Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20031231

Dossier : T-406-02

Référence : 2003 CF 1530

Ottawa (Ontario), le 31 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSEL

ENTRE :

                                           BRIAN M. DIDONE et MANFRED HARLE

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                                                          MICHAEL PETER SAKNO

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 8 février 2002 par la Commission d'appel des brevets (la Commission) au sujet de la demande de brevet canadienne no 2 331 099 (la demande 099).

[2]                 Il existe une demande connexe de contrôle judiciaire qui porte sur la décision rendue par la Commission au sujet de la demande de brevet canadien no 2 319 876 (la demande 876) portant le numéro du greffe T-407-02. Cette demande a été instruite en même temps que la présente.

[3]                 Dans sa décision, la Commission a conclu que Michael Peter Sakno, le défendeur dans la présente demande, était le « correspondant autorisé » au sens de l'article 2 des Règles sur les brevets aux fins de poursuivre et maintenir la demande 099. Les demandeurs contestent cette conclusion et estiment qu'en tirant cette conclusion, la Commission a commis une erreur justifiant la révision de sa décision.

GENÈSE DE L'INSTANCE

[4]                 Le litige qui oppose les parties ne date pas d'hier et est riche en allégations de conduites fautives qu'il appartiendra au juge saisi de ces questions de trancher; elles ne sont pas pertinentes pour ce qui est des questions précises d'ordre juridique qui font l'objet de cette présente demande.

[5]                 Aux fins de la présente demande, qu'il suffise de dire qu'un litige a pris naissance entre les parties en vue de l'obtention des droits de propriété du brevet 099. Ce litige a donné lieu à une série de communications entre les parties et entre les parties et le Bureau canadien des brevets, dans le but de revendiquer la propriété du brevet 099 et de modifier le dossier du Bureau des brevets en faveur d'une partie au détriment de l'autre.


[6]                 La demande 099 a été déposée au Bureau canadien des brevets le 16 janvier 2001. La pétition jointe à la demande identifiait le défendeur comme étant le seul inventeur et titulaire de tous les droits afférents à l'invention. La pétition désignait également Dennison Associates (Dennison) comme agent de brevets pour la demande 099.

[7]                 Dennison a signé la pétition, qui indiquait qu'elle agissait à titre d'agent de brevets pour le défendeur.

[8]                 À la fin de l'été 2001, un conflit majeur a éclaté entre le défendeur et Royal Group Technologies Limited, l'employeur des demandeurs, au sujet de la propriété des droits afférents à la demande de brevet 099.

[9]                 Le 10 septembre 2001, le défendeur a écrit à Dennison et a expressément révoqué le mandat qu'il lui avait accordé et qui l'autorisait à agir en son nom relativement à la demande 099.

[10]            Le 19 septembre 2001, le défendeur a signé un document destiné au Bureau canadien des brevets dans lequel il révoquait la nomination de Dennison en tant qu'agent de brevets pour la demande 099 et nommait David French comme unique agent de brevets pour la même demande. Le Bureau canadien des brevets a reçu le document le mardi 25 septembre 2001.


[11]            Le 27 septembre 2001, le Bureau des brevets a envoyé à David French une lettre prenant acte de la révocation de Dennison et de la nomination de M. French comme agent de brevets pour la demande 099. Dans une lettre datée du même jour, le Bureau des brevets a également prévenu Dennison qu'il n'était plus l'agent de brevets inscrit auprès du défendeur pour la demande 099.

[12]            Après avoir reçu la lettre du 10 septembre 2001 du défendeur, Dennison a attendu jusqu'au 27 septembre 2001 avant de répondre comme suit :

[traduction]

Nous accusons réception de votre lettre du 10 septembre 2001.

Dans celle-ci, vous laissez entendre sans vergogne que nous avons agi de mauvaise foi en votre nom. Comme vous le savez depuis toujours, nous avons agi, et agissons encore aujourd'hui uniquement au nom de notre client, en l'occurrence Royal Group Technologies Limited et ses filiales et autres entreprises connexes (Royal).

[13]            Cependant, dans sa réponse, Dennison n'a pas informé le défendeur des démarches qu'elle avait entreprises auprès du Bureau des brevets après avoir reçu la lettre en date du 10 septembre 2001 par laquelle le défendeur révoquait le mandat qui l'autorisait à agir à titre d'agent de brevets pour le défendeur. Dennison a, après avoir reçu la lettre du défendeur en date du 10 septembre 2001 :

a)          choisi de ne pas informer le Bureau des brevets de la révocation du mandat qui lui avait été conféré pour agir à titre d'agent de brevets pour le défendeur concernant la demande de brevet 099;

b)          continué à agir auprès du Bureau des brevets comme si elle était toujours autorisée à agir au nom du défendeur;

c)          pris des mesures pour révoquer David French comme coagent des brevets;

d)          pris une série de mesures pour ajouter le nom des demandeurs comme coinventeurs pour la demande de brevet 099.


[14]            Par lettre en date du 18 septembre 2001, dans laquelle elle affirmait être l'agent du défendeur, Dennison a écrit au Bureau des brevets afin d'annuler la nomination de David French en tant que coagent des brevets pour la demande de brevet 099. Ce dernier a été reconnu comme coagent par le Bureau des brevets en juin 2001.

[15]            En réponse, le Bureau des brevets a envoyé une lettre en date du 19 septembre 2001 à David French l'informant que sa nomination à titre de coagent était annulée. Par conséquent, la correspondance au Bureau des brevets relative à la demande 099 était adressée uniquement à Dennison en sa qualité de présumé agent du défendeur et d'agent des demandeurs.

[16]            Simultanément, par lettre en date du 18 septembre 2001, Scott Johnson, un associé chez Dennison, a écrit au Bureau des brevets pour demander que l'on ajoute les demandeurs comme coinventeurs pour la demande 099. Cette lettre comprenait des allégations de fait de la part de Scott Johnson prétendant justifier l'ajout des demandeurs comme coinventeurs. Le 21 septembre 2001, Dennison a soumis un affidavit dans lequel Scott Johnson se contentait de réaffirmer les allégations de fait contenues dans sa lettre du 18 septembre 2001.


[17]            Le 25 septembre 2001, le Bureau des brevets a envoyé à Dennison une lettre faisant état que, suite à la lettre du 21 septembre de Dennison, et étant entendu que Dennison agissait à titre d'agent pour le défendeur, les noms des demandeurs avaient été ajoutés comme coinventeurs pour la demande 099.

