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                                                                                                                                           Date : 20031231

                                                                                                                                       Dossier : T-156-02

                                                                                                                     Référence :     2003 CF 1529

Ottawa, Ontario, ce 31e jour de décembre 2003

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                           FRÉDÉRIC TERREAULT

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                              - et -

                                 LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DISCIPLINAIRE DE

                          L'ÉTABLISSEMENT PÉNITENCIER DE COWANSVILLE et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                    Défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire par le demandeur en vertu de l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, 1985, c. F-7, à l'encontre de la décision du président indépendant du tribunal disciplinaire de l'établissement Pénitencier de Cowansville (ci-après le _ tribunal _) rendue le 3 janvier 2002. Dans cette décision, le tribunal a déclaré le demandeur coupable d'avoir agi de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent de correction et d'avoir menacé de se livrer à des voies de fait, deux infractions disciplinaires prévues respectivement à l'al. 40f) et 40h) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20 (ci-après la _ Loi    _).

CONTEXTE FACTUEL

[2]                 Depuis juin 1996, le demandeur purge une peine de 19 ans, 6 mois et 3 jours à l'Établissement pénitencier de Cowansville.

[3]                 En vertu de l'Ordre permanent 565 daté du 19 septembre 2001, l'Établissement de Cowansville a prescrit la tenue d'un compte debout dans le cadre du dénombrement officiel des détenus. La direction de l'Établissement a émis un avis à la population pour informer les détenus que cette modification entrerait en vigueur le 3 octobre 2001.


[4]                 Le 8 octobre 2001, le demandeur affirme qu'il était debout dans sa cellule pour le compte debout de 17 h 45 lorsque l'agent Patrick Généreux a regardé par le hublot de sa porte de cellule pour le compter. Le demandeur affirme s'être assis et que l'agent Généreux, qui était resté devant la cellule au lieu de poursuivre son chemin, a cogné sur la porte et a donné l'ordre au demandeur de se relever, ce que ce dernier a refusé de faire. L'agent Généreux, qui était accompagné pour le compte par l'agent Sylvain Campbell, a aussitôt avisé le demandeur qu'il ferait l'objet d'un rapport pour une infraction mineure pour avoir désobéi à un ordre légitime (al. 40a) de la Loi). Le demandeur a répliqué _ t'es juste un hostie sale _ (selon le rapport d'infraction; selon le demandeur, _ gros sale _) et a indiqué qu'il ne se relèverait pas deux fois pour le compte, ce qui lui a valu un rapport pour une infraction grave pour avoir agi de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent au point de compromettre l'autorité de celui-ci (al. 40f) de la Loi). Le demandeur a également été avisé qu'il ferait l'objet d'un autre rapport pour une infraction mineure pour avoir contrevenu à une règle écrite régissant la conduite des détenus (al. 40r) de la Loi), en l'occurence pour avoir retardé le compte officiel de 17 h 45. À 17 h 57, après que les agents Généreux et Campbell soient revenus à la cellule du demandeur pour le recompter et que l'agent Généreux l'ait supposément provoqué de nouveau, le demandeur a répliqué à ce dernier _ attends mon hostie de chien sale mais que je sorte, tu croiras pas à ça _. Ces paroles lui ont valu un quatrième rapport, grave cette fois-ci, pour avoir menacé de se livrer à des voies de faits (al. 40h) de la Loi).

[5]                 Le 9 octobre 2001, pendant une réunion avec Michel Gagnon, le surveillant correctionnel de l'unité, et l'agent Généreux ayant pour but de déterminer si le demandeur devait être placé en isolement préventif à la suite des événements de la veille, ce dernier a dit au surveillant Gagnon _ tu prends pour lui hostie de gros sale _ et à l'agent Généreux _ t'es rien qu'une hostie de vidange, t'es un menteur, tu m'as fait un set-up _. Le demandeur a donc fait l'objet de deux rapports mineurs pour avoir agi de manière irrespectueuse ou outrageante envers toute personne au point d'inciter à la violence (al. 40g) de la Loi).

[6]                 Les rapports relatifs aux quatre infractions mineures ont été retirés pour cause de délai déraisonnable le 5 février 2002 et n'ont fait l'objet d'aucune audience disciplinaire.


