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Date : 20040430

Dossier : T-1390-02

Référence : 2004 CF 633

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                                  BRUCE LEVY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                             MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                M. Bruce Levy est un fonctionnaire attaché au service extérieur du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI). En 2001, il a passé sans succès un concours pour un poste de niveau EX-1. Il a voulu interjeter appel des résultats du concours, mais il n'a pu respecter la date limite d'appel en raison de son départ en congé avec sa famille. Il a quand même fait appel, mais le comité d'appel de la Commission de la fonction publique l'a débouté en concluant à l'absence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient la prolongation du délai d'appel prévu.

[2]                M. Levy soutient que le comité était dans l'erreur et il me demande d'annuler sa décision. Je ne parviens pas à déceler une erreur quelconque de la part du comité d'appel et il me faut, partant, rejeter la demande de contrôle judiciaire.

I. Questions en litige

[3]                M. Levy soulève trois questions :

1.          Quelle est la norme de contrôle appropriée au regard de la décision du comité?

2.          Le comité a-t-il interprété et appliqué de façon erronée la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 et le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique,2000, DORS/2000-80?

3.          Le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, 2000 va-t-il au delà du pouvoir de réglementation prescrit par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique?

II. Analyse

1.          Quelle est la norme de contrôle appropriée au regard de la décision du comité?

[4]                Le défendeur soutient que je ne devrais intervenir que si je conclus que la décision du comité était déraisonnable. M. Levy, pour sa part, est d'avis que je devrais annuler la décision du comité si j'estime qu'elle est erronée sur le plan légal.

[5]                Le comité devait décider si les faits entourant l'expiration de la date limite constituaient des circonstances exceptionnelles échappant à la volonté de M. Levy et s'ils avaient empêché le demandeur d'interjeter appel dans le délai imparti : Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, 2000, paragraphe 21(2); (les dispositions législatives pertinentes figurent en annexe). Autrement dit, le comité devait déterminer si les faits en question répondaient à une norme légale précise. En règle générale, les tribunaux font preuve d'une certaine retenue envers les décideurs appelés à trancher pareils cas et ils n'interviendront que s'ils concluent au caractère déraisonnable de leurs décisions : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (QL). La norme du raisonnable s'appliquera ordinairement. Cependant, dans les circonstances de l'espèce, il n'est pas nécessaire que je conclue définitivement sur ce point car rien ne porte là-dessus. À mon sens, la décision du comité était correcte.

2.          Le comité a-t-il interprété et appliqué de façon erronée la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, 2000?


[6]                Le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, 2000 autorise les candidats non reçus à interjeter appel des résultats d'un concours dans un délai restreint de 14 jours (paragraphe 21(1)). Il prévoit, par ailleurs, une exception à cette règle en cas de circonstances contraignantes. Le Règlement dit expressément qu'un candidat peut déposer un appel tardif si « des circonstances exceptionnelles indépendantes de sa volonté l'ont empêché de le faire dans ce délai » (paragraphe 21(2)). Pour se prévaloir de cette exception, les demandeurs doivent fournir des preuves satisfaisant à trois critères :

•            il faut « des circonstances exceptionnelles » ;

•            ces circonstances doivent être « indépendantes de [la] volonté » de l'intéressé; et

•            ces circonstances doivent avoir empêché l'intéressé d'interjeter appel dans le délai imparti.

[7]                Le comité a conclu, dans ce cas-ci, qu'aucun de ces critères n'a été satisfait. Je vais les étudier successivement.

A. Circonstances exceptionnelles

[8]                Le Règlement dispose qu'un candidat non reçu à un concours doit normalement interjeter appel dans les 14 jours suivant la date à laquelle il a été informé des résultats. Cette période court à partir du moment où les résultats lui sont transmis par un moyen électronique (paragraphe 20(c) du Règlement).

[9]                M. Levy a quitté Ottawa le 27 juin 2002 pour camper avec sa famille en Europe du Nord. Le lendemain de son départ, le MAECI a transmis aux candidats, par courriel, les résultats du concours. Le délai d'appel prenait fin le 12 juillet 2002. Le jour suivant, qui était un samedi, M. Levy est revenu de congé, a pris connaissance de son courriel et constaté que le délai d'appel avait expiré; il a alors rassemblé ses documents et interjeté appel le premier jour ouvrable suivant, soit le lundi 15 juillet 2002. Y a-t-il là des circonstances exceptionnelles?

