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Date : 20030514

Dossier : T-2094-01

Référence : 2003 CFPI 593

ENTRE :

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                              JOHN KING et KAREN E. HOLZER

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision par laquelle M. Yvon Tarte, agissant comme arbitre en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[1], a accueilli certains griefs des défendeurs et ordonné ce qui suit :

Toute heure de travail déduite de la rémunération des fonctionnaires s'estimant lésés par suite de l'interprétation que fait l'employeur de la clause 43.02 de la convention collective leur sera rendue.


Les fonctionnaires s'estimant lésés qui sont mentionnés dans cette brève citation sont les défendeurs dans le cadre de la présente instance.

[2]                L'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dispose :


92.(1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur_:

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

(2) Pour pouvoir renvoyer à l'arbitrage un grief du type visé à l'alinéa (1)a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes réglementaires, l'approbation de son agent négociateur et son acceptation de le représenter dans la procédure d'arbitrage.

(3) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

(4) Le gouverneur en conseil peut, par décret, désigner, pour l'application de l'alinéa (1)b), tout secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie II de l'annexe I.


92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

(I) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.

(2) Where a grievance that may be presented by an employee to adjudication is a grievance described in paragraph (1)(a), the employee is not entitled to refer the grievance to adjudication unless the bargaining agent for the bargaining unit, to which the collective agreement or arbitral award referred to in that paragraph applies, signifies in the prescribed manner its approval of the reference of the grievance to adjudication and its willingness to represent the employee in the adjudication proceedings.

(3) Nothing in subsection (1) shall be construed or applied as permitting the referral to adjudication of a grievance with respect to any termination of employment under the Public Service Employment Act.

(4) The Governor in Council may, by order, designate for the purposes of paragraph (1)(b) any portion of the public service of Canada specified in Part II of Schedule I.


[3]                Devant moi, il n'a pas été contesté que les défendeurs étaient soit des « ...fonctionnaire[s] d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe 4 [de l'article 92]... » et qu'ils sont ainsi visés par l'alinéa 92(1)b), soit des employés visés par l'alinéa 92(1)c). Aucune partie n'a contesté que les défendeurs ont fait l'objet d'une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire.

[4]                En conséquence, il n'a pas non plus été contesté que l'arbitre agissait dans le cadre des pouvoirs conférés à un arbitre en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

CONTEXTE

[5]                Pendant toute la période en cause, les défendeurs étaient des fonctionnaires de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC). Aussi, pendant toute la période en cause, l'emploi des défendeurs était régi par une convention collective conclue entre l'ADRC et l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'AFPC) et signée par celles-ci le 23 juin 2000[2]. Les heures de travail de ces fonctionnaires étaient régies par des aménagements d'horaires de postes variables (des AHPV) conclus au niveau local. Les AHPV étaient autorisés par la convention collective régissant l'emploi des défendeurs.

[6]                Aux termes de la convention collective pertinente, la semaine de travail normale comptait 37,5 heures. Aux termes des AHPV pertinents, la journée de travail du défendeur John King comptait 8,57 heures plutôt que 7,5 heures, soit la journée de travail normale pour donner une semaine de travail de cinq jours comptant au total 37,5 heures de travail. La défenderesse Karen Holzer effectuait une journée de travail de 10 heures plutôt que de 7,5 heures. Néanmoins, chacun travaillait en moyenne 37,5 heures par semaine sur une période de 56 jours. En conséquence, les défendeurs effectuaient en moyenne une semaine de travail ordinaire de 37,5 heures, mais dans le cadre de ce qu'on appelle couramment, si j'ai bien compris, un « horaire comprimé » .

