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Date : 20030513

Dossier : T-1225-02

Référence neutre : 2003 CFPI 588

ENTRE :

                                                          TONIA VAN DE WETERING

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                              - et -

                                             LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                 Les présents motifs font suite à l'audience tenue à Vancouver le jeudi 8 mai 2003, relativement à une demande de contrôle judiciaire de la décision de Monsieur D.H. Medhurst, un membre de la Commission d'appel des pensions désigné en vertu du paragraphe 83(2.1) du Régime de pensions du Canada[1], par laquelle a été rejetée la demande d'autorisation d'interjeter appel de la décision du tribunal de révision en date du 29 juin 2001, présentée par la demanderesse. La décision objet du présent contrôle judiciaire est datée du 2 avril 2002.


[2]                 Voici l'essentiel de la décision objet du présent contrôle judiciaire :

[TRADUCTION] D'abord et avant tout, on doit compatir aux problèmes de santé de l'appelante ainsi qu'à ses problèmes avec le ministère.

Cependant, la question en litige dans le présent appel est tout simplement de savoir si l'appelante reçoit les montants combinés de pension de retraite et de pension de survivant auxquels elle a droit. La pension de retraite est calculée conformément aux paragraphes 46(1) et 46(2) du Régime de pensions du Canada. La formule est 25 p. 100 de l'ensemble des gains ajustés ouvrant droit à pension pendant la période cotisable. Ce montant est réduit de 0,5 p. 100 pour chacun des mois que compte l'intervalle entre le début de la pension de retraite et le mois où le cotisant atteint l'âge de 65 ans. D'après nos informations, ceci équivaut à 267,10 $.

La pension de survivant d'autre part est calculée conformément à l'alinéa 58(2)c). Elle équivaut à 60 p. 100 de 232,97 $ réduit de 40 p. 100 et est égale à 83,87 $. Je ne conclus à aucune erreur se rapportant à la méthode de calcul ou au montant calculé. L'autorisation d'interjeter appel est donc refusée[2].

CONTEXTE

[3]                 La demanderesse est née en Hollande en avril 1935. Elle est entrée au Canada en 1971. Elle a travaillé et a cotisé pendant 25 ans en vertu du Régime de pensions du Canada. En 1995, elle a cessé de travailler pour prendre soin de son conjoint de fait malade dont le décès est survenu l'année suivante. La demanderesse a reçu une pension de survivant à partir de mai 1996 en vertu du Régime de pensions du Canada.

[4]                 Le 24 avril 1996, peu de temps après le décès de son mari, la demanderesse a subi de graves blessures à la tête à la suite d'une agression. Elle n'a pas travaillé depuis lors.

[5]                 La demanderesse a fait une demande de pension de retraite en octobre 1999, indiquant qu'elle devait prendre effet en avril 2000. Sa demande a été acceptée et elle a obtenu une pension combinée de retraite et de survivant de 454,11 $ par mois. En mai 2000, le mois qui a suivi celui au cours duquel la demanderesse a atteint l'âge de 65 ans, le montant de sa pension combinée a été réduit à 350,97 $ par mois.

[6]                 La demanderesse était d'avis que le montant réduit de sa pension combinée n'avait pas été correctement calculé, en particulier en ce que le calcul de sa « période cotisable » n'avait pas tenu compte de son invalidité prolongée survenue à la suite de l'agression dont elle avait été victime. La demanderesse a fait valoir ses prétentions auprès de Développement des ressources humaines Canada et plus tard devant le tribunal de révision, mettant l'accent dans chaque cas sur son invalidité et sans succès dans les deux cas.

[7]                 Il s'en est suivi sa demande d'autorisation d'interjeter appel devant la Commission d'appel des pensions, demande qui a entraîné la décision objet du présent contrôle judiciaire.

[8]                 Dans sa demande d'autorisation d'interjeter appel, la demanderesse a indiqué ce qui suit :

[TRADUCTION] Je crois que le calcul des pensions n'est pas exact parce que le temps écoulé depuis ma blessure, en avril 1996, n'a pas été soustrait du calcul de ma période cotisable.

Si l'autorisation est accordée, voici ma déclaration sur les allégations de fait, les dispositions sommaires et les motifs que j'ai l'intention de présenter à l'appui de mon appel pour établir que la décision devrait être annulée ou modifiée.

