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Date : 20031114

Dossier : T-198-02

                                                                                                            Référence : 2003 CF 1337

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 14 NOVEMBRE 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                             JACK JANVEAU

                                                                                                                                        demandeur

                                                                         - et -

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

                                                                         - et -

                     L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                                                                                     intervenante

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         Le demandeur, M. Jack Janveau, travaille pour le Secteur des sciences de la terre, à Ressources naturelles Canada, depuis 1971. Avant le 1er avril 1999, son poste était classé dans le Groupe des services informatiques (le Groupe CS) et régi par les conditions de la convention collective du Groupe CS, une convention négociée entre le Conseil du Trésor et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l'IPFPC). En tant qu'employé classé CS-02, outre le taux de rémunération auquel il avait droit, l'appendice « E » de la convention collective accordait à M. Janveau une indemnité mensuelle de 176 $, appelée « indemnité provisoire » . L'indemnité était payable aux « titulaires de postes des niveaux CS-1 à CS-5 pour l'accomplissement de tâches du Groupe des systèmes informatiques » , en vue d' « atténuer les problèmes de maintien en poste » .

[2]         Le 1er avril 1999, le poste du demandeur était reclassé à la baisse, comme EG-04, un niveau qui fait partie du Groupe des services techniques (le Groupe TS). Ce groupe est représenté par l'Alliance de la fonction publique du Canada (l'AFPC), un autre agent négociateur accrédité. Le poste EG-04 du Groupe TS est assorti d'un taux de rémunération maximale inférieur à celui de l'ancien poste CS-02 du demandeur dans le Groupe CS. M. Janveau fut informé qu'il « continuerait de recevoir le taux de rémunération du poste CS-02, quel que soit le nouveau niveau inférieur de classification de votre poste, tant que vous resterez dans votre poste actuel » .


[3]         M. Janveau a continué de recevoir une indemnité provisoire jusqu'en septembre 2000, lorsqu'on l'informa que l'indemnité qu'il avait reçue après sa reclassification lui avait été payée par erreur. M. Janveau a déposé un grief qui fut finalement instruit, en application de l'alinéa 92(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, art. 1 (la LRTFP), par la vice-présidente Marguerite-Marie Galipeau (l'arbitre) de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP). Dans sa décision datée du 9 janvier 2002, l'arbitre a rejeté le grief pour les motifs suivants :

·            la convention collective du Groupe CS a cessé de s'appliquer à M. Janveau dès sa reclassification puisque son poste ne faisait plus partie de l'unité de négociation du Groupe CS;

·            le protocole d'entente daté du 21 juillet 1982, conclu entre le Conseil du Trésor et l'IPFPC (protocole examiné plus loin), n'est pas applicable à M. Janveau, car il n'est plus un employé dont l'agent négociateur est l'IPFPC, contrairement à ce que requiert l'article 1 du protocole; et

·            même si le protocole s'appliquait à M. Janveau, il ne protégerait pas son droit à l'indemnité provisoire. S'il en est ainsi, c'est parce que le protocole doit être lu en même temps que la convention collective et que (1) le protocole s'applique à « la rémunération lors d'une reclassification » et (2) la convention collective dit clairement que l'indemnité provisoire « ne fait pas partie du traitement d'un employé et n'est donc pas une rémunération » .


[4]         M. Janveau sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Outre le défendeur et M. Janveau, l'AFPC a présenté des conclusions durant cette audience, puisqu'elle a obtenu le statut d'intervenant dans la présente instance, par ordonnance du juge Beaudry en date du 4 avril 2002.

Points litigieux

[5]         Les points soulevés par cette demande peuvent être exprimés ainsi :

1.         L'arbitre a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a dit que la convention collective et le protocole ne s'appliquaient pas à M. Janveau après sa reclassification comme EG-04?

2.          L'arbitre a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a dit que, même si le protocole s'appliquait, il ne protégerait pas l'indemnité provisoire qui était payable à M. Janveau quand il faisait partie du Groupe CS?

Protocole d'entente

[6]        Puisque le protocole d'entente est le document clé à interpréter, il vaut la peine d'en reproduire les dispositions pertinentes.


Généralités

1.              Le présent protocole d'entente établit les conditions d'emploi concernant la rémunération lors d'une reclassification, pour l'ensemble des employés dont l'agent négociateur est l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada.

2.             Le présent protocole d'entente restera en vigueur jusqu'à ce qu'il soit modifié ou annulé par consentement mutuel des parties.

