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     T-1529-91

ENTRE:

     JEAN-YVES HAMEL

     - et -

     DOUBLE J. RANCH INC.

     Partie demanderesse

ET:

     SA MAJESTÉ LA REINE AU DROIT DU CANADA, AU NOM

     DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, DE DOUANES

     ET DE GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

     - et -

     GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

     - et -

     DOUANES CANADA

     - et -

     DAME CINDY VILLENEUVE

     - et -

     TED SISK

     Partie défenderesse

     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU

     Il s'agit d'une action en responsabilité civile contre sa Majesté la Reine au Droit du Canada (ci-après sa "Majesté") suite à une faute qui aurait été commise par ses préposés à l'encontre de Monsieur Jean-Yves Hamel et de l'entreprise appelée Double J. Ranch Inc. (ci-après "la partie demanderesse").

Faits

     La partie demanderesse fait affaires dans le domaine du commerce de la vente et achat de chevaux, dans la province de Québec, Canada, depuis une vingtaine d'années. En 1990, la partie demanderesse faisait l'achat de chevaux aux États-Unis, plus particulièrement dans l'état du New Jersey, et en conséquence devait passer fréquemment au poste de douanes à la frontière canadienne.

     Lorsque Monsieur Hamel s'est présenté au bureau de douane de Lacolle (Blackpool), province de Québec, le 18 juin 1990, et après avoir complété les formulaires d'usage, des agents des douanes en poste lui ont demandé de garer, dans l'aire d'examen des véhicules, le camion qu'il conduisait et auquel était attachée une remorque contenant une dizaine de chevaux. Les agents des douanes ont agi ainsi suite à l'émission d'un avis de guet sur les chevaux de l'entreprise Double J. Ranch Inc. par la Gendarmerie Royale du Canada (ci-après "G.R.C.") car le trafic de drogue par l'intermédiaire desdits chevaux était soupçonné. Pendant que les agents des douanes inspectaient sommairement le camion de Monsieur Hamel, celui-ci a été informé qu'il était soupçonné de faire le trafic de stupéfiants et a été l'objet d'une fouille par palpation avant de faire une déclaration aux agents de paix et membres de la G.R.C.

     Après avoir consenti à l'examen de ses chevaux, Monsieur Hamel, accompagné de Madame Cindy Villeneuve, officier de la G.R.C. en fonction, et escorté par d'autres véhicules de la G.R.C., a conduit son camion et le contenu de sa remorque, soit une dizaine de chevaux, à l'hôpital vétérinaire de St-Hyacinthe. Pendant leur séjour à cet endroit, les chevaux ont été soumis à une série d'examens afin de vérifier s'ils contenaient de la cocaïne. Entre autre, ils ont été nourris de laxatifs pendant au moins trois jours. De même, ils ont été rasés à certains endroits.

     Le 29 juin 1990, soit environ dix jours après leur arrivée à l'hôpital vétérinaire de St-Hyacinthe, les chevaux ont été remis à la partie demanderesse puisqu'aucune substance prohibée n'a été décelée ou évacuée par les voies naturelles et puisqu'il a été décidé de ne pas procéder à des interventions chirurgicales sur lesdits chevaux.

     Par ailleurs, la présente affaire a fait l'objet d'une certaine couverture dans les médias d'information, tant du côté de la presse écrite que de la télévision.

Questions en litige

     Il s'agit d'une part, de déterminer si les préposés de sa Majesté, soit les membres de la G.R.C., avaient le droit de retenir, au bureau de douane de Lacolle (Blackpool), les chevaux de la partie demanderesse afin de les faire examiner et dans la négative, évaluer les dommages résultant de cette interception.

     D'autre part, cette Cour doit déterminer si les préposés de sa Majesté sont responsables pour la fuite de l'information aux différents médias et dans l'affirmative, évaluer les dommages résultant de cette fuite.

Position de la partie demanderesse

     La partie demanderesse soutient que les agents de sa Majesté, plus particulièrement les membres de la G.R.C. en fonction au bureau de douanes de Lacolle (Blackpool), ont commis une faute en retenant et en faisant examiner ses chevaux sans avoir préalablement fait une enquête sérieuse afin de vérifier le bien-fondé de l'information qu'ils avaient reçue concernant la possibilité qu'elle effectue le trafic de la cocaïne en la dissimulant dans l'estomac ou les intestins des chevaux.

     De même, elle soutient que les médias ont été informés de la présente affaire par la G.R.C. puisque les renseignements qui ont été publiés et télédiffusés étaient si clairs et précis qu'ils ne pouvaient provenir que de la G.R.C.

     Monsieur Hamel soutient, quant à lui, que sa réputation est à jamais entachée puisque le monde des chevaux est relativement petit et que les gens parlent encore de cet événement, près de 6 ans après que cela soit arrivé. De même, il ressent encore de l'humiliation lorsqu'il doit se présenter dans les encans publics et qu'il est pointé du doigt ou est l'objet de nombreuses remarques désobligeantes. Il soutient également que même si l'entreprise Double J. Ranch est une entité distincte, sa réputation est étroitement liée à la sienne. En conséquence, l'entreprise subi encore elle aussi les répercussions des événements du mois de juin 1990. Par ailleurs, pour ce qui est de la perte d'affaires, bien qu'il concède qu'il est difficile de la quantifier, il prétend que le nombre de clients a diminué suite à cet événement. Finalement, il soumet un calcul expliquant le montant de la réclamation demandée pour la perte des chevaux.