[7]                 Les rapports relatifs aux deux infractions graves ont fait l'objet d'une audience disciplinaire les 18 octobre, 31 octobre et 20 décembre 2001. Lors de la première date d'audience, le 18 octobre, le demandeur a plaidé non coupable aux deux infractions. Il a demandé que toutes les infractions disciplinaires du 8 et 9 octobre (quatre mineures et deux graves) soient entendues en même temps devant le tribunal. Il a aussi demandé à faire témoigner Suzanne Legault, gérante de l'unité pavillonnaire, et Audrey Camiré, psychologue. Finalement, il a demandé que son dossier de griefs soit présent devant le tribunal. L'audience a donc été reportée au 31 octobre.

[8]                 L'audience du 31 octobre a été reportée, à la demande du demandeur, au 20 décembre parce que les rapports d'infractions mineures et le dossier de griefs n'étaient pas devant le tribunal. Lors de l'audience du 31 octobre, le tribunal a reconnu que les quatre rapports pour une infraction mineure devaient, selon la Loi, être entendus en même temps que les deux rapports d'infraction grave.


[9]                 L'audience sur le fond a eu lieu le 20 décembre. Le demandeur a demandé de faire témoigner Suzanne Legault, mais cela n'a pas été possible car cette dernière était en congé de maladie à long terme. Les rapports d'infractions mineures et le dossier de griefs n'étaient toujours pas devant le tribunal. Le demandeur a réitéré le fait que toutes les infractions devaient être entendues en même temps. Le tribunal a entendu la preuve concernant les deux rapports pour infractions graves et a accepté d'entendre les arguments du demandeur quant aux rapports d'infractions mineures et de faire venir des copies des rapports au besoin. Le demandeur a avoué avoir prononcé des paroles injurieuses à l'endroit de l'agent Généreux. Le défendeur prétend en plus que le demandeur a avoué avoir prononcé des menaces.

[10]            Le 3 janvier 2002, le tribunal a rendu sa décision : il a déclaré le demandeur coupable des deux infractions graves. Il a donc imposé une amende de 25 $, qui a été retirée le 17 janvier 2002 pour ne pas nuire aux études que le demandeur effectuait à ses frais. Le demandeur a en outre été condamné à 10 jours de détention suspendus pour une période de 60 jours.

  

DÉCISION CONTESTÉE

[11]            Dans sa décision du 3 janvier 2002, le tribunal dit avoir pris en considération le témoignage de l'agent Généreux et celui du demandeur. Il conclut que les paroles ont bel et bien été prononcées par le demandeur puisque les deux rapports en font état et que le demandeur ne nie pas avoir dit ces paroles. Il affirme en outre que même si le demandeur avait eu raison de ne pas accepter la façon dont le compte a été fait, il était tout à fait inapproprié et inexcusable que le détenu prononce les paroles qu'il a prononcées à l'endroit des deux gardiens.

QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Les questions en litige du demandeur sont les suivantes :

A.         Le tribunal a-t-il manqué à l'équité procédurale dans le processus ayant mené à sa décision et dans l'affirmative, ce manquement a-t-il entraîné une injustice sérieuse au demandeur?


B.         Le tribunal a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable dans l'appréciation de la preuve sur la menace de se livrer à des voies de fait?

ANALYSE

A.        Le tribunal a-t-il manqué à l'équité procédurale dans le processus ayant mené à sa décision et dans l'affirmative, ce manquement a-t-il entraîné une injustice sérieuse pour le demandeur?

[13]            Selon les défendeurs, les principes gouvernant la discipline carcérale dans les pénitentiers sont clairement expliqués dans la décision Hendrickson c. Kent Institution, _1990] F.C.J. No. 19 (1ère inst.) en ligne : QL :

The principles governing the penitentiary discipline are to be found in Martineau No 1 (supra) and No 2 [Footnote: [1979] 50 CCC (2d) 353 (SCC)]; Re Blanchard and Disciplinary Board of Millhaven Institution [Footnote: [1982] 69 CCC (2d) 171 FCTD]; Re Howard and Presiding Officer of Inmate Disciplinary Court of Stony Mountain Institution [Footnote: [1985] 19 CCC (3d) 195], and may be summarized as follows:

1. A hearing conducted by an independent chairperson of the disciplinary court of an institution is an administrative proceeding and is neither judicial nor quasi-judicial in character.

