l'avons vu.

Ces jalons étant posés, il convient d'examiner les prétentions des parties au sujet de la sentence ici attaquée.

(Je souligne.)

[21]            Pour ce qui est du paragraphe 4 de l'article 946.4 C.p.c., paragraphe qui est soulevé en l'espèce de façon centrale par l'A.P.L., la Cour d'appel du Québec dans ce même arrêt indiqua ce qui suit à ses paragraphes [50] et [51] :


[50]      Toujours en application du paragraphe 4 de l'article 946.4 C.p.c., cependant, il faut aussi se demander si la sentence Sylvestre no 2 contient "des décisions qui [...] dépassent les termes [de la convention d'arbitrage]" - si la sentence, selon la version anglaise de l'article 946.4, paragraphe 4, "contains decisions on matters beyond the scope of the [arbitration] agreement". S'interrogeant sur le sens qu'il faut donner à cette périphrase, notre collègue la juge Thibault écrivait dans l'arrêt Laurentienne-vie (La), compagnie d'assurances inc. c. Empire (L'), compagnie d'assurance-vie [Voir Note 21 ci-dessous] :

Note 21 : Voir supra, note 16, [44].

Il me semble que, pour décider si la sentence arbitrale dépasse les termes de la convention d'arbitrage, il faille faire abstraction de l'interprétation qui a menéau résultat pour se concentrer sur celui-ci. Cette interprétation du motif d'annulation prévu à l'article 946.4 paragraphe 4 C.p.c., en plus d'être conforme à l'article 946.2 C.p.c., qui interdit au tribunal saisi d'une demande d'annulation de sentence arbitrale d'examiner le fond du litige, est conforme à l'approche retenue par l'auteure Sabine Thuilleaux.

Suit une citation de l'auteure Sabine Thuilleaux que le juge LeBel reprendra à son tour dans l'arrêt Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc. [Voir Note 22 ci-dessous] : "L'appréciation de ce grief dépend du lien de connexité de la question tranchée par les arbitres avec le litige qui leur est soumis" [Voir Note 23 ci-dessous].

Note 22 : Voir supra, note 17, [35].

Note 23 : L'arbitrage commercial au Québec - Droit interne - Droit international privé, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1991, p. 115.


[51]      Si l'on s'en tient au résultat, c'est-à -dire aux conclusions précises de l'arbitre dans la sentence Sylvestre no 2, il est impossible de conclure que la question tranchée ici par l'arbitre n'a pas de lien de connexité avec le litige qui lui était soumis : bien au contraire, c'est cela même qui est au coeur du litige entre les parties. L'examen détaillé des motifs sur lesquels s'est appuyé l'arbitre ferait peut-être ressortir qu'un autre arbitre aurait pu disposer de façon différente d'une ou de plusieurs des questions qui étaient soumises à l'arbitre Sylvestre. Là n'est pas la question, cependant : le tribunal saisi d'une demande d'annulation formée en vertu de l'article 947 ne peut, je le rappelle, examiner le fond du différend. La question se présenterait peut-être sous un autre jour si l'arbitre ne s'était pas conformé à l'ordonnance contenue dans l'arrêt The Gazette (no 1), mais rien de tel ne s'est produit ici.

(Je souligne.)

Analyse

[22]            L'A.P.L. s'oppose à l'homologation de la sentence et en demande l'annulation (articles 947.1 et 947.2 C.p.c.) sur la base de cinq motifs, à savoir que :

a)          le maintien de la parité entre les honoraires versés aux deux corporations de pilotes n'est pas un différend visé par la convention d'arbitrage;

b)          l'arbitre a « outrepassé son mandat » en modifiant les honoraires convenus pour les autres années du contrat;

c)          il n'entrait pas dans la compétence de l'arbitre de refaire l'analyse de la situation financière de l'intimée;

d)          l'arbitre en refusant à l'A.P.L. la possibilité d'interroger un représentant de la Corporation sur ses dépenses a empêché ainsi l'A.P.L. de faire valoir ses moyens;


e)          la sentence est contraire à l'ordre public, puisqu'elle contrevient à une législation d'ordre public et qu'elle a pour effet de lier l'exercice des pouvoirs des organismes de tutelle d'autoriser les emprunts de l'intimée.