     En l'instance, la partie demanderesse réclame de la partie demanderesse les sommes suivantes:

A) Quant à Jean-Yves Hamel:

a)      atteinte à sa réputation                  50 000,00$
b)      dommages divers, humiliations et
     tracasseries                          20 000,00$

TOTAL                                  70 000,00$

B) Quant à Double J. Ranch Inc.

a)      perte de chevaux                      17 118,00$
b)      perte d'affaires                      à la discrétion de la Cour
c)      atteinte à sa réputation, dommages divers,
     humiliations et tracasseries              50 000,00$

TOTAL                                  67,118.00$

                                 (sans compter la perte d'affaires)

Le tout avec intérêts au taux légal depuis l'assignation en plus de l'indemnité additionnelle prévue à l'alinéa 1056(c) du Code civil.

Position de la partie défenderesse

     La partie défenderesse soumet que les préposés de sa Majesté, soit les membres de la G.R.C., n'ont pas commis de faute en retenant, au bureau de douane de Lacolle (Blackpool), les chevaux de la partie demanderesse et en les faisant examiner afin de vérifier s'ils ne contenaient pas de la cocaïne puisqu'ils étaient autorisés à le faire en vertu de l'alinéa 99(1)(a) de la Loi sur les douanes1.

     De même, elle soumet que la partie demanderesse n'a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance de la preuve, qu'un préposé de sa Majesté est à l'origine de la fuite de l'information aux médias. Par ailleurs, afin que la faute d'un préposé de sa Majesté entraîne la responsabilité de cette dernière, il faut que ledit préposé ait agi à l'intérieur de ses fonctions au moment où il a été fautif2, ce qui n'était pas le cas ici puisqu'en aucun temps, les membres de la G.R.C. avaient été autorisés à divulguer des renseignements au sujet de la présente affaire.

Analyse

     L'alinéa 3(a) et l'article 10 de la Loi sur la responsabilité de l'État prévoient ce qui suit:

         3. En matière de responsabilité civile délictuelle, l'État est assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour:         
              a) les délits civils commis par ces préposés;         
         10. L'État ne peut être poursuivi, sur le fondement de l'alinéa 3a), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu'il y a lieu en l'occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité civile et délictuelle contre leur auteur ou ses représentants.         

         Sa Majesté ne sera donc tenu responsable de la faute de l'un de ses préposés que si celui-ci a commis ladite faute dans l'exercice de ses fonctions et qu'une action en responsabilité civile et délictuelle pourrait être prise contre lui personnellement.

         En l'instance, il ne fait pas de doute que les membres de la G.R.C. sont des préposés de sa Majesté. De même, lorsque les membres de la G.R.C. ont retenu et fait examiner les chevaux de la demanderesse, ils agissaient à l'intérieur de leurs fonctions. La seule question qui demeure est donc de déterminer si la partie demanderesse pourrait entreprendre une action en responsabilité civile contre les membres de la G.R.C. suite aux événements du 18 juin 1990.

         La jurisprudence a établi que le droit applicable en matière de responsabilité délictuelle est celui de la province où la cause d'action a pris naissance3. En l'instance, la présente affaire a pris naissance dans la province de Québec en 1990. Le Code civil du Bas-Canada est donc applicable en l'espèce, et plus particulièrement, l'article 1053 qui se lit ainsi:

         Toute personne capable de discerner le bien du mal, est responsable du dommage causé par sa faute à autrui, soit par son fait, soit par imprudence, négligence ou inhabilité.         

         La partie demanderesse doit donc démontrer, selon la balance des probabilités, les trois éléments suivants afin de voir la présente action couronnée de succès: la commission d'une faute par les préposés de la partie défenderesse, la présence de dommages et l'existence d'un lien de causalité entre lesdits dommages et la faute des préposés de la partie défenderesse.

Saisie et examen des chevaux de la partie demanderesse

         Cette Cour doit premièrement déterminer si les préposés de sa Majesté ont commis une faute en retenant et en faisant examiner les chevaux de la partie demanderesse lors de leur passage au bureau de douane de Lacolle (Blackpool). Pour ce faire, une première question doit être tranchée, soit sur quelle autorité législative les membres de la G.R.C. se sont-ils basés pour agir ainsi?

