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Date : 20031107

Dossier : T-2024-01

Référence : 2003 CF 1299

ENTRE :

                                                                 ARTHUR FROOM

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                    LE MINISTRE DE LA JUSTICE

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                 Arthur Froom (également connu sous le nom d'Arthur Kissel) cherche à éviter l'extradition vers les États-Unis d'Amérique sous des accusations de complot, de fraude et de recyclage des produits de la criminalité. Il demande notamment à la Cour de procéder au contrôle judiciaire de l'arrêté introductif d'instance, délivré par le ministre en vertu de la Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18 (la Loi), le 3 juillet 2001 et de l'annuler .


CONTEXTE FACTUEL ET PROCÉDURAL

[2]                 En raison de la nature de certains des arguments auxquels il sera fait référence en temps et lieu, il est nécessaire, pour mieux comprendre le contexte, d'énoncer le fondement factuel et procédural qui sous-tend cette demande particulière. M. Froom est citoyen américain, il est marié à une citoyenne canadienne et réside actuellement au Canada. Par le passé, M. Froom a voyagé régulièrement à l'étranger pour ses affaires. En avril 1998, il a été arrêté à Toronto par des agents canadiens sous des allégations d'infractions prévues dans l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. Il a été libéré moyennant le respect de certaines conditions.

[3]                 M. Froom a comparu devant un arbitre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au sujet d'allégations voulant qu'il aurait travaillé illégalement au Canada, qu'il aurait été condamné pour conduite en état d'ébriété aux États-Unis et qu'il serait recherché aux États-Unis pour des accusations de fraude ayant trait à des demandes de règlement en matière d'assurance. L'allégation concernant le travail illégal n'a pas été prouvée et l'allégation de conduite avec facultés affaiblies a été retirée. L'arbitre a pris une mesure d'expulsion conditionnelle en se fondant sur l'allégation restante. Cette mesure d'expulsion a fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire qui a été rejetée par le juge Kelen le 2 octobre 2003.


[4]                 Le 28 juin 2001, la note diplomatique no 456 de l'Ambassade des États-Unis a été remise au ministre des Affaires étrangères et du Commerce international afin d'obtenir l'extradition d'Arthur Kissel, alias Arthur Froom. Le document indique ce qui suit : [Traduction] « Kissel est recherché afin d'être jugé pour des infractions fédérales en matière de fraude » . La demande d'extradition se fonde sur des actes qui auraient été commis par M. Froom relativement à l'entreprise (prestation de services médicaux) qu'il exploitait avec son épouse. Le 3 juillet 2001, l'arrêté introductif d'instance a été délivré. Ce document a été signé par un avocat du Groupe d'entraide internationale (GEI) au nom du ministre de la Justice du Canada. Les infractions canadiennes suivantes y sont mentionnées comme étant celles qui correspondent à la conduite alléguée de M. Froom aux États-Unis :

- complot en vue de commettre une fraude contrairement à l'article 380 et au paragraphe 465(1) du Code criminel du Canada;

- fraude contrairement à l'article 380 du Code criminel;

- complot en vue de recycler les produits de la criminalité contrairement à l'article 462.31 et à l'alinéa 465(1)c) du Code criminel; et

- recyclage des produits de la criminalité contrairement à l'article 462.31 du Code criminel.


[5]                 La déclaration certifiée du procureur adjoint des États-Unis pour le district sud de New York, jointe aux documents présentés à l'appui de la demande d'extradition, indique que la première accusation devant le grand jury ayant trait à cette affaire a été présentée le 28 mars 1998. Après avoir examiné une preuve supplémentaire, le grand jury a présenté une première accusation modifiée le 4 novembre 1998, qui modifiait l'inculpation mentionnée dans la première accusation. Le 20 octobre 1999, après avoir examiné une nouvelle preuve, le grand jury a présenté une deuxième accusation modifiée et, le 29 mars 2000, après avoir de nouveau examiné une preuve additionnelle, le grand jury a présenté une troisième accusation modifiée. La déclaration certifiée précise que la troisième accusation modifiée remplace les accusations antérieures et constitue le document d'inculpation dans la présente affaire.

[6]                 Une demande ex parte a été présentée devant un juge de la Cour supérieure de l'Ontario afin d'obtenir un mandat d'arrestation qui a été délivré le 11 septembre 2001. M. Froom a été arrêté et par la suite libéré après avoir souscrit un engagement de fournir un dépôt en espèces de 25 000 $ et une caution de 20 000 $. Le 12 novembre 2001, il a déposé un avis de demande dans lequel il réclame un bref de certiorari annulant l'arrêté introductif d'instance, une déclaration attestant que ce document est invalide et sans aucun effet, ainsi qu'une déclaration infirmant la décision du ministre. Dans un avis de demande modifié, en date du 5 mai 2003, M. Froom élabore de façon importante sur les redressements recherchés, ajoute plusieurs demandes d'injonctions contre le ministre de la Justice et le procureur général au sujet de l'arrêté introductif d'instance et des procédures d'extradition, et réclame divers autres redressements à l'encontre des tribunaux de l'Ontario et des États-Unis.

[7]                 M. Froom a aussi revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. Cette revendication a été refusée. En outre, une action a été intentée contre la Reine au sujet de questions semblables à celles dont traite la présente demande. Les parties ont consenti à ce qu'il soit sursis à cette action.

[8]                 Pour ce qui est de la présente instance, le défendeur a demandé, par voie de requête, la radiation de la demande de contrôle judiciaire. La décision du protonotaire accueillant la requête (Froom c. Canada (Ministre de la Justice)), [2002] 4 C.F. 345 (Froom no 1) a fait l'objet d'un appel qui a été accueilli par le juge Gibson (Froom c. Canada (Ministre de la Justice)) (2002) 225 F.T.R. 173 (Froom no 2). Il a conclu que bien qu'il existe « des arguments probants à l'appui de [la] thèse voulant que notre Cour n'ait pas compétence pour procéder à l'examen judiciaire d'une décision relative à la délivrance d'un arrêté introductif d'instance, il est possible d'élaborer des arguments tout aussi probants pour démontrer que notre Cour possède cette compétence sous le régime de la Loi sur la Cour fédérale et, en l'absence d'une exclusion de cette compétence, notre Cour devrait considérer qu'elle peut l'exercer pleinement » . Pour ce qui est de savoir si, en admettant que la Cour a compétence pour procéder à l'examen judiciaire d'un arrêté introductif d'instance, elle devrait néanmoins s'abstenir d'exercer cette compétence, le juge Gibson ajoute ce qui suit :

L'avocate du ministre, sans reconnaître que notre Cour a compétence pour procéder au contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance, a allégué que, si la Cour a compétence, elle ne devrait pas l'exercer parce qu'il existe un autre recours approprié et que cet exercice serait incompatible avec le régime de la Loi sur l'extradition et la prompte exécution des obligations internationales du Canada en matière d'extradition.

Je suis d'avis qu'il s'agit d'une question qu'il conviendrait mieux de trancher dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire plutôt que dans le cadre d'une requête en radiation de cette demande.


[9]                 L'audition de la présente demande a commencé le 12 août 2003. Le matin du 12 août a été consacré à l'exposé d'arguments ayant trait à une requête présentée par le demandeur qui devait être entendue en séance générale le 11 août. Quand le juge des requêtes s'est rendu compte que la question exigeait beaucoup plus de temps que ce qui était disponible en séance générale, il a ordonné que la requête soit reportée et entendue dès le début de l'audition de la demande. M. Froom avait demandé que différentes parties du dossier du défendeur et son mémoire des faits et du droit soient radiés au motif qu'ils ne permettaient pas de savoir clairement quels documents se trouvaient en possession de l'avocat du GEI quand la décision de délivrer l'arrêté introductif d'instance a été prise. Malgré le nombre des arguments soulevés dans la requête, les parties sont parvenues à un compromis et la requête a été retirée quand le défendeur a fourni la correspondance provenant de l'avocat du GEI à cet égard. Toutefois, il est devenu évident que la journée et demie qui restait ne suffirait pas pour examiner les documents contenus dans 15 volumes de jurisprudence et 4 volumes de dossiers, exigeant la comparution de 5 avocats. À la fin de la journée du 13 août, l'audience a été ajournée et la reprise a été fixée au 2 septembre.

[10]            Les choses se sont compliquées davantage quand l'un des avocats du demandeur est tombé malade avant le 2 septembre et a demandé un ajournement le vendredi précédant la date fixée. J'ai demandé à l'avocat bien portant de se présenter le 2 septembre pour traiter de la demande d'ajournement et d'être prêt à poursuivre l'audition. Dès la reprise de l'audience, j'ai mentionné que l'avocat malade n'avait présenté aucun des arguments entendus au cours de la première étape de l'audition. L'un des avocats de M. Froom a fait observer que même si l'avocat malade n'avait pas pris la parole, il y avait eu interaction et consultation entre les avocats de M. Froom et qu'il fallait s'attendre à ce qu'il y ait de nouveau la même interaction et la même consultation entre la conclusion de l'argumentation du défendeur et la réponse.

[11]            Peu disposée à repousser l'étude de la question, mais tout de même consciente qu'aucun préjudice ne devait être causé au demandeur, j'ai proposé que l'affaire continue d'être entendue comme prévu, que les arguments restants soient mis par écrit, que la réponse soit donnée et la transcription préparée rapidement. La transcription serait ensuite remise à l'avocat malade du demandeur au plus tard le 8 septembre. À l'examen des arguments, l'avocat aurait la liberté de soumettre des observations (en respectant les paramètres d'un contenu de réponse appropriée) qui n'auraient pas été faites dans la réponse, mais qui, de l'avis de l'avocat, auraient dû l'être. J'ai proposé que l'avocat malade ait jusqu'au 17 septembre pour fournir sa réponse écrite, s'il le jugeait approprié.

[12]            Aucun des avocats de M. Froom (qui étaient présents), ni ceux du défendeur ne se sont opposés à ma proposition. Toutefois, il convient de noter que M. Froom n'était pas présent au cours de cette discussion et que, bien que son avocat n'ait formulé aucune objection, il a noté que sa position était conditionnelle à toute objection que pourrait exprimer M. Froom. M. Froom est arrivé peu après et l'affaire s'est poursuivie sans autre retard. Aucune objection n'a été formulée.


[13]            Les observations de l'avocat et la jurisprudence citée à l'appui de celles-ci ont été reçues le 17 septembre. Ces observations vont bien au-delà de ce qui constitue une réponse appropriée et, dans certains cas, portent sur des questions qui n'ont été soulevées ni dans l'argumentation du demandeur, ni dans celle du défendeur. Les observations du 17 septembre qui s'écartent de ce qui est approprié ne seront pas examinées. Les avocats du défendeur m'ont fait parvenir de brèves observations supplémentaires le 2 octobre 2003, afin de me signaler et de me fournir une copie d'une décision du juge Hoilett de la Cour supérieure de justice de l'Ontario datée du 26 septembre 2003. Le 7 octobre, l'avocat de M. Froom a répondu par écrit aux observations du défendeur.

QUESTION EN LITIGE

[14]            À l'exclusion pour le moment des différents motifs de contrôle judiciaire qui ont été débattus par le demandeur, la question est de savoir si la Cour devrait ou non se déclarer incompétente et refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre la demande de contrôle judiciaire concernant l'arrêté introductif d'instance. La question est formulée de cette manière parce que le défendeur a admis, au cours de l'audience, que [Traduction] « d'après l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, il est impossible de prétendre que la décision du ministre n'est pas une décision au sens de l'article » ou que la Cour n'a pas compétence pour en faire le contrôle. Donc, si je refuse d'exercer la compétence de la Cour, l'affaire prendra fin. Toutefois, si j'en arrive à une autre conclusion, les motifs de contrôle soulevés par le demandeur devront être examinés.

APERÇU DES POSITIONS DES PARTIES


[15]            M. Froom note qu'il s'agit d'une affaire sans précédent et qu'il n'existe aucune décision jurisprudentielle concernant l'examen judiciaire d'un arrêté introductif d'instance par la Cour fédérale. Il est tout à fait clair que la Loi ne prive pas la Cour fédérale de sa compétence relativement à l'article 15 de la Loi : Froom no 2. Il fait valoir que la décision de délivrer l'arrêté introductif d'instance ne devrait pas être traitée différemment de toute autre décision prise par tout autre ministre. Ce qui est plus important, il fait valoir que je devrais accepter d'exercer la compétence parce qu'il n'y a pas d'autre lieu où débattre de la question. La Loi est claire - le juge d'extradition n'a pas compétence pour annuler un arrêté introductif d'instance.

[16]            Le défendeur fait valoir que M. Froom ne peut obtenir du juge d'extradition une ordonnance afin d'annuler l'arrêté introductif d'instance, mais il demande que j'aille au-delà de la façon dont M. Froom qualifie la question (incapacité d'annuler l'arrêté introductif d'instance) pour examiner les motifs sur lesquels il appuie sa demande. Si les motifs peuvent être débattus et décidés par une autre autorité, en respectant les dispositions de la Loi et sans avoir recours à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10, et ses modifications, alors c'est qu'il existe un recours subsidiaire approprié et je devrais donc, dans ce cas, refuser d'exercer mon pouvoir discrétionnaire. Subsidiairement, le défendeur prétend que la décision du ministre est une décision interlocutoire et qu'elle n'est donc pas susceptible de contrôle judiciaire.

RÉGIME LÉGISLATIF ET JURISPRUDENCE

[17]            Les dispositions législatives pertinentes sont jointes aux présents motifs sous l'Annexe A. Les articles pertinents de l'accord d'extradition entre le Canada et les États-Unis sont joints sous l'Annexe B. Étant donné que le paragraphe 3(1) et l'article 15 de la Loi sont particulièrement importants ils sont reproduits ci-dessous pour en faciliter la consultation. Le paragraphe 3(3) est omis parce qu'il ne s'applique pas à M. Froom.



Loi sur l'extradition,

L.C. 1999, ch. 18

3. (1) Toute personne peut être extradée du Canada, en conformité avec la présente loi et tout accord applicable, à la demande d'un partenaire pour subir son procès dans le ressort de celui-ci, se faire infliger une peine ou y purger une peine si :

a) d'une part, l'infraction mentionnée dans la demande est, aux termes du droit applicable par le partenaire, sanctionnée, sous réserve de l'accord applicable, par une peine d'emprisonnement ou une autre forme de privation de liberté d'une durée maximale de deux ans ou plus ou par une peine plus sévère;

b) d'autre part, l'ensemble de ses actes aurait constitué, s'ils avaient été commis au Canada, une infraction sanctionnée aux termes du droit canadien :

(i) dans le cas où un accord spécifique est applicable, par une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans ou plus ou par une peine plus sévère,

(ii) dans le cas contraire, sous réserve de l'accord applicable, par une peine d'emprisonnement maximale de deux ans ou plus ou par une peine plus sévère.

