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Date : 20030515

Dossier : T-876-01

Référence : 2003 CFPI 605

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                      XUE JUN GAO

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'un appel de la décision d'un juge de la citoyenneté qui, le 27 mars 2001, a rejeté la demande de citoyenneté canadienne du demandeur.


[2]                 Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision du juge de la citoyenneté. Il demande aussi à la Cour de délivrer un bref de mandamus enjoignant au défendeur de traiter, en conformité avec la loi, la demande de citoyenneté canadienne présentée par le demandeur ainsi qu'une ordonnance déclaratoire portant que la demande de citoyenneté du demandeur sera traitée dans un délai de 30 jours de la délivrance de l'ordonnance, en plus des dépens.

Faits

[3]                 Le demandeur, Xue Jun Gao, est né en République populaire de Chine. Au moment de l'audience portant sur sa demande de citoyenneté, il était marié et était le père de deux fillettes âgées de quatre et huit ans. Lorsqu'il a décidé de déménager au Canada avec sa famille, il a démissionné de son emploi en Chine et a renoncé à l'appartement que lui fournissait la compagnie.

[4]                 Le demandeur est arrivé au Canada le 19 février 1996. Il est retourné en Chine deux jours plus tard. Le 28 avril 1996, le demandeur est revenu au Canada en compagnie de sa femme et de sa fille aînée. La cadette est née au Canada.

[5]                 Le demandeur a commencé à travailler au Canada à temps complet à la Seaspan Shipbrokers Ltd. le 1er mai 1996. Avant la fin de ce même mois, il avait pris les mesures suivantes:

1.          Il avait trouvé un service de garde pour sa fille;

2.          Il avait obtenu un numéro d'assurance sociale;

3.          Il s'était inscrit à un régime de soins médicaux;


4.          Il avait fait l'achat d'une Honda Civic et s'était procuré une assurance automobile de même qu'un permis de conduire canadien;

5.          Il avait ouvert des comptes en banque;

6.          Il avait pris contact avec des amis de longue date vivant dans la région de Vancouver;

7.          Il cherchait une maison.

[6]                 L'épouse du demandeur est tombée enceinte en juin 1996. Plus tard au cours de l'été, le couple a acheté une maison à Richmond, en Colombie-Britannique. Le demandeur soutient que pendant la période allant jusqu'à la fin de 1996, même s'il passait la majeure partie de son temps au travail ou en famille, il a trouvé du temps pour :

1.          aider une autre entreprise locale à développer des liens d'affaires en Chine;

2.          aider de nouveaux arrivants à trouver une maison et à s'y installer;

3.          effectuer des dons;

4.          participer aux activités du centre communautaire et visiter les bibliothèques;

5.          devenir membre du comité de surveillance de son quartier.

[7]                 Tout allait bien pour le demandeur jusqu'à ce qu'il soit mis à pied, le 31 août 1997, en raison d'une réduction de personnel. Le demandeur a cherché un autre emploi sans succès. Comme il n'arrivait pas à trouver d'emploi au Canada, il a alors démarré sa propre entreprise, Reklub Shipping Ltd, le 25 janvier 1998.


[8]                 Reklub Shipping Ltd. est une entreprise de courtage maritime. Les clients du demandeurs sont habituellement des propriétaires de navires, des affréteurs et des propriétaires de marchandises. Le demandeur sert d'intermédiaire entre ces clients. Par exemple, si un propriétaire de marchandises a besoin d'expédier celles-ci outre-mer, le demandeur trouve un navire convenable et négocie un contrat au nom de son client. Il reçoit en échange une commission.

[9]                 Parce que les marchandises et les clients sont situés un peu partout au monde, le demandeur a été absent du Canada pendant de longues périodes depuis qu'il a démarré son entreprise. Ses absences étaient toute liées à son entreprise. Le dossier d'absence du demandeur depuis son arrivée au Canada est résumé ci-dessous :

No

Dates

Endroit

Jours d'absence

1

28 octobre 1996 - 7 novembre 1996

Hong Kong, Chine, Corée

10

2

15 juillet 1997 - 3 août 1997

Chine, Hong Kong

19

3

5 février 1998 - 18 février 1998

Chine, Hong Kong

13

4

26 mai 1998 - 8 novembre 1998

Chine

166

5

8 février 1999 - 27 juin 1999

Chine

139

6

24 août 1999 - 4 février 2000

Chine

164

7

9 avril 2000 - 22 septembre 2000

Chine, Hong Kong

166

Total

677

[10]            Alors que 1 095 jours de présence au Canada sont requis pour être admissible à la citoyenneté, le demandeur n'a accumulé que 783 jours. Il lui manque donc 312 jours.