         La partie défenderesse soutient que les chevaux ont été retenus et examinés en vertu de l'alinéa 99(1)(a) de la Loi sur les douanes. Cet alinéa se lisait ainsi en date du 18 juin 1990:

         99.(1) L'agent peut:         
         a) tant qu'il n'y a pas eu dédouanement, visiter toutes les marchandises importées et en ouvrir ou faire ouvrir tous colis ou contenants, ainsi qu'en prélever des échantillons en quantités raisonnables;         

         Il est clair que la marchandise visée ne doit pas avoir été dédouanée afin que l'agent des douanes puisse agir selon cet alinéa. La définition de ce qu'est un dédouanement est retrouvé au paragraphe 2(1) de la Loi sur les douanes et se lit ainsi:

         Autorisation d'enlever des marchandises d'un bureau de douane, d'un entrepôt d'attente, d'un entrepôt de stockage ou d'une boutique hors taxes en vue de leur consommation au Canada.         
                 

         En l'instance, les chevaux ont été dédouanés tel qu'il appert de la pièce P-4 et du témoignage de Monsieur Angelo Deriggi, agent de renseignements pour Douane Canada. La pièce P-4 est la copie du Document de contrôle du fret des douanes qui a été remis à Monsieur Hamel le 18 juin 1990 et sur lequel est retrouvée une estampe avec la mention "MAINLEVÉE-RELEASED" et "EXAMINÉ ET LIBÉRÉ PAR AGRICULTURE CANADA". De plus, Monsieur Deriggi a admis ce qui suit sur la question du dédouanement des chevaux de la partie demanderesse:

         Q      Savez-vous quand est-ce que les chevaux de monsieur Hamel ont été dédouanés?         
         R      Ils furent dédouanés le soir-même de l'importation à Lacolle; la date exacte et l'heure... ça j'avais pas l'heure qu'ils ont été dédouanés parce que j'étais pas l'agent présent au moment du dédouanement.         
         Q      Alors, c'est quoi un dédouanement?         
         R      Un dédouanement, c'est une procédure où que le douanier procède par son examen, examine la marchandise ou... la marchandise, en d'autres mots, dans ce cas-ci, et là il est arrivé au bout de son examen. À la fin de son examen, il est satisfait, ou... il est satisfait. Alors là il accorde la permission à cette marchandise d'être relâchée, ça veut dire d'entrer au Canada.         
         Q      Puis ç'a été fait quand ça?         
         R      Toute cette procédure-là a été faite le soir de l'importation.         
         Q      Sauf qu'on a quand même amené les chevaux à l'Hôpital vétérinaire puis qu'ils ont été là treize (13) jours.         
         [...]         
              LA COUR:         
              Je vais intervenir là.         
         Q      Votre responsabilité, vous, à la Douane, ce n'est pas d'obtenir des stupéfiants mais c'est d'arrêter les personnes qui sont sujettes à un avis de guet que la Gendarmerie vous a émis?         
         R      Effectivement, oui.         
         Q      Effectivement, c'est ça. Et si vous trouvez des stupéfiants, immédiatement, vous prenez la personne en question et vous la remettez...         
         R      À la G.R.C.         
         Q      ... à la G.R.C.?         
         R      Effectivement, oui Monsieur le juge.         
         Q      Vous avez terminé votre travail à ce moment-là?         
         R      Oui, effectivement.         
         Q      Alors je vous présente la pièce P-4. Il y a une étampe à la gauche qui dit "Mainlevée" .         
         R      Oui, effectivement.         
         Q      Alors ça veut dire que vos fonctions sont maintenant complétées. Vous avez arrêté la personne, vous avez examiné les animaux, tout est conforme à ce que vous exigiez, vous, à ce moment-là, vos exigences?         
         R      Mais j'étais pas présent ce soir-là.         
         Q      Non, non, mais je vous montre la pièce, puis la date est bien là?         
         R      Oui. Ça veut dire que c'est relâché.         
         Q      C'est relâché. S'il y avait de la douane à percevoir sur les chevaux, là vous auriez pas donné mainlevée?         
         R      Non, non, non.         
         Q      Non. Mais en autant que vous étiez concerné, ces animaux-là entraient sans douane?         
         R      Sans douane, c'est ça.         
         Q      Sans douane. Alors là ils ont été transportés à l'Hôpital Saint-Hyacinthe?         
         R      Oui.         
         Q      Bon. Si vos douaniers sont restés à Saint-Hyacinthe, c'est pour rendre main forte à la Gendarmerie Royale?         
         R      Oui, effectivement.         
         Q      Parce que votre enquête, effectivement, était maintenant terminée?         
         R      Terminée.         
         Q      Bon. Alors qui avait la responsabilité ultime pour permettre aux chevaux d'être libérés de Saint-Hyacinthe à monsieur Hamel?         
         R      C'était la G.R.C.         
         Q      Vous aviez plus de contrôle?         
         R      Non.         

         Une fois les chevaux dédouanés, les agents des douanes les ont alors remis entre les mains des membres de la G.R.C. afin que ces derniers en aient le contrôle. Par ailleurs, bien qu'il soit vrai que les membres de la G.R.C. sont aussi des agents des douanes selon la Loi sur les douanes, il n'en demeure pas moins que lorsque les chevaux ont été conduits à St-Hyacinthe, ceux-ci avaient été préalablement dédouanés et qu'en conséquence, Monsieur Hamel aurait pu continuer sa route avec les chevaux n'eut été des soupçons de la G.R.C. à son égard. Le témoignage de Monsieur Deriggi est d'ailleurs à l'effet que les animaux ont été sous le contrôle de la G.R.C. suite au dédouanement et que la seule raison pour laquelle des agents des douanes ont accompagné les membres de la G.R.C. à St-Hyacinthe était parce que la G.R.C. manquait de personnel.

