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Date : 20030709

Dossier : T-1911-01

Référence : 2003 CF 852

Winnipeg (Manitoba), mercredi 9 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE l'honorable Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                                          NEFCO FURNITURE LTD.

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

THE BRICK WAREHOUSE CORPORATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Le juge DAWSON


[1]                 Il s'agit de l'appel d'une décision de la Commission d'opposition des marques de commerce, comme déléguée du registraire des marques de commerce (la registraire), par laquelle la registraire a refusé la demande de Nefco Furniture Ltd. (le demandeur ou Nefco) d'enregistrer la marque de commerce MATTRESS EXPRESS pour l'utiliser en association avec la vente au détail de lits, matelas, sommiers, articles de literie et éléments de ceux-ci.

[2]                 Nefco a déposé la demande le 10 mars 1997. Le 24 juillet 1997, elle a été modifiée pour abandonner le droit d'utilisation exclusive du mot MATTRESS à l'exception de la marque de commerce. La demande d'enregistrement a été annoncée dans le Journal des marques de commerce le 3 décembre 1997. La Brick Warehouse Corporation (le défendeur ou Brick) a déposé une déclaration d'opposition le 21 janvier 1998. Les motifs de l'opposition étaient formulés comme suit :

[traduction]

a)              Avant la date de dépôt de la demande contestée, l'opposant avait utilisé et annoncé au Canada sa famille de marques de commerce BEDDING EXPRESS, SOFA EXPRESS, THE BRICK EXPRESS, TELEVISION EXPRESS, APPLIANCE EXPRESS, en association avec l'exploitation de magasins de détail de mobilier, vendant entre autres choses des lits, des divans-lits, des matelas, des sommiers, des articles de literie, des appareils électroménagers, des téléviseurs et du matériel audiovisuel.

b)             On ne peut déposer la marque de commerce MATTRESS EXPRESS en vertu de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, parce qu'elle crée de la confusion avec chacune des marques de commerce suivantes déposées :

Numéro                    Marque de commerce                           Services

d'enregistrement

379,559                     BEDDING EXPRESS             exploitation d'un magasin de mobiliers et d'appareils électroménagers

438,606                     SOFA EXPRESS    exploitation d'un magasin de mobiliers et d'appareils électroménagers

387,554                     THE BRICK EXPRESS         exploitation d'un magasin vendant des mobiliers, des appareils électroménagers, des téléviseurs et du matériel audiovisuel, commandés par des clients à partir de représentations photographiques rétroéclairées présentées dans le magasin


395,630                     TELEVISION EXPRESS       exploitation d'un magasin vendant des téléviseurs, du matériel audiovisuel, des mobiliers et des appareils électroménagers

395,631                     APPLIANCE EXPRESS        exploitation d'un magasin de mobiliers et d'appareils électroménagers

Des imprimés des enregistrements sont joints.

c)              Le demandeur n'est pas la personne habilitée à déposer la marque annoncée en prenant en considération l'article 16(3), parce qu'à la date de production de la demande contestée, elle créait de la confusion avec les marques de commerce BEDDING EXPRESS, SOFA EXPRESS, THE BRICK EXPRESS, TELEVISION EXPRESS, APPLIANCE EXPRESS, qui étaient antérieurement employées au Canada par l'opposant, en association avec les services mentionnés ci-dessus, lesquelles marques de commerce n'avaient pas été abandonnées à la date de l'annonce de la demande contestée.

d)             La marque de commerce dont le dépôt est demandé n'est pas distinctive, puisqu'elle ne se distingue ni n'est adaptée pour distinguer les services du demandeur des services de l'opposant, en raison de l'utilisation, de la publicité et de la réputation des marques de commerce de l'opposant mentionnées ci-dessus.

[3]                 Le demandeur a déposé sa contre-déclaration le 25 février 1998 ou aux alentours de cette date.


[4]                 Les deux parties ont présenté au registraire des éléments probants à l'appui de leur position. Brick a déposé des copies certifiées conformes des enregistrements canadiens des marques de commerce de Brick, BEDDING EXPRESS, SOFA EXPRESS, THE BRICK EXPRESS, TELEVISION EXPRESS, APPLIANCE EXPRESS et NOBODY BEATS THE BRICK. L'affidavit du vice-président à la publicité de Brick a été déposé, dans lequel il jure de l'utilisation par Brick des marques de commerce BEDDING EXPRESS, THE BRICK EXPRESS, TELEVISION EXPRESS, APPLIANCE EXPRESS et NOBODY BEATS THE BRICK. Le vice-président a aussi fourni des renseignements au sujet de l'histoire et de la nature de la société Brick, ainsi que certaines données sur les ventes.