[7]                Comme tous les autres fonctionnaires visés par la convention collective pertinente, les défendeurs avaient droit à cinq (5) jours par année de « congé payé pour obligations familiales » . Ce droit était régi par l'article 43 de la convention collective pertinente, qui prévoit ce qui suit :

                                                             ARTICLE 43

                          CONGÉ PAYÉ POUR OBLIGATIONS FAMILIALES

43.01      Aux fins de l'application du présent article, la famille s'entend du conjoint (ou du conjoint de fait qui demeure avec l'employé-e), des enfants à charge (y compris les enfants n'ayant pas de liens de parenté ou de liens légaux ou les enfants du conjoint de droit ou de fait), du père et de la mère (y compris le père et la mère par remariage ou les parents nourriciers), ou de tout autre parent demeurant en permanence au domicile de l'employé-e ou avec qui l'employé-e demeure en permanence.

43.02      Le nombre total de jours de congés payés qui peuvent être accordés en vertu du présent article ne dépasse pas cinq (5) jours au cours d'une année financière.

43.03       Sous réserve du paragraphe 43.02, l'Employeur accorde un congé payé dans les circonstances suivantes :

(a)            d'une durée maximale d'une (1) journée pour conduire à un rendez-vous un membre de la famille à charge qui doit recevoir des soins médicaux ou dentaires, ou avoir une entrevue avec les autorités scolaires ou des organismes d'adoption, si le surveillant a été prévenu du rendez-vous aussi longtemps à l'avance que possible;


(b)           pour prodiguer des soins immédiats et temporaires à un membre malade de la famille de l'employé-e et pour permettre à l'employé-e de prendre d'autres dispositions lorsque la maladie est de plus longue durée;

(c)            pour prodiguer des soins immédiats et temporaires à une personne âgée de sa famille;

(d)            d'une durée de deux (2) journées pour les besoins directement rattachés à la naissance ou à l'adoption de son enfant, ce congé pouvant être divisé en deux (2) périodes et pris à des journées différentes.

[8]                Les défendeurs se sont prévalus de la disposition relative aux congés pour obligations familiales de leur convention collective, comme ils avaient le droit de le faire.

[9]                Le demandeur a soutenu qu'une « journée » au sens de l'article 43 de la convention collective pertinente, et, plus particulièrement, du paragraphe 43.02, était une journée de travail « normale » de 7,5 heures et non une journée de travail plus longue que celle que chacun des défendeurs effectuait réellement aux termes de leurs AHPV pertinents. En conséquence, lorsque chacun des défendeurs a pris cinq jours de congé pour obligations familiales, une partie de leur salaire a été déduite pour le nombre d'heures de congé qu'ils avaient pris en sus de 37,5 heures.

[10]            C'est cette mesure de l'employeur qui a donné lieu aux griefs sur lesquels porte la décision arbitrale qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.


DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[11]            Les motifs de la décision de l'arbitre ne consistaient qu'en huit (8) paragraphes. Pour en faciliter la consultation, je les cite intégralement :

Motifs de la décision

Les affaires en instance portent sur l'interprétation du terme « journée » employé dans l'article 43 de la convention collective. Bien que le terme ne soit pas défini aux fins du congé pour obligations familiales et bien que des arguments puissent militer en faveur des deux interprétations avancées par les parties, je crois que la thèse des fonctionnaires s'estimant lésés et de leur agent négociateur est la plus appropriée dans les circonstances.

Une interprétation normale du mot « journée » comme une période de 24 heures est conforme à l'intention et à l'esprit de la convention collective. À moins d'indication contraire, comme c'est le cas pour un congé annuel ou un congé de maladie acquis, une journée ne doit signifier que cela. L'employeur lui-même a abondé dans ce sens lorsqu'il a interprété la suspension de 10 jours imposée à M. King. Dans cette affaire, l'employeur a argué que, compte tenu du travail par postes du fonctionnaire s'estimant lésé, une suspension de dix jours équivalait à 85,4 heures et non aux 75 heures normales.

Cette interprétation est également confirmée par le fait que, à la sous-clause 25.27g) les parties ont expressément prévu la conversion en heures de la période ouvrant droit à une rémunération d'intérim, exprimée en jours dans la convention collective. On aurait facilement pu insérer, dans la convention collective, une disposition semblable pour la période ouvrant droit à des congés pour obligations familiales.

