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                                                                                                                                            Date : 20030225

                                                                                                                                       Dossier : T-1460-01

Ottawa (Ontario), le mardi 25 février 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                                HENRY SIERADZKI

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                                     ORDONNANCE

VU une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 21 juin 2001 par laquelle l'agente de citoyenneté Rose Courage a rejeté la demande de certificat de citoyenneté canadienne présentée par le demandeur, parce que ce dernier avait perdu en 1969 son statut de citoyen canadien,

ET VU les documents produits que j'ai lus et les arguments des parties que j'ai entendus,


ET pour les motifs de l'ordonnance prononcés aujourd'hui,

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES QUE :

la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                                                  « Michael A. Kelen »             

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20030225

Dossier : T-1460-01

Référence neutre : 2003 CFPI 225

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                                HENRY SIERADZKI

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 21 juin 2001 par laquelle l'agente d'immigration Rose Courage a rejeté la demande de certificat de citoyenneté canadienne présentée par le demandeur, parce que ce dernier avait perdu en 1969 son statut de citoyen canadien.


FAITS

        Le demandeur est né le 15 janvier 1956, à Thunder Bay (Ontario), de parents qui étaient des citoyens canadiens. En 1962, le demandeur et ses parents ont déménagé aux États-Unis. Le 14 janvier 1969, les parents du demandeur sont devenus des citoyens des États-Unis. Ces derniers, de ce fait, ont cessé d'être des citoyens canadiens en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. (1952), ch. 33 (l'ancienne Loi). Le demandeur a obtenu la citoyenneté américaine le même jour que ses parents et, par application du paragraphe 20(1) de l'ancienne Loi, a également cessé d'être citoyen canadien.

[3]                 En septembre 2000, le demandeur a présenté une demande de certificat de citoyenneté canadienne, et un passeport valide pour un an lui a été délivré. Dans une lettre datée du 21 juin 2001 on l'a informé qu'il n'était pas un citoyen canadien, en vertu des paragraphes 15(1) et 20(1) de l'ancienne Loi, et qu'il n'obtiendrait pas de certificat de citoyenneté canadienne. On lui a par la suite demandé de remettre son passeport canadien. Le demandeur est un golfeur professionnel du Malaysian PGA Tour et il prétend que, s'il n'a pas la capacité de voyager, il perdra sa place dans ce circuit et son unique source de revenu.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

        Voici les paragraphes 15(1) et 20(1) de l'ancienne Loi :



15. (1) Un citoyen canadien qui, se trouvant hors du Canada et n'étant pas frappé d'incapacité, acquiert, par un acte volontaire et formel autre que le mariage, la nationalité ou la citoyenneté d'un pays autre que le Canada, cesse immédiatement d'être citoyen canadien.

15.(1) A Canadian citizen, who, when outside of Canada and not under a disability, by any voluntary and formal act other than marriage, acquires the nationality or citizenship of a country other than Canada, thereupon ceases to be a Canadian citizen.

[...]

[...]

20.(1) Lorsque le parent responsable d'un enfant mineur cesse d'être un citoyen canadien aux termes de l'article 15, 16, ou 17, l'enfant cesse dès lors d'être un citoyen canadien, si d'après les lois d'un autre pays que le Canada, il est ou devient alors un ressortissant ou citoyen de cet autre pays.

20.(1) Where the responsible parent of a minor child ceases to be a Canadian citizen under Section 15, 16 or 17, the child thereupon ceases to be a Canadian citizen if he is or thereupon becomes under the law of any country other than Canada, a national or citizen of that country.


ANALYSE

        Les deux parties s'entendent sur le fait que les fonctionnaires de la citoyenneté canadiens ont appliqué correctement aux faits d'espèce les paragraphes 15(1) et 20(1) de l'ancienne Loi. La seule question en litige dans le cadre de la présente demande est celle de savoir si le demandeur a subi de la discrimination fondée sur l'âge, en contravention de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[6]                 Le demandeur prétend que les dispositions en cause de l'ancienne Loi établissent une discrimination fondée sur l'âge parce qu'elles soustraient à des mineurs, sans leur consentement, leur citoyenneté canadienne. Le demandeur soutient qu'il n'est pas requis en l'espèce d'appliquer la Charte rétroactivement, comme il s'agit d'établir son statut actuel.

[7]                 Pour sa part, le défendeur prétend que le demandeur ne peut faire valoir l'article 15, parce qu'il faudrait alors appliquer la Charte rétroactivement. Le défendeur soutient que le moment approprié pour l'appréciation par la Cour de l'applicabilité de la Charte est l'année 1969, soit lorsque le demandeur a perdu sa citoyenneté.

[8]                 Le juge Iacobucci a traité abondamment de la question de l'effet rétroactif de la Charte dans Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358. Le demandeur Benner était né aux États-Unis d'une mère canadienne et d'un père américain. Il a présenté en 1988 une demande de citoyenneté. En vertu de l'ancienne Loi, les personnes nées à l'étranger d'un père canadien avaient droit à la citoyenneté canadienne, alors qu'il n'en était pas ainsi pour celles nées à l'étranger d'une mère canadienne, à moins qu'il ne s'agisse d'un enfant illégitime. La Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108, tentait de régler ce problème en permettant aux personnes nées à l'étranger d'une mère canadienne avant 1977 d'obtenir la citoyenneté en se soumettant à une enquête de sécurité et en prêtant serment. L'enquête de sécurité de Benner a donné un résultat négatif et celui-ci s'est vu refuser la citoyenneté canadienne. La Cour suprême du Canada a statué que les dispositions en cause étaient assujetties à la Charte et qu'elles en violaient l'article 15 en établissant une discrimination fondée sur le sexe.


