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Date : 20030307

Dossier : T-2216-00

Référence neutre : 2003 CFPI 286

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 MARS 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                             JANSSEN-ORTHO INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                    LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                 Janssen-Ortho Inc. (la demanderesse) cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Santé (le ministre) a radié du registre des brevets le brevet canadien 1,245,983 (le brevet 983) relatif à la formulation des timbres de fentanyl DURAGESIC.


LES FAITS

[2]                 La demanderesse est un fabricant de produits pharmaceutiques. Le 20 décembre 1991, elle a obtenu un avis de conformité délivré par le ministre relativement à un système transdermique DURAGESIC renfermant 2,5 mg, 5,0 mg, 7,5 mg ou 10,0 mg de fentanyl. Vers le 1er avril 1993, la demanderesse a soumis au ministre des listes de brevets selon le formulaire IV, qui incluaient le brevet 983 portant sur le fentanyl DURAGESIC. Par la suite, le ministre a inscrit le brevet 983 au registre des brevets pour le système transdermique DURAGESIC renfermant 2,5 mg, 5,0 mg, 7,5 mg ou 10,0 mg de fentanyl, et le brevet 983 figure depuis au registre des brevets.

[3]                 Le timbre de fentanyl DURAGESIC est un produit mixte qui réunit le fentanyl, ingrédient actif, et des ingrédients inactifs. Le fentanyl est un ingrédient couramment utilisé pour soulager la douleur cancéreuse chronique. Le timbre DURAGESIC comporte plusieurs couches, dont un réservoir contenant le médicament, le fentanyl. On applique la couche d'adhésif sur la peau du patient. Le timbre permet l'administration continue du médicament, qui pénètre à travers la peau puis passe dans la circulation sanguine, soulageant ainsi la douleur.


LE BREVET 983

[4]                 Le brevet 983 a pour titre « Administration transcutanée de fentanyl, et dispositif pour ce faire » . Il décrit un nouveau système d'administration transdermique du fentanyl, qui permet la libération continue du médicament pendant une période prolongée. Il est utilisé pour traiter la douleur chez les patients souffrant d'un cancer terminal.

[5]                 Le brevet 983 contient 65 revendications qui, toutes, décrivent un « dispositif médical » , un « système transdermique » ou un « dispositif » servant à l'administration transdermique du fentanyl ou d'un dérivé efficace sur le plan analgésique. Le brevet 983 ne contient pas de revendication pour le fentanyl en soi ou l'utilisation du fentanyl.

[6]                 Le brevet 983 a été ajouté au registre des brevets en 1993.

[7]                 Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), DORS/193-133, a été modifié le 12 mars 1998 par l'article 3, DORS/98-66. Ces modifications confirment expressément le pouvoir du ministre de vérifier la liste des brevets, qui comprend le pouvoir de radier du registre les brevets qui ne devraient pas y figurer. En 1998, le ministre a entrepris la vérification complète du registre des brevets, et c'est dans le cadre de cette vérification qu'il a décidé que le brevet 983 n'était pas conforme au Règlement et devait être radié du registre.


[8]                 Par une lettre datée du 3 mars 2000, la demanderesse a été avisée que le brevet 983 serait radié, mais qu'elle pouvait présenter des observations écrites. Dans cette lettre, Marilyn Schwartz, chef intérimaire de la Division des politiques sur les présentations et renseignements, a indiqué que le ministre avait décidé de radier le brevet 983 du registre parce qu'il avait établi que le brevet visait un dispositif médical. Selon l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd. (1999), 87 C.P.R. (3d) 525 (C.A.F.), il ne devait donc pas figurer au registre des brevets puisque celui-ci ne couvre pas les dispositifs médicaux.

[9]                 Dans une lettre datée du 31 mars 2000, la demanderesse a présenté ses observations au ministre et s'est opposée à la radiation prévue du brevet 983.

[10]            Le ministre a, dans une lettre en date du 2 novembre 2000, rejeté ces observations. Le 24 novembre 2000, la demanderesse a institué la présente demande de contrôle judiciaire, qui vise la décision du ministre. Le 20 décembre 2000, la Cour a ordonné qu'il soit sursis à l'exécution de cette décision en attendant l'issue de la présente demande.

QUESTION EN LITIGE

[11]            La seule question soulevée dans la présente demande est de savoir si le ministre a commis une erreur en décidant que le brevet 983 ne doit pas figurer au registre des brevets.


LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[12]            La demanderesse fait valoir qu'une revendication visant une formulation pharmaceutique qui réunit des ingrédients actifs et des ingrédients non médicinaux dans un but thérapeutique constitue une « revendication pour le médicament en soi » au sens des articles 2 et 4 du Règlement.

[13]            Invoquant la décision Hoffmann-La Roche Limited c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 62 C.P.R. (3d) 58 (C.F. 1re inst.), la demanderesse soutient que la définition de médicament dont s'est servi le ministre est plus étroite que celle qui est couramment acceptée.

[14]            La demanderesse dit que l'objet du Règlement est la protection contre la contrefaçon et fait valoir qu'en empêchant l'inscription des brevets qui comprennent des revendications relatives à des formulations contenant un ingrédient médicinal actif ainsi que d'autres substances, on ne favorise pas l'atteinte de cet objet.

[15]            Selon elle, les revendications du brevet 983 ne visent pas un dispositif médical, et une personne versée dans l'art dont relève l'invention saurait que le brevet porte sur un timbre.

[16]            La demanderesse ajoute que les timbres de fentanyl de DURAGESIC ont toujours été considérés comme des drogues et non des dispositifs médicaux.

[17]            La demanderesse a ensuite soutenu que la décision du ministre de radier du registre le brevet 983 est incompatible avec d'autres décisions du gouvernement, particulièrement la politique sur les produits mixtes - Produits mixtes : médicaments et matériels médicaux - introduite en 1997 (la politique de 1997), qui prévoit qu'un seul type de présentation est nécessaire pour ces produits. L'approbation du produit mixte visera soit une drogue, au sens du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, soit un dispositif, au sens du Règlement sur les instruments médicaux, DORS/198-282. La demanderesse n'a jamais été requise de présenter DURAGESIC à titre de dispositif médical.

[18]            La demanderesse ajoute qu'il est illogique que son produit doive se conformer à la réglementation sur les drogues, par exemple en ce qui concerne le contrôle des prix, alors que le ministre considère qu'il s'agit d'un dispositif médical au sens du Règlement, produit qui est exclu du bénéfice du Règlement.


[19]            La demanderesse a établi une distinction entre les faits de l'espèce et ceux de l'arrêt Glaxo Group Limited c. Novopharm Limited (1999), 87 C.P.R. (3d) 525 (C.A.F.). Dans cet arrêt, la Cour a conclu qu'un inhalateur utilisé pour administrer un médicament était un dispositif médical. Cependant, dans le cas du brevet 983, le dispositif qui contient le médicament reste sur le patient pendant l'administration du médicament.

[20]            Enfin, la demanderesse établit une analogie avec les crèmes et les comprimés, soutenant que la formulation du fentanyl DURAGESIC agit comme une crème topique, qui adhère à la peau de manière à permettre le passage de l'ingrédient actif dans la circulation sanguine.

LES PRÉTENTIONS DES DÉFENDEURS

[21]            Les défendeurs s'appuient sur l'arrêt Glaxo, précité, pour établir la distinction entre un médicament et un dispositif qui administre un médicament. Ils font valoir que les revendications du brevet 983 ne traitent ni du médicament, le fentanyl, ni de son utilisation, mais d'un dispositif servant à administrer aux patients du fentanyl ou un dérivé.

[22]            Les défendeurs disent que les faits de la décision Hoffmann-La Roche, précitée, diffèrent de ceux de l'espèce. Dans cette décision, le litige portait sur un vaporisateur nasal dont la formulation renfermait un médicament contenant des ingrédients actifs et inactifs. Dans la présente affaire, les défendeurs prétendent que le timbre DURAGESIC est distinct de la composante médicament et ne peut être assimilé à une formulation.

[23]            En ce qui concerne l'argument selon lequel il y a incohérence dans la manière dont le gouvernement traite le brevet, les défendeurs plaident que la question de savoir si les timbres DURAGESIC sont régis par le Règlement sur les aliments et drogues est étrangère au présent litige et ne devrait pas être prise en considération pour interpréter un brevet.

ANALYSE

[24]            La présente demande exige que l'on examine le Règlement. Les termes « revendication pour le médicament en soi » , « revendication pour l'utilisation du médicament » et « médicament » sont définis de la façon suivante à l'article 2 du Règlement :


[...]

« revendication pour le médicament en soi » S'entend notamment d'une revendication, dans le brevet, pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes.

...

"claim for the medicine itself" includes a claim in the patent for the medicine itself when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents;

« revendication pour l'utilisation du médicament » Revendication pour l'utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l'atténuation ou de la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes.

"claim for the use of the medicine" means a claim for the use of the medicine for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof;

[...]

« médicament » Substance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes.