Extradition Act,

S.C. 1999, c. 18

3. (1) A person may be extradited from Canada in accordance with this Act and a relevant extradition agreement on the request of an extradition partner for the purpose of prosecuting the person or imposing a sentence on - or enforcing a sentence imposed on - the person if

(a) subject to a relevant extradition agreement, the offence in respect of which the extradition is requested is punishable by the extradition partner, by imprisoning or otherwise depriving the person of their liberty for a maximum term of two years or more, or by a more severe punishment; and

(b) the conduct of the person, had it occurred in Canada, would have constituted an offence that is punishable in Canada,

(i) in the case of a request based on a specific agreement, by imprisonment for a maximum term of five years or more, or by a more severe punishment, and

(ii) in any other case, by imprisonment for a maximum term of two years or more, or by a more severe punishment, subject to a relevant extradition agreement.

15. (1) Le ministre peut, après réception de la demande d'extradition, s'il est convaincu qu'au moins une infraction satisfait aux conditions prévues à l'alinéa 3(1)a) et au paragraphe 3(3), prendre un arrêté introductif d'instance autorisant le procureur général à demander au tribunal, au nom du partenaire, la délivrance de l'ordonnance d'incarcération prévue à l'article 29.

15. (1) The Minister may, after receiving a request for extradition and being satisfied that the conditions set out in paragraph 3(1)(a) and subsection 3(3) are met in respect of one or more offences mentioned in the request, issue an authority to proceed that authorizes the Attorney General to seek, on behalf of the extradition partner, an order of a court for the committal of the person under section 29.

(2) En cas de demandes concurrentes visant l'extradition d'une même personne, le ministre détermine l'ordre dans lequel elles seront traitées.

(2) If requests from two or more extradition partners are received by the Minister for the extradition of a person, the Minister shall determine the order in which the requests will be authorized to proceed.


(3) L'arrêté comporte les éléments suivants :

a) le nom ou description de l'intéressé;

b) le nom du partenaire;

c) la désignation des infractions qui, du point de vue du droit canadien, correspondent à l'ensemble des actes reprochés à l'intéressé ou pour lesquels il a été condamné et dont au moins l'une d'entre elles serait sanctionnée de la façon prévue à l'alinéa 3(1)b).

(3) The authority to proceed must contain

(a) the name or description of the person whose extradition is sought;

(b) the name of the extradition partner; and

(c) the name of the offence or offences under Canadian law that correspond to the alleged conduct of the person or the conduct in respect of which the person was convicted, as long as one of the offences would be punishable in accordance with paragraph 3(1)(b).(4) La copie de l'arrêté reproduite par un moyen de télécommunication qui rend la communication sous forme écrite a, pour l'application de la présente partie, la même force probante que l'original.

(4) A copy of an authority to proceed produced by a means of telecommunication that produces a writing has the same probative force as the original for the purposes of this Part.


[18]            Avant d'examiner en détail les observations et les arguments des parties, il est utile de revoir le régime législatif tant historique qu'actuel ainsi que les principes fondamentaux qui découlent de la jurisprudence relative aux questions d'extradition.

[19]            L'extradition est la remise par un État, à la demande d'un autre, d'une personne qui se trouve dans son ressort et qui est accusée ou a été reconnue coupable d'un crime commis dans le ressort de l'autre État : Anne Warner LaForest, LaForest's Extradition To And From Canada, 3e éd. (Aurora, Canada Law Book, 1991). Il s'agit essentiellement d'une fonction du pouvoir exécutif découlant d'accords internationaux conclus entre les États : R. c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500 (Schmidt). Cette pratique a des racines historiques profondes au Canada et constitue un élément essentiel de l'administration de la justice depuis la Confédération. Le processus d'extradition se fonde sur les concepts de réciprocité, de courtoisie et de respect des différences dans les autres ressorts : Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779 (Kindler).

[20]            On trouvera un aperçu du processus d'extradition (y compris les modifications apportées en 1992) dans l'arrêt États-Unis d'Amérique c. Kwok, [2001] 1 R.C.S. 532 (Kwok). Le résumé qui suit, à l'exception des passages qui ont trait à la Loi de 1999, est tiré principalement de l'arrêt Kwok et inclut les précédents jurisprudentiels auxquels Madame la juge Arbour a fait référence.


[21]            Au Canada, la Loi régit le processus d'extradition et intègre au droit interne les obligations internationales du Canada en matière d'extradition. La première étape est de nature judiciaire alors que la seconde relève essentiellement de l'exécutif. Au cours de l'étape judiciaire, le juge d'extradition (également appelé juge d'incarcération) préside une audience afin de déterminer si la preuve est suffisante pour ordonner l'incarcération de la personne visée en vue de son extradition. Deux critères doivent être respectés pour qu'un mandat d'incarcération soit délivré. Tout d'abord, la preuve présentée doit établir prima facie que les actes reprochés dans le ressort de l'État requérant constituent un crime à cet endroit, constitueraient un crime au Canada s'ils avaient été commis ici et sont visés par le traité bilatéral (la règle de la double incrimination). Deuxièmement, la preuve produite doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la personne dont on demande l'extradition est celle qui se trouve devant le tribunal (la question de l'identité).


[22]            Au cours d'une audience d'extradition (ou d'incarcération), le rôle du juge d'extradition est apparenté à celui du juge qui préside une enquête préliminaire en ce sens qu'il doit déterminer si la preuve est suffisante. Comme le juge présidant l'enquête préliminaire, le juge d'extradition doit s'abstenir d'évaluer la preuve ou d'apprécier la crédibilité des témoins : États-Unis d'Amérique c. Shepard, [1977] 2 R.C.S. 1067 (Shepard). Il ne lui appartient pas non plus d'examiner la façon dont les fonctionnaires étrangers ont recueilli la preuve, de s'interroger sur l'effet de tout délai sur le procès dans l'État requérant ou de prendre en compte les moyens de défense susceptibles d'être invoqués au procès : Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536 (Mellino). Les fonctions du juge d'extradition sont donc limitées et modestes : Schmidt; McVey c. États-Unis d'Amérique, [1992] 3 R.C.S. 475 (McVey); États-Unis d'Amérique c. Lépine, [1994] 1 R.C.S. 286 (Lépine).

[23]            Avant les modifications de 1992, la Charte s'appliquait aux procédures d'extradition du fait que tant le traité que l'audience d'extradition au Canada et l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif relativement à la remise de la personne visée devaient respecter les exigences prévues par la Charte. Le juge d'extradition n'avait toutefois pas le pouvoir de statuer sur les questions touchant à l'application de la Charte ou d'accorder les réparations fondées sur ce texte.

[24]            Dès que le juge décide que la preuve est suffisante pour ordonner l'incarcération, il signe le mandat de dépôt ou l'ordonnance d'incarcération qui est ensuite transmis au ministre de la Justice accompagné du rapport du juge. On passe alors à la deuxième étape du processus d'extradition au cours de laquelle le ministre décide si la personne visée doit être livrée à l'État requérant. Cette étape du processus est essentiellement politique : McVey; Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631 (Idziak).


[25]            Les deux étapes du processus d'extradition sont distinctes. Le juge d'extradition n'a pas le pouvoir d'ordonner l'extradition de la personne vers l'État requérant, cette décision étant la responsabilité exclusive de l'exécutif. À l'inverse, le ministre ne peut pas exercer le pouvoir d'extrader une personne tant que celle-ci n'a pas été incarcérée à cette fin par un juge. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'extrader une personne, le ministre de la Justice doit tenir compte des considérations fondées sur la Charte : États-Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469 (Cotroni).

[26]            Avant les modifications de 1992, la Loi pourvoyait à la révision de la décision d'incarcérer la personne visée en accordant à cette dernière le droit de demander un bref d'habeas corpus. La délivrance d'un bref d'habeas corpus relève de la compétence d'un juge de la cour supérieure qui entend la demande de révision par voie d'habeas corpus de la décision du juge d'extradition ordonnant l'incarcération. Pour statuer sur la légalité de la détention de la personne visée, sur son incarcération, ou les deux, le juge saisi de la requête en habeas corpus avait une compétence limitée pour examiner certaines infractions visées par la Charte et pour accorder des réparations en vertu de l'article 24 de la Charte. Ce pouvoir ne pouvait cependant être utilisé pour empêcher le ministre de prendre la décision d'extrader ou non la personne visée, malgré l'existence d'un pouvoir exceptionnel, fondé sur l'article 7 de la Charte, permettant de prononcer l'arrêt des procédures dans les cas où la décision d'extrader la personne visée en vue de son procès dans un pays étranger irait, dans des circonstances particulières, à l'encontre des principes de justice fondamentale : Mellino.

[27]            En l'absence de circonstances criantes ou urgentes, la décision d'arrêter le processus d'extradition ne pouvait être rendue que par un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale saisie d'une demande de révision de la décision du ministre d'extrader la personne visée en vertu de la Loi sur la Cour fédérale [maintenant la Loi sur les Cours fédérales]. La nécessité d'attendre que l'exécutif ait exercé son pouvoir discrétionnaire a été soulignée dans l'arrêt Schmidt.


[28]            Par conséquent, avant les modifications de 1992, tant les procédures relatives à l'incarcération que la révision judiciaire de ces procédures étaient limitées par l'existence de la deuxième étape du processus d'extradition. Il fallait laisser suivre son cours à cette deuxième étape. Ce processus décisionnel à deux volets, judiciaire et exécutif, doté chacun de son propre mécanisme de révision, était lourd et long. D'une part, la décision sur la demande de révision de l'ordonnance d'incarcération par voie d'habeas corpus pouvait faire l'objet d'un appel de plein droit auprès de la cour d'appel provinciale concernée et ensuite, sur autorisation, auprès de la Cour suprême. D'autre part, la décision distincte prise par le ministre relativement à l'extradition pouvait faire l'objet d'une demande de révision judiciaire à la Section de première instance de la Cour fédérale et donner lieu éventuellement à d'autres appels à la Cour d'appel fédérale et à la Cour suprême.

[29]            D'importantes modifications touchant à la structure de la Loi sont entrées en vigueur le 1er décembre 1992. Le législateur a rationalisé et simplifié le processus d'extradition. Les modifications prévoyaient un droit de révision unique exercé par la cour provinciale concernée pour demander tant l'examen de la décision du juge d'extradition que celle du ministre. La cour d'appel provinciale s'est vu accorder « compétence exclusive » pour examiner la décision judiciaire ordonnant l'incarcération de la personne visée et celle de l'exécutif ordonnant son extradition.


[30]            Les modifications ont également établi la possibilité de réunir ces procédures en permettant expressément à la cour de reporter l'audition de l'appel de l'ordonnance d'incarcération jusqu'à ce que le ministre se fut prononcé sur la demande d'extradition, sauf si ce dernier déposait un avis de report auprès de la cour d'appel, auquel cas celle-ci devait entendre l'appel de l'incarcération plutôt que d'attendre la décision du ministre relativement à l'extradition.

[31]            Le recours à l'habeas corpus comme moyen de révision de l'incarcération a été éliminé. On a élargi les pouvoirs du juge d'incarcération pour lui donner tous les pouvoirs qui ne pouvaient jusque là être exercés que par un juge d'une cour supérieure entendant une requête en habeas corpus. Il y a donc eu transfert de compétence en matière d'application de la Charte afin que soient accordées les réparations ayant trait à une question dont était à bon droit saisi le juge d'extradition. Comme on l'a déjà dit, la cour d'appel provinciale a depuis compétence exclusive pour procéder au contrôle judiciaire de la décision du ministre relativement à l'extradition. Toutefois, les modifications de 1992 n'avaient pas pour but de modifier la structure fondamentale à deux paliers de la Loi. Le juge d'extradition et le ministre ont conservé leurs fonctions et leur compétence distinctes à l'intérieur du processus.


[32]            Une nouvelle Loi, entrée en vigueur le 17 juin 1999, a de nouveau apporté des modifications importantes. L'arrêt United States of America et al. c. Yang (2001), 56 O.R. 52 (C.A.) (Yang) analyse ce qui en a motivé l'adoption. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Rosenberg note que le Canada souhaitait moderniser son processus d'extradition. Avant la Loi de 1999, il n'était pas facile de concilier les infractions nouvellement créées et la nature de plus en plus globale de la criminalité. L'une des principales préoccupations découlait de la difficulté qui se posait quand un État requérant, appliquant un régime juridique différent de celui de l'État requis, devait se conformer aux règles de preuve de ce dernier. Des négociations bilatérales ont été entamées et, pendant cette période, l'augmentation de la criminalité transnationale a suscité partout dans le monde des initiatives pour moderniser le processus d'extradition - afin de le rendre plus simple et plus expéditif. Qui plus est, le Canada devait également tenir compte de son obligation de collaborer avec les tribunaux des Nations Unies qui supervisent les procès pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

[33]            La Loi de 1999 traite des points suivants : la règle de la double criminalité (article 3); les délais à respecter pour intenter des poursuites contre une personne arrêtée en vertu d'un mandat provisoire (articles 14 et 21); le droit de demander un cautionnement (articles 19 et 20); le droit du ministre de demander au partenaire de lui fournir des assurances (article 40); le droit d'imposer des conditions pour que les intéressés ne soient pas poursuivis pour d'autres infractions - la règle de la spécialité (article 40); l'interdiction d'extrader une personne pour des infractions à caractère politique, certaines infractions militaires et autres infractions prescrites (article 46); et le droit du ministre de refuser l'extradition, notamment, dans les cas de condamnation ou d'acquittement antérieurs, dans le cas de personnes condamnées par défaut ne pouvant obtenir une révision de leur procès et dans le cas des jeunes lorsque la procédure appliquée par le partenaire est incompatible avec les principes fondamentaux régissant le droit canadien. La Loi maintenait les dispositions de 1992 ayant trait aux règles d'appel de l'incarcération (article 49) et au contrôle de la décision du ministre relativement à l'extradition (article 53) : Yang.


[34]            Les règles de preuve dans la nouvelle Loi se trouvent aux articles 31 à 37. L'article 32 stipule que des éléments de preuve, qui ne seraient pas admissibles par ailleurs en vertu du droit canadien, peuvent être admis au cours de l'audience d'extradition et être utilisés pour s'opposer à l'incarcération prévue à l'article 29. Le contenu du dossier de la cause est décrit à l'article 33. Il suffit d'y énoncer un résumé de la preuve. Une autorité judiciaire ou le poursuivant doit certifier que la preuve résumée au dossier ou contenue dans celui-ci sera disponible pour le procès et qu'elle est suffisante pour justifier la poursuite en vertu du droit du partenaire, ou encore qu'elle a été recueillie conformément au droit de ce dernier. Les documents sont admissibles qu'ils aient ou non fait l'objet d'une affirmation solennelle ou d'un serment. Ainsi, différents types de preuve qui ne seraient pas admissibles par ailleurs dans un procès au Canada peuvent être admis au cours de l'audience. En particulier, le oui-dire est admissible même s'il ne respecte pas l'exception de common law ou d'origine législative non plus que les conditions de nécessité et de fiabilité qui ont été énoncées dans les jugements les plus récents de la Cour suprême : Ibid.


