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Date : 20030821

Dossier : IMM-425-03

Référence : 2003 CF 989

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 21 août 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                             WAI-MAN CHIK

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE KELEN


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la conseillère en immigration Andrea Barker a refusé, le 10 janvier 2003, une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) en vue de l'obtention d'une dispense de l'obligation d'obtenir le visa d'immigrant prévu au paragraphe 11(1) de la LIPR, pour des motifs d'ordre humanitaire (la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire).

[2]                 Le demandeur soutient que la décision devrait être infirmée parce qu'elle est déraisonnable et qu'elle minimise d'une façon inacceptable l'intérêt supérieur de l'enfant du demandeur, qui est né au Canada. La seule disposition législative pertinente figure au paragraphe 25(1) de la LIPR, qui est ainsi libellé :

Séjour pour motif d'ordre humanitaire

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient.

[Non souligné dans l'original.]

***

Humanitarian and compassionate considerations

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

[Emphasis added.]


[3]                 Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine (la Chine); il est arrivé au Canada, à l'aéroport international de Vancouver, le 19 mars 1992 et il a revendiqué le statut de réfugié. Au moment où il a présenté sa revendication, le demandeur a fait une déclaration sous serment dans laquelle il affirmait ne pas craindre d'être persécuté en Chine et vouloir [TRADUCTION] « travailler au Canada pour gagner plus d'argent et améliorer son sort » . Le demandeur ne s'est pas présenté à l'audience relative au statut de réfugié et à une audience subséquente relative à l'abandon de sa revendication. Il a donc été déclaré que la revendication avait été abandonnée et le demandeur a été frappé d'une mesure d'exclusion. Le demandeur ne s'est pas présenté à ces audiences parce qu'il était détenu par les autorités de l'Immigration aux États-Unis. Il affirme avoir été arrêté par les autorités américaines après s'être aventuré de l'autre côté de la frontière pendant qu'il effectuait une excursion le 2 septembre 1992. Les autorités américaines l'ont renvoyé au Canada au mois de juin 1993, mais il n'a pas informé Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de son retour. Au mois de septembre 1993, le demandeur a demandé la réouverture de sa revendication, mais dans une décision en date du 23 décembre 1993, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande.


[4]                 En 1998, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne, Mme Le Cam Cathy Ngo. Le 30 mars 1999, CIC a envoyé au demandeur une lettre dans laquelle on lui demandait de se présenter au Bureau de l'exécution de la loi de CIC à Vancouver le 13 avril 1999. Le demandeur ne s'est pas présenté à l'entrevue, mais il a par la suite soumis à CIC sa première demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire le 8 juin 1999. Le 10 mars 2000, la demande a été rejetée; une demande subséquente d'autorisation en vue d'un contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour le 27 juin 2000. Le demandeur a soumis à CIC une deuxième demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire le 1er août 2001, en affirmant que le couple ferait face à des problèmes émotifs s'il devait se séparer. Le 16 septembre 2002, Mme Ngo a donné naissance au seul enfant du couple, un garçon qui s'appelle Justin.

[5]                 La demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire a été examinée par la conseillère Barker le 10 janvier 2003 sans qu'une entrevue soit ménagée. La conseillère a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de motifs permettant l'octroi d'une dispense spéciale de l'application du paragraphe 11(1) de la LIPR. Dans les motifs écrits de sa décision, la conseillère en immigration a relaté les antécédents du demandeur pour ce qui est de l'immigration et a noté que le demandeur avait contracté un mariage véritable et qu'il était marié depuis plus de trois ans et demi. La conseillère a reconnu que la séparation serait difficile, mais elle a déclaré que le mariage en soi ne constitue pas un motif suffisant permettant d'accueillir une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. En outre, elle a déclaré qu'il est raisonnable qu'un couple qui décide de se marier alors qu'un conjoint n'a pas le statut d'immigrant ou dont le statut d'immigrant n'a fait l'objet d'aucune décision de s'attendre à une séparation aux fins du traitement de la demande d'immigration. En ce qui concerne la question de l'intérêt supérieur de l'enfant du demandeur, la conseillère Barker a dit ce qui suit à la page 5 de ses motifs :