[10]            Le comité d'appel a déclaré que le fait de prendre des vacances n'avait rien d'exceptionnel, ce qui est évident. De nombreux employés prennent deux semaines de congé ou plus. M. Levy soutient que son cas est unique et, partant, exceptionnel, en raison des circonstances qui l'entourent. Ainsi, le MAECI était au courant, depuis quelque temps déjà, de son intention d'en appeler des résultats du concours et de ses plans de voyage. En outre, le ministère a choisi de communiquer les résultats du concours, et déclencher par conséquent le compte à rebours du délai d'appel, à la seule date qui mettait le demandeur dans l'impossibilité d'interjeter appel en temps voulu. M. Levy n'allègue pas la mauvaise foi du ministère, mais plutôt que les circonstances entourant son cas sont nettement exceptionnelles.


[11]            J'admets que les faits relatés en l'espèce sont inhabituels, que M. Levy s'est trouvé dans une situation difficile et qu'il a été lésé à cause de la concordance de ses vacances avec le délai d'appel. Mais il ne m'est pas possible de voir là des circonstances exceptionnelles. Le concours était largement ouvert - 267 candidats admissibles y ont pris part - et je ne peux imaginer que le MAECI se soit arrangé pour frustrer précisément M. Levy de son droit d'appel en communiquant les résultats du concours durant son congé.

[12]            Un délai d'appel de 14 jours correspondra parfois avec le congé d'un candidat ou se situera dans cette période-là. Je ne peux conclure, dans pareille conjoncture, qu'il y a là des circonstances exceptionnelles. Il faut quelque chose de plus. Le comité d'appel a donc décidé, à juste titre, que M. Levy n'avait pas fait la preuve de telles circonstances.

B. Indépendantes de la volonté du candidat

[13]            Même si l'on tenait pour exceptionnelles les circonstances de M. Levy, peut-on dire qu'elles étaient indépendantes de sa volonté? Le comité a conclu que l'intéressé savait que les résultats du concours pouvaient être communiqués à tout moment, y compris durant ses vacances. Il aurait pu changer sa date de congé car il était maître de son emploi du temps. Les circonstances qui ont retardé son appel dépendaient entièrement de sa volonté. Encore une fois, le comité ne s'est pas trompé en concluant comme il l'a fait.

C. Empêchement de faire appel


[14]            De même, le comité n'a pas eu tort de conclure que les circonstances propres à M. Levy ont empêché celui-ci d'interjeter appel. De l'avis du comité, M. Levy aurait pu prendre des mesures en vue de s'assurer qu'on l'informera des résultats du concours ou que l'appel sera interjeté en temps dû, durant ses vacances. Sans doute M. Levy, et peut-être toute sa famille, auraient trouvé cela dérangeant et ennuyeux, mais je ne peux pas affirmer que le demandeur a été en fait empêché d'interjeter appel parce qu'il se trouvait à l'étranger. Le comité a eu raison de tirer cette conclusion.

[15]            M. Levy a déclaré également que le comité a interprété le Règlement de façon incompatible avec le principe de la sélection fondée sur le mérite, énoncé à l'article 10 de la Loi. Pour que ce principe ait un sens quelconque, dit-il, il faut disposer d'un moyen juste et efficace permettant aux candidats non reçus de contester les résultats d'un concours. Il soutient que l'interprétation du comité enfreint le principe de la sélection au mérite du fait qu'elle a eu pour effet d'éteindre son droit, en tant que candidat non reçu, à contester le concours.

[16]            Je suis d'accord pour dire avec M. Levy que le principe de la sélection fondée sur le mérite devrait animer et orienter l'interprétation de la Loi et du Règlement. Cependant, les dispositions réglementaires régissant les appels sont claires. La dérogation au délai d'appel habituel est restreinte et l'interprétation du comité se fonde sur les termes exprès du Règlement. Si le comité l'avait interprété de façon à faire échec arbitrairement ou injustement au droit d'appel d'une personne, le principe de la sélection au mérite pourrait bien s'en ressentir. Ce n'est cependant pas ce que le comité a fait en l'espèce.


