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Date: 20031210

Dossier : T-351-03

Référence : 2003 CF 1439

Toronto (Ontario), le 10 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                                                 SIA HUNG PAU

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Sia Hung Pau, un citoyen de Hong Kong, a des attaches avec le Canada depuis 1984. Avant d'obtenir le statut de résident permanent en 1994, il a acheté une maison au Canada et a constitué une société canadienne spécialisée dans la gestion et les placements immobiliers. En 2001, il a demandé la citoyenneté canadienne. Le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande au motif que, dans les quatre ans qui avaient précédé la date de sa demande, il n'avait pas résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) en tout, tel que l'exige l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29. Le juge de la citoyenneté a conclu, ce qui n'est pas contesté, que M. Pau n'avait passé que 397 jours (ou 27 p. cent de son temps) au Canada dans les quatre ans qui avaient précédé sa demande.

[2]                M. Pau a interjeté appel et a sollicité une ordonnance enjoignant au ministre de lui accorder la citoyenneté canadienne.

[3]                J'ai décidé de rejeter l'appel de M. Pau pour les motifs suivants.

[4]                Si on lisait la Loi sur la citoyenneté sans tenir compte de la jurisprudence, on pourrait être porté à croire que tout ce qu'il faut faire c'est d'additionner les jours de résidence au Canada du demandeur. M. Pau est très loin de satisfaire à l'exigence minimale de résidence.

[5]                En fait, il s'agit là d'un point de vue énoncé par la Cour, en particulier par le juge Muldoon dans la décision Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122, et Re Harry (1998), 144 F.T.R. 141.

[6]                Cependant, il a également été jugé qu'une personne peut résider au Canada en pensée, si elle n'y réside pas physiquement, et que ces jours de résidence sont comptés lorsqu'il s'agit de déterminer si l'exigence de résidence est respectée.

[7]                Dans In re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, le juge en chef adjoint Thurlow, alors qu'il siégeait à la Section de première instance de la Cour, a eu l'occasion d'examiner la Loi sur la citoyenneté à ses débuts. Il a déclaré qu'une personne réside au Canada « que si elle se trouve physiquement présente (d'une façon au moins habituelle) sur le territoire canadien » . M. Papadogiorgakis n'avait pas les 1 095 jours de résidence requis en raison de ses études aux États-Unis. Après avoir cité la décision du juge Rand dans l'arrêt Thomson c. M.N.R., [1946] R.C.S. 209, le juge en chef adjoint Thurlow a dit au paragraphe 16 :

Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question » .

[8]                Cette affaire a clairement donné aux juges de la citoyenneté un pouvoir discrétionnaire dans leur calcul.

[9]                L'autre décision fréquemment citée est Re Koo, [1993] 1 C.F. 286. L'appelant dans cette affaire n'a été présent au Canada que pendant 232 jours en tout, et l'appel a été rejeté. Après un examen approfondi de la jurisprudence, la juge Reed a formulé les lignes directrices suivantes :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante: le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement: le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision:


1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2) où réside la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[10]            Cette contradiction dans la jurisprudence a été commentée par le juge Lutfy (maintenant juge en chef de la Cour fédérale) dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177. Il a conclu qu'il était loisible au juge de la citoyenneté d'adhérer à l'un ou l'autre des trois courants jurisprudentiels contradictoires et que si les principes de l'approche choisie étaient correctement appliqués aux faits de la cause, la décision du juge de la citoyenneté ne serait pas erronée.


[11]            Cependant, le trait commun de ces différents courants jurisprudentiels est que le demandeur de citoyenneté doit au préalable avoir établi sa résidence au Canada. Ce n'est qu'à ce moment qu'il faut adhérer à l'une ou l'autre des écoles de pensée et décider si oui ou non les absences physiques volontaires dépassant les 365 jours permis par la Loi sont justifiées. La juge Layden-Stevenson a très bien résumé cela dans la décision Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1067, où elle a dit au paragraphe 4 :

Parce que la « question » de la divergence d'opinions dans la jurisprudence de la Cour fédérale, en ce qui a trait à l'obligation de résidence imposée par la Loi, émerge inévitablement des arguments présentés en appel des décisions rendues en matière de citoyenneté, je crois qu'il est utile de distinguer entre les affaires où cette question est valable et celles dans lesquelles elle ne l'est pas. À mon avis, la _ question _ portant sur la divergence d'opinions dans la jurisprudence de la Cour fédérale n'est pas pertinente quant à savoir si un appelant a établi une résidence au Canada. Dans Goudimenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 447, [2002] A.C.F. no 581, l'appelant a soutenu que ses périodes d'absence pour des raisons d'études devraient être assimilées à des périodes de résidence. Au paragraphe 13, j'ai déclaré :