[...]


4.              Depuis l'accident [l'agression], j'ai une invalidité me rendant incapable de détenir un emploi et je n'ai pas travaillé et je crois que je réponds au critère d'invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada. Ainsi, je pense que les mois à compter d'avril 1996 devraient être retirés du calcul et que mon admissibilité [devrait être] ajustée.

5.              Ci-joint une lettre de mon médecin en date du 20 mars 2001 ainsi que d'autres documents à l'appui[3].

LA QUESTION EN LITIGE DANS LA PRÉSENTE DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[9]                 La seule question soulevée au nom de la demanderesse était de savoir si le décideur avait commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision ci-dessus citée en n'examinant pas la question soulevée par la demanderesse, à savoir, si elle avait droit à l'exclusion des 48 mois entre avril 1996 et mars 2000 de sa période cotisable aux fins de calcul de sa pension de retraite conformément à l'alinéa 49c) du Régime de pensions du Canada, en raison de son invalidité durant la période.

ANALYSE

[10]            Dans la décision Callihoo c. Canada (Procureur général)[4], le juge MacKay a écrit au paragraphe 15 :

Sur le fondement de cette jurisprudence récente, je suis d'avis que le contrôle d'une décision relative à une demande d'autorisation d'interjeter appel à la CAP donne lieu à deux questions :


1.                      la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c'est-à-dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d'être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;

2.                    La question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d'appréciation des faits au moment de déterminer s'il s'agit d'une demande ayant des chances sérieuses d'être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n'a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d'accorder l'autorisation.

[11]       Dans les observations qui me sont soumises, le représentant de la demanderesse soutient que le décideur n'a tout simplement pas examiné la première question précisée par le juge MacKay, c'est-à-dire si la demanderesse a soulevé ici une cause défendable relativement au calcul de sa période cotisable. Le représentant de la demanderesse a soutenu que le décideur, abstraction faite de la compassion exprimée envers la demanderesse, n'a tout simplement pas tenu compte du fondement de sa demande d'autorisation et a sans aucun doute omis d'analyser de manière significative, sinon pas du tout, si les motifs présentés par la demanderesse soulèvent une cause défendable.

[12]       J'accepte les observations présentées au nom de la demanderesse.

[13]       Dans Lima c. Le ministre du Développement des ressources humaines[5], le juge Nadon, alors juge à la Section de première instance de la Cour, a conclu en ces termes :


Par conséquent, la question que devait examiner le membre de la CAP était celle de savoir si le demandeur avait une cause défendable quant au fait qu'il souffrait du syndrome de douleur chronique et qu'il ne pouvait plus, pour cette raison, détenir une occupation véritablement rémunératrice. À la lecture des motifs de K. E. Meredith, qui a refusé au demandeur la permission d'interjeter appel, je ne puis conclure qu'il a tranché ni même examiné cette question avant de rendre sa décision.

J'accueillerai donc la demande de contrôle judiciaire du demandeur et je renverrai l'affaire à la CAP pour réexamen. Il va sans dire que je ne conclus pas, ni même ne suggère, que le demandeur a une cause défendable. C'est au membre de la CAP qu'il appartient de trancher cette question à partir de la preuve qui lui sera soumise.

[14]       Je suis convaincu qu'on pourrait exactement dire la même chose des faits de l'espèce.

[15]       L'avocate du défendeur a cité l'arrêt Procureur général du Canada c. Storto[6] sans lequel, le juge Desjardins a écrit pour une formation de la Cour d'appel fédérale :

Contrairement à ce que la Commission a compris, il n'y a pas eu de conclusion expresse d'invalidité en application du Régime et, par conséquent, le cotisant défunt n'a jamais été considéré comme invalide aux fins de l'alinéa 42(2)a) du Régime [Régime de pensions du Canada].

Plus loin dans ses motifs, le juge Desjardins a conclu :

De toute évidence, la Commission ne pouvait appliquer l'alinéa 49c) du Régime aux circonstances de la présente affaire. Puisque le cotisant défunt n'a jamais été considéré comme invalide, il n'appartenait pas à la Commission de soustraire de la période cotisable requise pour obtenir une prestation de décès et une rente de survivant « un mois qui, en raison d'une invalidité, est exclu de la période cotisable de ce cotisant conformément à la présente Loi ... » .