3. Le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique va-t-il au delà du pouvoir de réglementation prévu par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique?

[17]            À titre subsidiaire, M. Levy soutient que si la disposition qui autorise la prolongation du délai d'appel de 14 jours ne s'applique pas à sa propre situation, alors le Règlement n'est pas valide. Il n'est pas possible, dit-il, que le Parlement ait eu l'intention de permettre à la Commission de la fonction publique de mettre fin, aussi injustement, au droit d'appel.

[18]            La Loi sur l'emploi dans la fonction publique reconnaît aux candidats non reçus le droit d'interjeter appel et autorise la Commission de la fonction publique à fixer, par règlement, un délai à cet égard (paragraphe 21(1)). M. Levy prétend que la Loi dit implicitement que le délai d'appel court de la date où le candidat non reçu a été effectivement avisé des résultats du concours, contrastant ainsi avec le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, 2000 qui, lui, dispose que le délai d'appel commence au moment où le candidat « est réputé [en] avoir été informé » (article 21). M. Levy, par exemple, était « réputé avoir été informé » le jour où lesdits résultats lui ont été communiqués par voie électronique. C'est à son retour seulement qu'il a pu lire son courriel et, par conséquent, n'a pas été réellement informé jusque-là de ces résultats, c'est-à-dire après l'expiration du délai d'appel.


[19]            De l'avis de M. Levy, le Règlement est injuste; il ne s'accorde pas avec l'esprit de la Loi et n'est donc pas valide. J'admets que le Règlement est de nature stricte et qu'il impose aux candidats non reçus le soin de connaître leurs droits, leurs responsabilités, les remèdes dont ils disposent, et de prendre les mesures voulues pour protéger leurs intérêts. Mais je ne trouve rien dans le Règlement qui soit incompatible avec la Loi. Le Parlement a confié à la Commission le soin de régler les détails du processus d'appel, ce qu'elle a fait. Le Règlement est valide.

[20]            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                                                                                                                          « James W. O'Reilly »          

                                                                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.




Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (2000), DORS/2000-80

Date

20. Pour l'application de l'article 19, le candidat non reçu est réputé avoir été informé:

                                             [...]

c) la date de transmission, si la lettre est transmise par un moyen électronique;

Délai

21. (1) Pour l'application des paragraphes 21(1) et (1.1) de la Loi, l'appel est interjeté par envoi d'un document écrit à la Commission dans les quatorze jours suivant la date à laquelle le candidat non reçu est réputé avoir été informé selon l'article 20.

Circonstances exceptionnelles

(2) Sous réserve du paragraphe (3), le comité d'appel visé à l'article 21 de la Loi peut autoriser le candidat non reçu à interjeter appel après l'expiration du délai d'appel, si des circonstances exceptionnelles, indépendantes de sa volonté, l'ont empêché de le faire dans ce délai.

Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33

Nominations au mérite

10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

Idem

(2) Pour l'application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

Appels

21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

Public Service Employment Regulations, 2000, SOR/ 2000-80

Dates

20. For the purpose of section 19, an unsuccessful candidate is considered to have been informed on the day that is

                                               ...

(c) if a letter is sent by electronic media, the date it is transmitted; and

Appeal period

21. (1) For the purposes of subsections 21(1) and (1.1) of the Act, an appeal shall be brought by sending a written document to the Commission within 14 days after the date on which the unsuccessful candidate is considered to have been informed under section 20.

Exceptional circumstances

(2) Subject to subsection (3), the appeal board referred to in section 21 of the Act may authorize an unsuccessful candidate to bring an appeal after the appeal period expires if exceptional circumstances beyond the candidate's control prevent their bringing an appeal within that period.

Public Service Employment Act, R.S.C. 1985, c. P-33

Appointments to be based on merit

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

Idem

(2) For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

Appeals

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.



                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1390-02

INTITULÉ :                                       BRUCE LEVY c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 25 février 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                     Le 30 avril 2004

COMPARUTIONS :

Paul Champ                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Monika Lozinska                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RAVEN, ALLEN, CAMERON & BALANTYNE                   POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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