[11]            Le demandeur a présenté sa demande de citoyenneté canadienne le 8 septembre 2000. Il a passé l'examen écrit, qu'il a réussi, le 9 janvier 2001. Le 22 mars 2001, il a été convoqué à une entrevue devant un juge de la citoyenneté.

[12]            Concernant cette entrevue, le demandeur déclare, dans l'affidavit qu'il a souscrit, qu'il s'est entretenu brièvement de sa famille avec le juge. Il a ensuite tenté d'expliquer en quoi consistait son entreprise et les raisons de ses absences prolongées du Canada. Selon lui, le juge n'a pas cherché à comprendre la nature de son entreprise et l'a interrompu avant qu'il n'ait eu la chance d'expliquer en détail la raison pour laquelle il avait démarré sa propre entreprise.

[13]            Au soutien de sa demande, le demandeur a produit une documentation volumineuse afin de démontrer quels étaient les liens qu'il possèdait au Canada. Cette documentation comprend notamment son acte d'hypothèque, ses relevés bancaires, un certificat canadien de constitution de son entreprise en personne morale, les relevés de note de sa fille, une preuve de l'inscription de son épouse dans un collège communautaire, la preuve de la citoyenneté canadienne de son épouse et de sa fille, des évaluations foncières, une preuve d'inscription au régime de soins médicaux de la Colombie-Britannique et une preuve d'immatriculation et d'assurance pour son véhicule.


[14]            Le 27 mars 2001, le demandeur a reçu une lettre l'informant que sa demande de citoyenneté canadienne n'avait pas été acceptée en raison du fait qu'il ne respectait pas les conditions de résidence. Le juge de la citoyenneté déclarait notamment ce qui suit :

[traduction]

Jusqu'à la date de la présentation de votre demande de citoyenneté, le 27 septembre 2000, vous vous êtes absenté pendant environ 677 jours et avez été présent pendant seulement 783 jours : il vous manque donc 312 jours de présence sur les 1 095 jours prescrits. L'examen exhaustif de votre situation me porte à conclure que vos absences prolongées du Canada ne peuvent être considérées comme des périodes de résidence au sens où la Loi l'entend.

J'ai étudié la possibilité de rendre une décision favorable en vertu du paragraphe 5(3) ou 5(4) de la Loi, mais j'ai écarté cette possibilité, d'autant plus qu'aucune preuve n'a été présentée de l'existence d'une incapacité physique, d'une situation particulière ou inhabituelle de détresse ou de services exceptionnels rendus au Canada.

[15]            Dans ses remarques, le juge de la citoyenneté a inscrit ce qui suit : « aucune preuve de circonstances additionnelles ou atténuantes - l'alinéa 5(1)c) n'est pas respecté » .

[16]            Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Questions en litige

[17]            1.          Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur de droit en omettant d'énoncer clairement le critère juridique qu'il a appliqué pour déterminer si le demandeur respectait les conditions de l'alinéa 5(1)c)?


2.          Le juge de la citoyenneté a-t-il tiré une conclusion de fait erronée ou omis de tenir compte des faits de telle façon qu'il a commis une erreur de droit au sens de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7?

3.          Si le juge de la citoyenneté a omis d'énoncer clairement le critère juridique de résidence, a-t-il commis une erreur de fait et de droit en omettant d'expliquer pourquoi le demandeur ne respectait pas les conditions de résidence?

4.          Le juge de la citoyenneté a-t-il manqué aux règles de l'équité procédurale à l'égard du demandeur?

Dispositions législatives pertinentes

[18]            Les dipositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 énoncent ce qui suit :



5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

. . .

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

. . .

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[19]            Les paragraphes 24.(1) et (2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 prévoient quant à eux :

24. (1) Emportent déchéance du statut de résident permanent :

a) le fait de quitter le Canada ou de demeurer à l'étranger avec l'intention de cesser de résider en permanence au Canada;

24. (1) A person ceases to be a permanent resident when

(a) that person leaves or remains outside Canada with the intention of abandoning Canada as that person's place of permanent residence; or

b) toute mesure de renvoi n'ayant pas été annulée ou n'ayant pas fait l'objet d'un sursis d'exécution au titre du paragraphe 73(1).