3.             Le présent protocole d'entente a préséance sur le Règlement concernant la rémunération lors de la reclassification ou de la transposition, lorsqu'il y a incompatibilité entre les deux textes.

4.             Lorsque les dispositions d'une convention collective diffèrent de celles du présent protocole d'entente, les conditions du protocole d'entente ont préséance.

5.             À compter du 13 décembre 1983, le présent protocole d'entente fera partie intégrante de toutes les conventions collectives auxquelles l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor seront parties.

Partie 1

La partie 1 du présent protocole d'entente s'applique aux titulaires de postes qui, après la prise d'effet du protocole, seront reclassifiés dans un groupe ou à un niveau comportant un taux de rémunération maximale inférieur à celui de l'ancien groupe ou niveau.

***

2.              Nonobstant la reclassification régressive, un poste occupé est réputé avoir conservé, à toutes fins utiles, son ancien groupe et niveau. En ce qui concerne la rémunération du titulaire, il s'agit d'une situation de protection salariale et, sous réserve du paragraphe 3b) ci-dessous, elle s'applique jusqu'à ce que le poste devienne vacant ou jusqu'à ce que le taux de rémunération maximale du nouveau niveau de classification, révisé de temps à autre, dépasse le taux applicable à l'ancien niveau, révisé de temps à autre. Les taux de rémunération maximale seront établis conformément au Règlement sur la rémunération rétroactive.

3.             a)              L'employeur mettra tout en oeuvre pour muter le titulaire à un poste dont le niveau équivaut à celui de l'ancien groupe et/ou niveau du poste.

b)             Si le titulaire refuse sans raison valable et suffisante une offre de mutation à un poste mentionné dans l'alinéa a) situé dans la même région, il sera immédiatement rémunéré au taux de rémunération du poste reclassifié.

***


[7]        Le 22 décembre 1987, le Conseil du Trésor publiait un bulletin (le bulletin) qui précisait les mots « à toutes fins utiles » , dans le protocole d'entente. Dans le bulletin, le Conseil du Trésor disait que, si un titulaire est reclassifié et s'il est représenté par la même unité de négociation avant et après le déclassement, le titulaire « continuera de bénéficier des taux de rémunération et de toutes les autres conditions d'emploi applicables au groupe et/ou niveau plus élevé » . Dans tous les autres cas, lorsqu'a lieu une reclassification, « l'expression "à toutes fins utiles" est applicable uniquement aux taux de rémunération » .

Analyse

Question préliminaire : Quelle est la norme de contrôle applicable?

[8]        Selon M. Janveau, la norme de contrôle qu'il faut appliquer pour savoir si une convention collective continue d'exister ou de subsister aux fins d'un grief est, selon la Cour suprême du Canada, la norme de la décision correcte (Dayco (Canada) Ltd. c. Syndicat national des travailleurs et des travailleuses de l'automobile, de l'aérospatiale et de l'outillage agricole du Canada (TCA-Canada), [1993] 2 R.C.S. 230, aux paragraphes 19, 29 et 38). M. Janveau affirme donc que, pour le point n ° 1, l'arbitre devait ici rendre une décision correcte.


[9]         S'agissant du deuxième point, qui concerne l'interprétation du protocole d'entente, les parties s'accordent pour dire que c'est la norme la plus circonspecte, celle de la décision manifestement déraisonnable, qui devrait s'appliquer à la décision de l'arbitre.

[10]       Vu l'absence d'un réel différend sur la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer, j'ai présumé, aux fins du présent contrôle judiciaire, que la norme de la décision correcte s'appliquera au premier point litigieux et que la norme de la décision manifestement déraisonnable s'appliquera au deuxième point litigieux. Je relève cependant que, en ce qui concerne le premier point, une analyse pragmatique et fonctionnelle pourrait autoriser une conclusion favorisant l'application de la norme de la décision raisonnable simpliciter.

Point n ° 1 : Effet de la reclassification

a) Maintien de la convention collective de l'unité de négociation du Groupe CS


[11]       M. Janveau dit que, si l'on s'en tient aux termes clairs et non équivoques du protocole, il était fondé, lors de la reclassification régressive, à demeurer dans l'unité de négociation du Groupe CS et à continuer de bénéficier des conditions de la convention collective du Groupe CS. De l'avis de M. Janveau, tant que son poste est demeuré occupé, il a conservé, « à toutes fins utiles » , la classification CS-02. Il soutient que l'arbitre a commis une erreur lorsqu'elle a dit que la reclassification de son poste signifiait automatiquement qu'il entrait dans l'unité de négociation du Groupe TS, représentée par l'AFPC, et il dit que l'arbitre n'a pas donné effet aux mots « à toutes fins utiles » , qui se trouvent dans le protocole.