2. Except to the extent there are statutory provisions or regulations having the force of law to the contrary, there is no requirement to conform to any particular procedure or to abide by the rules of evidence generally applicable to judicial or quasi-judicial tribunals or adversary proceedings.

3. There is an overall duty to act fairly by ensuring that the inquiry is carried out in a fair manner and with due regard to natural justice. The duty to act fairly in a disciplinary court hearing requires that the person be aware of what the allegations are, the evidence and the nature of the evidence against him and be afforded a reasonable opportunity to respond to the evidence and to give his version of the matter.

4. The hearing is not to be conducted as an adversary proceeding but as an inquisitorial one and there is no duty on the person responsible for conducting the hearing to explore every conceivable defence, although there is a duty to conduct a full and fair inquiry or, in other words, examine both sides of the question.


5. It is not up to this Court to review the evidence as a court might do in a case of a judicial tribunal or a review of a decision of a quasi-judicial tribunal, but merely to consider whether there has in fact been a breach of the general duty to act fairly.

6. The judicial discretion in relation with disciplinary matters must be exercised sparingly and a remedy ought to be granted "only in cases of serious injustice" (Martineau No 2, p. 360). _Je souligne]

[14]            Pour ce qui est du deuxième principe énoncé dans Hendrickson, supra, il convient de noter qu'en l'espèce, le para. 43(1) de la Loi et l'al. 31(1)a) du Règlement sur le système correctionel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (ci-après le _ Règlement _) prévoient une procédure précise de production de la preuve dans le cadre d'auditions sur des infractions disciplinaires :


43. (1) L'accusation d'infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l'objet d'une audition conforme aux règlements.

43. (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.

31. (1) Au cours de l'audition disciplinaire, la personne qui tient l'audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

a) d'interroger des témoins par l'intermédiaire de la personne qui tient l'audition, de présenter des éléments de preuve, d'appeler des témoins en sa faveur et d'examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision; _je souligne_

31. (1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall give the inmate who is charged a reasonable opportunity at the hearing to

(a) question witnesses through the person conducting the hearing, introduce evidence, call witnesses on the inmate's behalf and examine exhibits and documents to be considered in the taking of the decision;

[Emphasis added]



[15]            Le sixième principe énoncé dans Hendrickson, supra, veut que la Cour n'intervienne pour accorder la réparation recherchée que s'il y a eu une injustice sérieuse. Ce principe a récemment été confirmé par la Cour d'appel fédérale dans Ross c. Canada, [2003] A.C.F. no 1047, en ligne : QL, et dans Pontbriand c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 1356 en ligne : QL.

[16]            Pour sa part, le demandeur invoque l'arrêt Cardinal c. Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, qui dit que _ la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle judiciaire considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente _ (para. 23). Il invoque également l'arrêt Porto Séguro c. Belcam S.A., [1997] 3 R.C.S. 1278, para. 29.

[17]            J'adopte pour ma part les propos du juge Muldoon dans la décision Elguindi c. Canada (Ministre de la Santé) (1ère inst.), [1997] 2 C.F. 247 (1ère inst.), para. 39, 40, 43. Le juge y indique que le principe établi dans l'arrêt Cardinal, supra, a récemment été quelque peu atténué dans l'arrêt rendu en 1994 par la Cour suprême du Canada dans Mobile Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbues extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, para. 38-39 :

L'affaire doit être renvoyée au tribunal administratif pour qu'il rende une nouvelle décision chaque fois qu'il y a eu un manquement aux règles de justice naturelle ou à l'équité procédurale selon, évidemment, le degré d'équité procédurale propre à la procédure en cause. Ce principe découle de l'arrêt Cardinal, précité, dans lequel le juge Le Dain a déclaré, à la page 661:

...j'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit.