[Non souligné dans l'original.]


[16]       L'avocate du défendeur a soutenu que le raisonnement du juge Desjardins s'appliquait également aux faits de l'espèce et je suis d'accord que c'est effectivement le cas. Néanmoins, vu que la demanderesse a soulevé en l'espèce la question de son invalidité et des conséquences de cette invalidité sur le calcul de sa période cotisable, je suis convaincu qu'il incombait aux agents et aux tribunaux intéressés par l'administration du Régime de pensions du Canada de rendre une décision sur la question de savoir si la demanderesse était effectivement invalide et si cette invalidité avait eu des conséquences sur le calcul de la période cotisable peu importe si la demanderesse qui, à travers presque toute la saga concernant la décision sur son admissibilité au Régime de pensions du Canada s'est représentée elle-même, a respecté tous les détails techniques de la procédure pour s'assurer qu'une telle décision soit rendue.

[17]       Ainsi, je suis convaincu que, vu les faits qui me sont présentés, je ne suis pas lié par l'arrêt Storto, précité, de la Cour d'appel et que le raisonnement du juge Nadon dans la décision Lima, précitée, est applicable aux faits de l'espèce.

CONCLUSION


[18]       En conséquence, j'accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire et je renverrai la décision objet du contrôle judiciaire à la Commission d'appel des pensions pour un nouvel examen de la question de l'autorisation. Comme l'a fait remarquer le juge Nadon dans la citation ci-dessus de la décision Lima, précitée, il va sans dire que je ne conclus pas et ne donne pas non plus à penser qu'il y a, dans les faits de l'espèce, une cause défendable qui justifierait qu'une autorisation soit accordée à la demanderesse. Cela dit, je considère qu'il incombe au membre de la Commission d'appel des pensions qui procédera au nouvel examen de la demande d'autorisation présentée par la demanderesse, d'examiner la question des conséquences de l'invalidité alléguée sur la période cotisable de la demanderesse, et, si nécessaire à cette fin, d'examiner si, considérant l'ensemble des faits présentés à la Commission d'appel des pensions, la demanderesse devrait être, ou aurait dû être, considérée invalide durant toute la période pertinente. Il est bien possible que la réponse à cette question soit déterminante pour la demande d'autorisation d'interjeter appel devant la Commission d'appel des pensions et pour tout appel devant la Commission. Je n'interprète pas l'arrêt Storto, précité, comme écartant un tel résultat.

[19]       La demanderesse aura droit à ses dépens de la présente demande, dépens fixés selon le barème ordinaire.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Vancouver (C.-B.)

Le 13 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-1225-02

INTITULÉ :                                                        Tonia Van De Wetering

c.

Le procureur général du

Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 8 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                                                  le 13 mai 2003

COMPARUTIONS :

Andrew Pavey                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Tania Nolet                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                                            

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20030513

Dossier : T-1225-02

Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 13 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                TONIA VAN DE WETERING

                                                                                              demanderesse

                                                    - et -

                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                         

                                                                                                    défendeur

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision objet du présent contrôle judiciaire est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission d'appel des pensions pour un nouvel examen de la demande d'autorisation d'interjeter appel présentée par la demanderesse. La Commission d'appel des pensions tiendra compte en particulier de la question des conséquences de l'invalidité alléguée de la demanderesse sur sa période cotisable et, si nécessaire à cette fin, de la question de savoir si, considérant l'ensemble des faits présentés à la Commission d'appel des pensions, la demanderesse devrait être, ou aurait dû être, considérée invalide durant toute la période pertinente.

La demanderesse a droit à ses dépens, fixés selon le barème ordinaire.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.




[1]            L.R.C. 1985, ch. C-8

[2]              Dossier de demande du défendeur, volume 1, pages 5 et 6.

[3]              Dossier de demande du défendeur, volume 1, pages 54 et 55.

[4]              (2000), 190 F.T.R. 114.

[5]              (2001), C.F. 1re inst, (QL).

[6]              (1994), 174 N.R. 221.

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