[12]      L'AFPC se range à l'avis de M. Janveau, mais elle ajoute que l'effet du protocole est de retarder la classification d'un poste donné jusqu'à ce que le nouveau niveau de classification corresponde à l'ancien. De l'avis de l'AFPC, cela signifie que le poste reste nécessairement dans l'unité de négociation à laquelle il avait été assigné à l'origine. Ce n'est que lorsque ces conditions sont remplies que cesse la présomption qui s'applique à l'ancien groupe ou niveau, et c'est alors que le poste reclassifié est intégré dans l'autre unité de négociation.

[13]       À mon avis, M. Janveau a cessé d'être régi par la convention collective du Groupe CS le 1er avril 1999. L'article 1 du protocole dit que le protocole est applicable lors de la reclassification, ce qui contredit la position de M. Janveau et de l'AFPC, pour qui la reclassification ne prend effet que lorsque les conditions du protocole sont remplies. De même, le préambule de la partie 1 du protocole dit que le protocole « s'applique aux titulaires de postes qui seront reclassifiés » .


[14]       Ensuite, M. Janveau et l'AFPC voudraient que j'interprète les mots « à toutes fins utiles » , dans la partie 1, article 2, du protocole, comme voulant dire que le poste reclassifié n'est pas censé prendre effet tant que les conditions de cette disposition ne sont pas remplies. Cependant, cette interprétation de la partie 1, article 2, du protocole ne tient pas compte des mots introductifs de cette disposition, c'est-à-dire « Nonobstant la reclassification régressive... » . Ces mots signifient que les conditions qui suivent seront remplies malgré la reclassification. Ce que cela sous-entend, c'est que la reclassification a eu lieu et qu'elle est effective. D'ailleurs, la disposition elle-même qu'invoquent M. Janveau et l'AFPC renferme une comparaison entre le niveau de la reclassification et l'ancien niveau de classification. Une telle comparaison serait illogique si l'on devait accepter leur argument.

[15]       Pour ces motifs, la décision de l'arbitre selon laquelle M. Janveau a été reclassifié dans le Groupe TS à compter du 1er avril 1999 est correcte. M. Janveau n'est pas demeuré dans l'unité de négociation du Groupe CS après la reclassification de son poste. Il n'est pas non plus demeuré membre de l'IPFPC. Ainsi, si M. Janveau est fondé à compter sur certains droits qui découlaient de la convention collective, les droits en question ne peuvent lui être conférés que par le protocole.


b)          Applicabilité du protocole

[16]       La question que je dois maintenant examiner est celle de savoir si, en conséquence du protocole, le droit de M. Janveau à une indemnité provisoire subsiste même si M. Janveau est passé du Groupe CS au Groupe TS. M. Janveau et l'AFPC disent que le droit à l'indemnité provisoire subsiste.


[17]       Il importe de comprendre le contexte dans lequel le protocole a été conclu. Au sein des effectifs généraux de la fonction publique fédérale, il est souvent nécessaire de réaffecter des employés à de nouveaux postes ou de donner effet aux nouvelles exigences des postes. Le Conseil du Trésor a établi des lignes de conduite et des règlements qui prennent en compte l'évolution des besoins de la fonction publique. Pour les employés qui, après un tel réaménagement, doivent consentir à une rémunération moindre ou à des avantages sociaux moindres, le Conseil du Trésor a établi la politique dite de « blocage des postes » , expression qui signifie que le taux de rémunération de l'employé concerné demeure à son niveau antérieur jusqu'à ce qu'il bénéficie d'un « rattrapage » ou jusqu'à ce qu'il soit affecté à un autre poste. La politique en question est exposée dans le Règlement concernant la rémunération lors de la reclassification ou de la transposition (Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, 1er novembre 1991) (le Règlement). Le Conseil du Trésor a aussi négocié plusieurs protocoles d'entente avec ses unités de négociation, protocoles qui remplaçaient ou modifiaient le Règlement pour les membres de l'unité de négociation concernée. Il importe de se rappeler qu'un employé reclassifié qui n'est pas membre d'une unité de négociation ayant conclu un protocole d'entente demeurera néanmoins protégé par le Règlement.