         L'alinéa 99(1)(a) de la Loi sur les douanes ne peut donc pas s'appliquer en l'espèce. Toutefois, les alinéas 99(1)(e) et (f) pourraient peut-être s'appliquer. Ces alinéas se lisent ainsi:

         99.(1) L'agent peut:         
         e) visiter les marchandises dont il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont donné ou pourraient donner lieu à une infraction soit à la présente loi, soit à toute autre loi fédérale à l'égard de laquelle il a des fonctions d'exécution ou de contrôle d'application, soit aux règlements d'application de ces lois, ainsi qu'en ouvrir ou faire ouvrir tous colis ou contenants;         
         f) s'il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu'un moyen de transport ou que les marchandises se trouvant à son bord ont donné ou pourraient donner lieu à une infraction visée à l'alinéa e), immobiliser le moyen de transport, monter à son bord et le fouiller, visiter les marchandises et en ouvrir ou faire ouvrir tous colis ou contenants, ainsi que faire conduire le moyen de transport à un bureau de douane ou à tout autre lieu indiqué pour ces opérations.         
                 

         À la lecture de ces alinéas, l'agent des douanes doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner la perpétration d'une infraction avant de "visiter" lesdites marchandises. Or, en l'instance, tel n'était pas le cas. Le témoignage de Monsieur Daniel Paradis, membre de la G.R.C., est d'ailleurs très explicite. La présente affaire tire son origine d'informations que Monsieur Paradis a reçu d'un individu concernant Monsieur Hamel. Fort de ces informations, Monsieur Paradis a démarré un semblant d'enquête. Je dis bien semblant d'enquête puisqu'il n'y a aucun doute qu'aucune enquête véritable n'a été faite dans le présent dossier. Suite à des vérifications que je qualifie de sommaires, Monsieur Paradis a remis le dossier à la G.R.C. qui a ensuite fait émettre un avis de guet sur les chevaux de la partie demanderesse.

         Je suis d'avis que les membres de la G.R.C., qui ont retenu et fait examiner les chevaux de la partie demanderesse, n'avaient pas de motifs raisonnables de soupçonner que lesdits chevaux contenaient de la cocaïne et qu'en conséquence, les alinéas 99(1)(e) et (f) de la Loi sur les douanes ne peuvent être invoqués par la partie défenderesse en l'instance. Monsieur Daniel Paradis a, dans son témoignage, admis que la G.R.C. a agi suite aux informations qu'il a reçues de la part d'un informateur, informateur qu'il ne connaissait pas vraiment. Les informations qu'il a reçu de l'informateur étaient à l'effet que Monsieur Hamel utilisait des chevaux afin de transporter de la drogue des États-Unis au Canada. L'informateur lui a aussi mentionné que la drogue était de la cocaïne et qu'une fois que les chevaux étaient arrivés au Ranch Double J. Inc, ils étaient alors abattus afin d'en extraire la drogue. Les chevaux étaient ensuite enterrés sur la terre de Monsieur Hamel ou tout près de là. Près de 19 chevaux seraient enterrés sur la terre de Monsieur Hamel selon l'informateur. Au soutien de cette affirmation, il a expliqué que par le passé, il a tenté d'acheter un cheval qui venait d'arriver des États-Unis mais que Monsieur Hamel lui a dit de revenir plus tard car il n'avait pas le temps de lui vendre. Or, quand il est revenu pour acheter ledit cheval, celui-ci avait disparu. Monsieur Hamel l'aurait alors avisé qu'il avait dû l'abattre puisqu'il était malade.

         L'informateur lui a aussi parlé d'autres personnes qu'il soupçonnait de faire le même genre de trafic et il lui a dit qu'un d'entre eux était présentement au Texas avec des gens d'Italie. L'informateur a également mentionné qu'il trouvait étrange que Monsieur Hamel ait de l'argent et jouisse d'un bon train de vie alors qu'en 1985, il n'avait pas un sou et ne pouvait pas même payer le cheval qu'il venait d'acheter.

         Suite à ces informations, Monsieur Paradis a effectué les recherches suivantes avant de transmettre l'information au secteur de la G.R.C. qui a été chargé de "l'enquête":