Le problème que pose le raisonnement de l'appelant est qu'il ne tient pas compte de la question préliminaire, soit l'établissement de sa résidence au Canada. Si le critère préliminaire n'est pas respecté, les absences du Canada ne sont pas pertinentes. Canada (Secrétaire d'État) c. Yu (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 248 (C.F.1re inst.); Affaire intéressant Papadorgiorgakis, précitée, Affaire intéressant Koo, précitée; Affaire intéressant Choi, [1997] F.C.J. No 740 (1re inst.). Autrement dit, à l'égard des exigences de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, l'enquête se déroule en deux étapes. À la première étape, il faut décider au préalable si la résidence au Canada a été établie et à quel moment. Si la résidence n'a pas été établie, l'enquête s'arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape de l'enquête consiste à décider si le demandeur en cause a été résident pendant le nombre total de jours de résidence requis. C'est à l'égard de la deuxième étape de l'enquête, et particulièrement à l'égard de la question de savoir si les périodes d'absence peuvent être considérées comme des périodes de résidence, qu'il y a divergence d'opinions au sein de la Cour fédérale.

[12]            En fait, il appert qu'après avoir obtenu le statut de résident permanent, M. Pau n'a passé que huit jours au Canada avant de repartir pour un autre voyage d'affaires. Il a passé la majeure partie de son temps à Hong Kong, son lieu de naissance.


[13]            Même si on pouvait dire que M. Pau s'était initialement établi au Canada, je n'annulerais pas pour autant la décision du juge de la citoyenneté. Ce dernier a prétendu suivre la décision Re Koo, et il a expliqué de façon très précise ce qu'il a qualifié d'attaches passives de M. Pau avec le Canada, savoir qu'il avait une maison au Canada, que sa femme et ses enfants résidaient au Canada, qu'il avait constitué une société canadienne et ainsi de suite. On a prétendu pour le compte de M. Pau que, bien qu'il ait prétendu avoir suivi la décision Re Koo, le juge de la citoyenneté avait en fait combiné des éléments de l'école de pensée prônant une interprétation littérale avec la décision du juge Thurlow dans Papadogiorgakis, en particulier parce qu'il avait compté les jours de résidence et qu'il avait mentionné que M. Pau aurait pu le convaincre de trancher en sa faveur s'il avait passé au moins 50 p. cent de son temps au Canada.

[14]            Cependant, je pense que le juge de la citoyenneté a effectivement suivi la décision Re Koo et, conformément à la décision Lam, on ne devrait pas intervenir relativement à sa décision. Dans Re Koo, comme en l'espèce, l'épouse de l'appelant avait obtenu la citoyenneté et une partie de la famille étendue de l'appelant se trouvait au Canada. Toutefois, on ne peut pas dire que le Canada est le centre de la vie familiale de l'appelant. Les présences physiques au Canada s'apparentent davantage à des visites dans ce pays qu'à un retour à un lieu oùl'on « vit régulièrement, normalement et habituellement » . L'appelant est bien loin de satisfaire à l'exigence prescrite des 1 095 jours de résidence effective. Les absences ne sont liées à aucune cause manifestement temporaire.


[15]            Selon les explications données, les absences de M. Pau du Canada consistaient en des voyages d'affaires lui permettant d'obtenir des fonds pour les investissements futurs de son entreprise au Canada ou d'agir à titre de consultant en affaires pour des investisseurs étrangers qui s'intéressaient au marché immobilier canadien.

[16]            Dans la décision Alibhal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 169, la juge Snider a cité l'extrait suivant du juge Walsh dans Re Leung (1991), 42 F.T.R. 149 :

Un grand nombre de citoyens canadiens, qu'ils soient nés au Canada ou naturalisés, doivent passer une grande partie de leur temps à l'étranger en relation avec leur entreprise, et il s'agit là de leur choix. Une personne qui veut obtenir la citoyenneté, toutefois, ne dispose pas de la même liberté, à cause des dispositions du paragraphe 5(1) de la Loi.

[17]            En conclusion, j'estime que le juge de la citoyenneté a choisi et appliqué le critère de résidence énoncé dans la décision Re Koo, précitée. Il a en outre démontré dans ses motifs qu'il comprenait ce critère, et il l'a correctement appliqué aux faits de l'espèce. Par conséquent, il n'y a aucune erreur susceptible de contrôle.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l'appel soit rejeté.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-351-03

                                                                 

INTITULÉ :                                        SAI HUNG PAU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                       LE 10 DÉCEMBRE 2003        

COMPARUTIONS :

Stephen W. Green                                 POUR LE DEMANDEUR

Negar Hashemi                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Green and Spiegel

Avocats

Toronto (Ontario)                                  POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                  POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20031210

                                         Dossier : T-351-03

ENTRE :

SAI HUNG PAU

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                        

                


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