[23]            En retenant le pouvoir plus que limité que possède cette Cour quant à toute attaque portée contre la sentence, l'un ou l'autre des moyens soulevés par l'A.P.L. est-il de nature à amener la Cour à refuser l'homologation de la sentence ?

[24]            Pour les fins de cette analyse, il m'appert que l'on peut regrouper dans un premier temps les moyens a) à c) soulevés par l'A.P.L. Tel qu'indiqué plus avant, ces moyens qui se logent tous sous l'excès de compétence visé par l'article 946.4 par. 4 C.p.c. portent que :

a)          le maintien de la parité entre les honoraires versés aux deux corporations de pilotes n'est pas un différend visé par la convention d'arbitrage;

b)          l'arbitre a « outrepassé son mandat » en modifiant les honoraires convenus pour les autres années du contrat;

c)          il n'entrait pas dans la compétence de l'arbitre de refaire l'analyse de la situation financière de l'intimée.


[25]            Pour bien saisir le contexte de ces moyens, il faut comprendre au départ que les honoraires de pilotage versés à la Corporation et aux Pilotes du Bas Saint-Laurent sont établis selon une formule de calcul qui tient compte des caractéristiques du bateau et du temps consacré au voyage.

[26]            Cette formule commune aux deux contrats permet de calculer un nombre d' « unités » et un « facteur temps » , lesquels éléments sont multipliés par une valeur monétaire, ce qui permet en bout de ligne d'établir les honoraires à payer pour les services de pilotage (la formule).

[27]            À titre d'exemple, la valeur monétaire attribuable aux éléments « unités » et « facteur temps » s'établissait comme suit en 2002 :

Les Pilotes du Bas Saint-Laurent

La Corporation

Par unité

16,19 $

23,92 $

Par facteur temps

9,36 $

11,82 $

[28]            Puisque la valeur monétaire payée à la Corporation et aux Pilotes du Bas Saint-Laurent est différente sous chaque élément ou facteur de la formule, les honoraires de pilotage versés en bout de ligne à ces corporations sont, bien sûr, différents selon que le bateau circule dans l'une ou l'autre circonscription.


[29]            On doit tenir que l'arbitre, tout au cours de sa sentence, est fort conscient des points qui précèdent, donc de la formule et des facteurs qui la composent; facteurs que l'arbitre décrit comme des critères objectifs qui servent aux calculs des honoraires de pilotage pour les deux corporations.

[30]            Au paragraphe 15 de la sentence, l'arbitre indique :

... les honoraires versés aux pilotes n'ont aucun rapport avec les dépenses de la Corporation. Ils sont plutôt établis par le biais de critères objectifs prévus au contrat, soit les « unités » et le facteur « temps » ...

[31]            Puis aux paragraphes 30 et 31 :

30.            D'autre part, les honoraires des pilotes sont établis suivant deux critères déterminés par le contrat, dont aucun concerne les dépenses de la Corporation. Ce sont deux critères objectifs directement liés à l'activité de pilotage, les « unités » et le facteur « temps » .

31.            On ne saurait donc demander à un arbitre de créer d'autres critères concernant le calcul des honoraires des pilotes car il ajouterait au contrat, ce qu'il n'a pas le pouvoir de faire, étant plutôt lié par les termes de ce dernier.

[32]            Aux paragraphes 104 et 105, il indique :

104.          Personne ne nie que l'élément principal de la formule de calcul est le facteur « unité » , alors que le facteur « temps » ne représente tout au plus que 17.5% de la valeur des honoraires. Or, le facteur « unité » en est un objectif et invariable, pour un même navire. C'est pour cette raison qu'il a autant d'importance dans la formule.


105.          Cela indique aussi que les parties n'ont pas voulu attacher une aussi grande importance aux éléments subjectifs ou variables, pour un même navire, tel le temps de déplacement selon les conditions environnantes au moment du déplacement. Cela écarte d'emblée toute la question du « fardeau occupationnel » et autres éléments subjectifs. Cela s'explique notamment par le fait que les revenus de pilotage, comme monsieur Dubé le souligne, sont d'abord déterminés par la taille des bateaux, non pas par le temps de pilotage.

