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Date : 20030123

Dossier : IMM-1044-02

Référence neutre : 2003 CFPI 69

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

ENTRE :

                                             YOUSEF KUKHON et SAHAR KUKHON

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut en date du 15 février 2002 par laquelle il a été statué que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                 Les demandeurs soulèvent plusieurs questions, mais je n'en traiterai que deux, qui suffiront à régler le sort de la présente demande de contrôle judiciaire :


a)         La section du statut a-t-elle commis une erreur en refusant de tenir compte de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) ou d'y faire référence?

b)         La section du statut a-t-elle commis une erreur de droit en tirant des conclusions négatives sur le plan de la crédibilité parce que les deux revendicateurs ont omis de révéler à l'agent des visas à Tel Aviv qu'ils avaient l'intention de revendiquer le statut de réfugié au Canada?

CONTEXTE

[3]                 Les demandeurs, Yousef et Sahar, sont un père et sa fille. Ils étaient âgés de 62 et 35 ans au moment de l'audience. Ce sont des Palestiniens apatrides de Nablus, un village de la Cisjordanie occupé par les Israéliens. Ils sont arrivés au Canada le 11 avril 2001 et ont revendiqué le statut de réfugié le 18 avril 2001. Les demandeurs soutiennent qu'ils ont une crainte fondée d'être persécutés par l'armée israélienne.

LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT

[4]                 La section du statut a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de preuve digne de foi pour établir une crainte fondée d'être persécuté et qu'il n'y avait pas plus qu'une simple possibilité qu'ils soient persécutés s'ils retournaient en Cisjordanie.


[5]                 La section du statut a tiré un certain nombre d'inférences négatives concernant la crédibilité des demandeurs. Le père a indiqué dans son témoignage que son fils, Mohamed, avait été détenu par l'armée israélienne pendant 18 jours en 1991 ou 1992, alors que la FRP de son fils Ahmed (qui a été déposée avec l'autorisation de la Cour à l'audience) révèle que la détention a eu lieu en mars 1995. Confronté à cette différence, le père a dit qu'il ne pouvait se rappeler de l'année exacte, ce que la formation n'a pas jugé crédible.

[6]                 La formation a tiré une conclusion négative sur la crédibilité par suite de déclarations faites par le père au moment de sa demande de visa de visiteur canadien à Tel Aviv. Le père avait déclaré qu'il souhaitait rendre visite à son fils au Canada et n'avait pas mentionné qu'il avait l'intention de revendiquer le statut de réfugié. En outre, les demandeurs n'ont pas présenté leur revendication dès leur arrivée au Canada le 18 avril 2001, mais seulement une semaine plus tard. Quand on leur a demandé la raison de ce retard à l'audience, le père a déclaré qu'il ne savait pas comment procéder et qu'ils ne parlaient pas anglais. La formation a noté que la demanderesse parlait suffisamment bien l'anglais et que deux des fils du demandeur avaient déjà revendiqué le statut de réfugié au Canada. La formation a estimé que les explications du père n'étaient pas raisonnables.

[7]                 À l'audience, on a demandé au demandeur s'il avait déjà connu des problèmes au cours de ses voyages à Tel Aviv pour demander son visa de visiteur au Canada en avril 2000 et en mars 2001. Il a déclaré que l'armée israélienne arrêtait habituellement sa voiture pour faire une vérification d'identité. On lui a demandé s'il avait participé à des activités de réserve, à des protestations ou à des manifestations palestiniennes et il a répondu non.

[8]                 La formation a statué que la demanderesse avait également caché son intention de revendiquer le statut de réfugié quand elle a demandé un visa de visiteur au Canada. Elle a déclaré que, si elle avait dit à l'agent des visas qu'elle souhaitait venir au Canada pour conserver la vie, il lui aurait fallu des années pour immigrer au Canada. Elle a également déclaré dans son témoignage qu'elle n'avait jamais pris part à des manifestations ou à des protestations contre l'occupation israélienne.