Comme l'arbitre l'a indiqué dans la décision Phillips (...), « [...] l'interprétation de l'employeur serait injuste à l'égard des fonctionnaires qui effectuent de longs postes [...] » . Les événements qui donnent lieu à un congé pour obligations familiales ne cadrent pas avec les limites d'un poste de sept heures et demie.

Comme c'est le cas dans la décision Phillips (...), la clause 45.01, qui porte sur le congé de mariage, éclaire quelque peu la question litige. Dans l'affaire Phillips, l'arbitre a déclaré ce qui suit aux pages 33-34 :


La clause M-21.01, Congé de mariage [...] prévoit que « [...] à condition que l'employé-e donne à l'employeur un préavis d'au moins cinq (5) jours, il bénéficie d'un congé payé de cinq (5) jours aux fins de contracter mariage » . Dans cette disposition, le mot « jours » est utilisé pour deux raisons : premièrement, pour définir le préavis à donner à l'employeur et, deuxièmement, pour décrire le congé auquel le fonctionnaire a droit. Il m'apparaît inconcevable que le préavis dont il est question soit en réalité d'un peu plus de deux jours dans le cas des fonctionnaires effectuant des postes de 18 heures. Manifestement, l'employeur pourrait voir ses opérations passablement perturbées si un fonctionnaire pouvait obtenir un tel congé à si bref avis. Il est plus logique de supposer que les parties, en acceptant d'inclure dans la convention le congé de mariage et le congé pour obligations familiales, voulaient permettre aux fonctionnaires de s'absenter pendant assez longtemps pour répondre aux besoins réels associés à l'un ou l'autre congé. Toute autre interprétation va à l'encontre de la convention collective et crée une situation inéquitable pour l'ensemble des fonctionnaires.

J'ajouterais que la décision Phillips (...) a été rendue en 1991. S'il l'avait voulu, l'employeur aurait amplement eu l'occasion et le temps - lors des rondes subséquentes de négociation collective - de clarifier le sens du mot « journée » dans les dispositions de la convention collective touchant le congé pour obligations familiales.

Enfin, je ne crois pas que cette interprétation des dispositions visant le congé pour obligations familiales contrevienne à la clause 25.25 de la convention collective, puisque l'article 43 prévoit l'octroi d'un tel congé en fonction d'une période de 24 heures.

Les griefs de M. King et de Mme Holzer sont accueillis. Toute heure de travail déduite de la rémunération des fonctionnaires s'estimant lésés par suite de l'interprétation que fait l'employeur de la clause 43.02 de la convention collective leur sera rendue.[3]

                                                                                                [Références omises]

QUESTIONS

[12]            Seules deux (2) questions ont été débattues dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. La première, la norme de contrôle appropriée, n'a essentiellement donné lieu à aucun débat entre les parties. La seconde consiste simplement à savoir si, compte tenu de la norme de contrôle appropriée, l'arbitre a commis une erreur susceptible de contrôle.

ANALYSE

a)        Normes de contrôle

[13]            Dans Barry c. Canada (Conseil du Trésor)[4], après une brève analyse des précédents de la Cour suprême du Canada, le juge Robertson écrit ceci au paragraphe [4] :


En conclusion, la norme de contrôle applicable aux décisions d'un arbitre, rendues en vertu de la [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique], pour ce qui a trait à l'interprétation des dispositions d'une convention collective est de savoir si la décision est manifestement déraisonnable. C'était vrai avant le 1er juin 1993 [lorsqu'une clause privative que contenait la Loi a été abrogée], et c'est encore vrai après.

[14]            Devant moi, il n'a pas été contesté que la question soumise à l'arbitre et dont la présente Cour est maintenant saisie avait « ...trait à l'interprétation des dispositions d'une convention collective... » .