[33]            Se tenant lié au départ par la formule quant à la fixation des honoraires de pilotage, l'arbitre a déterminé dans le cadre de son analyse de la preuve et des prétentions des parties que la formule représentait la valeur économique d'une activité de pilotage à la pièce (en d'autres termes ce que vaut une activité de pilotage) et que les parties de façon historique ont voulu qu'en bout de course cette valeur économique soit équivalente entre la Corporation et les Pilotes du Bas Saint-Laurent. Aux paragraphes 68 et 90, l'arbitre indique :

68.            La valeur économique, telle qu'elle a été établie au contrat, ne vise en effet qu'à refléter ce que vaut l'exercice du pilotage, à la pièce. C'est pourquoi les honoraires sont établis par bateau (unité) et par voyage (temps), pour chaque occasion de pilotage, suivant deux facteurs qui ne donnent pas toujours le même résultat parce qu'ils sont essentiellement variables compte tenu de la grosseur des navires et du temps de pilotage.

90.            Le tribunal considère que s'il devait effectuer une gymnastique dont l'effet serait de modifier le résultat du calcul des honoraires pour un navire en particulier, par exemple parce qu'on retrouve plus de petits bateaux dans une circonscription donnée que dans une autre, ce qui entraîne un honoraire net plus bas, il ajouterait à la formule de calcul et s'éloignerait de la valeur économique du pilotage qui se veut universelle ou équivalente, sans égard à la région. C'est du moins ce que les parties ont voulu en maintenant la même formule au fil des années, dans les deux régions du Bas St-Laurent et du St-Laurent Central.

[34]            Quand l'arbitre en arrive sur l'analyse de la preuve à établir que les parties ont toujours recherché une équivalence entre la valeur économique d'une activité de pilotage d'une circonscription à l'autre, on ne peut soutenir que par là il oublie que la valeur monétaire attribuée aux critères objectifs de la formule est et a toujours été différente d'une circonscription à l'autre.

[35]            Il est évident à la lecture de sa sentence que pour l'arbitre la preuve a révélé que les parties ont toujours cherché à équiper les deux corporations de pilotes avec une force équivalente. Cette constatation ne vient pas nier et n'est pas en contradiction avec le fait que la formule pour ce faire a néanmoins toujours arboré des valeurs monétaires différentes d'une circonscription à l'autre.

[36]            C'est avec ces constatations en tête que l'on se doit d'apprécier la sentence de l'arbitre.

[37]            Au départ, l'arbitre identifie très bien le mandat que les parties, via le contrat, lui ont confié. C'est ce qui ressort des paragraphes 3, 25 et 45 de la sentence :

3.              La Corporation ayant dénoncé l'augmentation prévue au paragraphe c) de l'article 15.02 et les parties n'ayant pu convenir d'une entente à ce sujet, elles ont confié au tribunal le mandat d'établir les honoraires des pilotes pour la période débutant le 1er juillet 2002, suivant les prescriptions de l'article 15.03 du contrat.


25.            Le tribunal tire sa juridiction du contrat liant les parties, non pas de la loi qui ne prescrit aucune balise ou n'impose aucun critère à l'arbitre. Le mandat du soussigné ne concerne que les honoraires des pilotes pour la période du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003, suivant l'article 15.02 du contrat, lesquels ne sont pas le salaire des pilotes mais la rémunération versée à la Corporation, pour le service de pilotage qu'elle assure sur le fleuve St-Laurent.

45.            Les parties ont requis du tribunal d'établir les honoraires devant être versés aux pilotes ou à leur Corporation, pour la dernière année du contrat qui les lie, du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003.

[38]            Quant au dispositif de la sentence, il porte directement sur le mandat et se lit aux paragraphes 151 et 152 comme suit :

151.          Pour ces motifs, le tribunal hausse les honoraires des pilotes du St-Laurent Central de huit pour-cent (8%), pour la quatrième année de leur contrat, soit du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003.

152.          Il ordonne en conséquence à l'Administration de verser à la Corporation une somme équivalant à l'ajustement des honoraires prévus à l'article 4 du contrat, calculée suivant le paragraphe précédent, rétroactivement à la date anniversaire du 1er juillet 2002 et d'augmenter lesdits honoraires de 8% jusqu'au 30 juin 2003, cela sur la base des activités réelles de pilotage durant la période du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003.