[18]            L'exception énoncée dans Mobile Oil Canada Ltd. n'est valable que si l'issue de l'affaire était « sans espoir » ou « inéluctable » , c'est-à-dire que l'issue aurait été identique que le manquement à l'équité procédurale ait été présent ou absent. Je reprends la déclaration du juge Muldoon au para. 43 de Elguindi, supra, qui indique la question-clé :

Comme il a été manqué à l'équité procédurale, l'intimé doit démontrer hors de tout doute raisonnable que son refus de communiquer les documents en question à la requérante n'a eu aucune incidence sur l'issue de l'affaire et que leur communication aurait été une démarche inutile dans des circonstances "inéluctables".

[19]            Ainsi donc, j'adopterai la lignée jurisprudentielle découlant de la décision Hendrickson, supra, qui énonce que le demandeur doit dans un premier temps prouver le manquement à l'équité procédurale et, dans un deuxième temps, l'injustice sérieuse que cela lui a causé, à défaut de quoi la décision du tribunal sera maintenue. Toutefois, à la première étape de l'analyse, après avoir conclu à un manquement à l'équité procédurale, je me demanderai si les faits relèvent de l'exception énoncée dans Mobile Oil Canada Ltd., supra, en ce sens que l'issue de l'affaire aurait été identique même si l'équité procédure avait été entièrement respectée. Si la réponse à cette question est affirmative, il ne sera pas nécessaire de passer au deuxième volet du critère, soit l'existence d'un préjudice sérieux.

Manquements à l'équité procédurale

[20]            J'estime qu'il y a clairement eu manquement à l'équité procédurale. En effet, l'al. 31(1)a) du Règlement n'a pas été respecté. Cette disposition prévoit ce qui suit :



31(1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall give the inmate who is charged a reasonable opportunity at the hearing to

(a) question witnesses through the person conducting the hearing, introduce evidence, call witnesses on the inmate's behalf and examine exhibits and documents to be considered in the taking of the decision;

31(1) Au cours de l'audition disciplinaire, la personne qui tient l'audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

a) d'interroger des témoins par l'intermédiaire de la personne qui tient l'audition, de présenter des éléments de preuve, d'appeler des témoins en sa faveur et d'examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision;


[21]            En l'espèce, les témoins Legault et Camiré que le demandeur voulait questionner n'étaient pas présentes lors de l'audition du 20 décembre 2001 malgré qu'il en ait fait la demande formelle lors de l'audience du 18 octobre 2001 et qu'il se soit objecté à procéder sans ces témoins le 20 décembre 2001. Certes la témoin Legault était en congé de maladie à long terme le 20 décembre 2001 mais le tribunal aurait pu ajourner la cause au lieu de procéder sans témoins.

[22]            Un autre manquement à l'équité procédurale tient au fait que des éléments de preuve que le demandeur voulait présenter, c'est-à-dire son dossier de griefs et les rapports sur les quatre infractions mineures, et qu'il avait demandé pour l'audition n'ont pas été amenés devant le tribunal.

[23]            Pour ce qui est des rapports d'infraction, le défendeur admet que le tribunal n'a pas entendu en même temps les quatre rapports d'infractions mineures et les deux rapports d'infractions graves. Or, le para. 30(1) du Règlement prévoit ce qui suit :



30. (1) Where the conduct of an inmate that involves a single action, simultaneous actions or a chain of uninterrupted actions gives rise to more than one disciplinary charge, all of the charges shall be heard together.

30. (1) Lorsque la conduite du détenu, qu'elle comprenne un seul acte, des actes simultanés ou une série d'actes continus, fait l'objet de plus d'une accusation d'infraction disciplinaire, toutes ces accusations doivent être entendues en même temps.