[18]            Le défendeur n'était pas au courant des mesures prises par Dennison depuis sa lettre du 10 septembre 2001. Il l'a appris seulement après avoir examiné l'historique du dossier de la demande 099, à la suite de la réception de la lettre de Dennison en date du 27 septembre 2001.

[19]            Les demandeurs travaillent pour Royal Group Technologies Limited, l'entreprise qui conteste la revendication du droit de propriété du brevet pour la demande 099 formulée par le défendeur. Il s'agit de la même entreprise pour laquelle Dennison prétend toujours agir, et ce, malgré toutes les déclarations faites au Bureau des brevets selon lesquelles Dennison agissait à titre d'agent pour le défendeur.

[20]            Même s'il était au courant d'une allégation faite par Royal Group Technologies Limited concernant une revendication du droit de propriété du brevet pertinent, le défendeur affirme qu'aucune revendication relative à une invention conjointe n'a été formulée avant sa lettre du 10 septembre 2001 à Dennison.


[21]            Ce n'est pas avant le 20 novembre 2001 que le défendeur a reçu la confirmation du Bureau des brevets que les noms des demandeurs avaient été ajoutés comme coinventeurs pour la demande 099. Dans cette lettre, le Commissaire a soutenu qu'étant donné qu'il n'y avait pas d' « agent commun inscrit au dossier » qui agissait pour le défendeur et les demandeurs, l'identité du « correspondant autorisé » serait établie conformément aux Règles sur les brevets.

[22]            Le 31 janvier 2002, Dennison a fourni au Bureau des brevets un document intitulé Nomination d'un mandataire pour la demande 099, que seuls les demandeurs ont signé.

[23]            Le 8 février 2002, Peter Davies, président de l'audience, a écrit au défendeur et aux demandeurs pour leur faire savoir qu'en vertu de l'article 2 des Règles sur les brevets, le défendeur était, en tant que premier inventeur nommé dans la pétition, le « correspondant autorisé » . C'est cette décision dont les demandeurs réclament le contrôle judiciaire.

DÉCISION À L'EXAMEN

[24]            Dans sa décision, la Commission a estimé ce qui suit :

a.          Les demandeurs et le défendeur n'ont nommé aucun agent commun inscrit au dossier pour la demande 099;

b.          Dennison n'était pas mandaté pour agir pour le compte du défendeur et des deux demandeurs;

c.          En pareil cas, l'identité du « correspondant autorisé » doit être établie conformément à l'article 2 des Règles sur les brevets;


d.          Pour nommer un agent de brevets, tous les demandeurs doivent signer l'avis envoyé au Bureau des brevets;

e.          Pour révoquer un agent de brevets, il suffit qu'un des demandeurs signe la révocation;

f.           Le défendeur, tout comme les autres demandeurs pour la demande 099, pouvait révoquer Dennison à titre d'agent de brevets, ce qu'il a fait le 24 septembre 2001;

g.          En date du 24 septembre 2001, il n'y avait pas d'agent de brevets pour la demande 099;

h.          En pareil cas, le sous-alinéa 2a)(iii) des Règles sur les brevets peut s'appliquer pour déterminer qui est le « correspondant autorisé » ;

i.           Étant donné que, dans la seule pétition présentée au Bureau des brevets, le défendeur était désigné comme demandeur, il est le « correspondant autorisé » .

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[25]            Voici les dispositions pertinentes des Règles sur les brevets, DORS/96-423 :



2. Les définitions qui suivent s'appliquent aux présentes règles.

...

« correspondant autorisé » Pour une demande :

a) lorsque la demande a été déposée par l'inventeur, qu'aucune cession de son droit au brevet, de son droit sur l'invention ou de son intérêt entier dans l'invention n'a été enregistrée au Bureau des brevets et qu'aucun agent de brevets n'a été nommé :

(i) l'unique inventeur,

(ii) s'il y a deux coinventeurs ou plus, celui autorisé par ceux-ci à agir en leur nom,

(iii) s'il y a deux coinventeurs ou plus et qu'aucun de ceux-ci n'a été ainsi autorisé, le premier inventeur nommé dans la pétition ou, dans le cas des demandes PCT à la phase nationale, le premier inventeur nommé dans la demande internationale;

b) lorsqu'un coagent a été nommé ou doit l'être en demande de l'article 21, le coagent ainsi nommé;

c) lorsque les alinéas a) et b) ne s'appliquent pas, l'agent de brevets nommé en demande de l'article 20. (authorized correspondent)

...

6. (1) Sauf disposition contraire de la Loi ou des présentes règles, dans le cadre de la poursuite ou du maintien d'une demande, le commissaire ne communique qu'avec le correspondant autorisé en ce qui concerne cette demande et ne tient compte que des communications reçues de celui-ci à cet égard.

(2) Aux fins de la nomination d'un agent de brevets ou d'un coagent ou de la révocation de cette nomination dans le cadre d'une demande, le commissaire ne tient compte que des communications reçues du demandeur, de l'agent de brevets et du coagent.

...

20. (1) Le demandeur qui n'est pas l'inventeur nomme un agent de brevets chargé de poursuivre la demande en son nom.

(2) L'agent de brevets est nommé dans la pétition ou dans un avis remis au commissaire et signé par le demandeur.

(3) La nomination d'un agent de brevets peut être révoquée par un avis de révocation remis au commissaire et signé par l'agent ou le demandeur.

2. In these Rules,

...

"authorized correspondent" means, in respect of an application,

(a) where the application was filed by the inventor, where no transfer of the inventor's right to the patent or of the whole interest in the invention has been registered in the Patent Office and where no patent agent has been appointed

(i) the sole inventor,

(ii) one of two or more joint inventors authorized by all such inventors to act on their joint behalf, or

(iii) where there are two or more joint inventors and no inventor has been authorized in accordance with subparagraph (ii), the first inventor named in the petition or, in the case of PCT national phase applications, the first inventor named in the international application,

(b) where an associate patent agent has been appointed or is required to be appointed pursuant to section 21, the associate patent agent, or

(c) where paragraphs (a) and (b) do not apply, a patent agent appointed pursuant to section 20; (correspondant autorisé)

...

6. (1) Except as provided by the Act or these Rules, for the purpose of prosecuting or maintaining an application the Commissioner shall only communicate with, and shall only have regard to communications from, the authorized correspondent.

(2) For the purpose of appointing, in respect of an application, a patent agent or an associate patent agent or of revoking the appointment of a patent agent or an associate patent agent, the Commissioner shall have regard to communications from any of the applicant, the patent agent and the associate patent agent.

...

20. (1) An applicant who is not an inventor shall appoint a patent agent to prosecute the application for the applicant.