(2) Le résident permanent qui séjourne à l'étranger plus de cent quatre-vingt-trois jours au cours d'une période de douze mois est réputé avoir cessé de résider en permanence au Canada, sauf s'il convainc un agent d'immigration ou un arbitre, selon le cas, qu'il n'avait pas cette intention.

(b) a removal order has been made against that person and the order is not quashed or its execution is not stayed pursuant to subsection 73(1).

(2) Where a permanent resident is outside Canada for more than one hundred and eighty-three days in any one twelve month period, that person shall be deemed to have abandoned Canada as his place of permanent residence unless that person satisfies an immigration officer or an adjudicator, as the case may be, that he did not intend to abandon Canada as his place of permanent residence.


Analyse et décision

[20]            Question 1

Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur de droit en omettant d'énoncer clairement le critère juridique qu'il a appliqué pour déterminer si le demandeur respectait les conditions de l'alinéa 5(1)c)?

Dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (QL) (C.F. 1re inst.), M. le juge Lutfy (maintenant juge en chef adjoint) a énoncé la norme de contrôle à appliquer dans les appels en matière de citoyenneté. Le juge Lufty écrivait, au paragraphe 33 de ses motifs :

La justice et l'équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.

J'adopterai cette norme en l'espèce.

[21]            Différents critères ont été avancés par notre Cour pour déterminer si un demandeur respecte les condition de résidence nécessaires à l'obtention de la citoyenneté. Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahadeo, [1999] A.C.F. no 1521 (QL) (C.F. 1re inst.), M. le juge Reed a déclaré, au paragraphe 3 :


Quoi qu'il en soit, j'accepte l'analyse que M. le juge Lutfy a faite dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 36 Imm. L.R. (2d) 29. Je suis d'accord que, compte tenu de la présente période de transition de procès de novo à des appels interjetés par voie de demande, et compte tenu du projet de loi modificative dont la Chambre des communes est présentement saisie, la décision d'un juge de la citoyenneté ne doit pas être infirmée au motif qu'un critère et non l'autre a été appliqué, pourvu que le juge expose le critère qu'il entend utiliser et explique pourquoi il y a ou non été satisfait.

[22]            Comme le souligne la décision Mahadeo, précitée, le juge de la citoyenneté doit exposer clairement le critère qu'il applique et expliquer pourquoi ce critère a ou non été satisfait dans l'affaire en cause.

[23]            J'ai examiné la lettre qu'a fait parvenir le juge de la citoyenneté au demandeur en date du 27 mars 2001 (page 9 du dossier de la Cour) et l'avis de décision qu'il a remis au ministre (page 11 du dossier de la Cour) et je suis d'avis que le juge de la citoyenneté n'a pas exposé le critère auquel il avait eu recours pour déterminer si le demandeur respectait les conditions de résidence applicables en matière de citoyenneté. De même, ni la lettre ni les motifs n'indiquent pourquoi les jours pendant lesquels le demandeur s'est absenté du Canada n'ont pas été pris en compte dans le calcul des 1 095 jours de résidence exigés.

[24]            Pour les motifs exposés précédemment, je suis d'avis que la décision du juge de la citoyenneté était mal fondée. L'appel du demandeur est accueilli et la décision du juge de la citoyenneté est annulée. L'affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour un nouvel examen.

[25]            Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé relativement à la question 1, je n'ai pas à statuer sur les autres questions.

[26]            Je ne suis pas disposé à accorder au demandeur l'autre réparation demandée, ni à lui accorder les dépens.

ORDONNANCE

[27]            LA COUR ORDONNE QUE l'appel du demandeur soit accueilli et que l'affaire soit renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen.

                                                                                 « John A. O'Keefe »     

                                                                                                             Juge             

Ottawa (Ontario)

Le 15 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-876-01

INTITULÉ :              XUE JUN GAO

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET     DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le mercredi 5 février 2003

ORDONNANCE ET MOTIFS :    Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                     le jeudi 15 mai 2003

COMPARUTIONS :

Mary Lam

POUR LE DEMANDEUR

Pamela Larmondin                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Lam

Bureau 3

206, rue Bloor Ouest

Toronto (Ontario)

M5S 1T8                                                              POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

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