[18]      Rien n'empêche en droit un agent négociateur de négocier pour ses membres des avantages qui continuent de s'appliquer après qu'un membre ne fait plus partie de l'unité de négociation (Dayco, précité, aux paragraphes 42, 43, 45, 55, 60 et 88; Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. La Reine, [1985] 2 C.F. 84 (C.A.), aux pages 91 et 93; La Reine c. Lavoie, [1978] 1 C.F. 778 (C.A.), à la page 783). Ce n'est pas là un concept nouveau. S'il en était autrement, perdraient alors toute signification les innombrables avantages prévus dans les conventions collectives et susceptibles de se prolonger même après que la convention collective a cessé de s'appliquer. Cependant, dans le cas présent, l'arbitre a eu raison de dire qu'il n'y avait pas de prolongation des droits pour les employés qui étaient reclassés dans un poste représenté par un autre agent négociateur.


[19]       M. Janveau soutient que la seule interprétation possible du paragraphe 1 du protocole, qui dit que le protocole protège « tous les employés dont l'agent négociateur est l'[IPFPC] » , est que le protocole s'applique à tous les employés dont l'agent négociateur est l'IPFPC lors de la reclassification. L'essence de cet argument est que, dans le protocole, l'IPFPC a négocié une prorogation des avantages à la fois pour les employés qui sont demeurés dans l'une de ses unités de négociation après reclassification, et pour les employés qui sont passés à une autre unité de négociation. Je ne suis pas de cet avis.

[20]       Comme je l'ai dit, il aurait été possible pour les parties au protocole de s'entendre pour que les droits continuent de s'appliquer dans les cas où la reclassification a entraîné un changement d'agent négociateur pour le membre. Ce n'est pas ce qui s'est produit dans le cas présent. À mon avis, il ressort clairement de la disposition liminaire du protocole que le protocole s'applique aux membres de l'IPFPC qui demeurent membres de l'IPFPC après la reclassification. Le protocole ne dit rien de l'effet de la reclassification sur les membres qui, au moment de la reclassification, ne sont plus membres de l'IPFPC. Ainsi, sauf l'existence d'autres éléments indiquant une intention contraire, le protocole conclu entre le Conseil du Trésor et l'IPFPC ne s'applique qu'aux employés qui sont régis par des conventions collectives auxquelles sont parties le Conseil du Trésor et l'IPFPC.


[21]       Le seul témoignage d'expert produit devant l'arbitre a été celui de M. Bradbury, un analyste principal de la politique de rémunération. Il a fait observer que l'interprétation qui a été appliquée au protocole par le Conseil du Trésor est celle qui est exposée dans le bulletin susmentionné. Selon son témoignage, le protocole ne s'applique qu'au cas où l'employé demeure dans la même unité de négociation. Aucun témoignage additionnel n'a été produit devant l'arbitre à propos de l'interprétation du protocole, ou à propos de l'intention des parties qui l'ont négocié.

[22]       Outre le témoignage de M. Bradbury, on peut également constater que le Conseil du Trésor a été constant dans sa ligne de conduite, compte tenu de l'avis qui informait M. Janveau de sa reclassification. Dans une lettre datée du 21 janvier 1999, M. Janveau était informé de sa reclassification. Dans cette lettre, on pouvait lire que « Le Conseil du Trésor a pour ligne de conduite d'offrir une protection salariale à l'employé d'un poste reclassifié dans un groupe et à un niveau dont le taux de rémunération maximale est inférieur » . Il n'est pas fait mention du protocole. En d'autres termes, la protection salariale offerte à M. Janveau ne résultait pas du protocole, mais d'une ligne de conduite du Conseil du Trésor, et de son Règlement concernant la rémunération lors d'une reclassification ou d'une transposition. C'est la ligne de conduite et le Règlement qui allaient régir les droits de M. Janveau au moment de la reclassification, et non le protocole. M. Janveau ne s'est pas plaint de sa reclassification.