[39]            On constate du contrat que pour établir l'augmentation des honoraires de pilotage pour la dernière année du contrat, ce dernier pas plus que la Loi ne disposent de critères ou de paramètres devant guider l'arbitre. Les parties ont choisi de laisser l'arbitre libre à cet égard. Afin d'accomplir son mandat, l'arbitre s'est donc penché sur les approches formulées par chacune des parties.


[40]            On doit comprendre que l'A.P.L. a invité l'arbitre à retenir les distinctions pratiques ou opérationnelles d'une circonscription à l'autre en regard du pilotage, tel, par exemple, le temps de déplacement ou d'attente, les fonds, la marée, les glaces, etc. (l'approche du fardeau occupationnel).

[41]            La Corporation, elle, a suggéré à l'arbitre de ne pas retenir cette approche mais plutôt de baser son analyse sur la valeur économique d'un service de pilotage comme facteur d'appréciation. Au paragraphe 46 de sa sentence, l'arbitre indique :

46.            La Corporation soutient que le facteur historique retenu par les parties au fil des années pour établir les honoraires de pilotage, fut la valeur économique d'un service de pilotage. Selon elle, pour établir cette valeur, il faudrait principalement comparer les honoraires versés aux pilotes du bas St-Laurent, ceux-ci relevant aussi de l'APL et étant les seuls autres pilotes regroupés en une Corporation, distincte de celle en cause.

[42]            Par la suite, l'arbitre discute de l'approche de l'A.P.L., soit l'approche du fardeau occupationnel, et décide de l'écarter au profit de l'approche de la valeur économique mise de l'avant par la Corporation.

[43]            Voici comment l'arbitre s'exprime aux paragraphes 59 à 61 quant à la route qu'il suivra pour se décharger de son mandat de fixer l'augmentation des honoraires de pilotage pour la dernière année du contrat :

59.            Le seul facteur pouvant être retenu comme fiable, est celui de la valeur économique d'un service de pilotage. Non seulement la preuve permet de valider celui-ci, mais il est clair qu'il a été au fil des années, celui qui a été pris en compte par les parties pour fixer les honoraires des pilotes. Cela est admis.


60.            Le tribunal estime à ce sujet que la valeur économique du pilotage dans l'une ou l'autre circonscription, est équivalente et n'autorise pas un écart entre la rémunération des pilotes membres de la Corporation du St-Laurent Central et celle versée aux pilotes de la Corporation du Bas St-Laurent.

61.            Le tribunal est d'avis que la valeur économique d'un service de pilotage constitue un facteur d'appréciation plus stable et traditionnellement plus vérifiable que les variables relatives au travail quotidien (fardeau occupationnel), d'autant plus qu'il ne s'agit pas ici d'établir la rémunération des pilotes du St-Laurent Central, mais les honoraires versés à leur Corporation pour le service de pilotage qu'elle assume pour l'Administration, par le biais d'un contrat de service.

[44]            L'arbitre énonce donc que pour se décharger de son mandat, il suivra le seul facteur fiable que la preuve lui a révélé, soit la valeur économique d'un service de pilotage. Au paragraphe 76, il reconnaît une fois de plus que la formule, déjà et en elle-même, est l'incarnation de cette valeur économique :

76.            Le tribunal est donc d'avis que les parties ont déjà fait la première partie de l'étude de la rémunération en la fondant sur les activités de pilotage, à la pièce, la même formule de calcul existant pour le Bas St-Laurent et le St-Laurent Central.

[45]            Puisque l'arbitre a retenu qu'une équivalence a toujours existé dans la valeur économique d'une activité de pilotage et ce, sans égard à la circonscription, il était logique, raisonnable et ouvert à l'arbitre de voir dans la prochaine foulée si un écart dans cette valeur s'était creusé et, si oui, de faire porter l'augmentation des honoraires qu'il a mandat de déterminer en fonction de cet écart. Aux paragraphes 77 et 107, l'arbitre déclare :


77.            Puisque la preuve illustre que ladite formule vise à refléter la valeur économique du travail de pilotage, traditionnellement, il reste donc à tenter de maintenir un même reflet de la valeur économique du pilotage d'une région à une autre. Il faut donc se demander si dans une circonscription une même activité de pilotage rémunère mieux ou moins un pilote, sans égard au résultat annuel moyen.