(2) The appointment of a patent agent shall be made in the petition or by submitting to the Commissioner a notice signed by the applicant.

(3) The appointment of a patent agent may be revoked by submitting to the Commissioner a notice of revocation signed by the applicant or that patent agent.


[26]       La disposition applicable de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, modifiée, est ainsi libellée :


33(2) Le pluriel ou le singulier s'appliquent, le cas échéant, à l'unité et à la pluralité.

33(2) Words in the singular include the plural, and words in the plural include the singular.


[27]        Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur la Cour fédérale :


18.1(2) Délai de présentation

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

18.1(2) Time limitation

(2) An demande for contrôle judiciaire in respect of a décision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the décision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.


QUESTIONS EN LITIGE

[28]            Les demandeurs soulèvent les questions suivantes et font valoir les arguments suivants au sujet de la décision :

a.          la Commission a eu tort de conclure que, dans le cas d'une demande de brevet présentée par plusieurs demandeurs, il suffit qu'un seul des demandeurs signent une révocation;


b.          la Commission a eu tort de conclure que l'alinéa a) de la définition du « correspondant autorisé » que l'on trouve à l'article 2 des Règles sur les brevets s'appliquait en l'espèce et faisait du défendeur le « correspondant autorisé » dans le cas de la demande 009;

c.          la Commission a eu tort :

(1)         de rejeter l'argument des demandeurs suivant lequel la nomination de Dennison à titre d'agent de brevets ne pouvait être révoquée que conformément au paragraphe 20(3) des Règles sur les brevets;

(2)         en ne concluant pas, conformément au paragraphe 33(2) de la Loi d'interprétation, Dennison n'avait pas valablement été révoqué comme agent de brevets, de sorte que Dennison demeurait le « correspondant autorisé » pour la demande 099 en vertu de l'alinéa 2c) et de l'article 20 des Règles sur les brevets.

[29]            Les demandeurs soutiennent essentiellement que la nomination de Dennison comme agent de brevets pour la demande 099 n'a jamais été valablement révoquée, de sorte que Dennison demeure le « correspondant autorisé » selon les dispositions législatives et réglementaires applicables.

[30]            Le défendeur adopte le point de vue que la présente demande doit être rejetée parce que :


a)          les demandeurs invitent en réalité la Cour à réviser la décision du Bureau des brevets de révoquer la nomination de Dennison comme agent de brevets, laquelle décision a été communiquée aux demandeurs par lettre datée du 27 septembre 2001 et est donc prescrite aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale,

b)          même si la présente demande n'est pas prescrite, la Commission n'a commis aucune erreur justifiant la révision de sa décision en concluant que le défendeur, en tant qu'inventeur nommé en premier et propriétaire du brevet aux termes de la demande 099 était le « correspondant autorisé » .

[31]            Le défendeur s'oppose par ailleurs à l'affidavit de Doreen Hardy-Smith qui a été déposé devant la Cour mais dont la Commission ne disposait pas au moment où elle a rendu la décision contestée. Le défendeur estime que cet affidavit n'est pas admissible en l'espèce.

[32]            Il est de jurisprudence constante que le tribunal saisi d'une demande de contrôle judiciaire doit s'en tenir au dossier soumis à l'office dont il révise la décision (Rahi c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (28 mai 1990), 90-A-1343 (C.A.F.) le juge MacGuigan). Bien que je reconnaisse que cette règle comporte une exception dans le cas des erreurs de compétence, les faits de l'espèce ne soulèvent pas ce genre de question. Aux fins du présent contrôle judiciaire, j'estime que les renseignements contenus dans l'affidavit de Mme Hardy-Smith n'apportent rien de nouveau mais, dans l'hypothèse où cette conclusion n'irait pas dans le sens de la jurisprudence relative à la présentation de nouveaux éléments de preuve au tribunal saisi d'une demande de contrôle judiciaire, je n'en ai pas tenu compte et j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'approfondir la question.


ANALYSE

La demande est-elle prescrite?

[33]            Le défendeur signale que, selon le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, les demandes de contrôle judiciaire se prescrivent par trente jours à compter de la date de la première communication de la décision à l'intéressé ou dans le délai supplémentaire accordé par un juge.

[34]            Le défendeur ajoute que la décision qui est censée faire l'objet du présent contrôle judiciaire est celle en date du 8 février 2002 par laquelle le président de la Commission d'appel des brevets a déterminé qui est le « correspondant autorisé » en ce qui concerne la poursuite et le maintien de la demande 009. Le défendeur affirme toutefois que la véritable décision que conteste le demandeur dans sa plaidoirie est la décision par laquelle le commissaire aux brevets a jugé que Dennison avait été révoqué comme agent du défendeur.

[35]            La décision relative à la révocation de Dennison a été communiquée pour la première fois aux demandeurs par lettre datée du 27 septembre 2001.

[36]            Aux termes du paragraphe 18.1(2), toute demande de contrôle judiciaire de cette décision devait être présentée au plus tard le 27 octobre 2001. Or, les demandeurs ont attendu jusqu'au mois de mars 2002 pour présenter leur demande de contrôle judiciaire.

[37]            Le défendeur affirme que les demandeurs n'ont pas expliqué ce retard et qu'ils n'ont pas demandé à la Cour de proroger le délai qui leur était imparti.

[38]            En conséquence, le défendeur soutient que, à tout le moins dans la mesure où les demandeurs contestent la décision du commissaire aux brevets de révoquer Dennison comme agent du défendeur, la demande de contrôle judiciaire est prescrite aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale.

[39]            La thèse des demandeurs est qu'ils ne sont pas irrecevables à soulever la révocation dans le cadre de la présente demande. Le commissaire aux brevets n'a jamais dit qu'il était functus officio pour ce qui est de la révocation et il lui est loisible de réexaminer cette question chaque fois qu'elle est soulevée.


[40]            Je ne crois pas que la réponse des demandeurs réfute les arguments invoqués par le défendeur. Il se peut fort bien que le Bureau des brevets soit disposé à réexaminer à l'occasion ses décisions à la lumière des nouveaux éléments d'information qui sont portés à sa connaissance. Mais cela n'a rien à voir avec le contrôle judiciaire d'une décision du Bureau des brevets en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[41]            Dennison a été informé de la révocation par Mme Joanne Pétrin, commis à la perception de la taxe périodique, dans une lettre datée du 27 septembre 2001 dont voici le texte :

[traduction] Nous vous informons par la présente que votre nomination comme représentant et agent inscrit au dossier a été révoquée en ce qui concerne la demande susmentionnée.

N'hésitez pas à communiquer avec la soussignée pour de plus amples renseignements ou pour obtenir de l'aide.