[TRADUCTION] J'ai minutieusement examiné la question de l'intérêt du fils du demandeur. Je note que ce sont les parents qui décident de l'intérêt supérieur de leurs enfants. Or, le fils du demandeur a quatre mois. Il n'est pas encore suffisamment âgé pour reconnaître l'existence d'attaches avec un pays ou pour en faire l'expérience. Je suis convaincue que le fils du demandeur est suffisamment jeune pour être en mesure de s'adapter sans éprouver de problèmes à une installation en Chine. J'ai tenu compte de l'effet d'une séparation entre le demandeur et son enfant si les conjoints décident que leur fils devrait rester au Canada. Je reconnais que si la conjointe du demandeur décide de ne pas accompagner celui-ci en Chine, il lui serait difficile d'élever seule son fils et que ce serait une tâche exigeante. Toutefois, je note que telle est la situation de la plupart des parents seuls. Je note que la conjointe du demandeur a au Canada des parents qui lui viennent en aide ainsi qu'au demandeur. Dans une lettre en date du 25 novembre 2002, le père de la conjointe du demandeur dit que les conjoints louent une maison qui lui appartient et que sa fille travaille avec lui. Je note également qu'il y a dans la collectivité de nombreux groupes qui viennent en aide aux parents seuls. Je suis convaincue qu'il y aurait des réseaux de soutien qui pourraient aider la conjointe si le demandeur retournait en Chine pour présenter sa demande [en vue de résider en permanence au Canada].

[6]                 La conseillère en immigration s'est ensuite demandé dans quelle mesure le demandeur était établi au Canada; elle a noté que le demandeur a presque continuellement habité ici depuis 1992 et qu'il a travaillé : depuis le mois de mai 2000, il travaille comme aide-camionneur et touche un salaire annuel de 12 000 $, même si son dernier permis de travail a expiré le 25 avril 2000. Le demandeur parle et comprend plus ou moins l'anglais, mais il ne le parle pas couramment. Il affirme être actif dans la collectivité chinoise et prendre part à de nombreux événements communautaires. La conseillère Barker a conclu que même si le demandeur s'était dans une certaine mesure établi au Canada, cela ne constituait pas un motif suffisant pour lui accorder une dispense. Elle a noté que l'établissement du demandeur au Canada n'était pas attribuable à une situation indépendante de la volonté de celui-ci. La conseillère Barker a également noté que des membres de la famille immédiate du demandeur habitent en Chine et que le demandeur serait probablement en mesure de trouver un emploi s'il retournait en Chine.

[7]                 Après avoir énoncé tous ces facteurs, la conseillère en immigration a conclu, aux pages 5 et 6 de ses motifs, que les facteurs favorables ne l'emportaient pas sur les facteurs défavorables cumulatifs. Étant donné qu'elle n'était pas convaincue qu'en obligeant le demandeur à obtenir un visa de résident permanent à l'étranger, de la façon normale, on lui imposerait des difficultés inhabituelles, injustes ou indues, la conseillère a refusé de lever les obligations applicables.


[8]                 Comme il en a ci-dessus été fait mention, le demandeur sollicite l'annulation de la décision de la conseillère Barker parce qu'elle est déraisonnable et qu'elle minimise d'une façon inacceptable l'intérêt supérieur de l'enfant né au Canada. Aucun de ces deux motifs ne justifie en l'espèce l'intervention de la Cour. Il ressort de la décision de la conseillère en immigration qu'elle était « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant du demandeur et qu'elle n'a pas minimisé l'intérêt de cet enfant d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada, de sorte qu'elle a respecté les lignes directrices énoncées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 75. La conseillère a examiné à fond la question de l'intérêt de l'enfant et elle a conclu avec raison que cet intérêt militait en faveur du non-renvoi du demandeur. Toutefois, ni l'arrêt Baker ni le paragraphe 25(1) n'exigent que la conseillère Barker accorde à l'intérêt supérieur du fils du demandeur plus de poids qu'aux autres facteurs dont elle a tenu compte. La présence d'un enfant né au Canada constitue une partie importante de l'analyse, mais elle n'oblige pas l'agent d'immigration à exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du parent : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 212 D.L.R. (4th) 139, 2002 CAF 125, paragraphe 12.