         Quand j'ai reçu l'information, le lendemain ou le surlendemain, le lendemain à mon bureau j'ai vérifié pour le voyage au Texas pour l'autre rancher et puis j'ai découvert qu'en effet la personne qu'il m'avait nommée était, voyageait au Texas, le même jour ou la veille de ma vérification, et était accompagné de deux (2) gens d'Italie, deux (2) personnes, deux (2) hommes d'Italie.         
         Et j'ai contacté le Drug Enforcement Agency du Texas, qui est l'équivalent de la G.R.C. pour les stupéfiants aux États-Unis. Ils m'ont avisé qu'en effet il y avait un encan assez important de chevaux à cet endroit-là, disons que je me rappelle plus de l'endroit exact au Texas, mais qu'eux n'avaient pas le temps de faire aucune vérification, ils étaient occupés ailleurs. Ç'a été vérifié, ça, à travers une compagnie aérienne où qu'il y avait les billets d'avion d'achetés.         
         J'ai contacté notre officier de liaison de la G.R.C. à Rome, en Italie, pour lui demander de vérifier les noms. La seule chose qu'il pouvait confirmer, c'est que ces gens-là étaient en moyens, mais les autorités italiennes étaient dans une enquête monstre sur le crime organisé, il n'avait aucune idée qui était qui, alors ils étaient pêle-mêle. Il pouvait pas m'en dire plus là-dessus.         
         Sauf qu'un peu plus tard, ils ont confirmé que ces deux (2) gens-là étaient revenus en Italie et puis ils avaient rien apporté, ni chevaux ni stupéfiants, rien du tout.         
         Q      Est-ce que vous avez parlé à votre informateur une fois ou plusieurs fois?         
         Q      Cette personne-là, vous la connaissiez bien ou...         
         R      Non, moi je le connaissais pas très bien. Lui me connaissait plus que moi je le connaissais. Il savait qu'est-ce que je faisais dans la vie, quel genre de travail je faisais et puis il m'a contacté en me disant qu'il voulait me donner des informations. Comme je savais qui il était, mais on n'était pas des connaissances...         
                 
         J'ai rapporté l'information, j'ai moi-même vérifié quelques faits tels que le voyage au Texas de d'autres ranchers, puis j'ai vérifié avec les douanes si monsieur Hamel, en effet, travaillait, voyageait, excusez, couramment aux États-Unis, ou quelques fois aux États-Unis pour rapporter des chevaux, et tout était positif.         
         Toutes mes recherches ont été positives et j'ai pu voir qu'il y avait, en effet, des personnes au Texas qui corroboraient l'information que j'avais reçue et je voyais aussi que monsieur Hamel avait été assez souvent quand même acheter des chevaux aux États-Unis, et même qu'il était présentement dans les États-Unis, qu'il était dû à revenir bientôt avec des chevaux.         
         Alors tout, pas tout mais plusieurs des informations que j'avais au dossier étaient corroborées de cette façon-là.         

         Par ailleurs, aucune preuve ne m'a été présentée à l'audition à l'effet qu'une enquête plus poussée avait été faite par la G.R.C. Au contraire, ce qui est ressorti des témoignages recueillis lors de l'audition est plutôt que tous les événements qui ont eu lieu le 18 juin 1990 ont été orchestrés suite aux informations obtenues par Monsieur Daniel Paradis et ses piètres vérifications de celles-ci. Rien dans la preuve ne m'indique, entre autre, que les comptes bancaires détenus par la partie demanderesse ont été vérifiés ou même que les voisins de Monsieur Hamel ont été interrogés au sujet des activités de celui-ci ou encore celles du Ranch Double J. Inc.

         En raison de ce qui précède, je suis d'avis que la G.R.C. ne détenait pas assez de renseignements au sujet de Monsieur Hamel et du Ranch Double J. Inc. pour agir comme elle l'a fait. Une personne prudente et diligente aurait enquêter plus longuement et aurait vérifié la véracité des allégués obtenus par sa "source" avant d'intervenir.

         Devant ces faits, je suis satisfait que c'est de façon fautive que les préposés de sa Majesté ont retenu et fait examiner les chevaux de la partie demanderesse puisque les alinéas 99(1)(a), (e) et (f) de la Loi sur les douanes ne peuvent s'appliquer en l'espèce.

Fuite de l'information

         La partie demanderesse soutient également que les préposés de la partie défenderesse ont commis une faute en transmettant de l'information aux médias concernant la présente affaire.

         En l'instance, le procureur de la partie défenderesse a soumis d'une part, que les préposés de sa Majesté n'étaient pas responsables de la fuite de l'information aux médias. D'autre part, il a soumis que même si cette Cour en venait à la conclusion qu'un agent de sa Majesté est responsable de ladite fuite, celui-ci aurait agi à l'extérieur de ses fonctions lorsqu'il a transmis l'information aux médias.

         Je ne suis toutefois pas de cet avis. Après avoir considéré les différents éléments de preuve au dossier, je suis convaincu, selon la balance des probabilités, qu'un membre de la G.R.C. est responsable de la fuite de l'information aux médias.

         La jurisprudence a clairement établi que la partie demanderesse n'a pas à identifier la ou les personnes responsables de la faute qui a été commise à son égard. Il suffit qu'elle démontre que la faute qu'elle a subi découle de l'action d'un préposé de sa Majesté qui agissait dans l'exécution de ses fonctions au moment où il a commis la faute4.