[35]            L'arrêté introductif d'instance est apparu dans la Loi de 1999. Cet arrêté est défini à l'article 15 qui en prescrit également la teneur. Pour pouvoir délivrer un arrêté introductif d'instance, le ministre doit être convaincu que les conditions prévues à l'alinéa 3(1)a) et au paragraphe 3(3) sont réunies. L'arrêté désigne l'infraction canadienne qui correspond à l'infraction qui aurait été commise dans l'État requérant. Cette disposition s'écarte de la pratique antérieure. Avant 1999, la procédure était entamée par voie de note diplomatique. La note précisait les infractions pour lesquelles l'extradition était demandée par l'État requérant. La correspondance avec des infractions canadiennes comparables était effectuée par le juge d'extradition au cours de l'audience d'incarcération. Cette correspondance est maintenant établie par le ministre. Je discuterai de l'arrêté introductif d'instance plus en détail un peu plus loin dans les présents motifs.

[36]            Le système discrétionnaire à deux paliers qui existait auparavant dans le processus d'extradition n'a pas été modifié au moment de l'entrée en vigueur de la Loi de 1999. Le ministre conservait donc une fonction, de même que le juge d'extradition, même si on a parfois indiqué qu'il s'agissait de deux, trois ou quatre étapes. Dans l'arrêt Federal Republic of Germany c. Schreiber, [2000] O.J. no 2618 (Schreiber), le juge Watt de la Cour supérieure de l'Ontario décrit les fonctions de la manière suivante :

[TRADUCTION]

En vertu de la Loi, le ministre et le juge d'extradition occupent deux (2) positions très différentes. Le ministre exerce son rôle au début et à la fin du processus d'extradition, alors que le juge intervient au milieu de celui-ci. Chacun travaille indépendamment de l'autre, à l'exception du fait que la décision finale du ministre est conditionnelle à la délivrance d'un mandat d'incarcération par le juge. Aucun ne s'ingère dans la sphère de responsabilité de l'autre. Et aucun ne contrôle la décision de l'autre.

RECOURS SUBSIDIAIRE APPROPRIÉ

Le défendeur


[37]            Le défendeur prétend que la demande de M. Froom n'est rien d'autre qu'une tentative pour éviter les étapes menant à son extradition. L'annulation de l'arrêté introductif d'instance n'est pas en soi le seul recours possible. Il soutient que M. Froom peut demander de nombreuses réparations qui sont toutes prévues, sous une forme ou sous une autre, dans la Loi. Il me demande d'examiner le processus d'extradition dans son ensemble et de conclure que l'étape judiciaire de ce processus relève exclusivement de la compétence des tribunaux provinciaux.

[38]            Le défendeur s'appuie sur différentes décisions de la Cour suprême qui qualifient l'extradition comme une fonction du pouvoir exécutif impliquant des décisions politiques prises en vue de la réalisation des obligations internationales du Canada. Bien que ce processus soit conçu pour être appliqué rapidement, il inclut des sauvegardes procédurales pour les personnes à l'égard desquelles l'extradition est demandée. Ces sauvegardes procédurales sont prévues dans la Loi et celle-ci constitue un code complet à cet égard. Il fait valoir que les questions d'extradition ont toujours été et devraient continuer à être du ressort des cours supérieures des provinces qui ont une connaissance spécialisée dans le domaine. Bien que la Cour fédérale soit spécialisée dans le domaine du contrôle judiciaire des décisions, elle n'a pas d'expertise en matière d'extradition.


[39]            Le défendeur s'appuie largement sur l'arrêt Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394 (Reza) et Fast c. Canada (2001), 288 N.R. 8 (C.A.F.) (Fast). Dans l'affaire Reza, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, défendeur, demandait la suspension de la demande présentée par Reza devant la Cour ontarienne (Division générale) en vue d'obtenir un jugement déclaratoire et une injonction se rapportant à la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. 28. Le ministre a eu gain de cause et le tribunal de première instance, après avoir conclu qu'il avait compétence pour accorder la réparation demandée, a refusé de le faire, en indiquant que le contrôle des questions en matière d'immigration devait être laissé à la Cour fédérale du Canada. La Cour d'appel de l'Ontario (Madame la juge Abella étant dissidente) a renversé la décision du juge de première instance, en statuant que la question était de nature constitutionnelle, qu'il y avait compétence concurrente et que le choix du tribunal devait appartenir au demandeur. La Cour suprême a conclu que le juge de première instance avait correctement exercé son pouvoir discrétionnaire du fait que le législateur avait créé un régime complet de contrôle en matière d'immigration, que la Cour fédérale était un tribunal efficace et approprié et qu'il n'y avait donc aucune raison de modifier la décision du juge de première instance.

[40]            Dans l'affaire Fast, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, défendeur, demandait que soit radiée la demande de contrôle judiciaire se rapportant à l'avis de révocation de la citoyenneté délivré par le ministre. Le juge Lemieux a conclu que le contrôle judiciaire n'était pas un recours disponible. Il a statué que l'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale faisait obstacle à une telle demande. La Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel, en acceptant l'essentiel de la décision du juge Lemieux. La Cour a ajouté que même si l'article 18.5 ne s'était pas appliqué, la Cour aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire pour rejeter la demande de contrôle judiciaire au motif que la procédure de renvoi prévue à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, relativement à la révocation de la citoyenneté, était un recours subsidiaire adéquat.


[41]            S'appuyant sur un certain nombre de précédents jurisprudentiels, le défendeur prétend que les contestations soulevées par le demandeur traitent en substance de la suffisance ou de la nature de la preuve sur laquelle s'appuient les États-Unis relativement à l'infraction alléguée; sur des questions relatives au droit américain, sur le non-respect du traité; et sur le non-respect de la Loi. Certaines de ces questions ont fait l'objet d'une décision finale de la Cour suprême et les autres pourront être traitées par le juge d'extradition, le ministre, la cour d'appel provinciale (en l'espèce la Cour d'appel de l'Ontario) ou, si M. Froom est extradé, par le tribunal de première instance aux États-Unis. Il existe donc un recours subsidiaire adéquat et je devrais refuser d'exercer mon pouvoir discrétionnaire pour accorder le contrôle judiciaire.

Le demandeur

[42]            M. Froom prétend le contraire. Il soutient que l'arrêt Schreiber est sans équivoque - le juge d'extradition est obligé d'accepter la déclaration du ministre selon laquelle les actes allégués correspondent aux infractions canadiennes qui y sont énumérées. La cour d'appel provinciale est soumise à des restrictions semblables : United States of America c. Kucan (2001) O.A.C. 131 (Kucan). Il prétend que cette première décision du ministre, décrite par le juge Gibson dans la décision Froom 2 comme constituant la deuxième phase du processus, ne peut faire l'objet d'un contrôle que par la Cour fédérale aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales parce que le pouvoir de révision n'est accordé à aucun autre tribunal. La cour d'appel provinciale peut entendre un appel concernant un mandat d'incarcération, mais l'appel n'inclura pas la décision du ministre de délivrer un arrêté introductif d'instance parce que le juge d'extradition est obligé de l'accepter.

[43]            M. Froom reconnaît qu'en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi, il peut présenter des observations au ministre portant sur « n'importe quel » motif, mais uniquement en rapport avec la décision d'extradition. La cour d'appel provinciale peut entendre une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre relative à l'extradition, mais elle devra s'en tenir au dossier à partir duquel la décision a été prise. La décision de délivrer l'arrêté introductif d'instance ne fera pas partie de ce dossier.

[44]            D'après M. Froom, une distinction peut être faite entre les arrêts Reza et Fast. Dans l'arrêt Reza, il y avait compétence concurrente mais la Cour de l'Ontario, reconnaissant l'expertise de la Cour fédérale en matière d'immigration, s'en est remise à elle. L'expertise du juge d'extradition porte sur la suffisance de la preuve et l'incarcération; sa compétence n'outrepasse pas ces aspects. Dans l'arrêt Fast, toutes les questions soulevées dans la procédure de contrôle judiciaire pouvaient être débattues au cours de l'audience de renvoi portant sur la révocation. Il y a donc une distinction par rapport à la situation actuelle où les questions de délégation et d'abus de procédure ne peuvent être déterminées dans le contexte de l'arrêté introductif d'instance.


[45]            Finalement, M. Froom prétend que cette Loi est nouvelle et que l'article 15 est une nouvelle disposition qui confère un nouveau rôle au ministre. Bien que la compétence de la Cour fédérale à l'égard du contrôle judiciaire des décisions fondées sur l'article 40 (l'extradition) ait été abolie par le paragraphe 57(1), il n'en est pas de même des décisions fondées sur l'article 15 (arrêté introductif d'instance). Le seul mécanisme que l'on peut invoquer pour demander le contrôle judiciaire de ces dernières décisions se fonde sur l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

Analyse

[46]            Les États-Unis d'Amérique demandent l'extradition de M. Froom aux termes des dispositions de la Loi sur l'extradition et du traité entre le Canada et les États-Unis. Le ministre de la Justice (article 2) est chargé de la mise en oeuvre des accords d'extradition, de l'application de la Loi et du traitement des demandes d'extradition (article 7). L'arrêté introductif d'instance est le document par lequel le ministre de la Justice autorise le procureur général du Canada, au nom de l'État requérant, à demander un mandat d'incarcération aux termes de l'article 29. L'arrêté introductif d'instance est une condition préalable essentielle sans laquelle il ne peut y avoir d'audience d'incarcération.


[47]            Pour pouvoir exercer son pouvoir légal d'appliquer la Loi et engager son pouvoir discrétionnaire de délivrer un arrêté introductif d'instance en vertu du paragraphe 15(1), le ministre doit recevoir une demande d'extradition et être convaincu que les conditions de l'alinéa 3(1)a) et du paragraphe 3(3) de la Loi ont été respectées à l'égard d'au moins une des infractions mentionnées dans la demande. L'alinéa 3(1)a) traite d'une conduite susceptible d'entraîner l'extradition. Il fait référence à la peine prévue pour l'infraction correspondante dans le ressort du partenaire. L'article fait également référence à l'objet de la demande du partenaire. Cette demande peut poursuivre l'une des trois fins suivantes : poursuivre une personne; lui infliger une peine d'emprisonnement ou l'obliger à y purger une peine déjà imposée par le partenaire pour une infraction décrite à l'alinéa 3(1)a). Il va sans dire que le ministre devra examiner l'objet de la demande d'extradition pour déterminer si les conditions de l'alinéa 3(1)a) ont été respectées : Schreiber.

[48]            Pour ce qui est de M. Froom, étant donné que l'alinéa 3(1)a) est assujetti à un accord d'extradition, la « peine » est déterminée par renvoi à l'article 2 du traité lorsque l'infraction alléguée est punissable par les « lois des deux parties contractantes d'une peine d'emprisonnement ou de détention d'autre nature de plus d'un an ou de toute autre peine plus sévère » .

[49]            Le contenu de l'arrêté introductif d'instance est prescrit par le paragraphe 15(3). En raison de l'alinéa 15(3)c), le ministre doit préciser dans ce document l'infraction canadienne qui correspond à la conduite pour laquelle la personne est recherchée. Par leur effet combiné, les articles 15 et 29 font intervenir la condition de la double criminalité. L'arrêté introductif d'instance énonce l'infraction canadienne qui est équivalente à l'infraction qui aurait été commise dans l'État requérant. Le juge d'extradition n'est donc pas concerné par le droit étranger. Il lui suffit de déterminer s'il existe des preuves d'une conduite qui équivaudrait à la perpétration de l'infraction canadienne décrite dans l'arrêté introductif d'instance : Yang.


[50]            Si l'on tient compte de l'article 14 de la Loi, il semble que l'arrêté introductif d'instance n'est pas délivré tant que les documents à l'appui ne sont pas reçus de l'État requérant. L'article 14 prévoit la libération d'une personne qui a été arrêtée provisoirement (qu'elle soit en détention ou qu'elle ait été libérée en vertu d'une décision judiciaire interlocutoire) si la demande d'extradition, les documents à l'appui et l'arrêté introductif d'instance n'ont pas été reçus dans des délais précis. Aux termes des alinéas 14(1)b) et 14(1)c), le délai commence à courir après que la demande officielle et que les documents à l'appui ont été fournis.

[51]            Donc, l'arrêté introductif d'instance a une double fonction dans le processus d'extradition. Il informe la personne recherchée des allégations portées contre elle et il assure que la décision du ministre d'autoriser l'incarcération au nom de l'État requérant est prise dans un délai raisonnable : United States of America c. Drysdale (2000), 32 C.R. (5th) 163 (Cour supérieure de justice de l'Ontario). Comme on l'a déjà dit, le juge d'extradition est obligé d'accepter la déclaration du ministre indiquant que la conduite alléguée correspond aux infractions canadiennes énumérées.


[52]            La question concernant la disponibilité d'un recours subsidiaire adéquat suppose que l'on procède à une interprétation législative de même qu'à un examen des circonstances appropriées en vertu desquelles le tribunal devrait refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre une demande de contrôle judiciaire en raison de l'existence d'un recours subsidiaire adéquat. Le principe fondamental est le même dans les deux cas. L'arrêt Rizzo and Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 et les décisions ultérieures portant sur le même sujet imposent l'adoption de la démarche téléologique à l'égard de l'interprétation législative, exigeant que l'on tienne compte du but de la Loi et de l'intention du législateur. D'après l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3 (Matsqui), le tribunal, qui cherche à déterminer s'il doit refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire, doit adopter une démarche téléologique et fonctionnelle pour s'assurer que l'examen porte directement sur l'intention du législateur plutôt que sur une interprétation de dispositions isolées. L'arrêt Matsqui fait ressortir que l'analyse téléologique tend à privilégier une « démarche fondée sur le processus » . Les facteurs à examiner pour déterminer s'il faut procéder à un contrôle judiciaire, ou exiger du demandeur qu'il utilise un autre moyen, englobent l'utilité du recours subsidiaire, la nature de l'erreur et la nature du tribunal d'appel. Cette liste de facteurs n'est pas exhaustive et il incombe aux tribunaux, dans des circonstances particulières, d'isoler et de mettre en balance les facteurs qui sont pertinents. Il ne s'agit pas de se demander quel est le meilleur tribunal qui doit, en premier lieu, examiner la question soulevée. La question doit plutôt être la suivante : l'autre voie disponible constitue-t-elle une voie adéquate?