[5]                 Nefco a déposé l'affidavit de son vice-président, Marchandises et marketing. Dans ce document, il jure que le demandeur avait utilisé la marque MATTRESS EXPRESS sur des enseignes à partir de mars 1997 et dans des annonces dans des journaux à partir de mars 1998; le demandeur possède aussi la marque de commerce déposée LEATHER EXPRESS qu'il utilise en association avec l'exploitation de magasins de vente au détail d'accessoires ménagers d'ameublement et que, depuis mars 1998, aucun client ni client éventuel ne l'a jamais informé d'une confusion, et qu'il n'était au courant d'aucun autre incident faisant état d'une confusion entre Nefco et Brick, du fait de l'utilisation par Nefco de la marque de commerce MATTRESS EXPRESS. Le vice-président jure aussi que l'avocat de Nefco lui a dit qu'ils avaient fait une recherche informatique dans la base de données sur les marques de commerce canadiennes le 21 avril 1999 en vue d'y trouver des enregistrements pertinents contenant le mot EXPRESS. Les résultats de cette recherche étaient présentés dans cet affidavit.

[6]                 Le déposant n'a pas été contre-interrogé à propos de son affidavit.

LA DÉCISION DE LA REGISTRAIRE


[7]                 La registraire a décidé, en se basant sur le premier motif d'opposition qui se fondait sur l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R. 1985, ch. T-13 (la Loi) et alléguait que MATTRESS EXPRESS ne peut être déposée, parce qu'elle crée une confusion avec chacune des marques de commerce de l'opposant BEDDING EXPRESS, SOFA EXPRESS, THE BRICK EXPRESS, TELEVISION EXPRESS et APPLIANCE EXPRESS. La registraire a exprimé des doutes sur le fait que les deuxième et troisième motifs auraient obtenu gain de cause. En en venant à sa conviction, la registraire a fait les conclusions qui suivent.

i)           Les éléments probants présentés par le vice-président du demandeur au sujet de la recherche informatique de l'avocat étaient une preuve par ouïe-dire et, de ce fait, n'étaient pas pris en compte.

ii)          Ni la marque MATTRESS EXPRESS du demandeur, ni la marque BEDDING EXPRESS de l'opposant n'avait un grand caractère distinctif propre. Les mots MATTRESS et BEDDING ont été rejetés parce qu'ils décrivent le caractère des services des parties. Le mot EXPRESS renvoie à un service rapide.

iii)          Au 10 mars 1997 (date du dépôt de la demande de Nefco), le niveau de notoriété des marques MATTRESS EXPRESS et BEDDING EXPRESS favorisait l'opposant; à partir du 21 janvier 1998 (date du dépôt de l'opposition de Brick), il était difficile d'évaluer si ce facteur favorisait l'une ou l'autre partie et à la date de la décision, la marque BEDDING EXPRESS de l'opposant n'était plus connue dans une mesure importante. La marque du demandeur n'était plus très connue.


iv)         Les services du demandeur et de l'opposant se recoupent de manière importante parce que les deux parties utilisent leurs marques en association avec la vente au détail de mobiliers, y compris des matelas. Il n'y avait pas de différences significatives entre les voies commerciales des deux parties.

v)          Il existe un degré élevé de ressemblance entre les marques, dans les idées qu'elles suggèrent. Les deux marques commencent par un mot lié à la literie et se terminent par le mot EXPRESS. Elle observe que « bedding » se définit comme incluant « mattress » . Il y a aussi un degré moindre de ressemblance entre l'apparence et la sonorité des marques.

vi)         La preuve d'une absence de confusion n'était pas particulièrement pertinente, parce que l'utilisation par le demandeur de la marque de commerce MATTRESS EXPRESS était quelque peu limitée. Il n'était pas clair que l'opposant exploitait un magasin dans les mêmes zones géographiques que les magasins du demandeur.

vii)         L'arrêt de production apparent de la marque du défendeur était une circonstance de l'espèce qu'elle a notée en prenant en compte les facteurs énumérés dans les alinéas 6(5)a) et b) de la Loi.

viii)        Les renseignements au sujet de NOBODY BEATS THE BRICK n'étaient pas pertinents à la question de la possibilité de confusion entre MATTRESS EXPRESS et n'importe quelle autre marque de l'opposant.


ix)         Sa décision ne serait pas affectée par le fait que l'opposant ait ou non une famille de marques.

[8]                 La registraire a conclu que le demandeur n'avait pas montré qu'il n'y avait pas de possibilité raisonnable de confusion entre la marque MATTRESS EXPRESS du demandeur et la marque déposée BEDDING EXPRESS de l'opposant jusqu'au 10 juillet 2001, date de la décision de la registraire. En conséquence, l'opposition fondée sur l'alinéa 12(1)d) de la Loi avait gain de cause.