...

"medicine" means a substance intended or capable of being used for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof;


[25]            Le paragraphe 3(1) et l'alinéa 4(2)b) du Règlement sont aussi applicables. Ils sont libellés de la façon suivante :



3(1) Le ministre tient un registre des renseignements fournis aux termes de l'article 4. À cette fin, il peut refuser d'y ajouter ou en supprimer tout renseignement qui n'est pas conforme aux exigences de cet article.

3(1)The Minister shall maintain a register of any information submitted under section 4. To maintain it, the Minister may refuse to add or may delete any information that does not meet the requirements of that section.

4(2) La liste de brevets au sujet de la drogue doit contenir les renseignements suivants :

[...]

b) tout brevet canadien dont la personne est propriétaire ou à l'égard duquel elle détient une licence exclusive ou a obtenu le consentement du propriétaire pour l'inclure dans la liste, qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament, et qu'elle souhaite voir inscrit au registre;

[...]

4(2) A patent list submitted in respect of a drug must

...

(b) set out any Canadian patent that is owned by the person, or in respect of which the person has an exclusive licence or has obtained the consent of the owner of the patent for the inclusion of the patent on the patent list, that contains a claim for the medicine itself or a claim for the use of the medicine and that the person wishes to have included on the register;

...


[26]            La première question qu'il convient d'examiner est de savoir si les timbres DURAGESIC sont des médicaments.

[27]            Les tribunaux se sont déjà penchés sur la question de savoir ce qui constitue un « médicament » dans le contexte du Règlement. Dans la décision Hoffmann-La Roche, précitée, le litige portait sur un vaporisateur nasal qui était composé d'un ingrédient actif et de plusieurs ingrédients inactifs servant à acheminer le médicament à la région visée. La Cour a conclu que la définition de « médicament » comprenait les compositions contenant des ingrédients actifs et inactifs.


[28]            En première instance, dans la décision Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 488 (C.F. 1re inst.), la juge Tremblay-Lamer a examiné la question de savoir si le terme « médicament » pouvait être élargi de manière à englober les dispositifs utilisés pour administrer des substances actives aux patients. Selon cette décision, les facteurs déterminants sont de savoir si les ingrédients inactifs sont physiquement mélangés au médicament et s'ils sont absorbés par le corps en tant que composition unique. La Cour a repris l'interprétation de « médicament » donnée dans la décision Hoffmann-La Roche, précitée, et a ajouté, aux pages 492 et 493 :

[...] La question litigieuse est celle de savoir si la définition du terme « médicament » peut être élargie de manière à englober des substances qui ne sont rien d'autre que des dispositifs utilisés pour administrer des substances actives à des patients, mais qui ne sont pas ingérées par le corps. Les requérantes insistent pour dire que le fait que l'ingrédient inactif ne soit pas ingéré par le patient est sans importance. Dès lors que son rôle consiste à acheminer l'ingrédient actif au patient, il est conforme au raisonnement suivi dans le jugement Hoffmann-La Roche.

À mon avis, l'interprétation que les requérantes font du jugement Hoffmann-La Roche est incorrecte. Cette affaire portait explicitement sur les compositions d'ingrédients actifs et d'ingrédients inactifs, comme l'enrobage et les transporteurs inertes, qui sont physiquement mélangés ensemble et qui sont ingérés dans le corps comme une composition unique. Il est évident que l'on ne voulait pas assimiler les dispositifs mécaniques à un ingrédient inactif.

[...]

[TRADUCTION] J'estime donc que le Règlement n'élargit pas le sens du mot « substance » de manière à y assimiler les dispositifs mécaniques composés de métal et de plastique qui ne peuvent être ingérés par le corps.

[29]            La Cour d'appel fédérale a entériné cette interprétation, même si elle a infirmé la décision pour d'autres motifs dans l'arrêt Glaxo, précité, dans lequel elle a dit, à la page 527 :

Quant à la question de fond soulevée par Glaxo dans son appel incident, nous convenons avec le juge de première instance que les brevets en litige, qui ont trait à des dispositifs permettant d'administrer des médicaments à des patients - ou à ces derniers de s'administrer eux-mêmes ces médicaments - plutôt qu'à la substance administrée, ne constituent pas des brevets visant un « médicament » au sens où l'entend le Règlement.