[9]                 D'après la preuve documentaire, la formation a noté que la Cisjordanie est divisée en régions, soit les régions A, B et C. Les demandeurs vivaient dans la région A. Dans la région C, c'est Israël qui exerce le contrôle complet sur la sécurité et certaines fonctions civiles. Dans la région B, ce sont les forces palestiniennes qui contrôlent les fonctions civiles, et partagent le contrôle avec Israël pour les questions de sécurité. Dans la région A, ce sont les forces palestiniennes qui ont le contrôle sur les affaires civiles comme sur la sécurité. La formation a déclaré à la page 7 :

[TRADUCTION]

[...] Compte tenu du témoignage de la requérante concernant le lieu de résidence de sa famille en Cisjordanie, la formation estime que la preuve documentaire précitée ne corrobore pas le témoignage des requérants indiquant qu'ils craignent constamment d'être bombardés par les forces armées israéliennes. La formation préfère l'impartialité et la fiabilité de la preuve documentaire précitée au témoignage des requérants.      


[10]            La formation a fait référence à la preuve documentaire concernant le fait que les Palestiniens étaient la cible des forces militaires israéliennes en 2000. Selon cette preuve, les personnes qui étaient ciblées étaient principalement des agents de sécurité de l'Autorité palestinienne ou des membres de groupes qui avaient attaqué ou qui étaient susceptibles d'attaquer des colonies de peuplement ou des groupes militaires israéliens. Puisqu'aucun des demandeurs n'a jamais participé à ces activités, la formation a décidé qu'ils ne couraient pas de risque d'après la preuve documentaire, qu'elle a préférée aux témoignages des demandeurs.

[11]            De même, la formation n'a pas cru le témoignage de la demanderesse indiquant qu'elle avait de la difficulté à se rendre au travail dans la région A, puisque, selon la preuve documentaire, les forces militaires israéliennes n'y contrôlent pas la sécurité et ne restreignent pas les déplacements. La formation a noté que les demandeurs n'ont pas eu de problèmes à se rendre à Tel Aviv pour obtenir leur visa de visiteur au Canada en 2000 et en 2001.

[12]            La preuve documentaire laisse entendre que la période maximale de détention des jeunes hommes palestiniens dans les territoires occupés était de 11 jours. Comme les demandeurs ont déclaré que Mohamed, le frère de la demanderesse, avait été détenu pendant 18 jours, la formation n'a pas cru cette preuve, mais a préféré la preuve documentaire.

[13]            On a demandé à la demanderesse si certains membres de sa famille avaient connu des problèmes après l'incident du 4 avril 2001 (au cours duquel ses parents ont dû se réfugier dans un poste de police pour se protéger contre un bombardement israélien). Elle a déclaré que, peu après son arrivée au Canada, on a tiré sur son frère Mohamed qui était en train d'acheter des légumes. Quand on lui a demandé pourquoi elle n'avait pas mentionné cet incident dans sa FRP, elle a déclaré qu'elle l'avait oublié, que beaucoup de choses s'étaient produites, et que la balle n'avait fait que traverser le pantalon sans blesser son frère. La formation a estimé que cette explication n'était pas crédible, mais simplement une tentative pour embellir sa revendication du statut de réfugié.


[14]            La formation a conclu que les demandeurs n'avaient pas établi, d'après la prépondérance des probabilités, qu'ils craignaient d'être persécutés par l'armée israélienne, ni qu'ils feraient face à plus qu'une simple possibilité de persécution s'ils retournaient chez eux. Par conséquent, elle a rejeté les revendications de statut de réfugié.

ANALYSE

[15]            La pertinence d'une carte d'inscription à l'UNRWA dans le processus de détermination du statut de réfugié a déjà été examinée par la Section de première instance de la Cour fédérale. Dans la décision El-Bahisi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 72 F.T.R. 117 (C.F. 1re inst.), le juge Denault a statué que l'omission de prendre expressément en considération l'existence d'un document de l'UNRWA reconnaissant un requérant comme réfugié constituait une erreur susceptible de contrôle.


[16]            Dans la décision El-Bahisi, précitée, la section du statut avait rejeté la revendication du statut de réfugié du demandeur sans faire référence à sa carte d'inscription à l'UNRWA. Le demandeur était un apatride né dans la Bande de Gaza. En accueillant le contrôle judiciaire, le juge Denault a cité un extrait du « Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié » du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui indique que le fait qu'un demandeur s'est réclamé de la protection d'un programme des Nations Unies est très pertinent à la détermination du statut de réfugié, pourvu que les circonstances qui ont donné lieu à cette protection continuent d'exister. Le juge Denault a déclaré ceci au paragraphe 5 :

La première erreur tient au fait que le tribunal n'a pas pris expressément en considération l'existence du document de l'UNRWA. Bien que le tribunal ne soit pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve documentaire produits, j'estime qu'il devrait considérer les preuves importantes ou celles qui portent expressément sur la revendication particulière du requérant, surtout lorsque le document en cause mentionne nommément le requérant et lui reconnaît le statut de réfugié. [...]