[42]            Au moment où il a reçu cet avis de révocation du Bureau des brevets, Dennison savait déjà que le défendeur avait (dans sa lettre du 10 septembre 2001) mis fin au mandat.


[43]            Il est significatif que Dennison n'ait pas contesté la révocation à ce moment-là mais qu'il ait plutôt entrepris des démarches qui se sont soldées par l'inscription des demandeurs à titre de coinventeurs. En laissant Dennison agir ainsi, le Bureau des brevets a bien fait comprendre qu'il percevait Dennison comme l'agent du défendeur. Mais Dennison a choisi de passer la chose sous silence et, parce qu'il avait atteint son objectif de faire inscrire les défendeurs à titre de coinventeurs, il semble, avec le recul, que le subterfuge a réussi. Si Dennison avait remis en question la décision portant révocation au moment où il a reçu la lettre du 27 septembre 2001 du Bureau des brevets, toute la question du retrait par le défendeur de l'autorisation qu'il avait accordée à Dennison d'agir en son nom serait venue au grand jour et Dennison et les demandeurs auraient été frustrés dans leur objectif d'inscrire le nom des demandeurs comme coinventeurs dans les registres du Bureau des brevets.

[44]            Ce que Dennison et les demandeurs n'ont pas prévu, c'est que la révocation amènerait le Bureau des brevets à rendre une autre décision, portant qu'il n'y avait pas d'agent inscrit au dossier de sorte que, conformément au sous-alinéa 2a)(iii) des Règles sur les brevets, le défendeur deviendrait le « correspondant autorisé » pour ce qui est de la demande 099 et conserverait ainsi un certain contrôle sur la poursuite de la demande de brevet.

[45]            En formulant ces observations, je ne veux pas laisser entendre que le défendeur a des meilleures prétentions sur le brevet visé par la demande 099 que les demandeurs. Mais il ressort à l'évidence du dossier qui m'a été soumis que les demandeurs n'ont pas essayé de faire avancer leur cause en recourant à un subterfuge auprès du Bureau des brevets. Dennison a continué à agir et à communiquer comme s'il était encore l'agent du défendeur, alors qu'il savait que le défendeur avait révoqué le mandat. À cet égard, ce sont les demandeurs qui ont créé eux-mêmes la situation dans laquelle ils se retrouvent et qui est à l'origine de la présente demande. Ils ont peut-être entièrement raison d'affirmer que le défendeur n'a aucun droit sur le brevet, mais il s'agit là d'une question qui doit être débattue sur une autre tribune et dont je ne suis pas saisi.

[46]            Ayant décidé de ne pas contester la révocation en septembre 2001, les demandeurs souhaitent maintenant l'attaquer en raison de la décision rendue par la Commission le 8 février 2002.

[47]            Le principal argument qu'invoquent les demandeurs dans le cadre de la présente demande est que, conformément au paragraphe 20(2) des Règles sur les brevets, Dennison a été nommé agent chargé se s'occuper de la demande 009 dans la requête qui a été déposée le 16 janvier 2001, faisant ainsi de Dennison le « correspondant autorisé » au sens de l'alinéa 2c) des Règles sur les brevets.

[48]            Les demandeurs font valoir que la nomination de Dennison comme agent n'a jamais été régulièrement révoquée et que, partant, Dennison demeure l'agent et le « correspondant autorisé » .

[49]            La thèse des demandeurs tourne presque exclusivement autour de la révocation et de sa légitimité. Pourtant, ce sont les demandeurs qui ont choisi de ne pas contester la révocation lorsqu'ils en ont été avisés le 27 septembre 2001, parce que, si je ne m'abuse, une telle contestation aurait saboté leur plan de soutenir les prétentions des demandeurs à la paternité conjointe de l'invention en les faisant reconnaître par une inscription au registre des brevets.

[50]            Les demandeurs veulent bénéficier des avantages de leur subterfuge (reconnaissance de la paternité de l'invention) tout en en supprimant les inconvénients (la nomination du défendeur comme correspondant autorisé).

[51]            À mon avis, les demandeurs ne peuvent agir ainsi. Ayant décidé de ne pas contester la décision de révocation pour servir leur cause, ils ne peuvent maintenant contester aussi tardivement cette décision parce qu'elle a entraîné des conséquences qu'ils n'avaient pas prévues lorsqu'ils ont recouru à leur subterfuge.

[52]            Je conclus donc que, dans la mesure où la présente demande vise à contester la décision de révocation communiquée à Dennison le 27 septembre 2001, cette demande est prescrite. Comme la thèse des demandeurs repose sur l'existence d'une erreur ouvrant droit à l'intervention judiciaire, en l'occurrence que [traduction] « en prenant cette décision, le commissaire a tenu compte à tort d'une prétendue révocation » , cela suffit en soi pour trancher la demande dont je suis saisi. Cependant, pour le cas où j'aurais tort sur ce point, j'estime également que les demandeurs ne peuvent obtenir gain de cause sur la demande dont je suis saisi pour les motifs qui suivent.

NORME DE CONTRÔLE

[53]            Ainsi que les demandeurs le soulignent, pour savoir quelle est la norme de contrôle qui s'applique dans le cas d'une décision rendue par une commission ou un tribunal administratif, il est nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle de l'intention du législateur pour déterminer le degré de retenue dont il convient de faire preuve à l'égard de la décision en question.

[54]            Les demandeurs qualifient la question en litige en l'espèce (la nomination du « correspondant autorisé » ) de question de droit et, appliquant l'analyse pragmatique et fonctionnelle (il n'y a pas de clause privative; la Commission des brevets ne possède pas une compétence particulière en matière d'interprétation des dispositions de la Loi sur les brevets et des Règles sur les brevets qui sont en litige en l'espèce; la décision définit les droits des parties; la question est une question de droit qui aura un effet déterminant sur les décisions à venir), ils exhortent la Cour à appliquer la norme de la décision correcte.

[55]            Tout en reconnaissant qu'il n'existe pas de jurisprudence sur ce point précis, les demandeurs renvoient la Cour au jugement Dutch Industries c. Canada (Commissaire aux brevets), (2001), 14 C.P.R. (4th) 499 (C.F. 1re inst.) et à l'arrêt Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), (2000), 7 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.) à l'appui de leur thèse.

[56]            Le défendeur, pour sa part, soutient que la question de l'identité du « correspondant autorisé » chargé de poursuivre et de maintenir une demande de brevet relève exclusivement de l'expertise du commissaire aux brevets.