Le para. 30(1) du Règlement relève de l'équité procédurale car le paragraphe décrit une procédure à suivre, il se trouve dans une section intitulée _ Auditions disciplinaires _ et il est entouré de dispositions qui portent toutes sur la procédure à suivre en vue ou pendant l'audition. Pour que ce paragraphe s'applique, il faut que la conduite du détenu soit incluse dans _ un seul acte, des actes simultanés ou une série d'actes continus _. Je suis du même avis que le défendeur pour ce qui est de distinguer les actes commis le 8 octobre et ceux commis le 9 octobre : je ne vois pas comment, en l'espèce, des actes commis des jours différents peuvent être une série d'actes continus. À mon sens, la proximité temporelle est nécessaire et elle ne saurait comprendre, dans le contexte d'infractions disciplinaires, des événements survenus différents jours. Cependant, pour ce qui est des actes commis le 8 octobre et qui ont donné lieu à quatre rapports, il ressort clairement des rapports que les trois premiers portent tous sur des gestes faits à 17 h 45, et que le quatrième porte sur un geste posé à 17 h 57. La quatrième infraction était clairement liée aux autres puisque que c'est le compte debout qui a entraîné les infractions à 17 h 45 et c'est le retour des agents Généreux et Campbell pour recompter le demandeur qui a donné lieu à l'infraction à 17 h 57. Par ailleurs, il convient de noter que lors de l'audience du 31 octobre 2001, le tribunal lui-même a reconnu au demandeur son droit à une seule audition pour tous les rapports d'infraction. En somme, j'estime que les quatre rapports du 8 octobre 2001 auraient dû être entendus en même temps et le fait que cela n'ait pas eu lieu constitue un manquement à l'équité procédurale.

Issue inéluctable

[24]            Selon le critère établi dans Mobil Oil Canada Ltd., supra, il faut déterminer si, malgré ce manquement à l'équité procédurale, l'issue aurait été la même, que Mmes Legault et Camiré aient témoigné ou non. J'estime que l'issue aurait effectivement été la même. En effet, comme le déclare le demandeur aux para. 68 et 69 de son mémoire sur les faits et le droit, son but en assignant les témoins Legault et Camiré à comparaître était de montrer qu'il était un professionnel de la plainte et que ses propos, à en juger de son passé, n'avaient rien de menaçant pour la sécurité d'autrui. Cela était important pour le demandeur car il affirme, en référant à l'al. 264.1(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, que les menaces doivent comporter un élément objectif et subjectif (le libellé de la disposition comprend le mot _ sciemment _). Or, je ne vois nullement dans le libellé de l'al. 40h) de la Loi qu'un élément de crainte subjective de la part de la victime de la menace soit nécessaire :                         


40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :

[...]

h) se livre ou menace de se livrer à des voies de fait ou prend part à des combats.   

40. An inmate commits a disciplinary offence who

...

(h) fights with, assaults or threatens to assault another person;



Seul l'élément objectif de la menace est nécessaire. Autrement dit, une personne raisonnable qui entendrait _ attends mon hostie de chien sale mais que je sorte, tu croiras pas à ça _ concluerait-elle qu'il s'agit là d'une menace de voie de fait? Ainsi donc, la preuve des témoins quant au passé du demandeur et à l'élément subjectif de la menace n'est pas pertinente et n'aurait donc aucunement pu amener le tribunal à décider autrement qu'il ne l'a fait. Qu'est-ce que les témoins Legault et Camiré, qui n'étaient même pas présentes lorsque les paroles ont été prononcées, auraient pu dire qui auraient pu amener le tribunal à conclure que l'expression _ attends mon hostie de chien sale mais que je sorte, tu croiras pas à ça _ ne constituait pas, objectivement parlant, une menace de voie de fait? Selon moi, rien.

[25]            Le fait que le tribunal a manqué à l'équité procédurale en ne se procurant pas un élément de preuve dont le demandeur voulait se servir, c'est-à-dire son dossier de griefs, n'a aucune incidence sur la conclusion finale du tribunal. En effet, dans ses motifs, ce dernier a dit prêter foi au demandeur qui a témoigné avoir un bon dossier de grief; le tribunal n'a pas remis en question le fait que le demandeur n'avait pas l'habitude de commettre des infractions mais qu'il avait par le passé plutôt eu recours à la procédure de plainte officielle du pénitencier quand il s'était estimé lésé.