[30]            L'argument de la demanderesse selon lequel le timbre DURAGESIC agit de la même manière qu'une crème topique ne me convainc pas. S'il est vrai que le timbre comprend une couche d'adhésif qui se fixe à la peau, d'autres composantes du timbre ne peuvent être absorbées par l'organisme. En particulier, la membrane qui contrôle la libération de la substance, le réservoir renfermant le médicament et la garniture protectrice détachable ne sauraient être considérés comme des « médicaments » selon la décision Hoffmann-La Roche, précitée, et l'arrêt Glaxo, précité. À mon avis, le timbre n'est pas un médicament et il existe une analogie avec l'affaire Glaxo où la Cour a conclu que l'inhalateur n'était pas un médicament.

i) Les mots employés dans le brevet indiquent-ils que les timbres DURAGESIC sont des médicaments?

[31]            La page 1 du brevet 983 est rédigée de façon suivante :

[TRADUCTION] L'invention porte sur l'administration de fentanyl à des fins analgésiques et plus particulièrement sur une méthode et un dispositif d'administration du fentanyl à un sujet à travers la peau intacte à un taux essentiellement constant pendant une période prolongée.

[32]            Dans le brevet 983, les timbres DURAGESIC sont désignés sous les termes « dispositif » , « dispositif médical » ou « système transdermique » . La demanderesse fait valoir qu'une personne versée dans l'art dont relève l'invention qui lit le brevet 983 saurait que « dispositif » désigne en fait un timbre.

[33]            À mon avis, une personne versée dans l'art dont relève l'invention saurait que le brevet 983 décrit un timbre, mais cela ne veut pas dire que, pour l'application du Règlement, un tel timbre est couvert par la définition de « médicament » .

[34]            La Cour a été saisie de faits semblables dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2002] A.C.F. no 1387 (1re inst.) (QL). L'article breveté examiné était un timbre qui libérait de l'oestrogène et de la progestine à travers la peau pour réduire les symptômes de la ménopause et prévenir l'ostéoporose. Le juge MacKay a dit au nom de la Cour, au paragraphe 17 :

Le brevet 021 a été délivré à l'égard d'un [traduction] « système thérapeutique pour l'administration [...] d'oestrogènes et de progestatifs » , c'est-à-dire un système visant l'administration de substances, et non à l'égard des substances elles-mêmes. À mon avis, il résulte que l'objet du brevet 021 n'est pas analogue à l'objet du brevet 963 (concernant une [traduction] « composition » de substances dans un contenant), jugé conforme au Règlement AC dans la décision Hoffman-La Roche. L'objet du brevet 021 est plutôt analogue à l'objet du brevet 917 (brevet concernant « un dispositif servant à administrer des médicaments » ), au sujet duquel la Cour a conclu, dans la décision Glaxo, qu'il n'était pas un brevet satisfaisant au Règlement AC. Le brevet 021, qui vise un système d'administration de médicaments, ne comporte pas de revendication pour le médicament en soi ni pour l'utilisation du médicament, comme le prévoit l'alinéa 4(2)[b]) du Règlement AC.


[35]            Aucune des 65 revendications du brevet 983 ne vise le médicament fentanyl en soi ou son utilisation. Par conséquent, le brevet n'est pas couvert par l'alinéa 4(2)b) du Règlement qui prévoit qu'une liste soumise au sujet d'une drogue doit contenir tout brevet canadien qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament. Puisque les timbres DURAGESIC ne sont pas couverts par la définition de médicament et que le brevet 983 ne contient aucune revendication pour le fentanyl ou son utilisation, le brevet 983 ne peut être inclus dans la liste de brevets.

ii) La politique sur les produits mixtes : médicaments et matériels médicaux

[36]            Le système de traitement des présentations relatives à des produits mixtes est décrit dans la politique de 1997. On y définit de la façon suivante un « produit mixte » :

Produit thérapeutique réunissant une composante médicament et une composante matériel médical (qui seraient séparément classifiées comme étant soit un médicament soit un matériel médical), de manière telle que les natures distinctes de la composante médicament et de la composante matériel médical sont intégrées en un seul produit.

[37]            La demanderesse prétend qu'il est illogique que les timbres DURAGESIC soient régis par la Loi sur les aliments et drogues, mais qu'ils ne puissent pas bénéficier du Règlement. Elle ajoute que le timbre DURAGESIC a toujours été régi par le Règlement sur les aliments et drogues.

[38]            Le point soulevé par la demanderesse est justifié, mais la politique elle-même reconnaît que les régimes actuels en matière de drogues et de dispositifs présentent des lacunes. L'extrait suivant est tiré de la politique :

Il faudra à la limite modifier le Règlement sur les aliments et drogues et/ou le Règlement sur les instruments médicaux afin d'instaurer un cadre réglementaire approprié pour les nouveaux produits thérapeutiques difficiles à classer dans le contexte des régimes actuels, dont les produits mixtes.