[9]                 En outre, le demandeur n'a pas démontré que la décision de la conseillère en immigration était déraisonnable. La norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires qui sont prises à la suite d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable simpliciter, comme l'a dit Madame le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, au paragraphe 62; par conséquent, la Cour n'infirmera pas la décision de la conseillère Barker simplement parce qu'elle aurait tiré une conclusion différente. Comme Monsieur le juge Décary l'a dit dans l'arrêt Legault, précité, au paragraphe 11, ce n'est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents d'immigration. Il existe en l'espèce des motifs impérieux d'intérêt public militant en faveur du renvoi du demandeur et la conseillère Barker pouvait avec raison accorder plus de poids à ces motifs qu'aux facteurs militant en faveur du non-renvoi du demandeur.


[10]            Le demandeur est arrivé au Canada il y a 11 ans et il a présenté une revendication manifestement futile en vue d'obtenir le statut de réfugié. Pour une raison ou une autre, le défendeur n'a pas renvoyé le demandeur, et ce, même si une mesure de renvoi conditionnel a été prise au mois de décembre 1993, après que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié eut décidé de ne pas rouvrir le dossier. Il a été déclaré que la revendication avait été abandonnée puisque le demandeur ne s'était pas présenté à l'audience relative au statut de réfugié parce que les autorités américaines de l'Immigration l'avaient incarcéré aux États-Unis, après l'avoir arrêté parce qu'il s'était [TRADUCTION] « par inadvertance » aventuré de l'autre côté de la frontière pendant qu'il effectuait une excursion le 2 septembre 1992. En 1999, le défendeur qui, pour une raison ou une autre, n'avait rien fait pendant six ans, a envoyé au demandeur une lettre dans laquelle il le convoquait à une entrevue au Bureau de l'exécution de la loi à Vancouver. Étant donné que le demandeur ne s'est pas présenté à l'entrevue, le défendeur a été obligé de délivrer un mandat d'arrestation et d'exécuter ce mandat. Depuis qu'il a reçu la lettre de convocation, le demandeur a présenté deux demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire, la demande de contrôle judiciaire ici en cause portant sur la deuxième demande. Dans la décision qui fait l'objet du présent examen, la conseillère en immigration Barker a considéré le dossier du demandeur en matière d'immigration comme un facteur défavorable. J'ai minutieusement examiné le fait que la conseillère s'était fondée sur ce facteur et je suis convaincu qu'il s'agit d'une question légitime d'intérêt public qui peut avec raison militer à l'encontre du demandeur en l'espèce. La Cour ne soupèsera pas de nouveau la preuve, et elle n'entreprendra pas une nouvelle appréciation des motifs d'ordre humanitaire.

[11]            L'importance de ces questions d'intérêt public a été décrite dans une remarque que le juge Décary a faite au paragraphe 19 des motifs qu'il a prononcés dans l'affaire Legault :

Bref, la Loi sur l'immigration et la politique canadienne en matière d'immigration sont fondées sur la prémisse que quiconque vient au Canada avec l'intention de s'y établir doit être de bonne foi et respecter à la lettre les exigences de fond et de forme qui sont prescrites. Quiconque entre illégalement au Canada contribue à fausser le plan et la politique d'immigration et se donne une priorité sur tous ceux qui, eux, respectent les exigences. Le ministre, qui est responsable de l'application de la politique et de la Loi, est très certainement autorisé à refuser la dispense que demande une personne qui a établi l'existence de raisons d'ordre humanitaire, s'il est d'avis, par exemple, que les circonstances de l'entrée ou du séjour au Canada de cette personne la discréditent ou créent un précédent susceptible d'encourager l'entrée illégale au Canada. En ce sens, il est loisible au ministre de prendre en considération le fait que les raisons d'ordre humanitaire dont une personne se réclame soient le fruit de ses propres agissements. [Non souligné dans l'original]

[12]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l'une ni l'autre partie n'a soumis de question à certifier et la demande ne soulève aucune question susceptible d'être certifiée. Aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-425-03

INTITULÉ :                                                        WAI-MAN CHIK

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 20 août 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Monsieur le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :                                     le 21 août 2003

COMPARUTIONS :

M. Aleksandar Stojicevic                                     POUR LE DEMANDEUR

Mme Banafsheh Sokhansanj                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maynara et Stojicevic

Vancouver (C.-B.)                                               POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                    

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