[53]            Gardant à l'esprit ces principes, je reconnais également que, sur le plan général, les lois relatives à l'extradition doivent être interprétées de façon large, afin de respecter l'objet du traité. L'extradition se veut une procédure rapide conçue pour limiter les dépenses au minimum et assurer un prompt respect des obligations internationales du Canada. Dans l'arrêt McVey, le juge La Forest a déclaré qu'en l'absence de disposition législative les obligations internationales découlant d'un traité relèvent des autorités politiques et leur application est confiée aux ministres et aux ministères dans le cadre de leurs mandats appropriés. Qui plus est, les traités d'extradition appuient les engagements des organismes d'exécution de la loi des deux côtés de nos frontières internationales. Il est certainement approprié que les criminels puissent être poursuivis dans le pays où le crime a prétendument été commis et pendant que vivent encore les personnes et les témoins qui ont intérêt à ce que cette personne subisse son procès. De même, l'État dans lequel une personne est recherchée a un intérêt légitime à s'assurer qu'il ne devient pas un asile pour les criminels : Idziak. Finalement, le tribunal doit s'efforcer de ne pas enrayer le fonctionnement du système.

[54]            J'ai examiné les positions avancées par chacune des parties et j'ai conclu que le contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance existe dans les cas appropriés, et que la Cour fédérale, dans l'état actuel du droit, a compétence pour entendre une demande de contrôle judiciaire concernant la décision du ministre et se prononcer sur celle-ci avant la tenue d'une audience d'incarcération. Pour en arriver à cette conclusion, j'ai pondéré les principes et les facteurs énumérés ci-dessus au regard de ceux dont je discuterai ci-dessous.


[55]            L'arrêté introductif d'instance est nouveau au Canada, mais ce n'est pas un concept nouveau. M. le juge La Forest, dans l'arrêt McVey, explique la procédure qui est appliquée en Angleterre et note que les lois britannique et canadienne sont assez semblables, à l'exception du fait qu'en Angleterre, le secrétaire d'État examine dès le début si les conditions de l'extradition prévues dans le traité sont respectées. Si le secrétaire d'État estime que tel est le cas, il délivre un arrêté introductif d'instance. Il est tout à fait manifeste que notre Loi actuelle renferme maintenant une disposition semblable. Bien qu'aucune des parties n'y ait fait référence, l'arrêt Rees c. Secretary of State, [1986] 2 All.E.R. 321 (Chambre des Lords) a analysé (en vertu de la loi anglaise antérieure) les conditions nécessaires pour que le secrétaire d'État puisse délivrer l'arrêté introductif d'instance, de même que la possibilité de faire revoir cet arrêté. Pour les fins de l'espèce, les questions traitant de ce dernier point, c'est-à-dire le pouvoir de contrôler la délivrance de l'arrêté introductif d'instance par le secrétaire d'État, sont pertinentes. L'opinion de la Chambre des Lords peut être brièvement résumée : le magistrat de police (en vertu de la Loi canadienne, le juge d'incarcération) n'avait pas le pouvoir de procéder au contrôle du pouvoir discrétionnaire du secrétaire d'État de délivrer un arrêté introductif d'instance. La Haute Cour avait ce pouvoir, bien qu'une telle contestation ait très peu de chance de réussir. Je note que l'expression anglaise « order to proceed » a été remplacée par les mots « authority to proceed » quand la Extradition Act, 1989 a été adoptée en Grande-Bretagne.

[56]            L'arrêté introductif d'instance est le fondement sur lequel repose le processus d'extradition. En délivrant un arrêté introductif d'instance, le ministre exerce un pouvoir de nature législative prévu par l'article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. L'article 18.1 de cette Loi confère habituellement à la Cour fédérale la compétence de procéder au contrôle de telles décisions. Bien que, aux termes du paragraphe 57(1) de la Loi sur l'extradition, la Cour fédérale n'ait pas compétence pour revoir la décision d'extradition du ministre, il n'existe aucune disposition semblable concernant le contrôle judiciaire de la décision de délivrer un arrêté introductif d'instance.


[57]            Les décisions du pouvoir exécutif sont assujetties au contrôle judiciaire conformément aux principes énoncés dans les précédents jurisprudentiels pertinents : United Stated of America c. Sagarra (2003) 226 Nfld. & P.E.I.R. 321 (Cour d'appel de T.-N.) (Sagarra). On ne peut s'attendre à ce que les tribunaux fassent aveuglément preuve de retenue à l'égard du jugement de l'organe exécutif... mais l'intervention judiciaire doit être limitée à des cas sérieux : Schmidt. Il va sans dire que le ministre ne peut pas délivrer à tort et à travers un arrêté introductif d'instance. À mon avis, dans les circonstances où il existe des motifs sérieux de prétendre que le ministre a agi de façon arbitraire, de mauvaise foi, ou qu'il s'est appuyé sur un motif non approprié, ou sur des considérations non pertinentes, le législateur ne peut avoir eu pour intention (même en accordant tout le respect voulu à la simplification et la modernisation du processus) d'exclure la décision du contrôle judiciaire. Si telle avait été son intention, celle-ci contreviendrait à la règle de droit.

[58]            Je considère qu'il est bien établi en droit que le juge d'extradition n'a pas compétence pour procéder au contrôle d'un arrêté introductif d'instance : Kucan; Schreiber; Sagarra; Thailand v. Karas 2001 BCSC 72, B.C.J. no 124. Les cours d'appel provinciales, dans une procédure d'appel concernant un mandat d'incarcération, sont soumises à des restrictions semblables : Kucan; Sagarra. Il est également clair que l'article 7 de la Charte imprègne tout le processus d'extradition : États-Unis d'Amérique c. Shulman, [2001] 1 R.C.S. 616. Il n'est pas du tout clair dans quelles circonstances, s'il en est, les cours d'appel provinciales pourraient entendre un contrôle judiciaire se rapportant à un arrêté introductif d'instance.


[59]            Il me semble que si un mandat d'incarcération a été délivré, qu'une décision d'extradition a été prise et qu'une procédure de contrôle judiciaire est intentée concernant l'ordonnance d'extradition, la délivrance de l'arrêté introductif d'instance est, à ce point, théorique. Si la nature de l'erreur alléguée concernant la décision du ministre tombait dans l'une des catégories discutées ci-dessus et que la liberté de l'intéressé eût été brimée d'une façon contestable (une personne assujettie à un mandat provisoire ou libérée sous condition), à mon avis, le contrôle judiciaire devrait pouvoir être demandé dès que le processus est enclenché. Exiger que la personne se présente à une audience d'incarcération et, si elle est incarcérée, qu'elle fasse appel du mandat d'incarcération, et si elle n'a pas gain de cause, qu'elle adresse des observations au ministre, et, si elle n'a toujours pas gain de cause, alors (mais seulement alors), qu'elle puisse invoquer le caractère non approprié de l'arrêté introductif d'instance alors qu'il y aurait peut-être encore, mais pas nécessairement, un recours possible dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire devant la cour d'appel provinciale, ne constitue pas un recours subsidiaire adéquat ni une voie appropriée. Il est inéquitable et fondamentalement injuste d'insister pour qu'une personne passe par chaque étape du processus, et peut-être même qu'elle se rende au bout, afin de contester la décision du ministre, en s'appuyant sur les motifs que j'ai énumérés, alors que la réparation pourrait peut-être au bout du compte lui échapper dans le cadre de ce processus. Si une réparation peut au bout du compte être accessible, le processus, même s'il prévoit un recours subsidiaire, n'offre pas à mon avis une réparation adéquate.


[60]            J'apporte toutefois une réserve à ma conclusion. Il n'est pas loisible à une personne, en qualifiant simplement sa demande comme une demande d'annulation de l'arrêté introductif d'instance, d'obtenir un contrôle judiciaire. Quand les motifs invoqués font ressortir des arguments qui relèvent carrément de la compétence du juge d'extradition ou du ministre, ou lorsque les motifs traitent d'arguments dans des domaines de droit bien établis, il ne serait pas possible de demander dès l'enclenchement du processus le contrôle judiciaire de l'arrêté introductif d'instance. S'il en était autrement, la forme aurait préséance sur le fond. Au bout du compte, les circonstances en vertu desquelles on pourra obtenir le contrôle judiciaire de l'arrêté introductif d'instance seront extrêmement rares. Cela va dans le sens de l'observation formulée dans l'arrêt Schmidt, selon laquelle l'intervention judiciaire doit être limitée à des cas sérieux. Il est nécessaire de s'assurer que le ministre est autorisé à agir d'une manière qui préserve l'efficacité du processus d'extradition et, en même temps, se conforme à ce qui est considéré comme fondamentalement juste.

DÉCISION INTERLOCUTOIRE

Le défendeur

[61]            Dans sa proposition subsidiaire, le défendeur prétend que le contrôle judiciaire ne devrait pas être entendu parce que la décision du ministre de délivrer l'arrêté introductif d'instance est une décision interlocutoire. L'avocat du défendeur a déjà reconnu qu'il ne pouvait fournir de précédent jurisprudentiel sur ce point. Quatre décisions ont cependant été citées pour guider la Cour. Deux de ces décisions traitent de la possibilité d'avoir recours au contrôle judiciaire au sujet de décisions qu'un tribunal rend concernant la preuve au cours d'une audience. Une autre décision porte sur le prononcé d'une injonction interlocutoire en attendant que la Commission des droits de la personne du Canada statue sur une plainte, et la quatrième de ces décisions porte sur un appel concernant une décision qui n'était pas définitive.


[62]            Le défendeur prétend que l'arrêté introductif d'instance est une décision préliminaire ou interlocutoire. À l'appui de cette prétention, il signale la relative simplicité de la décision en question, la procédure énoncée dans la loi et le fait que puisque l'incarcération et l'extradition n'ont pas encore été décidées, il se pourrait que le contrôle judiciaire ne soit pas nécessaire. S'appuyant sur l'arrêt Zundel c. Canada (Commission des droits de la personne), [2000] 4 C.F. 255 (C.A.), le défendeur note qu'en général, en l'absence de questions de compétence, les décisions prises au cours de la procédure d'un tribunal ne devraient pas être contestées tant que le tribunal n'a pas terminé son étude parce que le contrôle judiciaire peut être tout à fait inutile; les appels interjetés pourraient entraîner des retards et des dépenses inutiles, risquant ainsi de déconsidérer l'administration de la justice, et c'est pourquoi les tribunaux ont adopté ce principe.

[63]            Le défendeur fait également référence à l'arrêt Szczecka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993) 170 N.R. 58 (C.A.F.) dans lequel on a statué qu'en l'absence de circonstances spéciales, les décisions interlocutoires ne devraient pas faire l'objet d'un appel ou d'un contrôle judiciaire. Il faut s'abstenir d'interrompre le déroulement des affaires, et ainsi éviter les retards et dépenses qui portent atteinte à la bonne administration de la justice. En outre, le contrôle judiciaire ne sera pas fondé, surtout le contrôle immédiat, si on constate à la fin de la procédure, qu'il existe un recours subsidiaire approprié. En s'appuyant sur l'arrêt Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens (1992) 142 N.R. 173 (C.A.F.), le défendeur soutient que les mêmes principes s'appliquent dans le cas d'un appel d'une décision qui ne statue pas définitivement sur les droits des intéressés.

Le demandeur


[64]            M. Froom fait valoir des arguments contraires. S'appuyant sur l'arrêt Reebok Canada c. Ministre du Revenu national (1995) 179 N.R. 300 (C.A.F.), il souligne que la Cour a fait remarquer que la question de savoir si un jugement ou une ordonnance est définitif ou interlocutoire n'est pas toujours exempte de difficulté. Il fait référence au sens de l'expression « jugement définitif » défini de la manière suivante à l'article 2 de la Loi sur les Cours fédérales : « jugement ou autre décision qui statue au fond, en tout ou en partie, sur un droit d'une ou plusieurs des parties à une instance » . Appliquant les mots pertinents de cette définition à sa situation, il prétend que les mots font clairement ressortir que le démembrement ou l'élimination d'une question essentielle dans une instance peut entraîner une décision définitive même si l'instance générale se poursuit sur d'autres points. S'appuyant de nouveau sur le fait que l'annulation de l'arrêté introductif d'instance n'est pas une réparation qui peut être obtenue devant une autre autorité, il maintient que la décision est définitive. Enfin, M. Froom soutient qu'en l'espèce, au début du processus, [Traduction] « il se peut que la conduite et les circonstances soient tels que le ministre n'ait pas le droit d'intenter des procédures » .

Analyse


[65]            Les observations formulées ne m'ont pas été d'un grand secours pour décider de ce point. En général, dans le langage juridique, nous qualifions les questions comme étant soit « interlocutoires » soit « définitives » dans le contexte des actions et des ordonnances judiciaires. Dans les affaires de contrôle judiciaire, dont l'objet est une décision, cette qualification peut devenir nébuleuse. Cela est particulièrement vrai quand il s'agit d'une décision prise dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un ministre plutôt que d'une décision qui est, en substance, analogue à une conclusion tirée par un tribunal dans le cours de ses délibérations. Même si les arrêts Zundel et Szczecka portaient sur des décisions prises par des tribunaux sur des questions de preuve, les principes généraux découlant de ces arrêts à l'égard des demandes de contrôle judiciaire sont instructifs.

[66]            Le caractère unique du processus d'extradition, avec ses considérations diverses et complexes, constitue un autre élément de cette analyse. Il est clair, d'après ce qui a été dit sous la rubrique « Régime législatif et jurisprudence » dans les présents motifs, que des distinctions importantes existent entre l'extradition et les autres points de droit dont la Cour est saisie dans les demandes de contrôle judiciaire. En l'espèce, il n'y a pas seulement une instance, mais bien un processus dans lequel des étapes mutuellement exclusives et distinctes existent. Les arguments du défendeur sur ce point particulier n'ont pas traité de cette caractéristique. La position du défendeur selon laquelle l'arrêté introductif d'instance est une décision de nature interlocutoire qui ne statue pas au fond sur un droit va à l'encontre de l'aveu que l'avocat a fait, dès le début de l'audience, selon lequel il est impossible de prétendre que la décision n'est pas de celles qui sont visées à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales et qui relève de la compétence de la présente Cour.


[67]            La délivrance de l'avis introductif d'instance est la responsabilité du ministre. Comme il en a été question dans l'arrêt Schreiber, le ministre s'acquitte des fonctions qui lui sont attribuées avant et après l'intervention du juge d'extradition qui intervient au milieu du processus. On peut soutenir que la décision du ministre, dans la mesure où elle détermine si l'affaire donnera lieu ou non à une audience d'extradition, est définitive. Cela illustre bien le caractère discrétionnaire de chacune des étapes du processus et de la distinction contextuelle qui existe entre les affaires d'extradition et les autres points de droit dont nous traitons habituellement. Le rôle du juge dans le milieu du processus peut faire l'objet d'un appel et le rôle du ministre à la fin de ce même processus peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire. La Loi ne dit rien au sujet du contrôle du rôle que joue le ministre au tout début du processus.