107.          Sous réserve du chapitre suivant, concernant la capacité de payer, le tribunal conclut que parce que la preuve détermine qu'avant cette augmentation il y avait un écart défavorable pour le St-Laurent Central, à la hauteur de 8% (témoin Dubé), le tribunal conclut, sans preuve au contraire sur la seule base de la valeur économique, qu'il doit, pour maintenir une représentation équivalente d'un même service de pilotage à valeur économique comparable, accorder une augmentation de l'ordre de 8%, desdits honoraires de pilotage prévus à l'article (sic) l'Annexe A, calculés suivant les articles 4 et 15.02.

[46]            Contrairement à ce que soutient l'A.P.L., je ne pense donc pas que l'on puisse soutenir que l'arbitre a fait du maintien de la parité son mandat. Son mandat, l'arbitre l'a très bien identifié à plusieurs reprises (voir ses paragraphes 3, 25, 45 cités plus avant au paragraphe [37]) et c'est dans le cheminement que ce dernier a choisi de suivre pour accomplir son mandat qu'il a retenu un facteur qui appelle à l'absence d'écart entre les corporations.

[47]            Le premier moyen soulevé par l'A.P.L. ne peut donc être retenu. On ne peut considérer aux termes de l'article 946.4 par. 4 que par la sentence l'arbitre n'a pas tranché le différend dont il était saisi.

[48]            On ne peut de même retenir, comme le soutient l'A.P.L. à son deuxième moyen d'attaque, que l'arbitre a outrepassé son mandat en modifiant les honoraires de pilotage convenus pour les années antérieures au contrat.


[49]            Même si l'on peut supposer que l'arbitre arrête le 8% de son dispositif à partir de données qu'il reproduit au paragraphe 102 de sa sentence, données qui réfèrent à des écarts entre les corporations pour les années 2000 à 2002, on ne peut néanmoins soutenir que l'arbitre modifie les honoraires convenus entre les parties pour les années passées. Dans son dispositif, l'arbitre ne touche qu'à l'année 2002-2003. Rien est dit sur une modification des taux passés. Pour en arriver à son dispositif, une preuve qu'il a retenue l'amenait à considérer de quelle manière un écart s'était établi. Le chemin d'analyse de l'arbitre ne peut être confondu avec le dispositif.

[50]            Comme troisième moyen soulevé sous l'article 946.4 par. 4 C.p.c., l'A.P.L. soutient qu'il n'entrait pas dans la compétence de l'arbitre de refaire l'analyse de la situation financière de l'A.P.L.

[51]            Il faut retenir que dans le cadre de son analyse, l'arbitre indique au paragraphe 48 de sa sentence que l'exercice de comparaison que la Corporation lui propose et qu'il retiendra doit néanmoins tenir compte de la capacité de payer de l'A.P.L. dont les revenus découlent exclusivement des frais de pilotage facturés aux armateurs.


[52]            Suivant l'A.P.L., cette dernière a remis à l'arbitre des prévisions budgétaires approuvées et vérifiées qui devaient, si l'on suit bien l'A.P.L., s'imposer en quelque sorte à l'arbitre et l'amener directement à la conclusion que l'A.P.L. ne disposait pas de la capacité de payer le 8% que l'arbitre imposera. Or, l'arbitre, qui est maître de l'appréciation de la preuve, s'est penché sur les données fournies par l'A.P.L. et a conclu que la preuve démontrait que cette dernière avait une capacité de payer supérieure à ce qu'elle laissait savoir. Aux paragraphes 112, 130, 132, 138 et 148, l'arbitre se prononce ainsi :

112.          Toutefois, bien que potentiellement l'Office puisse aussi considérer à une prochaine occasion que les tarifs de pilotage que l'Administration veut exiger des armateurs, sont déraisonnables ou inéquitables, pour les mêmes motifs, le tribunal considère que la preuve permet d'identifier, au moment de l'audition, des faits qui démontrent une capacité de payer supérieure à ce que l'Administration laisse voir.

130.          Sur la base de ces chiffres, le tribunal doit considérer que les revenus supplémentaires bonifiés des dépenses non récurrentes, donnent un total supérieur à la hausse requise (1,692,000,00$ versus 1,527,272,00$).

132.          Sur cette base, le tribunal considère donc que pour l'exercice 2002-2003, l'Administration aurait bénéficié d'une somme suffisante pour faire face à l'augmentation demandée de 8%, des honoraires de pilotage.