[57]            Le défendeur qualifie la décision qui a été prise en l'espèce de décision par laquelle la loi a été appliquée aux faits. Il s'agit donc selon lui d'une décision mixte de droit et de fait.

[58]            Appliquant une analyse pragmatique et fonctionnelle, le défendeur invite la Cour à faire preuve de la plus grande retenue envers la décision et à appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[59]            Le défendeur m'a cité les arrêts Housen c. Nikolaisen, [2002] R.C.S. 235 et Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des fournisseurs Internet et al., [2002] 4 C.F. 3 à l'appui de sa thèse sur cette question.

[60]            Parmi les divers précédents que m'ont cités les avocats, c'est la décision rendue par le juge Dawson dans l'affaire Dutch Industries, précitée, que je trouve la plus utile en l'espèce. On trouve des points de repère importants dans les extraits suivants de cette décision :

18.            Pour pouvoir déterminer la norme de contrôle applicable dans le cas des décisions du Commissaire, il est nécessaire de se livrer à l'analyse pragmatique et fonctionnelle que la Cour suprême du Canada a expliquée dans des décisions comme l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.


19.           L'analyse pragmatique et fonctionnelle exige que l'on examine l'existence d'une clause privative, l'expertise relative de l'auteur de la décision, l'objet de la loi et des dispositions législatives en litige et la nature de la question soumise à l'auteur de la décision.

20.           Une fois que ces facteurs ont été appliqués à tour de rôle, les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale prévoient que les décisions du Commissaire peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Il s'agit de dispositions qui se situent à mi-chemin entre une clause privative en bonne et due forme et un droit d'appel illimité et qui laissent entrevoir une certaine retenue judiciaire.

21.           L'expertise est le plus important des quatre facteurs à examiner. Bien que le Commissaire possède une expertise à l'égard d'un certain nombre de questions, je ne suis pas persuadée que cette expertise s'étende à l'interprétation des dispositions pertinentes de la Loi et des Règles pour déterminer les conséquences d'un versement insuffisant de taxes. Ainsi que les juges majoritaires de la Cour d'appel fédérale l'ont fait remarquer dans l'arrêt President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2000] 4 C.F. 528 (C.A.) au paragraphe 183, plus les propositions avancées sont générales et plus les répercussions de la décision s'écartent du domaine d'expertise fondamental du commissaire, moins le tribunal est justifié de faire preuve de retenue judiciaire, ce qui permet de conclure à une norme de contrôle qui appelle un degré moins élevé de retenue judiciaire et se rapproche davantage de la norme du bien-fondé, qui se situe à l'autre extrémité du spectre.

22.           Bien que la Loi ait pour objet de promouvoir la mise au point d'inventions susceptibles de profiter tant aux inventeurs qu'au public, je conclus que l'objet des dispositions précises en litige en ce qui concerne le paiement de taxes n'est pas de nature polycentrique et qu'il n'implique pas l'application d'un critère de pondération à volets multiples. La Loi définit et réglemente les droits respectifs des titulaires de brevets. Lorsqu'une loi a pour objet de définir les droits entre les intéressés, le tribunal est justifié de procéder à un examen plus serré.

23.            La question en litige est, de par sa nature, une question de droit. L'interprétation aura des incidences déterminantes sur les décisions à venir, ce qui, je le répète, justifie un degré moins élevé de retenue judiciaire et l'application d'une norme qui se rapproche davantage de la norme du bien-fondé.

24.            Appliquant ces facteurs, je conclus que les décisions prises par le Commissaire en l'espèce peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire selon la norme du bien-fondé.

[61]            En l'espèce, la décision se résume essentiellement aux deux conclusions suivantes tirées par la Commission :

[traduction]

a.              Pour révoquer la nomination d'un agent de brevets, la signature d'un des demandeurs suffit.

b.              Le défendeur a valablement révoqué le mandat de Dennison à titre d'agent de brevets le 24 septembre 2001.


[62]            Je considère la première conclusion comme une question de droit et la seconde, par laquelle la Commission a appliqué le droit aux faits, comme une question mixte de droit et de fait.

[63]            Appliquant l'analyse pragmatique et fonctionnelle à la présente affaire, je suis d'avis que l'expertise est le plus important des quatre facteurs dont il y a lieu de tenir compte. Et pour reprendre les mots employés par la juge Dawson dans le jugement Dutch Industries, précité, bien que la Commission possède une expertise à l'égard d'un certain nombre de questions, je ne suis pas persuadé que cette expertise s'étende à l'interprétation des dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets et des Règles sur les brevets de manière à conclure qu'il suffit qu'un des demandeurs signe la révocation pour que celle-ci soit valable. Ainsi, sur cet aspect de la décision, je suis d'avis que la norme applicable est celle de la décision correcte.

[64]            En ce qui concerne le second volet de la décision (en l'occurrence qu'au vu des faits, le défendeur a valablement révoqué le mandat de Dennison à titre d'agent de brevets), je considère qu'il s'agit d'une question mixte de droit et de fait, d'autant que la Commission dispose d'une vaste expertise et que ces décisions méritent un degré élevé de retenue judiciaire. J'estime donc que la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

ANALYSE

[65]            La Commission affirme catégoriquement dans sa décision que [traduction] « pour révoquer la nomination d'un agent de brevets, la signature d'un des demandeurs suffit » . Est-ce exact?

[66]            L'article 20 des Règles sur les brevets dispose :


(1)Le demandeur qui n'est pas l'inventeur nomme un agent de brevets chargé de poursuivre la demande en son nom.

(2) L'agent de brevets est nommé dans la pétition ou dans un avis remis au commissaire et signé par le demandeur.

(3) La nomination d'un agent de brevets peut être révoquée par un avis de révocation remis au commissaire et signé par l'agent ou le demandeur.

(1)An applicant who is not an inventor shall appoint a patent agent to prosecute the application for the applicant.

(2) The appointment of a patent agent shall be made in the petition or by submitting to the Commissioner a notice signed by the applicant.

(3) The appointment of a patent agent may be revoked by submitting to the Commissioner a notice of revocation signed by the applicant or that patent agent.


[67]            La décision est fondée sur le paragraphe 20(3). Il semble acquis aux débats que le défendeur est un « demandeur » et que Dennison était un « agent de brevets » valablement nommé dans la pétition originale du 16 janvier 2001. Le débat tourne autour de la question de savoir si le défendeur a valablement révoqué la nomination.