[68]            Toutefois, à mon avis, il n'est pas nécessaire que je décide pour les fins de la présente demande si la décision est définitive ou interlocutoire. Les deux arrêts Zundel et Szczecka laissent à la Cour la liberté de procéder au contrôle judiciaire des décisions interlocutoires quand des circonstances spéciales existent. J'ai déterminé et décrit les circonstances spéciales qui existent, dans le contexte de la délivrance d'un avis introductif d'instance, aux paragraphes 55 à 60 des présents motifs. Je n'ai pas l'intention de les répéter. Il suffira de dire que lorsque des circonstances spéciales existent, il est loisible à la Cour d'entendre une demande de contrôle judiciaire.

MOTIFS DE CONTRÔLE DU DEMANDEUR

[69]            M. Froom a personnellement préparé son affidavit avec les pièces qui y sont jointes, de même que son exposé des faits et du droit. Ce sont de longs documents. Le contenu de son affidavit a posé tellement de problèmes au défendeur que celui-ci a déposé avant la tenue de l'audience, une requête afin d'en radier des portions importantes. Le juge des requêtes a conclu que l'affidavit, son admissibilité et sa pondération étaient des questions qu'il convenait de laisser à la décision du juge qui entendra la demande.

[70]            Quand les parties se représentent elles-mêmes, il n'est pas rare de constater que leurs documents ne sont pas complets. Les règles établies, les procédures et les questions de preuve, accompagnées de leur subtilités et distinctions habituelles, présentent un défi pour les profanes qui ne les connaissent pas bien. M. Froom était représenté par un avocat à l'audience. Son avocat a regroupé et précisé les arguments dans un cadre organisé et complet qui faisait spécifiquement référence aux paragraphes pertinents de l'affidavit et aux sources sur lesquelles il s'est appuyé.

[71]            Je traiterai des arguments dans l'ordre dans lequel ils ont été présentés par l'avocat. Je n'ai pas l'intention de traiter de chacun des paragraphes de l'affidavit de M. Froom qui vont à l'encontre des règles de preuve pertinentes. Je me contenterai de dire que les déclarations qui constituent une opinion, de la spéculation ou une argumentation juridique n'ont pas été examinées.


[72]            Afin d'assurer une certaine pertinence et cohérence à mon analyse des motifs soulevés par M. Froom en faveur du contrôle, j'identifierai chaque motif comme étant une question et, de même, j'identifierai les questions subsidiaires découlant de la question globale. J'indiquerai ensuite si le motif (incluant chacun de ses éléments) respecte le seuil énoncé plus tôt dans les présents motifs. Pour parler clairement, les motifs (ou à tout le moins l'un d'entre eux) doivent établir que le ministre a agi de façon arbitraire, de mauvaise foi, ou qu'il s'est appuyé sur un motif non approprié ou sur des considérations non pertinentes. Les motifs qui touchent directement à la compétence du juge d'extradition ou à celle du ministre ne respecteront pas le seuil, non plus que les motifs qui portent sur des questions où le droit est établi au point d'enlever aux arguments mentionnés toute chance de succès.

[73]            Ayant établi les paramètres qui s'appliqueront au reste des présents motifs et en supposant, sans me prononcer sur ce point, ici encore pour des fins de pertinence et de cohérence, que l'un ou plusieurs des motifs invoqués par M. Froom respectent le seuil établi, je traiterai de la norme de contrôle applicable. La description des motifs, l'argumentation présentée en rapport avec ces motifs et mon analyse suivront immédiatement après.

LA NORME DE CONTRÔLE

[74]            Dans l'application de l'analyse pragmatique et fonctionnelle qui me permettra de déterminer la norme de contrôle applicable, je me suis inspirée des décisions de la Cour suprême du Canada. J'ai tenu particulièrement compte des motifs dans les arrêts suivants : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, et Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Colombia (2003), 302 N.R. 34 (C.S.C.). Les quatre facteurs de l'analyse pragmatique et fonctionnelle en l'espèce mènent à la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[75]            Pour ce qui est du premier facteur, la Loi ne traite pas du contrôle ou de l'appel de la décision discrétionnaire du ministre de délivrer un arrêté introductif d'instance. Il s'agit d'un facteur neutre.


[76]            L'expertise du décideur est le facteur le plus important. Le ministre a une connaissance spécialisée des affaires politiques, des relations internationales et des ramifications du droit de l'extradition. C'est le ministre qui doit représenter la bonne foi et l'honneur de notre pays dans ses relations avec d'autres États : Idziak. Cela exige un degré élevé de retenue judiciaire.

[77]            Le troisième facteur porte sur l'objet de la disposition en particulier et de la Loi en général. La Loi a pour but de codifier dans le droit interne les obligations internationales du Canada en matière d'extradition. Elle décrit le processus à suivre pour le traitement des questions d'extradition. Le but de la disposition particulière (l'article 15) est de déterminer si l'État requérant a fourni les renseignements nécessaires pour répondre aux conditions du traité et de la Loi relativement à la demande d'extradition. La disposition stipule également que le ministre a le pouvoir discrétionnaire de délivrer un arrêté introductif d'instance. Ce facteur milite en faveur d'un très haut degré de retenue judiciaire.


[78]            Le quatrième facteur est la nature du problème et la question de savoir s'il se rattache à une décision de fait ou de droit. En l'espèce, il y a chevauchement entre le troisième et le quatrième facteur. La question en litige est une question mixte de fait et de droit, mais elle porte davantage sur les faits si l'on tient compte des conditions d'origine législative en jeu. Le ministre doit déterminer si l'État requérant a fourni suffisamment de renseignements pour satisfaire aux conditions énoncées à l'article 15. Bien que cela exige de tenir compte des éléments de cet article en particulier, la question de savoir si les conditions sont respectées est au bout du compte une question de fait. Ce facteur exige donc un degré élevé de retenue judiciaire.

[79]            Après avoir pondéré ces facteurs, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

NON-RESPECT DU TRAITÉ

[80]            M. Froom allègue que le traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis n'a pas été respecté à trois égards.

a)         Paragraphe 9(1)

[81]            D'après cette disposition, la demande d'extradition doit se faire par la voie diplomatique. M. Froom allègue qu'un document décrit comme étant la note diplomatique no 456 a été envoyé par l'Ambassade des États-Unis à Ottawa au bureau du Groupe d'entraide internationale du ministère de la Justice à Ottawa. Il fonde son allégation sur une en-tête de télécopieur figurant dans la partie supérieure de la note. Il se plaint essentiellement de ce que la note diplomatique aurait dû être transmise par l'Ambassade américaine au ministère des Affaires étrangères, par le ministère des Affaires étrangères au ministère de la Justice et que ce mode de transmission devrait être démontré au moyen de notes de communication. Le traité devrait être interprété comme exigeant que tous les documents qui doivent être envoyés par la voie diplomatique respectent l'intégrité de ce processus.


b)        Alinéa 4(1)(ii)

[82]            Cette disposition stipule que l'extradition ne sera pas accordée lorsque la poursuite relative à l'infraction est frappée de prescription selon les lois de l'État requérant. M. Froom prétend que la Speedy Trial Act, 88 Stat. 2080, modifiée à 93 Stat. 328, impose un délai de prescription dont on n'a pas tenu compte. La première mise en accusation a été portée en 1998 et on n'a fait une demande d'extradition que trois ans et demi plus tard. La jurisprudence des États-Unis fait clairement ressortir que la Speedy Trial Act s'applique à l'extradition.

c)        Paragraphe 9(3)

[83]            D'après cette disposition, lorsque la demande vise un individu qui n'a pas encore été déclaré coupable, elle doit en outre être accompagnée d'un mandat d'arrêt émis par un juge ou une autre autorité judiciaire de l'État requérant et de tout élément de preuve qui, selon les lois de l'État requis, justifierait l'arrestation et la mise en jugement dudit individu si l'infraction y avait été commise, notamment la preuve que l'individu dont on demande l'extradition est bien celui qui est visé par le mandat d'arrêt. M. Froom prétend que le mandat de l'honorable Michael B. Mukasey de la Cour de district des États-Unis, district sud de New York, ne fait pas référence à un complot. Pour cette raison, l'arrêté introductif d'instance, dans la mesure où il est censé traiter du complot, devrait être annulé parce qu'il ne respecte pas le paragraphe 9(3).

Analyse


[84]            Aucun de ces arguments ne respecte le seuil relatif au contrôle judiciaire. Il n'est pas allégué que le ministre a agi arbitrairement, de mauvaise foi, qu'il s'est appuyé sur un motif non approprié ou sur des considérations non pertinentes à l'égard de l'une ou l'autre de ces observations. En outre, la preuve ne permet pas de soutenir de telles allégations.

[85]            Bien qu'il ne soit pas nécessaire d'ajouter autre chose, je note que la note diplomatique no 456 de l'Ambassade des États-Unis adressée au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international demande l'extradition d'Arthur Kissel, alias Arthur Froom, du Canada. Les documents à l'appui incluent le dossier de l'affaire et l'énoncé du droit. L'énoncé du droit se compose de la déclaration préparée par le procureur adjoint des États-Unis pour le district sud de New York; de la mise en accusation par le grand jury concernant Sonia Lafontaine et Arthur Kissel en date du 29 mars 2000; des articles du Code des États-Unis, et du mandat d'arrêt délivré par le juge Michael B. Mukasey. Les documents joints à l'énoncé du droit étaient accompagnés d'un certificat attestant leur authenticité et signé par le directeur adjoint intérimaire, Bureau des affaires internationales, Division criminelle, Département de Justice des États-Unis à Washington (D.C.); un certificat attestant que ledit directeur adjoint intérimaire est maintenant et était, au moment de la signature du certificat, le directeur adjoint intérimaire du Bureau des affaires internationales, Division criminelle, Département de Justice des États-Unis à Washington (D.C.), signé au nom du procureur général John Ashcroft; un certificat attestant que les documents sont authentiques, signé au nom du secrétaire d'État, Colin L. Powell, par Patrick O. Hatchett, préposé à l'authentification, Bureau du Département d'État, et un certificat de l'agent consulaire principal du Canada aux États-Unis attestant que les documents doivent être utilisés dans le cadre d'une demande d'extradition formulée par le gouvernement des États-Unis, authentifié par Patrick O. Hatchett.


[86]            Il n'appartient pas aux tribunaux de dicter à qui les signataires de traités internationaux doivent adresser leurs documents. La note diplomatique no 456 respecte les conditions de l'article 9. Il n'y a rien dans la Loi ou le traité qui empêche que le Groupe d'entraide internationale, du ministère de la Justice, reçoive ces documents. En fait, c'est le ministre de la Justice qui est chargé de traiter des demandes d'extradition en vertu de l'article 7 de la Loi.

[87]            La Speedy Trial Act est une loi des États-Unis qui prescrit des délais à l'intérieur desquels doivent être effectuées différentes étapes de poursuites criminelles fédérales. Elle renferme des facteurs législatifs pour le calcul des délais de prescription, tant inclusifs qu'exclusifs. Ce qui est plus important, les calculs dictés par la loi sont effectués par le juge de première instance des États-Unis. La disposition du traité interdisant l'extradition quand la poursuite est prescrite en raison de l'écoulement du temps a pour but de faire entrer en jeu des lois de prescription qui empêchent que des poursuites puissent être intentées à l'égard de certains crimes après un délai donné : Mellino. L'énoncé du droit certifié du procureur adjoint des États-Unis énonce en détail le délai applicable à chacune des accusations portées contre M. Froom et précise que les accusations ont chacune été portées à l'intérieur des délais prévus par la loi de prescription. Le ministre a le droit de s'appuyer sur les documents qui lui sont fournis avec la demande, en tant que preuve du droit étranger : McVey. Les objectifs qui sous-tendent le système d'extradition exigent que la confiance et la bonne foi règnent entre les nations ainsi qu'entre leurs représentants et les organismes d'application de la loi à de nombreux paliers : Cotroni.


[88]            Si M. Froom fait l'objet d'une audience d'extradition et qu'il est incarcéré, il lui sera loisible de soulever la question de la Speedy Trial Act auprès du ministre, aux termes du paragraphe 43(1) de la Loi. Cette disposition permet à l'intéressé de présenter ses observations au ministre sur toute question touchant son extradition éventuelle. Si au bout du compte il est extradé, M. Froom pourra soulever la question devant le juge du procès aux États-Unis.

[89]            L'argument concernant le paragraphe 9(3) n'est pas fondé parce que l'article n'exige pas que la totalité des infractions énumérées dans la mise en accusation soit reprise dans le mandat.

[90]            Je répète que ce motif de contrôle ne respecte pas le seuil applicable au contrôle judiciaire de la décision de délivrer un arrêté introductif d'instance. Même si le seuil avait été respecté, on ne peut dire que l'un de ces arguments mènerait à la conclusion que la décision du ministre était manifestement déraisonnable.

NULLITÉ DE L'ARRÊTÉ INTRODUCTIF D'INSTANCE


[91]            M. Froom soutient que l'arrêté introductif d'instance, tel qu'il est formulé, est nul parce qu'il n'est pas suffisamment détaillé pour lui permettre de savoir quelle preuve il devra réfuter. En s'appuyant sur l'arrêt Drysdale, il note l'analogie entre l'arrêté introductif d'instance et la dénonciation ou la mise en accusation dans une procédure criminelle. Il fait référence aux observations du juge Drambot selon lesquelles l'arrêté introductif d'instance est d'une importance fondamentale dans le cadre de l'audience d'extradition parce les infractions qui y sont énumérées serviront de fondement à la décision qui sera prise.

[92]            L'argument de M. Froom s'appuie sur l'arrêt R. c. Brodie, [1936] R.C.S. 188 (Brodie), maintenant codifié à l'article 581 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. M. Froom déclare qu'aux termes du paragraphe 601(11) du Code criminel, le juge de l'enquête préliminaire a compétence pour entendre une requête visant à annuler une dénonciation. Le paragraphe 24(2) de la Loi confère au juge d'extradition les pouvoirs d'un juge de paix en vertu de la Partie XVIII du Code criminel, compte tenu des adaptations nécessaires. Je conclus donc qu'il est possible de déposer dès le début de l'instance une requête visant à annuler l'arrêté introductif d'instance.

[93]            M. Froom me demande instamment de suivre la démarche adoptée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'arrêt United States of America c. Shull (décision verbale non publiée en date du 29 juin 2001, dossier CC991440 de Vancouver) (Shull), dans lequel la Cour, après avoir conclu que le juge d'extradition avait compétence, a annulé l'arrêté introductif d'instance au motif que, à première vue, il ne contenait pas suffisamment de détails. Même si je ne suivais pas Shull, les décisions qui concernent à la fois l'arrêté introductif d'instance et le dossier de la cause pour décider de la preuve à réfuter ne sont d'aucune utilité, selon M. Froom. À cet égard, il prétend que le renvoi au complot ne révèle aucune infraction connue en droit parce qu'il est allégué qu'il a comploté avec son épouse. Un mari et une femme ne peuvent comploter l'un avec l'autre : R. c. Kowbel, [1954] R.C.S. 498 (Kowbel).