         Bien qu'aucun journaliste qui a témoigné devant cette Cour n'ait identifié un membre de la G.R.C. comme étant sa source de renseignements au sujet de la présente affaire et que tous les préposés de sa Majesté qui ont témoigné ont déclaré que la fuite ne provenait pas d'eux, la fuite de l'information ne peut provenir que de la G.R.C. En effet, trop de détails sont divulgués dans les divers articles publiés dans la presse écrite. Par exemple, dans un des articles en date du 20 juin 1990, les passages suivants sont retrouvés:

         Par un subterfuge que la police considère comme une première dans les annales judiciaires canadiennes, de rusés trafiquants de drogue auraient utilisé de véritable chevaux comme "courriers" pour tenter d'importer au Québec 200 kilos de cocaïne, d'une valeur estimée à plus de 130 millions$ au marché noir.         
         ...         
         Bien que l'enquête policière n'en soit qu'au stade préliminaire, La Presse a appris hier que les animaux ayant servi de cobayes pour le transport de la précieuse poudre blanche sont présentement sous surveillance médicale, à la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal, à Saint-Hyacinthe.         
         Si les soupçons des policiers sont fondés, tous ces chevaux pourraient éventuellement évacuer naturellement ou par chirurgie, aujourd'hui ou demain, une quantité appréciable de cette drogue que l'on croit dissimulée dans leur anatomie.         
         ...         
         En fait, il semble que les policiers fédéraux aient appris, il y a un certain temps, que des individus voulaient se servir d'animaux de grande taille pour faciliter le transport d'importantes quantités de drogue entre les États-Unis et le Canada.         

    

         Dans un autre article en date du 22 juin 1990, il a été écrit ce qui suit au sujet de la présente affaire:

         Ce serait à la suite de certaines informations parvenues à la police que cette surveillance et cette "détention" des chevaux a été ordonnée.         

    

         En date du 5 juillet 1990, l'extrait suivant a été publié dans un quotidien de la région de Montréal:

         Les policiers de la GRC croyaient dur comme fer que les chevaux étaient bourrés de cocaïne et on parlait même de 200 kg, d'une valeur de 60 millions $ sur le marché noir.         
                 

         Seul un membre de la G.R.C. pouvait dire exactement combien de kilos de cocaïne les chevaux de la partie demanderesse étaient soupçonnés de transporter lors de leur passage au bureau de douane de Lacolle (Blackpool). De même, seul un membre de la G.R.C. pouvait savoir que des renseignements obtenus d'un informateur sont à l'origine de la présente affaire. Certes, Monsieur Hamel a accordé de nombreuses entrevues télévisées et a livré ses commentaires à la presse écrite. Il n'a toutefois agi ainsi qu'après que la fuite de l'information aux médias soit survenue. Il ne cherchait qu'à rétablir les faits et donner son opinion sur la situation. Il n'était certainement pas au courant du nombre de kilos de cocaïne que la G.R.C. le soupçonnait de transporter pas plus qu'il ne connaissait l'existence de l'informateur.

         Par ailleurs, je ne peux accepter la soumission du procureur de la partie défenderesse à l'effet que le membre de la G.R.C. à l'origine de la fuite de l'information n'agissait pas à l'intérieur de ses fonctions puisqu'aucun membre de la G.R.C. n'a été autorisé à divulguer des renseignements au sujet de cette affaire. Dans la décision Goh Choon Seng v. Lee Kim Soo5, Lord Phillimore a écrit ce qui suit sur l'étendue de la responsabilité d'un employeur face aux actions de son employé:

         The principle is well laid down in some of the cases cited by the Chief Justice, which decide that "when a servant does an act which he is authorized by his employment to do under certain circumstances and under certain conditions, and he does them under circumstances or in a manner which are unauthorized and improper, in such cases the employer is liable for the wrongful act."         

         En l'instance, les renseignements qui ont été divulgués aux médias découlaient directement de "l'enquête" menée par la G.R.C. Seul un membre de la G.R.C. impliqué de près ou de loin dans cette enquête pouvait fournir les renseignements qui ont été donnés aux médias. Que ce membre ait agi seul ou avec le consentement de la G.R.C. n'enlève rien au fait que lorsqu'il a communiqué lesdits renseignements aux médias, il l'a fait à titre de membre de la G.R.C. impliqué dans ladite enquête.

         C'est donc de manière fautive et à l'intérieur de ses fonctions que le membre de la G.R.C. a agi en transmettant des informations aux médias.

Dommages et Quantum des dommages

         Il ne fait aucun doute que la partie demanderesse a subi un préjudice direct et immédiat6 suite aux actions des préposés de sa Majesté. La partie demanderesse a donc le droit de recevoir réparation de la partie défenderesse pour les dommages qui lui ont été causés par les fautes de ses préposés.