[39]            Il n'est cependant pas approprié, à mon avis, que la Cour élargisse la définition de « médicament » donnée au Règlement pour qu'elle soit conforme à un document de politique. De plus, cette politique n'a rien à voir avec l'interprétation du brevet 983. L'interprétation des brevets est une question de droit : voir Whirlpool Corp. c. Camco Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 129 (C.S.C.).

[40]            Le brevet 983 ne contient ni une revendication pour le médicament en soi ni une revendication pour l'utilisation du médicament, revendications prévues à l'alinéa 4(2)b) du Règlement. La question de savoir si l'objet du brevet est régi par la Loi sur les aliments et drogues ou le Règlement sur les instruments médicaux n'est pas pertinente pour interpréter le brevet 983. Ainsi, la Cour a dit, dans la décision Novartis, précitée, aux paragraphes 18 et 19 :

La demanderesse soutient que le ministre a commis une erreur en concluant que le timbre visé est un « instrument » , bien qu'il soit réglementé comme un médicament au titre du Règlement sur les aliments et drogues. Elle fait remarquer que l'article 2 du Règlement sur les aliments et drogues définit le mot « instrument » comme un article utilisé, notamment, pour le traitement d'une maladie, ce qui n'est pas un médicament.

À mes yeux, le régime établi par la Loi sur les aliments et drogues et le Règlement sur les aliments et drogues qui l'accompagne est différent du régime établi par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et vise un autre but. Cette distinction des deux régimes, sous l'angle d'autres considérations, a été reconnue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Merck Frosst & Co. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 12 C.P.R. (4th) 383.


[41]            La Loi sur les brevets, S.R.C. 1985, ch. P-4, et le Règlement ont pour objet de protéger les inventions et les médicaments brevetés. La demanderesse dit que la décision du ministre de retirer le brevet 983 de la liste va à l'encontre de cet objet. Je n'accepte pas cet argument. Le juge Binnie, s'exprimant au nom des juges dissidents de la Cour suprême du Canada, a reconnu, dans l'arrêt Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] A.C.S. no 77, qu'un brevet protège son titulaire contre l'utilisation non autorisée de son invention pendant un temps limité, mais il a dit, au paragraphe 64 : « Un brevet ne soustrait pas son titulaire à l'application de toute réglementation ou interdiction pertinente. »

[42]            Pour les motifs susmentionnés, je conclus que le brevet 983 n'est pas un médicament au sens du Règlement et, par conséquent, qu'il ne satisfait pas aux conditions d'inscription au registre compte tenu de la définition de l'article 2 du Règlement et de l'alinéa 4(2)b) du Règlement. La question de savoir si le ministre a commis ou non une erreur en utilisant le terme « dispositif » pour désigner le timbre n'est pas déterminante en l'espèce. Je renvoie une fois de plus à la décision Novartis, précitée, de la Cour, où le juge MacKay a, au paragraphe 20, résumé de la façon suivante l'élément principal à examiner :

Quoi qu'il en soit, je n'ai pas à trancher la question de savoir si le ministre a commis une erreur en considérant le timbre cutané visé comme un « instrument » . La question que je suis appelé à trancher est de savoir s'il a commis une erreur en concluant que le timbre en question ne pouvait être inscrit au registre des brevets en vertu du Règlement AC. Or, le ministre ne s'est pas fondé sur son assimilation du timbre à un instrument pour conclure que le timbre ne pouvait être inscrit au registre des brevets aux termes du Règlement AC.

[43]            Par conséquent, la décision de retirer le brevet de la liste ne contrevient pas aux principes du droit des brevets. À l'instar des brevets relatifs à la drogue fentanyl en soi, le brevet 983 reste valide et exécutoire jusqu'à son expiration, malgré la décision de le radier du registre. La demanderesse a le droit de bénéficier du Règlement pour le brevet à l'égard des composantes médicaments du timbre DURAGESIC, mais pas à l'égard des produits qui ne sont pas des « médicaments » au sens du Règlement.


[44]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés aux défendeurs.

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés aux défendeurs.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon de Azevedo, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              T-2216-00

INTITULÉ :                           Janssen-Ortho Inc. c. Le ministre de la Santé et le procureur général du Canada

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 9 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                madame la juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                     le 7 mars 2003

COMPARUTIONS :

Anthony Creber

Jennifer Wilke                           POUR LA DEMANDERESSE

Marie Crowley                          POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson                   POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LES DÉFENDEURS

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