[23]       Contrairement à ce que prétendent M. Janveau et l'AFPC, je ne considère pas le bulletin comme une tentative unilatérale de modifier le protocole. L'idée du bulletin était « de préciser l'application de l'expression "réputé, à toutes fins utiles, avoir conservé son ancienne classification", une expression qui apparaît dans le paragraphe 4, partie 1A, du [Règlement] et dans nombre de protocoles d'entente sur le sujet » . Le bulletin visait à apporter des éclaircissements aux employés et gestionnaires, à l'intérieur du cadre complexe formé par le Règlement et de nombreux protocoles qui traitaient du même sujet. Selon les règles du droit des contrats, il n'aurait pas été possible pour le Conseil du Trésor de modifier unilatéralement un tel protocole au moyen du bulletin. Cependant, je ne vois nulle tentative ou action qui puisse constituer une quelconque modification du protocole. Les éclaircissements donnés n'étaient qu'une confirmation des mots du protocole, et non une modification.


[24]       M. Janveau invoque en particulier l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dayco, précitée. Dans cette affaire, l'employeur avait, après la fermeture de son usine, résilié les avantages sociaux conférés aux employés retraités, en faisant valoir que les avantages expiraient avec la convention collective. La Cour suprême du Canada a jugé que les droits acquis des retraités concernés pouvaient survivre à la convention collective et pouvaient donc validement être l'objet d'un grief devant un arbitre. J'observe que les prestations de retraite sont, de par leur nature, des droits qui ne prennent naissance qu'à une date future et qui ne sont pas rattachés aux fonctions propres à un poste. Dans l'affaire dont je suis saisie, les droits sont d'une nature très différente, parce qu'ils prennent naissance durant l'accomplissement des fonctions du poste et à cause de l'étendue du poste au sein du Groupe CS. Si le poste se modifie et qu'il est par conséquent reclassifié, les tâches qui justifient l'avantage - par exemple une indemnité - n'existent plus. Au moment de la reclassification, il y a changement fondamental du poste de la personne concernée. Dans le cas présent, je relève qu'aucun grief n'a été déposé contre la reclassification elle-même, ce qui montre que M. Janveau reconnaissait que la description de son poste n'était plus la même. M. Janveau n'occupait donc plus un poste pour lequel une indemnité avait été négociée ou devait être payée.

[25]       L'AFPC fait observer que, dans la fonction publique fédérale, il arrive souvent qu'un employé exerce des fonctions associées à un poste d'une unité de négociation tout en demeurant membre d'une autre unité de négociation. Même dans ces cas, les parties peuvent s'entendre pour que les conditions d'emploi de l'employé concernant la rémunération, la classification et le paiement des cotisations syndicales demeurent celles du poste d'attache de l'unité de négociation de l'employé (Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Sénat du Canada, [1992] C.R.T.F.P. n ° 39, confirmé [1993] A.C.F. n ° 1426 (C.A.) (Q.L)). Je reconnais qu'il est possible pour les parties de s'entendre sur de telles modalités. Cependant, ici, il n'y a pas eu entente expresse de prorogation des avantages.


[26]       L'AFPC dit aussi que les actes de l'employeur défendeur sont une tentative de se délier d'obligations contraignantes, volontairement assumées, et qu'ils ne devraient pas être autorisés ((Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) (1987), 76 N.R. 229 (C.A.F.), à la page 238 [ci-après A.F.P.C. (1987a)]; Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 C.F. 471 (C.A.), aux pages 475 et 478, [1986] A.C.F. n ° 819 (C.A.) (QL) [ci-après A.F.P.C. (1987b)]; Eurocan Pulp & Paper Co. and C.E.P., Loc. 298 (First Aid Attendants) (Re) (1998), 72 L.A.C. (4th) 153)). La difficulté que pose cet argument, c'est que, selon les termes de ce protocole particulier, l'employeur défendeur n'assumait pas l'obligation de garantir des avantages continus ni même un taux de rémunération pour les employés qui quittaient l'unité de négociation au moment d'une reclassification. Pour ces employés, par exemple M. Janveau, la protection découle du Règlement et non du protocole.

[27]       Pour conclure sur cette question, je suis d'avis que l'arbitre a eu raison de dire que le protocole ne s'appliquait pas à M. Janveau, lequel, au moment de la reclassification, n'était plus membre de l'unité de négociation de l'IPFPC.

Point n ° 2 : Le protocole protège-t-il uniquement la rémunération ou protège-t-il aussi l'indemnité provisoire?

[28]       Puisque je suis arrivée à la conclusion que le protocole ne s'applique pas à la reclassification de M. Janveau, il ne m'est pas nécessaire de me demander si le protocole a pour effet de protéger l'indemnité provisoire. Néanmoins, puisque l'arbitre et les parties à la présente instance ont examiné cet aspect, je m'exprimerai également à son sujet.