[68]            Parce que Dennison a été nommé comme agent de brevets dans la pétition originale, il est devenu le « correspondant autorisé » par application de l'alinéa 2c) des Règles sur les brevets. L'article 2 des Règles sur les brevets donne la définition suivante du « correspondant autorisé » :



« correspondant autorisé » Pour une demande :

a) lorsque la demande a été déposée par l'inventeur, qu'aucune cession de son droit au brevet, de son droit sur l'invention ou de son intérêt entier dans l'invention n'a été enregistrée au Bureau des brevets et qu'aucun agent de brevets n'a été nommé :

(i) l'unique inventeur,

(ii) s'il y a deux coinventeurs ou plus, celui autorisé par ceux-ci à agir en leur nom,

(iii) s'il y a deux coinventeurs ou plus et qu'aucun de ceux-ci n'a été ainsi autorisé, le premier inventeur nommé dans la pétition ou, dans le cas des demandes PCT à la phase nationale, le premier inventeur nommé dans la demande internationale;

b) lorsqu'un coagent a été nommé ou doit l'être en demande de l'article 21, le coagent ainsi nommé;

c) lorsque les alinéas a) et b) ne s'appliquent pas, l'agent de brevets nommé en demande de l'article 20. (correspondant autorisé)

"authorized correspondent" means, in respect of an application,

(a) where the application was filed by the inventor, where no transfer of the inventor's right to the patent or of the whole interest in the invention has been registered in the Patent Office and where no patent agent has been appointed

(i) the sole inventor,

(ii) one of two or more joint inventors authorized by all such inventors to act on their joint behalf, or

(iii) where there are two or more joint inventors and no inventor has been authorized in accordance with subparagraph (ii), the first inventor named in the petition or, in the case of PCT national phase applications, the first inventor named in the international application,

(b) where an associate patent agent has been appointed or is required to be appointed pursuant to section 21, the associate patent agent, or

(c) where paragraphs (a) and (b) do not apply, a patent agent appointed pursuant to section 20; (authorized correspondent)


[69]            Les demandeurs soutiennent essentiellement, en ce qui concerne le paragraphe 20(3) des Règles sur les brevets, que le paragraphe 33(2) de la Loi d'interprétation prévoit que le pluriel ou le singulier s'appliquent, le cas échéant, à l'unité et à la pluralité, de sorte que lorsque, comme en l'espèce, il y a pluralité de demandeurs, le paragraphe 20(3) exige que tous les demandeurs signent la révocation, ce qui n'a pas été fait en l'espèce.

[70]            Les demandeurs font valoir un argument semblable en ce qui concerne le paragraphe 6(2) des Règles sur les brevets, dont voici le libellé :



(2) Aux fins de la nomination d'un agent de brevets ou d'un coagent ou de la révocation de cette nomination dans le cadre d'une demande, le commissaire ne tient compte que des communications reçues du demandeur, de l'agent de brevets et du coagent.


(2) For the purpose of appointing, in respect of an demande, a patent agent or an associate patent agent or of revoking the appointment of a patent agent or an associate patent agent, the Commissioner shall have regard to communications from any of the applicant, the patent agent and the associate patent agent.

Les demandeurs soutiennent que, lorsqu'il y a pluralité de demandeurs, la communication doit provenir de tous les demandeurs.

[71]            La thèse du défendeur est que l'interprétation que la Commission a donnée des dispositions pertinentes des Règles sur les brevets et de la Loi est juste.

[72]            Dans sa décision, la Commission affirme : [traduction] « Lorsqu'il s'agit de nommer un agent, tous les demandeurs doivent signer l'avis de nomination. Toutefois, pour révoquer la nomination d'un agent de brevets, la signature d'un des demandeurs suffit » .

[73]            Le raisonnement offert par la Commission pour justifier la distinction qu'elle fait entre les paragraphes 20(2) et 20(3) des Règles sur les brevets est que [traduction] « un agent de brevets est une personne qui agit au nom d'un seul demandeur ou de plusieurs demandeurs. Si un de ces demandeurs révoque le mandat de l'agent, celui-ci n'est plus autorisé à agir pour l'ensemble des demandeurs » . La Commission n'a cité aucun précédent pour appuyer sa thèse.


[74]            En l'absence de décisions faisant autorité en la matière, il y a lieu d'appliquer le principe d'interprétation des lois suivant lequel « il faut déterminer l'intention du législateur et, à cette fin, lire les termes de la loi dans leur contexte, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit et l'objet de la loi » , pour reprendre les mots des juges Major et Iacobucci dans l'arrêt R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, au paragraphe 77. Pour ce qui est des dispositions de la Loi sur les brevets à l'examen en l'espèce, l'interprétation retenue par la Commission est la seule qui, à mon avis, s'harmonise avec l'esprit de la Loi. L'interprétation des demandeurs favorise les demandeurs, au vu des faits de l'espèce, mais elle rend impossible à appliquer le régime administratif général de la Loi. Or, il est impossible que le législateur ait voulu créer une situation aussi inextricable.

[75]            Je ne relève aucune contradiction entre l'interprétation que la Commission a donnée des paragraphes 20(2) et 20(3) des Règles sur les brevets et je suis d'avis que l'interprétation de la Commission est juste et ce, parce qu'en cas de pluralité de demandeurs, il faut que tous aient donné leur autorisation pour que l'agent de brevets soit valablement mandaté. Si l'un des demandeurs retire par la suite son autorisation (comme cela s'est produit en l'espèce selon la lettre que le défendeur a adressée à Dennison le 10 septembre 2003), l'agent de brevets n'est plus mandaté par tous les demandeurs et l'avis envoyé au Bureau des brevets par l'un des demandeurs à cet effet suffit pour réaliser la révocation. Exiger que tous les demandeurs envoient cet avis serait peu pratique et entraînerait des conséquences peu souhaitables. Lorsque, comme en l'espèce, un agent de brevets représente (et insiste en fait pour dire qu'il représente seulement) les parties qui défendent un seul aspect du différend, il serait impossible d'obliger tous les intéressés à signer une révocation. Et, si tel est le cas, permettre ensuite à l'agent de brevets de continuer à agir comme agent inscrit au dossier autorisé à agir pour tous les intéressés donnerait une image déformée de la réalité et ouvrirait la porte à des abus, ce qui ne pouvait être l'intention du législateur fédéral.


[76]            Même si j'ai tort en ce qui concerne mon interprétation des paragraphes 20(2) et 20(3) des Règles sur les brevets, pour les motifs qui suivent, je conclus quand même qu'une révocation valide a eu lieu en l'espèce parce qu'au moment de la révocation, il n'y avait en fait qu'un seul demandeur (le défendeur) et que ce dernier a soumis une révocation de Dennison qui a été valablement acceptée par le Bureau des brevets.