         Le Ranch Double J. Inc. a subi un préjudice suite aux traitements qui ont été infligés aux chevaux lors de leur séjour à St-Hyacinthe. Selon la preuve qui m'a été présentée, lesdits chevaux étaient en bonne santé lorsqu'ils ont été inspectés aux États-Unis. Il en était de même lorsqu'ils ont été examinés au bureau de douane de Lacolle (Blackpool). Or, nul ne peut nier que la série d'examens que ces chevaux ont reçus suivant leur transport à St-Hyacinthe a eu des effets sur ceux-ci. Ils ont été, entre autre, nourris de laxatifs pendant au moins 3 jours afin de vérifier s'ils ne contenaient pas de la drogue. Cette purge les a affaibli et leur a fait perdre du poids. De même, certains chevaux ont été rasés à divers endroits, toujours dans le but de s'assurer qu'ils ne contenaient pas de la drogue. Par ailleurs, ces chevaux devaient être vendus lors d'un encan le vendredi suivant. Ils n'ont toutefois pas pu être vendus à cette date puisqu'ils ont été remis à la partie demanderesse qu'après ledit vendredi. Or, lorsque les chevaux ont été retournés à Monsieur Hamel, celui-ci a, devant leur état de santé, décidé de les vendre à moindre prix.

         En conséquence, en ce qui a trait à la réclamation du Ranch Double J. Inc. suite à la perte reliée aux chevaux, je la fixe à 5 000$ à la lumière des différents éléments de preuve qui m'ont été présentés lors de l'audition, et plus particulièrement puisque le Ranch Double J. Inc. a tout de même réussi à vendre lesdits chevaux.

         Par ailleurs, l'atteinte à la réputation peut donner lieu à l'obtention d'une réparation lorsqu'elle constitue une faute qui a entraîné des dommages.

         Pour que la diffamation donne ouverture à une action en dommages-intérêts, son auteur doit avoir commis une faute. Cette faute peut résulter de deux genres de conduite. La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s'attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l'humilier, à l'exposer à la haine ou au mépris du public ou d'un groupe. La seconde résulte d'un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où la défenderesse a malgré tout porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites constituent une faute civile, donnent droit à réparation, sans qu'il existe de différences entre elle sur le plant du droit de recours. En d'autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d'abandonner résolument l'idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d'un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire. De plus, la diffamation en droit civil ne résulte pas seulement de la divulgation ou de la publication de nouvelles fausses ou erronées7.         

         Une telle atteinte cause généralement deux types de dommages, soit des dommages matériels et des dommages moraux:

         La diffamation donne tout d'abord lieu à la réparation du préjudice économique qu'elle entraîne. Ainsi en est-il de la perte de clientèle, de la diminution des ventes consécutive aux attaques dirigées contre un produit par un concurrent. Doit aussi être indemnisé le préjudice physique ou psychologique enduré par la victime surtout s'il a eu impact sur sa capacité de travail et donc de gain.         
         La plupart du temps cependant, l'essentiel de la réclamation est constitué des dommages moraux éprouvés par la victime. Il s'agit alors de compenser l'atteinte à sa réputation et de chercher à réparer l'humiliation, le mépris, la haine ou le ridicule dont elle fait l'objet8.         

         Les facteurs suivants sont habituellement pris en considération par les Cours de justice dans l'évaluation des dommages qu'une atteinte à la réputation a causés:

         On retient tout d'abord la gravité de l'acte. S'agit-il d'un simple commentaire discourtois ou impoli, ou au contraire d'une attaque en règle? L'intention de l'auteur de la diffamation, si elle n'a aucune importance au niveau de l'établissement de la faute, peut en avoir une au niveau de l'évaluation du préjudice. La jurisprudence est ainsi plus sévère lorsque l'auteur s'est servi de la diffamation pour tenter de ruiner le demandeur ou de bloquer ses aspirations politiques. La diffusion de la diffamation est évidemment importante. Une publicité large doit logiquement motiver un octroi plus généreux que si elle a été restreinte à une petit cercle. La condition des parties, la portée qu'a eue l'acte sur la victime et son entourage, la durée de l'atteinte, la permanence ou le caractère éphémère des effets sont aussi à considérer9.         

         La réputation de Monsieur Hamel ainsi que celle du Ranch Double J. Inc. ont été entachées par les actions fautives des préposés de sa Majesté. En l'instance, je traiterai de la perte d'affaires subie par le Ranch Double J. Inc. avant de traiter des dommages moraux.

         Le Ranch Double J. Inc. a subi une perte d'affaires suite aux événements du 18 juin 1990. Messieurs Yves Nolin et Michel Herbert, oeuvrant tous deux dans le domaine des chevaux, sont venus témoigner à l'effet que les gens dans le milieu des chevaux discutent encore des événements du 18 juin 1990. Monsieur Yves Nolin a aussi déclaré que peu de temps après le 18 juin 1990, il a, pendant une certaine période de temps, ralenti ses achats auprès de la partie demanderesse. Il a, par la suite, recommencé à faire affaire avec la partie demanderesse mais a déclaré que plusieurs personnes ont refusé de continuer de faire affaire avec la partie demanderesse.

         Les événements du mois de juin 1990 ont aussi donné naissance à de nombreux articles de journaux et reportages à la télévision. Certains articles de journaux portaient des titres assez accrocheurs qui ne pouvaient que nuire à la réputation de la partie demanderesse et faire fuir de potentiels clients: "Les chevaux bourrés de drogue - Au lieu de la "Coke" ... des excréments!", "Du fumier "pur à 100%" et "Saisie de dix chevaux que la GRC croit bourrés de 200 kilos de cocaïne".