[26]            Pour ce qui est des accusations concernant les infractions qui n'ont pas toutes été entendues en même temps, ce manquement à l'équité procédurale n'a eu et ne pouvait avoir d'incidence sur l'issue de l'audition. En effet, le demandeur a témoigné au sujet de ces infractions et du contexte général qu'il voulait prouver. Le plus important toutefois est le fait que même si le tribunal avait entendu toutes les accusations en même temps et qu'il avait acquitté le demandeur pour les infractions mineures, il l'aurait tout de même déclaré coupable des infractions graves en raison de l'aveu du demandeur d'avoir prononcé les paroles injurieuses et d'autre part de leur caractère inapproprié et inexcusable malgré les circonstances. C'est d'ailleurs ce que le tribunal lui-même a affirmé dans ses motifs. Selon le demandeur, le respect de son droit à une seule audience pour tous les rapports était essentiel à sa défense de provocation. Il voulait démontrer par l'ensemble des rapports d'infractions avoir été la cible de l'agent Généreux qui cherchait par tous les moyens à le provoquer et à le faire condamner coûte que coûte pour ses propos tout au plus insolents. Or, nous avons déjà vu que seul l'élément objectif de la menace est pertinent, ce qui élimine la pertinence de la défense de provocation.


[27]            En somme, il est vrai que l'absence des témoins Legault et Camiré, l'absence du dossier de griefs et le fait que les quatre rapports du 8 octobre 2001 n'ont pas été entendus en même temps constituent des manquements aux mesures d'équité procédurale prévues à l'al. 31(1)a) et au para. 30(1) du Règlement. Toutefois, comme l'issue du litige aurait incontestablement été la même si ces manquements n'avaient pas eu lieu, il n'est pas nécessaire d'analyser si un préjudice sérieux a été commis à l'endroit du demandeur et la décision du tribunal sera donc maintenue. J'aimerais toutefois préciser que, contrairement à la présente affaire où il était clair que le fait de respecter la procédure établie n'aurait pas eu de conséquence différente sur la conclusion du tribunal, dans d'autres cas, il est très difficile de prévoir ce que les témoins auraient dit, ce que les documents auraient permis de révéler et quel poids le tribunal aurait accordé à ces nouveaux éléments dans son évaluation globale de la preuve. Dans cette seconde catégorie de situations, l'exception de l'issue inéluctable énoncée dans Mobile Oil Canada Ltd., supra, ne peut être utilisée et il faudrait donc poursuivre l'analyse en considérant si le manquement à l'équité procédurale a engendré un préjudice sérieux pour la personne concernée.

Préjudice sérieux

[28]            Même si, à la lumière de ce qui précède, il n'est nécessaire d'aborder la question du préjudice sérieux, je ferai toutefois un commentaire sur le sujet. Le demandeur allègue que la présence dans son dossier de détenu de la condamnation pour avoir menacé de se livrer à des voies de fait contre un agent lui causera un préjudice important lorsque viendra le temps pour son équipe de gestion de cas de faire des évaluations et des recommandations en vue de décisions relatives à sa cote de sécurité et à sa mise en liberté sous condition. Lors de l'audience devant cette Cour, l'avocate du défendeur a elle-même admis que des condamnations pour des infractions disciplinaires constituent un facteur qui est considéré lorsque vient le temps de décider si le détenu devrait être mis en liberté sous condition et à quel moment. En ce sens, là où l'exception de l'issue inéluctable énoncée dans Mobile Oil Canada Ltd., supra, ne peut être utilisée, un manquement procédural qui conduit à une condamnation non méritée peut engendrer un préjudice sérieux.

B.         Le tribunal a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable dans l'appréciation de la preuve sur la menace de se livrer à des voies de fait?


[29]            Le demandeur prétend que le tribunal a erré dans son appréciation de la preuve sur la menace de se livrer à des voies de fait. Il affirme que le seul témoignage de l'agent Généreux et l'admission du demandeur selon laquelle il avait son _ franc parler _ et avait prononcé des paroles qu'on lui reprochait d'avoir dit ne constituent pas une preuve suffisante de l'élément objectif et subjectif que comporte une infraction de menace.

[30]            Le défendeur, quant à lui, affirme que le tribunal a cru l'agent Généreux qui a témoigné avoir perçu les paroles du demandeur comme des menaces. Le défendeur affirme qu'il n'était pas déraisonnable de croire l'agent Généreux compte tenu de la nature et de la virulence des paroles. Par ailleurs, objectivement parlant, une personne raisonnable aurait certainement donné aux paroles du demandeur une signification qui permettait au tribunal de déclarer le demandeur coupable de l'infraction reprochée.