138.          Le tribunal est en conséquence d'avis que s'il est vrai que l'Administration rencontre des difficultés en raison de la position de l'Office, il ne peut toutefois spéculer sur ce que cette dernière fera dans l'avenir, cette question étant exclusivement du ressort de l'Office. Le tribunal ne peut donc qu'assumer que le niveau de tarification sera au moins le même pour la prochaine année et que dans ce contexte, l'Administration sera en mesure de faire face à la demande de la Corporation.

148.          Pour tous les motifs qui précèdent, le tribunal est d'avis que la preuve démontre que la demande de la Corporation n'est pas de nature à empêcher l'Administration d'y faire face.

[53]            En dehors du contexte arbitral, l'A.P.L. est libre de s'en remettre aux prévisions qu'elle a soumises à l'arbitre. Ce dernier n'a rien réécrit ou refait pour l'imposer à l'A.P.L. L'arbitre pouvait - et se devait même - d'apprécier toute preuve et c'est ce qu'il a fait.

[54]            Ce troisième moyen d'attaque de l'A.P.L. sous l'article 946.4 par. 4 ne peut donc être retenu.

[55]            À titre de quatrième moyen d'attaque, l'A.P.L. soutient qu'en lui refusant le droit d'interroger un représentant de la Corporation quant aux dépenses de cette dernière, il a été impossible pour l'A.P.L. de faire valoir ses moyens, le tout suivant l'article 946.4 par. 3.

[56]            Ce moyen selon moi ne porte aucunement.

[57]            L'arbitre ici après avoir longuement entendu les deux parties sur l'objet visé par la demande d'interrogatoire de l'A.P.L. a décidé, motifs à l'appui, de rejeter cette demande de l'A.P.L. parce que non pertinente.


[58]            Suivant l'arbitre son mandat, en résumé, porte sur les honoraires de pilotage, situation qui se situe entre la Corporation et l'A.P.L., et non sur les honoraires de pilotes, situation elle qui vise la rémunération des pilotes par la Corporation. Aux paragraphes 36, 41 et 44 l'arbitre tranche comme suit :

36.            La rémunération des pilotes ne correspond donc pas aux honoraires versés par APL mais à ce que la Corporation leur remet après avoir administré ses activités en leur nom. Ce qui est versé aux pilotes à titre de rémunération, n'est donc pas exclusivement tributaire des honoraires de pilotage versés par l'Administration et ne concerne pas directement cette dernière.

41.            La preuve établit déjà que les frais légaux et les frais d'audiences sur lesquels APL veut interroger monsieur Drouin, concernent les rapports entre les parties. Le procureur de APL aura bien beau dire qu'il ne veut pas entrer dans le détail de ces dépenses, mais un fait demeure : une fois le sujet abordé, au nom de quelle règle de preuve le tribunal pourrait limiter l'interrogatoire alors que le sujet serait nécessairement considéré pertinent?

44.            Le tribunal a transmis aux parties le 5 décembre 2002, un sommaire de sa sentence interlocutoire accueillant l'objection de la Corporation. Il avait à ce moment établi sommairement ses motifs qu'il convient de reprendre ici, à titre de conclusion de la présente décision sur ce sujet :

DÉCISION

Pour ces motifs, le tribunal accueille l'objection de la CORPORATION.

Les dépenses ou la gestion de la CORPORATION dans son mandat de gestionnaire des honoraires de pilotes, sont inadmissibles en preuve dans le contexte de l'établissement des honoraires des pilotes du St-Laurent Central, en vertu des articles 15.02 c) et 15.03 du contrat de service liant les parties.

[59]            Ainsi donc après avoir entendu les parties, l'arbitre a tranché en ne retenant pas une demande d'interrogatoire formulée par une des parties, soit l'A.P.L. On ne peut sérieusement prétendre alors qu'il a été impossible pour l'A.P.L. de faire valoir ses moyens au sens de 946.4 par. 3 C.p.c.


[60]            Comme dernier moyen d'attaque, l'A.P.L. soulève que la sentence est contraire à l'ordre public puisqu'elle contrevient à une législation d'ordre public et qu'elle a pour effet de lier l'exercice des pouvoirs des organismes de tutelle d'autoriser les emprunts de l'A.P.L. Ce moyen s'inscrit sous l'article 946.5 C.p.c.