         En conséquence, bien qu'il soit quelque peu difficile d'établir avec certitude la perte d'affaires du Ranch Double J. Inc. suite aux événements du 18 juin 1990, cette Cour chiffre à 20 000$ la somme que devra lui verser la partie défenderesse suite aux actions fautives de ses préposés.

         Par ailleurs, suite à la parution de ces articles, Monsieur Hamel, sa femme ainsi que leur fille ont été ridiculisés, humiliés et désignés comme étant des trafiquants de drogue par le public en général et en particulier, par les gens qui gravitent dans le monde des chevaux. Malgré le fait que les journaux et reportages à la télévision ont tous mentionné que la G.R.C. n'a pas trouvé de drogue dans les chevaux, ce fut trop peu, trop tard. En effet, alors qu'une réputation se bâti petit à petit, il suffit de peu pour la détruire. Dans le cercle relativement fermé des chevaux, la réputation de Monsieur Hamel et du Ranch Double J. sont à jamais souillées. Selon la preuve qui a été présentée devant moi, les événements du mois de juin 1990 font encore l'objet de discussions et de spéculations. De même, des doutes subsistent encore quant à l'honnêteté de Monsieur Hamel et à la respectabilité du Ranch Double J. Inc. dans le monde des chevaux. Malgré le fait que Monsieur Hamel a lui-même contribué à la médiatisation des événements du mois de juin 1990 en accordant des entrevues tant à la presse écrite qu'à la télévision, il n'a agi ainsi qu'en réaction aux articles de journaux peu flatteurs à son égard. Il ne cherchait qu'à rétablir sa réputation. Nul ne peut lui reprocher d'avoir agi ainsi.

         La Cour suprême du Canada a écrit ce qui suit au sujet de l'importance de la réputation pour un individu:

         Les démocraties ont toujours reconnu et révèrent l'importance fondamentale de la personne. Cette importance doit, à son tour, reposer sur la bonne réputation. Cette bonne réputation, qui rehausse le sens de valeur et de dignité d'une personne, peut également être très rapidement et complètement détruite par de fausses allégations. Et une réputation ternie par le libelle peut rarement regagner son lustre passé. Une société démocratique a donc intérêt à s'assurer que ses membres puissent jouir d'une bonne réputation et la protéger aussi longtemps qu'ils en sont dignes10.         

         Je suis d'avis que le même raisonnement est applicable à une personne morale. En effet, la réputation d'une entreprise est essentielle à sa prospérité et à son développement.

         En conséquence, après avoir révisé la preuve au dossier, je suis d'avis que Monsieur Hamel et le Ranch Double J. Inc. sont en droit de recevoir de la partie défenderesse la somme de 25 000$ chacun en réparation de l'atteinte à leur réputation et pour les dommages divers, humiliations et tracasseries qui découlés des fautes commises par les préposés de sa Majesté.

Conclusion

         Pour ces motifs, la présente action est accueillie.

         La partie défenderesse devra verser la somme de 25 000$ à Monsieur Jean-Yves Hamel. De même, elle devra verser la somme de 50 000$ au Ranch Double J. Inc. Ces sommes portent intérêt au taux légal depuis la date de l'institution de la demande en justice11. Je suis toutefois d'avis que rien ne justifie l'imposition d'une indemnité additionnelle en vertu de l'alinéa (c) de l'article 1056 du Code civil.

         J'accorde les frais et dépens à la partie demanderesse.

JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 20 août 1996

__________________

     1 L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1, mod. par L.C. 1986, c. 1.

     2 Loi sur la responsabilité de l'État, L.R.C. 1985, c. C-50, art.3.

     3 Laperrière c. The King, [1946] R.C.S. 415; J.P.L. Canada Imports c. Canada (1990), 43 F.T.R. 119 (1ère inst.); Robitaille c. The Queen, [1981] 1 C.F. 90 (1ère inst.) où la Cour a confirmé que lorsqu'une cause d'action prenait naissance au Québec, le Code civil était alors applicable en matière délictuelle.

     4 La Reine c. Crown Diamond Paint Co., [1983] 1 C.F. 837 (C.A.).

     5 [1925] A.C. 550, 554.

     6 Volkert c. Diamond Truck Co. Ltd., (1939) 66 B.R. 385; conf. [1940] R.C.S. 455.

     7 J.-L. Baudoin, La responsabilité civile, 4e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1994 aux pp. 236 - 7.

     8 Ibid. aux pp. 238-9.

     9 Ibid. aux pp. 239-40.

     10 Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130.

     11 1056(c) du Code civil.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR:

T-1529-91

INTITULÉ :

Jean-Yves Hamel et Double J. Ranch Inc.

c.

Reine au droit du Canada et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

30 avril et 1 mai 1996

Sa Majesté la

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ROULEAU EN DATE DU 20 août 1996

COMPARUTIONS

Me Gérald Tremblay POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Raymond Piché POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE Me Nadine Perron

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Duval Brochu Tremblay & Associés POUR LA PARTIE DEMANDERESSE Repentigny (Québec)

George Thomson POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE Sous-procureur général du Canada

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