ÉLÉMENTS DE PREUVE ADDITIONNELS LORS DE L'APPEL

[9]                 Lors du présent appel, le demandeur a déposé des listes imprimées de marques déposées, d'enregistrements radiées, de demandes abandonnées et de demandes en attente concernant des marques comportant le mot EXPRESS et des imprimés d'enregistrement de marques de commerce comportant le mot EXPRESS. Nefco déposait aussi une preuve par affidavit, portant sur la proximité de son magasin avec le magasin de Brick. Était aussi soumis comme élément de preuve le fait que la registraire avait émis un avis à Brick, conformément à l'article 45 de la Loi, concernant l'enregistrement de la marque BEDDING EXPRESS et que la marque de commerce BEDDING EXPRESS avait été radiée le 5 septembre 2002, conformément au paragraphe 45(4) de la Loi. La preuve est étudiée plus en détail ci-après sous l'en-tête Norme de contrôle judiciaire.


LA QUESTION EN APPEL

[10]            Dans le présent appel de la décision de la registraire, Nefco soulève une seule question. La registraire a-t-elle commis une erreur en disant que Nefco ne satisfaisait pas à son obligation de montrer qu'il n'y a pas de probabilité raisonnable de confusion entre sa marque de commerce MATTRESS EXPRESS et la marque de commerce déposée BEDDING EXPRESS de Brick, au 10 juillet 2001?

[11]            Brick a limité ses présentations au fait de savoir si la marque MATTRESS EXPRESS crée une confusion avec la marque de commerce déposée BEDDING EXPRESS. Brick ne s'appuie pas sur une confusion avec n'importe laquelle de ses autres marques, ni avec une famille de marques de commerce.

NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE


[12]            Les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'un élément de preuve additionnel est déposé devant le tribunal et que cet élément aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne la pertinence de la décision du registraire. Voir Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, page 168 ou paragraphe 51 (C.A.); l'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada est rejetée le 14 septembre 2000, [2000] S.C.C.A. no 161.

[13]            Puisqu'un élément de preuve additionnel a été présenté pour le présent appel, il est donc nécessaire d'établir tout d'abord si cet élément de preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[14]            Le nouvel élément de preuve consiste en ce qui suit.

i)           Des recherches informatiques dans la base de données sur les marques de commerce canadiennes, y compris :

a)          une recherche dans toutes les entrées de la base de données portant sur des marques de commerce comportant le mot EXPRESS, faite entre le 1er janvier 1865 et le 4 décembre 2001. Il y avait 1 531 entrées de ce genre;

b)          la même recherche modifiée pour inclure le mot « détail » dans la description des marchandises et services. Il y avait 148 entrées de ce genre;

c)          la recherche originale modifiée pour inclure le mot « mobilier » dans la description des marchandises et services. Il y avait 28 entrées de ce genre.        


ii)          Des copies de la page des renseignements d'enregistrement pour 18 des 21 enregistrements des marques de commerce mentionnées dans l'affidavit du vice-président, Marchandises et marketing, déposé au nom de Nefco devant la registraire. C'était l'état de la preuve du registre dont la registraire n'a pas tenu compte au motif que c'était du ouïe-dire.

iii)          Les renseignements suivants au sujet des emplacements de vente au détail :

[traduction]                                    

Je suis bien au fait des emplacements de vente au détail du demandeur mentionnés dans le paragraphe 4 de l'affidavit de Daniel Adelman. Je sais aussi qu'un certain nombre d'année avant 1998, le défendeur a ouvert et exploite depuis un emplacement de vente au détail situé au 1065 St. James Street, à Winnipeg, qui est à moins de quatre îlots de l'emplacement de l'Ellice Avenue du demandeur.

iv)         La preuve que la registraire avait émis un avis au défendeur conformément à l'article 45 de la Loi pour fournir la preuve de l'utilisation de la marque BEDDING EXPRESS au cours des trois dernières années et que cette marque de commerce a été radiée à partir du 5 septembre 2002, du fait que le défendeur n'a pas fourni de preuve d'utilisation.

[15]            À mon avis, cet élément de preuve n'aurait pu avoir d'effet sur la décision de la registraire pour les raisons suivantes. En traitant de chaque catégorie soumis en preuve dans l'ordre établi ci-dessus, je conclus :


i)           que même s'ils sont admissibles, les résultats des recherches informatiques déposés comme éléments de preuve additionnels sont trop vagues pour être déterminants. Les résultats de la recherche consiste simplement en une liste de marques de commerce incluant des enregistrements radiés et des demandes abandonnées et en instance. Voici des exemples de renseignements contenus dans les listes :

·            « Marques de commerce : AMERICAN EXPRESS & DESIGN, DÉPOSÉE, 0541438, TMA315618 (O.OK). » C'était une liste obtenue par une recherche dans les entrées de la base de marques de commerce comportant le mot EXPRESS, pour lesquelles le mot « détail » est inclus dans la description des marchandises et services.