[94]            En outre, il prétend que, bien que l'allégation de fraude soit une accusation sur un fait matériel précis, M. Froom ne sait pas contre quoi il doit se défendre parce que le dossier de l'affaire renferme des acronymes et des chiffres au lieu de descriptions. De même, pour ce qui a trait à l'accusation de recyclage des produits de la criminalité, il n'y a pas d'allégation concernant la perpétration de l'infraction, c'est-à-dire le paiement par la compagnie d'assurance. Qui plus est, la règle de la spécialité est compromise quand l'arrêté introductif d'instance n'est pas clairement formulé. La Loi ne renferme aucune disposition concernant les détails et des modifications ne peuvent être apportées qu'à la demande du procureur général aux termes du paragraphe 23(2).

[95]            En résumé, M. Froom prétend que le juge d'extradition n'a pas de pouvoir et qu'il n'a d'autre choix que de présider une instance qui devrait se terminer avant même de commencer parce que le document d'inculpation ne renferme aucune infraction connue en droit. Le juge d'extradition ne sera donc pas en mesure de déterminer si l'acte, s'il avait été commis au Canada, constituerait une infraction au Canada parce que le juge ne saura pas [TRADUCTION] « quels actes correspondent à quelles infractions canadiennes » .

Analyse

[96]            M. Froom ne prétend pas, en rapport avec la suffisance de l'arrêté introductif d'instance, que le ministre a agi de façon arbitraire, de mauvaise foi, qu'il s'est appuyé sur un motif non approprié ou sur des considérations non pertinentes.

[97]            Bien qu'il soit exact de dire que l'arrêté introductif d'instance est un document important, la position de M. Froom à l'égard des conditions de ce document est erronée. L'arrêté introductif d'instance n'est pas un [Traduction] « document d'inculpation » et M. Froom n'est accusé d'aucune infraction au Canada. L'article 601 se trouve à la Partie XX plutôt qu'à la Partie XVIII du Code criminel. Les observations de M. Froom n'établissent pas de distinction entre les conditions de la Loi concernant une dénonciation ou une mise en accusation et les conditions se rapportant à l'arrêté introductif d'instance. Les premières conditions se trouvent dans le Code criminel et les dernières dans la Loi sur l'extradition. Elles ne sont pas les mêmes.

[98]            Dans le contexte de cette question d'extradition, le ministre, après avoir reçu la demande d'extradition, peut délivrer un arrêté introductif d'instance s'il est satisfait que l'extradition de M. Froom est demandée afin qu'il soit poursuivi pour des infractions sanctionnées par une peine d'emprisonnement d'un an ou plus. Le contenu de l'arrêté introductif d'instance est prescrit au paragraphe 15(3) et il doit renfermer ce qui suit :

            a)    le nom ou la description de l'intéressé;

            b)    le nom du partenaire; et

            c)    la désignation des infractions qui, du point de vue du droit canadien, correspondent à l'ensemble des actes reprochés à l'intéressé (non souligné dans l'original).


[99]            Bien que le processus d'extradition soit un élément important de notre système de justice criminelle, il serait erroné d'en faire l'équivalent d'une procédure criminelle : Kindler. Le principe selon lequel les distinctions ténues ou subtiles du droit criminel n'ont pas leur place dans le droit d'extradition est bien établi : McVey.

[100]        Traitant du crime pour lequel l'extradition était demandée, tel que décrit par l'État requérant, le juge La Forest a émis l'opinion qu'il suffit de s'assurer que la nature du crime est connue. Comme dans le cas du mandat [d'arrêt], les tribunaux ne demandent pas de précisions. Par exemple, ils ont jugé que des mandats qui décrivaient le crime pertinent comme étant [Traduction] « une fraude commise par un agent » ou [Traduction] « un vol » étaient suffisants [citations omises]. Si des discussions de ce genre ne peuvent être trouvées que dans les anciennes décisions, il faut présumer que c'est parce que les cours comprennent maintenant très bien le principe selon lequel les subtilités du droit criminel ne s'appliquent que dans une certaine mesure aux causes d'extradition : Ibid.


[101]        L'intéressé a le droit de connaître la preuve qui est réunie contre lui, y compris les documents sur lesquels l'État requérant s'appuie pour établir l'apparence de droit : Dynar; Kwok. La Loi (paragraphe 33(1)) exige que le dossier d'extradition comporte un résumé des éléments de preuve. Pour que ces éléments de preuve soient admissibles (paragraphe 33(3)), une autorité judiciaire ou un poursuivant du partenaire doit certifier qu'ils sont disponibles pour le procès et que la preuve est suffisante pour justifier la poursuite en vertu du droit du partenaire ou qu'elle a été recueillie conformément à ce droit. Le dossier d'extradition renferme tous les documents qui y sont ajoutés par la suite (paragraphe 33(5)). Ces renseignements seront remis au juge d'extradition et seront mis à la disposition de l'intéressé et des avocats. Ils peuvent être remis à M. Froom puisqu'ils figurent dans son dossier de demande. Il est également loisible à M. Froom (alinéa 33(1)c)) de présenter des éléments de preuve ayant trait aux questions d'identité et d'apparence de droit au cours de l'audience d'extradition.

[102]        La prétention de M . Froom selon laquelle la règle de la spécialité est compromise lorsque l'arrêté introductif d'instance n'est pas formulé de façon claire n'a pas de fondement. Son allégation très large ne s'appuie sur aucun argument. La doctrine de la spécialité interdit à l'État requérant de poursuivre l'intéressé pour des infractions autres que celles pour lesquelles l'extradition est demandée (paragraphe 40(3) et article 12 du traité). La Loi exige qu'un juge d'extradition qui procède à l'incarcération d'une personne (paragraphe 38(1)) qu'il transmette au ministre une copie de son ordonnance, une copie des pièces ou transcriptions des témoignages, de même que les observations qu'il estime indiquées. En pareilles circonstances et en l'absence d'un argument précis indiquant le contraire, je ne vois pas comment la doctrine de la spécialité est compromise. Je note la décision récente United States of America c. Reumayr 2003 BCCA 375, [2003] B.C.J. no 1504, dans laquelle la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a accueilli une demande de contrôle judiciaire concernant une ordonnance d'extradition rendue par le ministre dans des circonstances où les motifs du ministre n'indiquaient pas clairement si les différences entre les infractions mentionnées dans le mandat d'incarcération et celles énumérées dans l'ordonnance d'extradition étaient des différences de forme ou de fond.

[103]        Concernant l'argument des cocomploteurs, je note que l'arrêt Kowbel admet la proposition selon laquelle un mari et une femme ne peuvent être trouvés coupables de complot quand ils agissent seuls l'un avec l'autre en vue de perpétrer une infraction criminelle. La mise en accusation par le grand jury mentionne un complot à l'égard de Sonia Lafontaine, alias Sonia Froom et Arthur Kissel, alias Arthur Froom, et d'autres personnes connues et inconnues du grand jury. Un complot doit faire intervenir plus d'une personne, même si tous les comploteurs ne peuvent être identifiés, ou pouvoir être reconnus coupables : Dynar. La question de savoir si l'acte reproché est un crime en vertu du droit des États-Unis sera décidée par les poursuivants aux États-Unis. La tâche qui consiste à évaluer si la preuve est suffisante pour démontrer que l'infraction alléguée, si elle avait été commise au Canada, constitue un crime est la fonction du juge d'extradition : McVey.

[104]        Bien que l'audience d'extradition ne soit pas un procès en bonne et due forme, ce n'est pas non plus une simple formalité. Si les documents versés au dossier de l'affaire contiennent si peu de détails que le juge ne peut en déterminer la suffisance, il devra libérer la personne que l'on cherche à poursuivre. Il ne s'agit pas pour le juge de pondérer la preuve ou d'en vérifier la fiabilité, mais bien de s'acquitter des fonctions qui lui sont conférées par la Loi : Yang.


[105]        Dans la mesure où l'arrêt Shull est concerné, cette affaire se distingue des autres, elle n'a pas été suivie en Colombie-Britannique ou ailleurs, et elle n'est d'aucune utilité à M. Froom. Dans l'arrêt Shull, le tribunal a déterminé que le juge d'extradition a compétence pour annuler l'arrêté introductif d'instance. Si tel était le cas, M. Froom ne pourrait s'appuyer sur aucun argument pour prétendre que la Cour fédérale devrait exercer sa compétence.

[106]        Par conséquent, M. Froom n'a pas respecté le seuil applicable au contrôle judiciaire à l'égard de ce motif de contrôle. Qui plus est, l'essence même des arguments constitue une attaque portant sur la suffisance de la preuve, une question qui relève directement de la compétence du juge d'extradition. Si j'ai tort sur ce point, pour les motifs exposés ci-dessus, les observations de M. Froom ne révèlent aucun motif à partir desquels la décision du ministre de délivrer un arrêté introductif d'instance devrait être considérée comme manifestement déraisonnable.

ABUS DE PROCÉDURE

[107]        En deuxième lieu, M. Froom soutient que la procédure d'extradition constitue un abus de procédure. Cet argument se fonde sur deux motifs, dont le premier se rapporte au temps que les autorités ont mis à agir. Il prétend qu'il s'agit manifestement d'un abus de procédure de la part des autorités des États-Unis qui ont attendu près de trois ans et demi après la date de la mise en accusation par le grand jury le 20 mars 1998 (et en connaissant pendant tout ce temps l'endroit où se trouvait M. Froom), pour présenter une demande d'extradition. Le deuxième motif fait valoir que le retard est aggravé par une décision consciente et stratégique d'utiliser la procédure d'expulsion pour contourner le processus d'extradition.

[108]        M. Froom soutient que la tentative d'expulsion était en fait une tentative d'extradition et que cette question, puisqu'elle constitue une deuxième tentative du ministre, est un abus de procédure. Il prétend que le gouvernement du Canada a agi comme représentant pour les Américains de telle sorte que toutes les décisions prises par les Américains qui constituent un abus de procédure peuvent [Traduction] « vicier toute la procédure » . C'est [Traduction] « la décision des Américains, peut-être sur l'avis des autorités canadiennes en matière d'immigration, qui a mené à la décision d'utiliser la procédure d'immigration » . S'appuyant sur l'article 4 de la Loi, il soutient que la libération d'une personne n'empêche pas que d'autres procédures soient prises en s'appuyant sur la même conduite, à moins que le juge ne soit d'avis que les nouvelles procédures constituent un abus de procédure.


[109]        M. Froom s'appuie sur certaines pièces des « éléments de preuve » pour étayer son argument. Il fait référence dans son affidavit à des observations qui auraient été faites par l'agent d'immigration chargé de présenter le cas à son ancien avocat en immigration; aux pages d'accompagnement d'une télécopie (deux) entre les autorités américaines, l'Immigration canadienne et la police de Toronto; à un extrait d'une page tiré d'une « transcription » d'une poursuite des États-Unis contre sa femme et de cinq pages tirées de la « transcription » de son audience d'immigration devant l'arbitre; à une note de service d'un inspecteur des postes des États-Unis en date du 9 mars 1998, adressée aux autorités canadiennes et renfermant l'adresse de M. Froom, et aux observations contenues dans deux lettres (provenant de deux procureurs américains et adressées à deux juges des tribunaux des États-Unis) concernant la poursuite civile intentée contre M. Froom aux États-Unis. Comme il n'a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit et que le défendeur n'a pas déposé d'affidavit, M. Froom soutient que cette preuve n'est pas contredite et qu'elle doit être acceptée.

[110]        Il prétend que cette « preuve » établit que les autorités américaines étaient au courant de sa présence au Canada en mars 1998, et qu'elles n'ont rien fait pour demander son extradition avant avril 2001. Il n'est pas contesté que les autorités américaines ont fourni des renseignements aux autorités canadiennes en matière d'immigration.

Analyse

[111]        La prétention de M. Froom est un peu inusitée en ce sens qu'en règle générale la cour peut conclure qu'il y a eu une forme déguisée d'extradition lorsque la procédure d'extradition a échoué et qu'on a alors recours à une mesure d'expulsion parce qu'il n'y a pas suffisamment de preuve pour justifier l'extradition. Je conclus, pour différentes raisons, que cet argument ne peut être retenu.


[112]        Tout d'abord, je noterai que l'allégation selon laquelle la procédure d'immigration constitue une forme déguisée d'extradition et un abus de procédure a été pleinement débattue devant le juge Kelen au cours de la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Froom concernant la mesure d'expulsion conditionnelle prise par l'arbitre. La demande de M. Froom a été rejetée le 2 octobre 2003 : Froom c. Canada (Ministre de    la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CF 1127, [2003] A.C.F. no 1443 (Froom 3). Mon collègue traite en détail des arguments portant sur « l'extradition déguisée » et conclut que « le demandeur ne s'est pas acquitté de la charge rigoureuse qui lui incombait de montrer que les autorités canadiennes voulaient son expulsion dans un dessein illégitime » . Les motifs du juge Kelen sont postérieurs à l'audition de la présente affaire et, dans cette demande, le défendeur n'est pas le même que le défendeur dans l'affaire dont je suis saisie. C'est pour cette raison que l'exception de chose jugée ne s'applique pas. Toutefois, j'estime que le raisonnement et l'analyse de mon collègue sont convaincants.

[113]        Il est important d'examiner de nouveau ce qui est contesté en l'espèce. M. Froom demande le contrôle judiciaire de la décision du ministre de délivrer un arrêté introductif d'instance. J'ai statué que, pour avoir gain de cause, il doit respecter le seuil déjà décrit dans les présents motifs en rapport avec un motif qui ne relève pas de la compétence du juge d'extradition ou du ministre.

[114]        De prime abord, il semble que l'allégation d'abus de procédure inclut l'allégation selon laquelle le ministre a agi de mauvaise foi ou pour un motif non approprié. Pour étayer une telle allégation, le demandeur doit produire une preuve attestant que les actes posés par le ministre n'étaient pas fondés sur des objectifs légitimes. Les précédents jurisprudentiels qui discutent du motif non approprié ou de la mauvaise foi concernant des contestations constitutionnelles et l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'intenter des poursuites, dans le contexte de l'extradition, exigent que l'allégation ait « une apparence de vraisemblance » . À mon avis, ce test est approprié en l'espèce. L'allégation de M. Froom doit avoir une « apparence de vraisemblance » .