[9]                 Aux paragraphes 45 et 46, le juge Iacobucci a traité des méthodes auxquelles un tribunal pourrait recourir pour se prononcer sur l'applicabilité de la Charte :

La question à trancher consiste donc à caractériser la situation : s'agit-il réellement de revenir en arrière pour corriger un événement passé, survenu avant que la Charte crée le droit revendiqué, ou s'agit-il simplement d'apprécier l'application contemporaine d'un texte de loi qui a été édicté avant l'entrée en vigueur de la Charte?

Je suis bien conscient que cette distinction n'est pas toujours aussi nette qu'on le souhaiterait, car bien des situations peuvent raisonnablement être considérées comme mettant en jeu à la fois des événements précis et isolés et des conditions en cours. Ainsi, un statut ou une condition en cours découlera souvent d'un événement passé précis et isolé. Une déclaration de culpabilité en matière criminelle constitue un événement unique précis et isolé, mais elle crée une condition en cours, celle d'être en détention, ou le statut de « détenu » . Des observations semblables vaudraient également en ce qui a trait au mariage ou au divorce. Pour déterminer si une affaire donnée emporte l'application de la Charte à un événement passé, ou simplement à une condition ou à un statut en cours, il faut se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, l'élément le plus important ou le plus pertinent de cette affaire est l'événement passé ou la condition en cours qui en résulte. Il s'agit là, comme je l'ai dit plus tôt, d'une question de caractérisation, qui variera selon les circonstances. La détermination dépendra des faits de l'espèce, du texte de loi en cause et du droit garanti par la Charte dont le demandeur sollicite l'application.                  [Non souligné dans l'original.]

[10]            La présente affaire met en cause un événement passé précis et isolé ainsi qu'une condition en cours. L'événement passé c'est la perte de citoyenneté du demandeur en 1969. Son statut actuel de non-citoyen découle de cet événement. Néanmoins, on peut qualifier valablement la présente affaire comme étant « liée à un événement » parce que sa caractéristique la plus importante ou pertinente c'est l'événement passé, et non la condition en cours. Dans Benner, au paragraphe 54, le juge Iacobucci nous éclaire quant à la façon de traiter les événements passés :


[...] Comme je l'ai dit précédemment, il y a une différence entre les caractéristiques acquises à la naissance (par exemple la race), et celles qui découlent d'un acte quelconque, accompli plus tard dans la vie (par exemple l'état de personne divorcée). J'estime que les caractéristiques immuables acquises à la naissance sont, en général, plus susceptibles d'être qualifiées à juste titre de « statut » que celles résultant de la décision d'accomplir un acte, par exemple, le choix de contracter mariage ou de divorcer. [...]

[11]            Dans Brenner, le seul événement antérieur à la Charte pertinent c'était la naissance du demandeur; la situation était donc analogue aux affaires concernant des caractéristiques acquises à la naissance. Par contraste, la présente affaire met en cause une caractéristique du demandeur (son statut de non-citoyen) découlant non pas de sa naissance, mais du choix de ses parents de poser un certain acte (obtenir la citoyenneté américaine en 1969). La présente affaire est analogue à cet égard aux situations de divorce ou de mariage et non à celles concernant des caractéristiques acquises à la naissance. Si la Charte s'appliquait dans ces circonstances, la Cour devrait se tourner vers le passé pour réévaluer l'effet juridique de choix posés antérieurement à la Charte. On appliquerait alors la Charte rétroactivement, ce contre quoi la Cour suprême s'est prononcée à plusieurs reprises; se reporter, par exemple, à R. c. Stevens, [1988] 1 R.C.S. 1153, à la page 1157, à R. c. Stewart, [1991] 3 R.C.S. 324, à la page 325, et à Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350. Par conséquent, la Charte ne s'applique pas en l'espèce.

[12]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[13]            Le demandeur peut toutefois, en vertu des paragraphes 5(4) et 11(1) de l'actuelle Loi sur la citoyenneté, demander sa réintégration dans la citoyenneté canadienne. Le ministre a le pouvoir discrétionnaire d'attribuer la citoyenneté dans une « situation particulière et inhabituelle de détresse » . Cette question relève du ministre, et non de la Cour.

                                                                                                                                     « Michael A. Kelen »             

                                                                                                                                                                 Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 25 février 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20030225

                                          Dossier : T-1460-01

ENTRE :

HENRY SIERADZKI

                                                                       demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                        défendeur

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                 


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                T-1460-01

INTITULÉ :                                               HENRY SIERADZKI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                      TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE:                      Le 10 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                           LE 25 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :

HENRY SIERADZKI                                                                  LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

IRVIN SHERMAN                                                                       POUR LE DEMANDEUR

A. LEENA JAAKKIMAINEN                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MORRIS ROSENBERG                                                              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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