[15]            Dans Essex County Roman Catholic School Board (The Windsor-Essex Catholic School Board) c. Ontario English Catholic Teachers' Association[5], au nom de la Cour et sous la rubrique intitulée [Traduction] « La décision de l'arbitre était-elle manifestement déraisonnable? » , le juge MacPherson a écrit ce qui suit au paragraphe 36 :

[Traduction] Pour le profane, une accusation portant que l'interprétation ou l'opinion d'une personne au sujet d'une certaine question est manifestement déraisonnable serait probablement considérée comme un reproche sévère, voire cinglant. Dans le contexte juridique, il est clair que cette étiquette dénote un reproche également sévère. À maintes reprises, la Cour suprême du Canada a averti les tribunaux de ne pas recourir trop facilement à cette étiquette dans l'exercice de leur pouvoir de contrôle judiciaire. Comme l'a exprimé le juge Cory dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, ... :

Le sens de l'expression « manifestement déraisonnable » , fait-on valoir, est difficile à cerner. Ce qui est manifestement déraisonnable pour un juge peut paraître éminemment raisonnable pour un autre. Pourtant, pour définir un critère nous ne disposons que de mots, qui forment, eux, les éléments de base de tous les motifs. Le critère du caractère manifestement déraisonnable représente, de toute évidence, une norme de contrôle sévère. Dans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini : « Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente » . On y trouve pour le terme déraisonnable la définition suivante : « Qui n'est pas conforme à la raison; qui est contraire au bon sens » . Eu égard donc à ces définitions des mots « manifeste » et « déraisonnable » , il appert que si la décision qu'a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n'est pas clairement irrationnelle, c'est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu'il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s'agit là d'un critère très strict.                                                     [en italiques dans le rapport des motifs du juge MacPherson, une citation omise]


[16]            Récemment, ma collègue, Madame la juge Heneghan, a été saisie de la décision par laquelle un arbitre avait maintenu le grief d'une personne, qui est apparemment l'un des défendeurs en l'espèce, au sujet du calcul de sa rémunération pour du travail fait un jour férié payé. Dans Canada (Procureur général) c. King[6], au paragraphe [25] de ses motifs, la juge Heneghan a conclu ce qui suit :

Le demandeur n'a pas établi que la décision est manifestement déraisonnable, en ce sens qu'elle est « clairement irrationnelle » ou « tout simplement ridicule » .

La décision de la juge Heneghan a été portée en appel. La Cour d'appel fédérale a tranché l'appel par de très brefs motifs, dont le second paragraphe se lit comme suit :

Nous ne sommes pas persuadés que la décision de l'arbitre puisse être considérée comme manifestement déraisonnable. Nous affirmons cela en dépit de l'argumentation habile de l'avocat de l'appelant selon laquelle la décision de l'arbitre était manifestement déraisonnable[7].


[17]            L'avocat du demandeur a fait valoir qu'aucune des autorités susmentionnées n'étaye le principe portant que la décision d'un arbitre dans l'interprétation d'une convention collective est « à l'épreuve » du contrôle judiciaire. À cet égard, l'avocat a cité Canada Safeway Ltd. c. RWDSU, Local 454[8], où la Cour suprême du Canada a examiné la décision d'un conseil d'arbitrage qui importait un concept de mise à pied déguisé ne figurant pas dans la convention collective en cause, et qui a conclu qu'il donnait lieu à un grief portant sur l'établissement des horaires non précisé dans la convention collective. Au paragraphe 82, à la page 1116, la Cour a conclu que le conseil d'arbitrage avait accordé une réparation qui n'avait « ...pas de lien rationnel avec la violation alléguée et [allait] à l'encontre des dispositions de la convention collective » et, ce faisant, le conseil d'arbitrage avait rendu une décision manifestement déraisonnable. L'avocat du demandeur fait valoir que je devrais tirer une conclusion similaire au sujet des faits de la présente affaire.

b)        La décision de l'arbitre qui fait l'objet d'un contrôle judiciaire était-elle manifestement déraisonnable?