[115]        Le ministre de la Justice a reçu une demande d'extradition le 29 juin 2001, au sujet de la troisième mise en accusation modifiée en date du 29 mars 2000 ayant trait à M. Froom. M. Froom qualifie cette étape de deuxième procédure d'extradition (la première étant la mesure d'expulsion prise par les autorités d'immigration). Il ne prétend pas que le ministre de la Justice a participé d'une quelconque façon à la procédure d'immigration ou était au courant de celle-ci. Il dit plutôt ceci dans son affidavit au paragraphe 61 :

[TRADUCTION]

Je crois que le ministre de la Justice doit avoir été au courant de la procédure fondée sur la Loi de l'immigration et intentée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration étant donné que ce qui est à la connaissance d'un ministre est à la connaissance de l'autre, et étant donné que les membres de la brigade de recherche des fugitifs de la police de Toronto m'ont arrêté dans le cadre de la procédure intentée en 1998 aux termes de la Loi sur l'immigration et m'ont de nouveau arrêté en 2001 en vertu de la Loi sur l'extradition.

Aucun argument ni précédent jurisprudentiel n'est cité à l'appui de cette déclaration.

[116]        M. Froom ne laisse pas entendre que l'un ou l'autre des « éléments de preuve » joints à son affidavit, et sur lesquels il s'appuie, avaient été portés à la connaissance du ministre quand l'arrêté introductif d'instance a été délivré. À cet égard, il déclare plutôt ceci au paragraphe 77 de son affidavit :

[TRADUCTION]

Le ministre aurait dû reconnaîter cela et le prendre en considération avant de délivrer, à mon égard, l'arrêté introductif d'instance.

Aucun argument ni précédent jurisprudentiel n'a été cité à l'appui de cette déclaration. En passant, je mentionne que le simple fait que la « preuve » n'a pas été contredite ne la rend pas admissible. Les documents, ou des extraits d'entre eux, doivent être présentés conformément aux règles et aux procédures de preuve pertinentes. Les affidavits doivent s'en tenir à des faits dont l'auteur a une connaissance personnelle.

[117]        Je ne suis saisie d'aucune preuve qui indique que le ministre n'a pas agi correctement, qu'il s'est appuyé sur un motif arbitraire ou qu'il a fait preuve de mauvaise foi. La preuve, telle qu'elle a été présentée, ne traite pas de ces questions qui ont trait à la décision du ministre de délivrer l'avis introductif d'instance. En fait, il n'y a pas de preuve que le ministre de la Justice n'a pas fait preuve de la meilleure bonne foi possible quand il a décidé de délivrer l'arrêté introductif d'instance. Ainsi donc, le motif soulevé par le demandeur ne respecte pas le seuil applicable au contrôle judiciaire. Toutefois, ce n'est pas la seule raison pour laquelle ce motif ne peut être retenu.

[118]        Il y a de nombreuses sources qui appuient la proposition selon laquelle les prétentions alléguant qu'il y a eu retard et abus de procédure doivent être présentées au ministre (si une ordonnance d'incarcération est délivrée) avant l'extradition (paragraphe 43(1)). Le délai d'examen et la manière de mener à bien la procédure d'extradition est un facteur que le ministre peut prendre en compte quand il doit décider si une ordonnance d'extradition est non constitutionnelle ou qu'elle est injuste ou tyrannique : United States of America c. Bonamie (2001), 293 A.R. 201 (C.A.); United States of America v. Reumayr; United States of America c. Earles (2003), 176 B.C.A.C. 231.

[119]        Les motifs non appropriés ou la mauvaise foi de la part des autorités canadiennes dans une procédure d'extradition constitueraient un motif de contrôle de la décision de procéder à l'extradition : United States of America c. Gillingham (2000), 144 B.C.A.C. 165.

[120]        L'alinéa 44(1) de la Loi stipule que le ministre refuse l'extradition s'il est convaincu que l'extradition « serait injuste ou tyrannique compte tenu de toutes les circonstances » . Compte tenu de la nature obligatoire de cette disposition, le ministre doit examiner toutes les circonstances pertinentes, de façon individuelle et globale, pour déterminer si l'extradition serait injuste ou tyrannique. L'intéressé a droit à des motifs traitant des facteurs pertinents à sa situation : United States of America c. Johnson (2002) 62 O.R. (3d) 327 (C.A.).

[121]        Lorsque l'allégation d'abus de procédure soulève des questions qui pourraient mettre en cause l'équité de l'audience d'extradition elle-même, le juge d'extradition a compétence pour en traiter soit en s'appuyant sur l'article 7 de la Charte soit en invoquant le pouvoir inhérent du tribunal de contrôler sa propre procédure : États-Unis d'Amérique c. Cobb, [2001] 1 R.C.S. 587; Sagarra; Reumayr.

[122]        En général, il est évident que les allégations de retard et d'abus de procédure doivent être communiquées au ministre aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi. Lorsqu'une allégation d'abus de procédure concerne l'équité de l'audience elle-même, le juge d'extradition a compétence pour en débattre. L'ordonnance du ministre concernant l'extradition peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la cour d'appel provinciale de même que l'ordonnance d'incarcération du juge d'extradition. Ainsi, ce motif relève carrément de la compétence qui est conférée soit au ministre, soit au juge d'extradition. Il est donc assujetti à la réserve que j'ai exprimée au paragraphe 60 et ailleurs dans les présents motifs.


[123]        Cet argument soulève deux questions qui méritent quelques observations. La référence de M. Froom à l'article 4 de la Loi est conforme à mon raisonnement selon lequel le « juge » dont il est question à l'article 4 est défini à l'article 2 comme étant un « juge de la Cour » et que la Cour désigne « en Ontario, la Cour de l'Ontario (Division générale) » . L'autre question a trait à l'allégation de M. Froom selon laquelle, parce que le Canada agit en tant que représentant, les décisions des Américains qui équivalent à un avis de procédure peuvent [Traduction] « vicier toute la procédure » . Aucun fondement n'est avancé à l'appui de cette observation et je ne peux que présumer qu'il s'agit d'une mauvaise interprétation des observations formulées par Madame la juge Arbour dans l'arrêt Shulman, quand elle indique que l'État requérant est représenté par le procureur général. Madame la juge Arbour a noté que, en vertu d'accords et d'arrangements gouvernementaux, les représentants officiels du gouvernement canadien agissent en tant qu'avocats et agents pour l'une des parties au litige (l'État requérant). À mon avis, on ne doit pas donner à cette déclaration un sens différent de son sens ordinaire. Dans l'arrêt Shulman, c'est l'État requérant qui a été trouvé fautif par la Cour suprême et non pas les autorités canadiennes. Qui plus est, M. Froom n'en est pas encore à l'étape de l'audience d'extradition. À l'heure actuelle, le ministre a simplement délivré un arrêté introductif d'instance autorisant le procureur général à demander une audience.


[124]        Ce motif ne respecte pas le seuil établi pour le contrôle judiciaire d'une décision de délivrer un arrêté introductif d'instance. Il soulève également des arguments qui relèvent clairement de la compétence soit du juge d'extradition, soit du ministre. Finalement, si j'avais statué qu'il était possible de demander un contrôle judiciaire, les arguments de M. Froom ne m'auraient pas convaincue que la décision du ministre de délivrer un arrêté introductif d'instance était manifestement déraisonnable.

DÉLÉGATION

[125]        Avant d'examiner ce motif de contrôle, je voudrais faire des observations sur une question qui a été soulevée par suite d'une observation que j'ai faite au cours de l'audience. Pendant l'examen de différents documents qui étaient versés aux dossiers, l'avocat du défendeur a fait référence à un document en particulier qui déléguait certains pouvoirs en vertu de la Loi (y compris le pouvoir de délivrer un arrêté introductif d'instance) à certaines personnes au ministère de la Justice. Le document précise, entre autres choses, que l'avocat principal du Groupe d'entraide internationale qui a signé l'arrêté introductif d'instance en l'espèce est autorisé à délivrer ce document. Le document de délégation est signé par le sous-ministre de la Justice et porte une date. Cependant, bien qu'il y ait un espace prévu pour y insérer le jour du mois pertinent, l'espace est laissé en blanc et le document est daté du    juin 1999. Quand l'avocat a fait référence à ce document, j'ai demandé si la date précise figurait sur l'original. L'avocat m'a répondu que non.


[126]        Il ne faut pas s'étonner que M. Froom ait saisi cette opportunité de contester le document. Sa position est la suivante : puisque j'ai soulevé la question, celle-ci ne peut être laissée de côté. M. Froom soutient que l'on ne peut dire [Traduction] « à un moment donné en juin 1999 » le pouvoir a été délégué. La date est une question de fond et son absence rend le document nul. Le défendeur est d'avis que ce document n'est pas la source du pouvoir de délégation du ministre et qu'il est donc superflu. Ce n'est rien d'autre qu'une note interne et la seule chose qui n'est pas claire, c'est le jour du mois de juin 1999 au cours duquel ce document a été signé.

[127]        Étant donné que la question n'a été soulevée dans aucun des mémoires des parties et parce que c'est mon intervention qui a donné lieu au débat, j'ai demandé d'autres observations aux avocats. J'ai reçu ces observations, et malgré tous les efforts que les avocats y ont consacrés, elles ne me sont pas d'une grande utilité parce qu'il ne semble pas y avoir de jurisprudence directement pertinente. Les observations traitent de sources portant sur des omissions constatées dans des jugements, des ordonnances et des directives de la Cour, de règlements adoptés aux termes de lois et de questions de droit criminel. Aucune des sources citées ne traite d'un document de cette nature.


[128]        Bien que je ne veuille nullement trop simplifier l'affaire, je ne veux pas non plus m'étendre sur un point que je ne considère pas, d'après les faits de l'espèce, comme étant important pour l'issue de la cause. Sous réserve de ma décision concernant l'opportunité de la délégation par le ministre du pouvoir qui lui est conféré par l'article 15 de la Loi (pouvoir de délivrer l'arrêté introductif d'instance), je suis d'avis que rien d'important ne se rattache au jour spécifique du mois de juin 1999 au cours duquel le document a été signé. L'arrêté introductif d'instance concernant M. Froom a été délivré le 3 juillet 2001, soit plus de deux ans après. Donc, l'absence d'une date précise de signature n'est pas déterminante en l'espèce. Je ne dis pas qu'il est inutile d'examiner l'absence d'une date dans tous les cas, mais bien qu'il est préférable de laisser une analyse plus approfondie sur ce point à une situation où cela sera important.

Le demandeur

[129]        M. Froom ne prétend pas que le ministre, en déléguant le pouvoir de délivrer l'arrêté introductif d'instance, a agi pour un motif non approprié, qu'il a fait preuve de mauvaise foi ou qu'il a tenu compte de considérations non pertinentes. Il prétend plutôt que le ministre a agi de façon arbitraire et qu'il a commis une erreur de droit en déléguant à tort son pouvoir.

[130]        Son argument se fonde sur le fait que la Loi ne renferme aucune disposition qui autorise le ministre à déléguer son pouvoir discrétionnaire de délivrer un arrêté introductif d'instance. La question est donc de savoir s'il existe un droit implicite de délégation. M. Froom me cite les décisions suivantes pour m'aider à résoudre cette question R. c. Harrison, [1977]1 R.C.S. 238 (Harrison); Ramawad c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1978] 2 R.C.S. 375 (Ramawad);Edgar c. Canada (Procureur général) (1999), 46 O.R. (3d) 294 (C.A.) (Edgar); Québec (Procureur général) c. Carrières Ste-Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831 (Ste-Thérèse Ltée).


[131]        M. Froom prétend qu'il était loisible au législateur de prévoir dans la Loi le pouvoir de délégation. Puisqu'il ne l'a pas fait, conformément aux précédents jurisprudentiels mentionnés, il faut tenir compte du contenu de la Loi, de la nature de la décision et des responsabilités en jeu. Bien que la nature discrétionnaire du pouvoir du ministre ne signifie pas, en soi, qu'il est impossible de procéder à une délégation, M. Froom soutient que nous ne devons pas nous en tenir là. Selon sa prétention, c'est l'effet combiné du pouvoir discrétionnaire et l'utilisation du mot « convaincu » qui indique que le ministre doit exercer personnellement son pouvoir. Le fait que le ministre doit être convaincu [Traduction] « modifie l'auxiliaire facultatif peut (may) » . Bref, il me demande de conclure que la condition relative à la conviction du ministre, jumelée à la nature de la décision, fait en sorte que le pouvoir ne peut être délégué. Il soutient qu'en vertu de l'ancienne Loi, ce pouvoir, qui est maintenant conféré au ministre, était attribué au juge d'extradition et que ce fait milite à l'encontre de la délégation.


[132]        M. Froom soutient que je n'ai d'autre choix que d'exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur de ce motif de contrôle parce que le juge d'extradition n'a pas compétence pour le faire. À cet égard, il s'appuie sur une observation dans l'arrêt Federal Republic of Germany c. Schreiber, en date du 2 novembre 2000, selon laquelle le juge Watt a statué que le juge d'extradition n'avait pas compétence pour vérifier la validité de l'arrêté introductif d'instance [Traduction] « au motif qu'il s'agissait d'une délégation non autorisée du pouvoir du ministre » . Qui plus est, il prétend qu'on ne peut s'attendre que le ministre ait le pouvoir de revoir lui-même sa propre décision concernant la délégation. La cour d'appel provinciale, dans le cadre d'un contrôle judiciaire d'une ordonnance d'extradition, peut se demander uniquement ce que le ministre a examiné relativement à l'ordonnance d'extradition et cela n'englobe pas l'arrêté introductif d'instance. Ainsi donc, ni la cour d'appel provinciale ni la Cour suprême ne sont, dans ces circonstances, en mesure de contrôler la délivrance de l'arrêté introductif d'instance.

[133]        Enfin, M. Froom soutient que malgré l'adoption du paragraphe 24(2) de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, les lois adoptées après la modification renferment des dispositions relatives à la délégation. Pour illustrer son propos, il fait référence au paragraphe 6(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Ainsi, ceci constitue un motif sérieux de conclure que si le législateur avait eu l'intention de faire en sorte que le pouvoir discrétionnaire qui est conféré à l'article 15 de la Loi puisse être délégué, il l'aurait dit clairement.

Analyse

[134]        Je commencerai par dire qu'à mon avis ce motif de contrôle se rapporte directement au seuil déjà établi dans les présents motifs. Si le ministre a délégué à tort son pouvoir, on peut dire qu'il a agi de façon arbitraire.