[31]            Avant de procéder à l'analyse de cette question, il convient de noter le fardeau de preuve que prescrit le para. 43(3) de la Loi :


43. (3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.

43. (3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.


                                                                                                                                                                       

[32]            Ensuite, comme la jurisprudence l'a clairement établi dans de nombreuses décisions, la norme de contrôle que doit adopter la Cour lorsqu'il s'agit d'intervenir dans l'appréciation des faits par le tribunal doit être la norme manifestement déraisonnable.


[33]            Tel que discuté dans la réponse à la première question en litige, seul l'élément objectif de la menace devait être prouvé. Par conséquent, il n'avait pas à analyser le degré de crainte suscité chez l'agent Généreux ni des éléments de preuve portant sur l'intention du demandeur en prononçant les paroles en question. Pour ce qui est de l'élément objectif nécessaire pour prouver la menace, les motifs du tribunal indiquent que ce dernier a considéré tant le témoignage de l'agent Généreux que celui du demandeur, ainsi que le contenu des rapports d'infractions, et qu'il en ait arrivé à la conclusion que les paroles avaient effectivement été dites. La transcription des motifs montre de quelle façon le tribunal en est arrivé à sa conclusion (pages 65-67) :

[...]

Maintenant, la raison pour laquelle le détenu est devant la Cour, c'est concernant deux (2) rapports d'infraction concernant l'article (h) et l'article (f). Et, à cet égard-là, le témoin Généreux a donné la version qu'il a entendue de la part du détenu et le détenu a témoigné. Il a dit qu'il avait son franc-parler. Il n'était pas d'accord avec la procédure qui était utilisée par monsieur Généreux en ce qui concerne le compte. Monsieur Généreux a dit que lorsqu'il s'est présenté devant sa cellule, il a demandé à monsieur Terreault de se lever debout. Monsieur Terreault dans sa défense conteste ce fait et il dit qu'il avait déjà vu qu'il était debout et qu'il n'avait qu'à regarder. _...] Alors, si bien que monsieur Terreault ne nie pas avoir prononcé les paroles. Il dit : _Moi, ce que j'ai fait, je l'ai fait _. Et les paroles qu'il a prononcées à l'endroit de monsieur Généreux et de l'autre officier, monsieur Campbell, ces paroles-là, suivant la preuve qui a été faite, ont été dites. Ça apparaît sur le rapport et ce n'est pas nié par monsieur Terreault.

_...]

Et même si, à tous égards, monsieur Terreault avait eu raison de ne pas accepter la façon que le compte était fait - je ne dis pas qu'il avait raison, je ne me prononce pas sur ce fait-là - mais je conclus que c'était tout à fait inapproprié et inexcusable de la part du détenu de prononcer les paroles qu'il a prononcées à l'endroit des deux gardiens. _je souligne_

Le tribunal était le mieux placé pour évaluer la preuve, il a indiqué sur quels éléments il s'est fondé pour en arriver à sa conclusion et il n'y a donc pas d'erreur manifestement déraisonnable qui nécessiterait l'intervention de la Cour.


CONCLUSION

[34]            Pour les raisons indiquées ci-dessus, le contrôle judiciaire est rejeté. La décision du tribunal datée du 3 janvier 2002 est maintenue.   

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision du président indépendant du tribunal disciplinaire de l'établissement Pénitencier de Cowansville rendue le 3 janvier 2002 est rejeté.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                                                                 Juge                        


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                                         T-156-02

INTITULÉ :                              Frédéric Terreault c. Le Président du Tribunal Disciplinaire de l'établissement pénitencier de Cowansville et le Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 5 novembre 2003

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : L'honorable Juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 31 décembre 2003

COMPARUTIONS :

M. Frédéric Terreault                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Me Michelle Lavergne                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Frédéric Terreault                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


COUR FÉDÉRALE

             Dossier : T-156-02

ENTRE :

          FRÉDÉRIC TERREAULT

Demandeur

                   - et -

         LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

     DISCIPLINAIRE DE LTABLISSEMENT

       PÉNITENCIER DE COWANSVILLE et

      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                   

                                  Défendeurs

                                                                                         

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

            ET ORDONNANCE

                                                                                         


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