[77]            En ce qui concerne le second volet de la décision (en l'occurrence que le défendeur a valablement révoqué le mandat de Dennison à titre d'agent de brevets), les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur parce que :

a)          la seule présumée révocation était le fait du défendeur;

b)          l'avis reçu par le Bureau des brevets n'était pas suffisant pour atteindre l'objectif visé de la révocation et le Bureau des brevets a commis une erreur de droit en en tenant compte.

[78]            Il est incontestable, au vu des faits, que, dans la demande et la pétition originales du 16 janvier 2001, le défendeur est le seul demandeur et que Dennison était nommé comme agent de brevets.


[79]            La révocation de Dennison à titre d'agent de brevets a eu lieu au plus tard le 27 septembre 2001, lorsque Dennison a été informé par le Bureau des brevets que [traduction] « votre nomination comme représentant et agent inscrit au dossier a été révoquée en ce qui concerne la demande susmentionnée » .

[80]            Aux termes du paragraphe 20(2) des Règles sur les brevets, la nomination d'un agent de brevets s'effectue par l'envoi au commissaire d'un avis signé par le demandeur.

[81]            Les demandeurs ont été ajoutés comme coinventeurs pour la demande 099 en septembre 2001 lorsque, conformément à la lettre du 25 septembre 2001, le Bureau des brevets a informé Dennison que, suivant la lettre du 21 septembre 2001 de Dennison, et étant entendu que Dennison était l'agent du défendeur, le Bureau des brevets a informé Dennison de ce fait.

[82]            Mais ce n'est que le 31 janvier 2002 que Dennison a soumis au Bureau des brevets l'acte de nomination de l'agent chargé de s'occuper de la demande 099 signé par les demandeurs.

[83]            Il s'ensuit qu'au moment de la décision de révocation de septembre 2001, et d'ailleurs à toute date ultérieure, il n'existe pas d'avis de nomination qui avait été signé par tous les demandeurs et qui avait pour effet de constituer Dennison agent de brevets conformément au paragraphe 20(2) des Règles sur les brevets. C'est pourquoi c'est à juste titre que la Commission a conclu dans sa décision que [traduction] « il n'y a pas d'agent de brevets unique inscrit au dossier qui aurait été désigné par les trois demandeurs » :


[traduction] Le 25 janvier 2002, Dennison Associates a soumis au Bureau des brevets une lettre l'invitant à nommer l'agent de brevets inscrit au dossier étant donné qu'on n'arrivait pas à s'entendre avec M. Sakno [le défendeur]. Cette demande a été suivie par une lettre datée du 31 janvier 2002 dans laquelle MM. Didone et Harle nommaient Dennison Associates comme agents. Étant donné que Dennison Associates n'est pas autorisée à agir pour les trois demandeurs, il s'ensuit qu'elle ne peut être l'agent inscrit au dossier qui est autorisé à agir au nom des trois demandeurs.

[84]            Ainsi, les demandeurs qui, dans la présente demande, cherchent à obtenir l'annulation de la décision, ainsi que celle de la décision de révocation précédente du 27 septembre 2001 sur laquelle elle est fondée, n'ont jamais réussi à obtenir que le Bureau des brevets accepte leur agent à titre d'agent inscrit au dossier.

[85]            Ils se contentent d'affirmer que, du seul fait qu'ils sont devenus coinventeurs inscrits au dossier au plus tard le 25 septembre 2001, leur signature est exigée pour tout avis de révocation donné en vertu du paragraphe 20(3) des Règles sur les brevets.

[86]            Si l'on tient compte du subterfuge auquel ils ont recouru pour être reconnus comme coinventeurs inscrits au dossier, il est plutôt incongru de voir les demandeurs chercher à invoquer des dispositions qu'ils ont contournées pour acquérir un statut qui leur permet de formuler un tel argument. Ceci étant dit, je répète que je ne me prononce pas sur le bien-fondé des droits des demandeurs et de leur employeur sur le brevet en question. Cela démontre encore une fois que si l'interprétation que le demandeur fait du paragraphe 20(3) était juste, il s'ensuivrait que ceux qui réussissent à convaincre le Bureau des brevets de les considérer comme coinventeurs en invoquant des raisons inexactes (en l'espèce, que Dennison était l'agent du défendeur) pourraient ensuite insister pour dire que le mandat de leur propre agent, qui a cessé de représenter l'un d'entre eux (en l'espèce, le défendeur) ne peut être révoqué sans leur consentement ce qui, à mon avis, serait absurde.


[87]            Finalement, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en tenant compte d'une prétendue révocation qui était irrégulière et inefficace pour plusieurs raisons.

[88]            La disposition déterminante en l'espèce est le paragraphe 6(2) des Règles sur les brevets dont voici le texte :


6(2) Aux fins de la nomination d'un agent de brevets ou d'un coagent ou de la révocation de cette nomination dans le cadre d'une demande, le commissaire ne tient compte que des communications reçues du demandeur, de l'agent de brevets et du coagent.

6(2) For the purpose of appointing, in respect of an demande, a patent agent or an associate patent agent or of revoking the appointment of a patent agent or an associate patent agent, the Commissioner shall have regard to communications from any of the applicants, the patent agent and the associate patent agent.


[89]            Tout d'abord, les demandeurs affirment que, pour prendre la décision de révocation, le commissaire a tenu compte à tort d'une communication adressée au Bureau des brevets par David French qui n'était ni le demandeur, ni l'agent de brevets ni le coagent en ce qui concerne la demande 099.

[90]            Le défendeur a signé un document intitulé « Révocation et nomination d'un nouvel agent et représentant pour signification » qui porte la date du 19 septembre 2001 et qui est ainsi libellé :

[traduction] L'inventeur et demandeur soussigné annule toutes les nominations antérieures d'agent et de représentant pour signification et nomme par la présente la personne suivante en tant que son agent et représentant pour signification avec pleins pouvoirs de nomination et de substitution : David J. French, C.P. 2486, Succursale D, Ottawa, ON    K1P 5W6 Tél. : 613-232-8389 Fax : 613-567-4689.


[91]            Une copie de ce document a ensuite été envoyée par télécopieur au Bureau des brevets par David French avec une lettre datée du 24 septembre 2000, qui ne contenait que la mention suivante : [traduction] « Prière d'accepter le formulaire ci-joint de changement d'agent » . L'original a été transmis au Bureau des brevets par M. French avec une lettre datée du 18 octobre 2001.

[92]            Le 27 septembre 2001, le Bureau des brevets a envoyé à David French une lettre dans laquelle elle prenait acte de la révocation de Dennison et de la nomination de David French comme agent de brevets. Dennison en a été informé par une lettre datée du même jour.