[135]        Pour ce qui concerne la réserve que j'ai formulée, je garde à l'esprit la position du défendeur selon laquelle le juge d'extradition a compétence pour traiter de la question de la « délégation » . Plus précisément, je fais référence à la décision The United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland c. Woolley, en date du 26 septembre 2003, no de greffe E-09-03, dans laquelle le juge Hoilett de la Cour supérieure de l'Ontario, au tout début d'une audience d'extradition, a traité d'une question préliminaire de compétence. Dans cette affaire, l'argument faisait valoir que l'arrêté introductif d'instance était vicié en ce sens qu'il avait été signé par un avocat principal du Groupe d'entraide internationale, pour le compte du ministre de la Justice, alors qu'il aurait dû être signé par le ministre. Le juge Hoilett a entendu des arguments et s'est prononcé sur la question. Comme je l'ai indiqué précédemment, l'observation dans Schreiber a statué différemment. Donc, il semble que la question de savoir si le juge d'extradition a compétence pour faire enquête sur la validité de l'arrêté introductif d'instance en se fondant sur une délégation non autorisée d'un pouvoir du ministre est une question qui n'a pas été résolue. Pour les fins de la présente instance, je ne peux dire qu'il s'agit d'une question qui relève « carrément de la compétence du juge d'extradition » . Ainsi donc, la réserve ne s'applique pas.


[136]        J'avoue que, sur ce point, je ne suis pas certaine de la démarche qu'il convient d'adopter pour examiner la question de la délégation. M. Froom me demande d'examiner la question directement et de me prononcer. D'après lui, la norme de contrôle ne s'applique pas à l'égard de la délégation. Il s'agit d'une question de droit - la délégation a-t-elle été faite à bon droit ou non? Cette démarche est appuyée par les tribunaux. Dans l'arrêt Ramawad, quand il a été décidé que le pouvoir du ministre qui lui était conféré par le Règlement établi sous le régime de la Loi sur l'immigration ne pouvait être exercé par un agent en vertu d'une délégation implicite de ce pouvoir, la décision qui en a résulté a été déclarée invalide. Dans l'arrêt Matsqui, les juges La Forest, Major et McLachlin (maintenant juge en chef à la Cour suprême) ont statué qu'aucune question de norme de contrôle ne se pose lorsque la question soulevée est de savoir si le décideur a ou non compétence pour connaître de la question, c'est-à-dire lorsque le décideur s'est prononcé sur une question qui outrepasse son strict mandat de compétence. En l'espèce, je penserais que si le ministre a décidé qu'il pouvait déléguer son pouvoir alors qu'en fait, il ne le pouvait pas, il aurait outrepassé sa compétence.

[137]        Aussi attrayante que puisse paraître la démarche suggérée, si mon interprétation de l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia 2003 CSC 19 (Dr Q) est exacte, dans chaque cas, le juge chargé du contrôle doit commencer par déterminer quelle est la norme de contrôle applicable à l'égard de la décision contestée en appliquant l'analyse pragmatique et fonctionnelle. « Si les motifs nommés, le libellé de la disposition habilitante et les interprétations sclérosées des formulations législatives demeurent utiles comme repères familiers, ils ne dictent plus le cheminement » . Ainsi, il semble que la décision ayant trait à la délégation ne pourra être prise qu'après que j'aurai statué sur la norme de contrôle applicable et que j'aurai appliqué cette norme à la décision du ministre.


[138]        À cet égard, il ne semble pas nécessairement s'ensuivre que la norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique. L'expertise du ministre sur les questions d'extradition et plus précisément sur la délivrance de l'arrêté introductif d'instance découle de sa connaissance spécialisée dans le domaine des questions politiques, des relations internationales et des ramifications du droit d'extradition. Ce n'est pas le cas de la décision de déléguer son pouvoir. Bien que l'objectif général de la Loi semble être celui que j'ai énoncé auparavant dans mon analyse concernant la norme de contrôle, le ministre n'a pas d'expertise particulière pour prendre cette décision spécifique. La Cour est tout aussi bien placée, sinon mieux, pour se prononcer sur la question de la délégation. De même, la nature du problème - savoir si le pouvoir discrétionnaire peut être délégué - est une pure question de droit. Le but de la Loi, la nature de la décision et l'expertise du ministre ne lui donnent pas le droit de mal interpréter l'étendue de sa compétence. L'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel est, comme on l'a indiqué précédemment, un facteur neutre. Mettant tous ces facteurs en balance, au regard de la décision à prendre, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la décision juste.

[139]        L'extrait suivant de la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Harrison est instructif au sujet de la délégation :

[L]e procureur général a l'autorité implicite de déléguer son pouvoir de donner des instructions aux termes du paragraphe (1) de l'article 605. Je ne pense pas que ce paragraphe exige que dans chaque cas le procureur général interjette appel personnellement ou donne lui-même à l'avocat des instructions à cette fin. Bien qu'il existe une règle générale d'interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnellement le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delegatus non potest delegare), elle peut être modifiée par les termes, la portée ou le but d'un programme administratif donné. Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d' agir. Comme le remarque le professeur Willis dans « Delegatus Non Potest Delegare » , (1943), 21 Can. Bar Rev. 257 à la p. 264 :

[TRADUCTION] ... dans leur application du principe delegatus non potest delegare aux organismes du gouvernement, les tribunaux ont préféré le plus souvent s'éloigner de l'interprétation étroite du texte de loi qui les obligerait à y voir le mot « personnellement » , et adopter l'interprétation qui convient le mieux aux rouages modernes du gouvernement qui, étant théoriquement le fait des représentants élus mais, en pratique, celui des fonctionnaires ou des agents locaux, leur commandent sans aucun doute d'y voir l'expression « ou toute personne autorisée par lui » .


Voir aussi S.A. DeSmith, Judicial Review of Administrative Action, 3e éd., à la p. 271. Lorsque l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est confié à un ministre du gouvernement, on peut alors supposer que les mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires responsables du ministère et non par le ministre lui-même : Carltona Ltd. v. Commissioners of Works, [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.). De nos jours, les fonctions d'un ministre du gouvernement sont si nombreuses et variées qu'il serait exagéré de s'attendre à ce qu'il les remplisse personnellement. On doit présumer que le ministre nommera des sous-ministres et des fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux-ci, le ministre étant responsable de leurs actes devant la législature, s'acquitteront en son nom de fonctions ministérielles dans les limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre solution n'aboutirait qu'au chaos administratif et à l'incurie. Il est vrai qu'en l'espèce rien ne prouve que le procureur général de la Colombie-Britannique ait donné personnellement des instructions à Me McDiarmid d'agir en son nom pour en appeler des jugements ou des verdicts d'acquittement prononcés par les tribunaux de première instance. Toutefois, il est raisonnable de présumer que le « Directeur de la section de droit pénal » de la province est autorisé à donner ces instructions.

[140]        De même, dans l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, la Cour a fait observer que la délégation expresse ou la dévolution de pouvoirs à des fonctionnaires du ministère prévue à l'article 7 [de la Loi sur les pêches] pouvait sembler inutile aujourd'hui puisque les pouvoirs conférés à un ministre fédéral seront habituellement exercés, non pas par le ministre, mais par des fonctionnaires responsables au sein de son ministère. L'interprétation législative qui a été élaborée au sujet de la maxime latine delegatus non potest delegare peut avoir eu un effet plus fort par le passé, quand on estimait généralement que la délégation expresse était nécessaire.

[141]        Le paragraphe 24(2) de la Loi d'interprétation stipule ce qui suit :


Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21

24.(2) La mention d'un ministre par son titre ou dans le cadre de ses attributions, que celles-ci soient d'ordre administratif, législatif ou judiciaire, vaut mention :

a) de tout ministre agissant en son nom ou, en cas de vacance de la charge, du ministre investi de sa charge en application d'un décret;

b) de ses successeurs à la charge;

c) de son délégué ou de celui des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) indépendamment de l'alinéa c), de toute personne ayant, dans le ministère ou département d'État en cause, la compétence voulue.

Interpretation Act, R.S.C. 1985, c. I-21

24.(2) Words directing or empowering a minister of the Crown to do an act or thing, regardless of whether the act or thing is administrative, legislative or judicial, or otherwise applying to that minister as the holder of the office, include

(a) a minister acting for that minister or, if the office is vacant, a minister designated to act in the office by or under the authority of an order in council;

(b) the successors of that minister in the office;

(c) his or their deputy; and

(d) notwithstanding paragraph (c), a person appointed to serve, in the department or ministry of state over which the minister presides, in a capacity appropriate to the doing of the act or thing, or to the words so applying.


[142]        La Cour d'appel fédérale a eu l'occasion de faire des observations sur l'effet du paragraphe 24(2) dans l'arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Wiemer (1998) 228 N.R. 341, un arrêt traitant d'une décision de la Commission d'appel des pensions qui avait annulé la décision du ministre d'accueillir une demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension aux termes du Régime de pensions du Canada. Au nom de la Cour, le juge Létourneau a déclaré ce qui suit :

La Loi ne prévoit pas que le ministre doive personnellement approuver une demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension. En vertu du paragraphe 24(2) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, les pouvoirs conférés à un ministre peuvent être exercés par une personne nommée ayant, dans le ministère en cause, la compétence voulue. En effet, l'article 24 ne fait que reconnaître dans une loi une pratique courante rendue nécessaire par la diversité et la complexité de l'administration publique moderne. Avant l'adoption de cette disposition, la délégation implicite des pouvoirs ministériels était déjà une pratique reconnue par les tribunaux afin de garantir une gestion saine et efficace de l'administration publique.

[143]        Si l'on tient compte de la Loi dans son ensemble, il est évident, et en fait il découle obligatoirement de l'article 7, que le ministre est responsable de son application. Les paragraphes 40(1) et 70(3) exigent que le ministre agisse « personnellement » dans des circonstances faisant intervenir l'arrestation d'une personne. Aucun libellé semblable n'est utilisé à l'égard de l'article 15.


[144]        J'ai déclaré plus tôt que l'arrêté introductif d'instance est le fondement sur lequel le processus d'extradition s'appuie. Cela étant, il est important de ne pas exagérer son importance. Bien qu'il s'agisse d'un document important, ses conséquences pour l'intéressé sont moins importantes que les conséquences associées à un mandat d'incarcération ou à une ordonnance d'extradition. Les exigences législatives ayant trait à la délivrance de l'arrêté introductif d'instance ne sont pas compliquées et il n'est pas exact de dire que le juge d'extradition exerçait les fonctions prévues à l'article 15 dans le cadre de l'ancienne Loi. Cela ne se produit qu'à l'égard de la description des infractions canadiennes équivalentes.

[145]        Considérant le contenu de l'article 15, la Loi dans son ensemble, la jurisprudence et les dispositions de la Loi d'interprétation, il est à mon avis loisible au ministre de déléguer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l'article 15 de la Loi. Il n'y a rien dans la Loi qui indique une intention contraire. Les arrêts Edgar et Ste-Thérèse Ltée ne sont d'aucune utilité à M. Froom. Dans l'arrêt Edgar, l'article en question faisait référence au ministre dans l'exercice de son « seul » pouvoir discrétionnaire et dans l'arrêt Ste-Thérèse Ltée, le mot « lui-même » était utilisé conjointement avec le mot « ministre » . Aucune de ces situations ne diffère considérablement de l'utilisation du mot « personnellement » aux paragraphes 40(1) et 70(3) de la Loi. Je conclus que la décision du ministre concernant la délégation est correcte.

[146]        Je reviens au tout début de mon analyse sur cette question. Si la démarche utilisée par M. Froom à l'égard de la question de la délégation est celle qu'il convient d'adopter (c'est-à-dire se prononcer sur la question sans faire référence à la norme de contrôle), le résultat est le même, pour les motifs énoncés ci-dessus. Ce motif de contrôle doit donc être rejeté.


[147]        Pour ce qui a trait au redressement demandé dans l'avis de demande modifié et préparé par M. Froom lui-même, son avocat a demandé, à l'audience, que l'arrêté introductif d'instance soit annulé. Sous réserve du succès qu'il obtiendra à cet égard, l'avocat a demandé que j'entende une demande visant à obtenir une suspension de la procédure d'extradition. Il n'y a eu aucune demande ni aucune suggestion pour que j'examine une autre forme de redressement. J'ai examiné les arguments qui ont été présentés par l'avocat (comme je l'ai indiqué au début des présents motifs). J'ai traité du redressement demandé de la même manière.

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS

[148]        En résumé, mes conclusions concernant la présente demande sont les suivantes :

a)         la Cour fédérale a compétence pour effectuer le contrôle de la décision du ministre de la Justice de délivrer un arrêté introductif d'instance en vertu de l'article 15 de la Loi sur l'extradition, au début du processus d'extradition, dans des circonstances où il existe des motifs sérieux de faire valoir que le ministre a agi de façon arbitraire ou de mauvaise foi, qu'il s'est appuyé sur un motif non approprié ou sur des considérations non pertinentes;

b)         la simple qualification d'une demande de contrôle judiciaire comme étant une demande visant à annuler l'arrêté introductif d'instance ne suffit pas. La procédure de contrôle judiciaire à la Cour fédérale ne peut être utilisée lorsque les motifs de contrôle révèlent des arguments qui relèvent expressément de la compétence du juge d'extradition, ou du ministre, ou lorsque les motifs traitent d'arguments portant sur des domaines où le droit est bien établi;

c)         la norme de contrôle applicable, pour ce qui a trait à une décision du ministre rendue aux termes de la Loi sur l'extradition, est la norme de la décision manifestement déraisonnable;


d)         le motif de contrôle soulevé par le demandeur à l'égard du non-respect du traité, de la question de savoir si l'arrêté introductif d'instance est nul et de l'abus de procédure, ne respecte pas le seuil énoncé aux paragraphes a) et b) ci-dessus. Si ce seuil avait été respecté à l'égard de ces motifs, il n'a pas été démontré que la décision du ministre était manifestement déraisonnable;

e)         le motif de contrôle concernant la délégation non autorisée du pouvoir du ministre respecte le seuil mentionné ci-dessus. La norme de contrôle applicable à la décision du ministre à cet égard est celle de la décision correcte;

f)          le ministre peut déléguer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l'article 15 de la Loi sur l'extradition;

g)         le motif de contrôle du demandeur concernant la délégation non autorisée du pouvoir du ministre est rejeté.

[149]        Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens. Une ordonnance sera rendue à cet effet.

                                                           _ Carolyn A. Layden-Stevenson _            

                                                                                                             Juge                                    

Ottawa (Ontario)

le 7 novembre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                         T-2024-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :              ARTHUR FROOM c. LE MINISTRE DE LA JUSTICE

DATES DE L'AUDIENCE :              Les 12 et 13 août 2003; le 2 septembre 2003

DATES DES OBSERVATIONS                    Les 15 et 17 septembre 2003;

ULTÉRIEURES :                                              les 2 et 7 octobre 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 la juge Layden-Stevenson

DATE :                                                                 Le 7 novembre 2003

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                                              Pour le demandeur

David B. Cousins

Gary Lafontaine

Dale Yurka                                                                                     Pour le défendeur

Joseph Cheng

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                                                              Pour le demandeur

Waldman et Associés

Toronto (Ontario)

David B. Cousins

Toronto (Ontario)

Gregory Lafontaine

Toronto (Ontario)

Dale Yurka                                                                                      Pour le défendeur

Joseph Cheng

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

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