[18]            L'avocat du demandeur fait valoir que je devrais décider que la réponse à cette question, la seule question de fond dont la Cour est saisie, est « oui » , surtout si l'on se reporte à l'article 33 de la convention collective pertinente et, plus particulièrement, au paragraphe 33.01. Les titres de rubrique précédant le paragraphe 33.01 et ce paragraphe lui-même sont les suivants :

                                                             ARTICLE 33

                                    CONGÉS - GÉNÉRALITÉS

33.01

a)             Dès qu'un employé-e devient assujetti à la présente convention, ses crédits journaliers sont convertis en heures. Lorsqu'il ou elle cesse d'y être assujetti, ses crédits horaires de congé acquis sont reconvertis en jours, un jour équivalant à sept heures et demie (7½).

b)             Les congés sont accordés en heures, le nombre d'heures débitées pour chaque jour de congé correspondant au nombre d'heures de travail normalement prévues à l'horaire de l'employé-e pour la journée en question.

c)             Nonobstant les dispositions qui précèdent, dans l'article 47, Congé de deuil payé, le mot « jour » a le sens de jour civil. [Non souligné dans l'original]


[19]            L'avocat du demandeur fait valoir que le paragraphe 33.01 s'applique directement au congé pour obligations familiales, comme le prévoit l'article 43 qui, comme le paragraphe 33.01, se trouve au chapitre IV - Congés de la convention collective pertinente. Pour cette raison, l'avocat du demandeur soutient qu'en interprétant la disposition relative aux obligations familiales, le concept de « journée » devrait être converti en heures, une (1) journée correspondant à sept heures et demie (7½). Il fait valoir que, si l'on se reporte à l'alinéa 33.01(c), la seule exception à cette conversion en heures concerne le congé de deuil payé, où le mot « journée » s'entend d'un jour civil. Ainsi, l'avocat du demandeur pose comme postulat qu'étant donné qu'une journée doit être convertie en sept heures et demie (7½), les personnes qui se trouvent dans la situation des défendeurs et qui ont effectué des heures de travail plus longues aux termes d'un AHPV ne devraient avoir droit qu'à un crédit d'heures de sept heures et demie (7½) pour une journée civile prise comme congé pour obligations familiales, malgré le fait que, si elles ont travaillé cette journée, elles ont travaillé plus de sept heures et demie (7½) et ont été payées pour les heures qu'elles ont effectuées selon leur AHPV.

[20]            L'arbitre reconnaît cet argument qui lui a été présenté au paragraphe [19] de ses motifs, sous les rubriques intitulées « Plaidoiries » et « Pour l'employeur » , lorsqu'il écrit ce qui suit :

La disposition générale de la convention collective traitant des congés (33.01) exige que les crédits de congé soient convertis en heures. Puisque, aux termes de la clause 43.02, les congés pour obligations familiales ne peuvent dépasser cinq jours, il est évident que ces cinq jours doivent être convertis en 37 heures et demie.

[21]            L'arbitre n'a pas traité expressément de cet argument. Cela étant dit, je suis persuadé qu'il en a implicitement traité au paragraphe [21] de ses motifs précités, mais répétés ici par souci de commodité :

Les affaires en instance portent sur l'interprétation du terme « journée » employé dans l'article 43 de la convention collective. Bien que le terme ne soit pas défini aux fins du congé pour obligations familiales et bien que des arguments puissent militer en faveur des deux interprétations avancées par les parties, je crois que la thèse des fonctionnaires s'estimant lésés et de leur agent négociateur est la plus appropriée dans les circonstances..

[22]            Je suis convaincu qu'il était loisible à l'arbitre de faire cette brève analyse et de tirer cette conclusion. En d'autres termes, je suis convaincu que sa conclusion précitée n'était ni « clairement irrationnelle » ni « de toute évidence non conforme à la raison » . On ne m'a cité aucune disposition de la convention collective pertinente indiquant que le congé payé pour obligations familiales est un « crédit journalier de congé » au sens du paragraphe 33.01 de la convention collective. Si le congé payé pour obligations familiales n'est pas un « crédit journalier de congé » , mais plutôt un crédit journalier de congé qui est un droit, et je suis convaincu qu'il peut être ainsi interprété, le paragraphe 33.01 ne s'applique tout simplement pas à un congé payé pour obligations familiales, malgré le fait que ce paragraphe et le paragraphe 43.01 figurent tous les deux à la partie IV - Congés de la convention collective.