[93]            Dans la décision, la Commission reconnaît que le défendeur [traduction] « ne pouvait pas nommer David French, étant donné que l'accord de Brian Didone et de Manfred Harle [les demandeurs] était nécessaire » . Mais le Bureau des brevets a accepté la révocation de Dennison sur la foi de la télécopie du 24 septembre 2001 envoyée par M. French à laquelle était jointe la « Révocation et nomination d'un nouvel agent et représentant pour signification » .

[94]            Le paragraphe 20(3) des Règles sur les brevets prévoit que la nomination d'un agent de brevets peut être révoquée par un avis de révocation remis au commissaire et signé par l'agent ou le demandeur » .


[95]            La Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets n'imposent aucune formalité particulière en ce qui concerne l'avis. Le fait que l'avis du défendeur ait été transmis pour son compte au Bureau des brevets par M. French est sans intérêt. Le défendeur a signé l'avis et l'identité de M. French et à quel titre il envoyait cet avis ressort à l'évidence du rapprochement de l'avis lui-même et de la lettre de M. French.

[96]            J'ai déjà traité de l'objection des demandeurs suivant laquelle l'avis ne portait la signature que du défendeur et non de tous les demandeurs. L'acceptation de l'avis aux termes du paragraphe 6(2) des Règles sur les brevets s'accorde avec la thèse défendue par le Bureau des brevets relativement au paragraphe 20(3), c'est-à-dire qu'un demandeur peut à lui seul révoquer une nomination.

[97]            Les demandeurs vont toutefois plus loin et soutiennent que le document de révocation est censé à la fois révoquer toute nomination antérieure et nommer M. French comme agent de brevets. Suivant les demandeurs, ces deux objectifs sont liés de manière indissociable, et le Bureau des brevets ne peut donner suite à l'un sans donner suite à l'autre. Suivant le demandeur, cela tient au fait que le document visait en réalité à placer M. French dans la position d'agent de brevets mais nullement de rendre le défendeur personnellement responsable de toutes les communications ultérieures, ainsi que le Bureau des brevets l'a fait en l'espèce.

[98]            Les demandeurs font valoir que si le document était sans effet en ce qui concerne la nomination de M. French à titre d'agent de brevets, il doit également être sans effet en ce qui a trait à la révocation de la nomination de Dennison.

[99]            Les demandeurs font une analogie à cet égard avec la théorie de la dissociabilité en droit des contrats.

[100]        Le fait que le défendeur souhaitait ou non devenir « correspondant autorisé » n'a, selon moi, rien à voir avec l'avis de révocation. Il est devenu « correspondant autorisé » par suite de l'application, par le Bureau des brevets, de règles qui s'appliquent nécessairement lorsque aucun agent de brevets commun n'est inscrit au dossier. L'intention du défendeur n'a rien à voir là-dedans.

[101]        Il n'y a rien dans le document qui dise que Dennison devrait être révoqué comme agent de brevets seulement si M. French est nommé. Le document visait deux objectifs clairs et distincts : révoquer la nomination de Dennison et nommer M. French. Il indique clairement au Bureau des brevets que la nomination de Dennison est révoquée. Ayant été avisé de ce fait, il est difficile de voir comment le Bureau des brevets aurait pu continuer à considérer et à traiter Dennison comme l'agent inscrit au dossier. Si le document avait indiqué que Dennison ne pouvait être révoqué que si M. French était nommé, la situation aurait été différente. Mais la volonté de révoquer Dennison était évidente et le Bureau des brevets n'a pas commis d'erreur en donnant suite à une intention aussi manifeste.


[102]        Je considère totalement fallacieuse l'analogie qui est faite entre la situation à laquelle était confronté le Bureau des brevets en recevant cette communication et la théorie de la dissociabilité contractuelle. Il n'y a aucun lien contractuel en l'espèce et ce sont des facteurs complètement différents qui s'appliquent. La seule chose qui compte c'est le respect des dispositions des paragraphes 20(3) et 6(2) des Règles sur les brevets.

[103]        Pour conclure donc sur ce point, appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter articulée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, suivant laquelle « est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé » , je suis d'avis que la Commission n'a commis aucune erreur justifiant notre intervention. En fait, je conclus que la Commission n'a commis aucune erreur même si l'on applique la norme de la décision correcte à ce volet de sa décision.

[104]        Ma conclusion générale est que la présente demande est prescrite, mais même si elle ne l'était pas, je conclus que la Commission n'a commis aucune erreur qui justifierait l'intervention de la Cour en décidant que la nomination de Dennison avait été révoquée et qu'aucun agent de brevets commun n'avait été nommé conformément à l'article 20 des Règles sur les brevets.


[105]        Ayant tiré cette conclusion, le Bureau des brevets était tenu d'aborder la question de l'identité du « correspondant autorisé » au sens de l'article 2 des Règles sur les brevets. Elle a conclu que les faits de l'espèce tombaient carrément sous le coup du sous-alinéa 2a)(iii) des Règles sur les brevets de sorte qu'en tant que premier inventeur nommé dans l'invention, le défendeur devenait le « correspondant autorisé » . C'est à mon avis à bon droit que le Bureau des brevets a tiré cette conclusion et qu'il a estimé, dans sa décision, que [traduction] « les dispositions du sous-alinéa (iii) doivent être invoquées pour identifier le correspondant autorisé » et que « comme, dans la seule pétition qui a été soumise au Bureau des brevets, c'est Michael Peter Sakno qui était désigné comme demandeur, c'est lui qui est devenu le correspondant autorisé » .

[106]        Le fait que les demandeurs ou le défendeur n'ont peut-être pas prévu ce résultat final est sans importance. Le Bureau des brevets doit savoir avec qui il doit communiquer. Une position de repli est donc nécessaire lorsque, comme en l'espèce, des demandeurs et des inventeurs n'arrivent pas à s'entendre sur un agent de brevets commun.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Les dépens sont adjugés au défendeur sur-le-champ indépendamment de l'issue de la cause.

« James Russell »

         Juge


Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :     T-406-02

INTITULÉ :    BRIAN M. DIDONE et al.

c. MICHAEL PETER SAKNO

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 14 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :           LE 31 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

FRANK FARFAN                    POUR LES DEMANDEURS

MICHAEL CRINSON                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacBETH & JOHNSON                      POUR LES DEMANDEURS

TORONTO (ONTARIO)

DIMOCK STRATTON CLARIZIO              POUR LE DÉFENDEUR

TORONTO (ONTARIO)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.