[29]       L'interprétation du protocole entre dans les compétences de l'arbitre, et ses conclusions ne seront infirmées que si elles sont manifestement déraisonnables ou clairement illogiques.

[30]       M. Janveau dit que le mot « rémunération » utilisé dans le protocole englobe l'indemnité provisoire.

[31]       Les mots « rémunération » , « traitement » et « indemnité » ne sont pas définis dans le protocole ni dans la convention collective. Dans le protocole, le mot « rémunération » est utilisé indistinctement en même temps que le mot « traitement » . Vu l'absence de définitions sur lesquelles pût s'appuyer l'arbitre, il lui était loisible de donner à ces mots leur sens ordinaire et habituel eu égard aux circonstances et à la convention collective.


[32]       L'article 47 de la convention collective du Groupe CS parle de l' « administration de la paie » . Cet article, qui concerne la rémunération d'un employé, utilise non seulement les mots « rémunération » et « taux de rémunération » , mais également le mot « traitement » . Vu le sens ordinaire des mots « rémunération » , « traitement » et « indemnité » , et vu l'équivalence des mots « rémunération » et « traitement » , dans la convention collective, dans l'appendice « E » de la convention collective et dans le protocole lui-même, il n'est pas manifestement déraisonnable pour l'arbitre d'avoir jugé que, même si le protocole s'appliquait à M. Janveau, celui-ci n'aurait pas été admissible à une indemnité provisoire. L'arbitre a expliqué que, puisque le protocole parle de rémunération et de traitement, et puisque la clause 1b) de l'appendice « E » de la convention collective dit expressément que « L'indemnité provisoire... ne fait pas partie intégrante du traitement de l'employé » , les termes employés dans le protocole ne comprenaient pas l'indemnité.

[33]       M. Janveau propose d'autres définitions pour les termes en question. Il soutient en effet que l'arbitre aurait dû retenir les définitions qu'il propose maintenant plutôt que la clause de l'appendice « E » de la convention collective. Il s'agit ici essentiellement d'un désaccord avec le poids que l'arbitre a donné à la preuve. Il n'appartient pas à la Cour de modifier cette conclusion. Cet aspect de la décision de l'arbitre n'était pas manifestement déraisonnable.

[34]       M. Janveau signale aussi la clause de la partie I du protocole selon laquelle « Nonobstant une reclassification régressive, un poste occupé est réputé avoir conservé, à toutes fins utiles, son ancien groupe et niveau » . M. Janveau dit que le protocole protège donc non seulement la « rémunération » associée à l'ancienne classification, mais également toutes les conditions d'emploi qui s'attachaient à l'ancien poste.


[35]       Je trouve déconcertant que l'arbitre n'ait pas examiné directement deux aspects de la question de savoir si le protocole avait pour effet de protéger l'indemnité provisoire. D'abord, elle n'a pas, dans ses motifs, considéré l'inclusion, dans le protocole, des mots « à toutes fins utiles » . Ensuite, elle n'a pas songé que son interprétation du protocole pourrait contredire l'interprétation du Conseil du Trésor donnée dans le bulletin. Puisque je suis d'avis que sa conclusion sur le point n ° 1 était correcte, je m'abstiendrai de donner suite à mes interrogations.

Conclusion

[36]       Pour les motifs susmentionnés, je suis d'avis que cette demande doit être rejetée. Dans son poste reclassifié, M. Janveau n'a pas droit au maintien de l'indemnité provisoire, au motif qu'il n'est pas soumis au protocole.

[37]       Le défendeur n'a pas demandé de dépens.

                                                              ORDONNANCE

La Cour ordonne que la demande soit rejetée.

                                                                                                                          « Judith A. Snider »            

                                                                                                                                                    Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                           COUR FÉDÉRALE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-198-02

INTITULÉ :                                                 JACK JANVEAU c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA ET AUTRE

LIEU DE L'AUDIENCE :                         OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE LUNDI 10 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                               LE VENDREDI 14 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS:

Christopher Rootham                                                                            POUR LE DEMANDEUR

John G. Jaworksi                                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Andrew Raven                                                                                    POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

NELLIGAN O'BRIEN PAYNE LLP                                                 POUR LE DEMANDEUR

AVOCATS

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

RAVEN, ALLEN, CAMERON & BALLANTYNE                     POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS

OTTAWA (ONTARIO)

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