[61]            Notons au départ que personne ne semble remettre en question que l'A.P.L. en sa qualité de société d'État est assujettie à des contrôles financiers très stricts, notamment en vertu de la Loi et de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 qui soumettent l'A.P.L. à la tutelle du gouvernement du Canada dans l'accomplissement de certains actes administratifs majeurs.

[62]            Conséquemment, l'A.P.L. ne peut, sous peine de nullité, emprunter une somme d'argent sans autorisation préalable du ministre des Finances, du Conseil du trésor et du Gouverneur en conseil.

[63]            Suivant l'A.P.L. sa preuve écrite et testimoniale indiquait clairement que toute augmentation des honoraires de pilotage de la Corporation supérieure à 3% entraînerait nécessairement l'obligation pour l'A.P.L. de contracter un emprunt.

[64]            Or, suivant son analyse de la preuve - sur laquelle cette Cour ne saurait revenir en homologation - l'arbitre en vient à la conclusion que l'A.P.L. pourra faire face à l'augmentation de 8% sans nécessité de défoncer son pouvoir d'emprunt actuellement autorisé. Aux paragraphes 135 à 138 de la sentence, l'arbitre énonce :

135.          Les éléments de preuve relevés plus avant en regard de dépenses non récurrentes, jettent toutefois un doute sérieux sur l'explication de monsieur Martel, dont une grande partie des chiffres de référence lui viennent de monsieur Pouliot, qui n'a souvent que présumé les résultats des analyses qu'il a menées sur les activités de pilotage, voire parfois les modifier en faveur de la Corporation lorsque interrogé par le procureur de celle-ci, par exemple en ce qui a trait aux heures d'attente.

136.          Le témoignage de monsieur Pouliot est peu fiable et ne saurait soutenir celui de monsieur Martel lorsque ce dernier témoigne sur la base des chiffres de celui-ci, d'autant plus qu'il ne porte que sur un aspect de la question, soit le facteur « temps » , qui ne contribue que pour environ 17% des honoraires de pilotage.

137.          Par ailleurs, si la preuve démontre que le gouvernement fédéral n'éponge plus systématiquement les déficits d'opération de l'Administration, elle démontre aussi que cette dernière a un pouvoir d'emprunt suffisamment élevé pour rencontrer ses obligations, malgré le refus de l'Office de lui octroyer les tarifs de pilotage qu'elle voulait facturer aux armateurs. La preuve n'illustre pas le contraire.

138.          Le tribunal est en conséquence d'avis que s'il est vrai que l'Administration rencontre des difficultés en raison de la position de l'Office, il ne peut toutefois spéculer sur ce que cette dernière fera dans l'avenir, cette question étant exclusivement du ressort de l'Office. Le tribunal ne peut donc qu'assumer que le niveau de tarification sera au moins le même pour la prochaine année et que dans ce contexte, l'Administration sera en mesure de faire face à la demande de la Corporation.

[65]            On ne peut donc en conséquence soutenir que le résultat de la sentence, son dispositif, soit une augmentation de 8%, est en soi contraire à l'ordre public au sens de 946.5 C.p.c.


[66]            Ce dernier moyen d'attaque, tout comme les autres soulevés par l'A.P.L., ne peut donc être reçu.

[67]            Pour tous ces motifs, il y a lieu d'accueillir la requête en homologation d'une sentence arbitrale de la Corporation et de rejeter la demande d'annulation de cette même sentence formulée par l'A.P.L., le tout avec dépens en faveur de la Corporation.

Richard Morneau       

protonotaire

Montréal (Québec),

le 15 décembre 2003


                  COUR FÉDÉRALE

           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ:


T-708-03

PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

                                     requérante

et

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

                                       intimée


LIEU DE L'AUDIENCE :Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :5 novembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

EN DATE DU :15 décembre 2003

ONT COMPARU:


Me André Baril

pour la requérante

Me Mario St-Pierre

pour l'intimée



Me Guy P. Major


avocat-conseil pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


McCarthy Tétrault

Montréal (Québec)

pour la requérante

Dunton Rainville

Montréal (Québec)

pour l'intimée


Me Guy P. Major

Montréal (Québec)

avocat-conseil pour l'intimée

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