[17]            Dans la décision Markovskaia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 86 F.T.R. 74 (C.F. 1re inst.), le juge Richard (maintenant juge en chef) s'est appuyé sur la décision El-Bahisi, précitée, et a déclaré ceci au paragraphe 11 :

[...] Certes, le défaut de mentionner tous les éléments de preuve ne donne pas nécessairement lieu à une erreur susceptible de contrôle; mais le tribunal devrait tenir compte de la preuve importante qui porte expressément sur la revendication de la requérante.

[18]            Le défendeur a cité la décision Mohammadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 61, [2001] A.C.F. no 203 (C.F. 1re inst.) (QL), dans laquelle le juge en chef adjoint Lutfy a établi une distinction entre les décisions El-Bahisi et Mohammadi, précitées, parce que dans le cas sur lequel il devait se prononcer le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés avait délivré au demandeur un certificat d'une durée de validité de six mois.

[19]            En l'espèce, aucune durée de validité n'est précisée dans le certificat. La section du statut n'a fait aucune référence aux documents d'inscription des demandeurs à l'UNRWA, et il n'y avait donc pas de preuve que le statut à l'égard de cet organisme avait été pris en compte. D'après la jurisprudence, cela constitue une erreur susceptible de contrôle.


[20]            Les demandeurs prétendent que la section du statut a commis une erreur de droit en tirant des conclusions négatives sur le plan de la crédibilité des deux demandeurs parce qu'ils n'ont pas révélé à l'agent des visas à Tel Aviv qu'ils avaient l'intention de revendiquer le statut de réfugié au Canada.

[21]            Dans l'arrêt Fajardo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 157 N.R. 392, la Cour d'appel fédérale a statué que l'omission de révéler l'intention de réclamer le statut de réfugié lors de la demande d'un visa ne pouvait constituer le fondement d'une conclusion négative sur le plan de la crédibilité. La Cour déclarait ceci au paragraphe 5 :

[...] Peut-on dire sérieusement qu'une personne qui demande un visa de visiteur mentionnerait à l'agent des visas que le but de son séjour au Canada est de demander l'asile? Seule une personne bien naïve le ferait. L'omission ne permet nullement de tirer la conclusion à laquelle le tribunal en est arrivé et celle-ci indique plutôt que le tribunal était déterminé à trouver une faute là où il n'y en avait pas.

[22]            Dans la décision Bhatia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 2010, [2002] A.C.F. no 1656 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge Layden-Stevenson a appliqué le principe tiré de l'arrêt Fajardo, précité, en déclarant ceci au paragraphe 16 :

Le fait que Mme Bhatia n'a pas informé l'agent des visas de la crainte que lui inspirait la police du Pendjab était un facteur important dans la conclusion défavorable que la SSR a tirée au sujet de la crédibilité. Or, cela soulève deux problèmes. En premier lieu, un tribunal ne devrait pas inférer qu'une personne qui craint réellement d'être persécutée fera nécessairement part de cette crainte à l'agent des visas lorsqu'elle demande un visa : Fajardo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 157 N.R. 392 (C.A.F.).[...] [Non souligné dans l'original.]


[23]            En l'espèce, la section du statut a clairement indiqué qu'elle avait des doutes au sujet de la crainte subjective des demandeurs parce qu'ils n'avaient pas révélé à l'agent des visas leur intention de revendiquer le statut de réfugié au Canada. Bien que la section du statut ait eu d'autres doutes concernant la crédibilité des demandeurs, cette omission commise dans le processus d'examen d'une demande d'un visa occupe une place importante dans sa décision concernant la crainte subjective.

[24]            La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[25]            Aucune partie n'a suggéré de faire certifier une question grave de portée générale. Aucune question ne sera donc certifiée.

                              ORDONNANCE

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La décision de la section du statut en date du 15 février 2002 est infirmée et l'affaire lui est renvoyée pour être décidée de nouveau par une formation différemment constituée.

3.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Michel Beaudry    »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                     IMM-1044-02

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Yousef Kukhon et Sahar Kukhon c. Le ministre

de la Citoyenneté et de l'Immigration

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 16 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                           MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS : le 23 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Tina McKay                                                          POUR LES DEMANDEURS

W. Brad Hardstaff                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodwin Berlin McKay                                       POUR LES DEMANDEURS

Calgary (Alberta)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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