[23]            Une analyse superficielle de la disposition relative aux congés payés pour obligations familiales de la convention collective révèle ce qui suit : premièrement, il s'agit d'une forme de congé pour raisons familiales ressemblant au congé pour deuil payé, qui est expressément exclu de l'application des principes généraux du paragraphe 33.01, et, deuxièmement, il s'agit d'une forme de droit à un congé plutôt que d'un crédit journalier de congé. On peut dire qu'étant donné qu'il s'agit d'un droit à un congé, plutôt que d'un crédit de congé journalier, il n'est pas visé par l'alinéa 33.01a), mais cela n'explique pas pourquoi il ne doit pas être traité, dans le contexte du paragraphe 33.01, de la même manière que le congé pour deuil payé. Je suis convaincu qu'il peut également être distingué du congé payé, qui est accordé pour une période de cinq (5) jours civils consécutifs, qui doivent inclure le jour des funérailles et, presque inévitablement, ne correspondront pas tous à des jours de travail dans la majorité des cas. Je suis convaincu que cette distinction suffit pour permettre à l'arbitre de tirer cette conclusion.

[24]            En conséquence, je suis persuadé qu'il était loisible à l'arbitre d'interpréter le mot « journée » figurant dans la disposition relative aux congés payés pour obligations familiales de la convention collective sans se reporter au paragraphe 33.01 de la convention et, ce faisant, de conclure que le mot « journée » figurant dans cette disposition s'entend d'une période de vingt-quatre (24) heures consécutives, indépendamment du nombre d'heures de travail qu'un employé déterminé, tel que les défendeurs, pourrait avoir effectué au cours de cette « journée » . En outre, il était loisible à l'arbitre de conclure qu'il était contraire à la convention collective que l'employeur déduise du salaire des fonctionnaires s'estimant lésés, les défendeurs en l'espèce, un montant correspondant aux heures qu'ils avaient prises, en sus de 37,5 heures, comme congé payé pour obligations familiales.


CONCLUSION

[25]            D'après l'analyse qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Chaque partie a demandé les dépens advenant qu'elle ait gain de cause. Je suis convaincu que les dépens devraient suivre l'issue de la cause. Les défendeurs ont droit à un seul mémoire de frais, lesquels sont imposés au demandeur.

    « Frederick E. Gibson »    

Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 14 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2094-01

INTITULÉ :               PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c. JOHN KING ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 29 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   Le 14 mai 2003

COMPARUTIONS :

Richard Fader                                                   POUR LE DEMANDEUR

James Cameron                                                 POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                              POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne                 POUR LES DÉFENDEURS

Ottawa (Ontario)


Date : 20030514

Dossier : T-2094-01

Vancouver (Colombie-Britannique), le mercredi 14 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                   PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                          demandeur

                                                  - et -

                      JOHN KING et KAREN E. HOLZER

                                                                                          défendeurs

                                        ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les défendeurs ont droit à un mémoire de frais imposé au demandeur.                       

    « Frederick E. Gibson »    

Juge                   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.



[1]         L.R.C., ch. P-35.

[2]         Dossier de demande du demandeur, onglet 3C, pages 28 à 245.

[3]       Dossier de la demande du demandeur, onglet 2, pages 12 et 13.

[4]         (1997), 221 N.R. 237 (C.A.F.).

[5]         (2001), 56 O.R. (3d) 85 (C.A.O.).

[6]         (2000), 198 F.T.R. 141.

[7]       (2002), 293 N.R. 330 (C.A.F.).

[8]         [1998] 1 R.C.S. 1079.


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