·            « Marques de commerce : DEUTSCHE POST WORLD NET MAIL EXPRESS LOGISTICS FINANCE & DESIGN (DESIGN #1), RECHERCHE, 1054177 (O.OK). » C'était une liste obtenue par une recherche dans les entrées de la base de marques de commerce comportant le mot EXPRESS, pour lesquelles le mot « mobilier » est inclus dans la description des marchandises et services.

Il n'est pas possible de dire exactement quelles marchandises et quels services sont couverts par chaque liste.


ii)          que, parmi les 21 enregistrements qui étaient devant la registraire, il y a maintenant des renseignements inclus concernant les marchandises et services associés aux marques. Cependant, trois seulement se rapportent aux services couverts par la marque MATTRESS EXPRESS. Ce sont : LEATHER EXPRESS, EXPRESS SERIES et FURNITURE EXPRESS. La registraire a tenu compte de l'enregistrement de LEATHER EXPRESS dans sa décision. Quant aux deux autres marques, l'état de la preuve du registre est pertinente dans la mesure où l'on peut en tirer des inférences au sujet de l'état du marché. Ces deux enregistrements n'auraient pas suffi à montrer que l'état du marché était tel que l'introduction d'une autre marque de commerce EXPRESS n'aurait pas causé de confusion. Voir : Welch Foods Inc. c. Del Monte Corp. (1992), 44 C.P.R. (3d) 205 (C.F. 1re inst.).

iii)          que la registraire n'a pas considéré que l'élément de preuve sur le manque de confusion était particulièrement pertinent pour des motifs liés à l'utilisation limitée de la marque de commerce de Nefco et le manque d'éléments de preuve relatifs à l'emplacement des magasins. Même avec la nouvelle preuve de proximité géographique des points de vente au détail, compte tenu de la preuve de l'emploi limité de la marque par le demandeur, je ne suis pas convaincue qu'un éclaircissement sur la proximité matérielle aurait eu un effet sur la décision de la registraire.


iv)        que la date pertinente pour évaluer la confusion est la date de la décision de la registraire. Le fait que l'avis émis en vertu de l'article 45 et que la radiation soient survenus après la date de la décision de la registraire rend cette preuve non pertinente. En outre, la registraire a conclu qu'il s'est écoulé sept années depuis la dernière utilisation attestée de la marque BEDDING EXPRESS. Elle a de plus conclu qu'elle n'était plus connue d'une manière significative et a reconnu que le non-emploi d'une marque de commerce déposée est un facteur pertinent. La registraire était sensible au manque d'utilisation de la marque de Brick. Elle doutait que l'opposition de Brick en vertu de l'article 16 de la Loi aurai eu gain de cause, en notant que Brick aurait eu à établir le non-abandon de la marque BEDDING EXPRESS, à la date de l'annonce de l'opposition de Nefco. Compte tenu de ces facteurs, je ne suis pas convaincue que le processus de l'article 45 aurait affecté la décision de la registraire.

[16]            Étant donné que j'ai conclu que l'élément de preuve additionnel n'aurait pas affecté la décision, je vais maintenant examiner si la décision de la registraire était manifestement erronée, ce qui équivaut à un examen suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[17]            Comme je dois maintenant en arriver à ma propre conclusion sur ce dossier, je n'ai pas besoin d'examiner si la date importante pour cet examen de novo est la date à laquelle la cour rend sa décision (soulevée en passant dans Baylor University c. la compagnie dite the Governor and Co. of Adventurers Trading into Hudson's Bay (2000), 8 C.P.R. (4th) 64 à la note 15 (C.A.).


LOI PERTINENTE

[18]            Pour établir si les marques de commerce créent de la confusion, le paragraphe 6(5) de la Loi prescrit que la registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

i)           le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

ii)          la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

iii)          le genre de marchandises, services ou entreprises;

iv)         la nature du commerce;

v)          le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

PRINCIPES APPLICABLES

[19]            Monsieur le juge Malone a passé en revue les principes généraux à appliquer par la Cour fédérale d'appel dans United States Polo Assn. c. Polo Ralph Lauren Corp. (2000), 9 C.P.R. (4th) 51. M. le juge Malone y écrit au paragraphe 18 :


L'examen de certains arrêts-clés fournit également des principes directeurs pratiques. Par exemple, la Cour doit se mettre à la place d'une personne ordinaire qui est familière avec la marque antérieure mais qui n'en a qu'un vague souvenir; la question à se poser est de savoir si un consommateur ordinaire, au vu de la marque postérieure, aura comme première impression que les marchandises avec lesquelles la seconde marque est employée sont en quelque façon associées à celles de la marque antérieure. S'agissant du degré de ressemblance dans la présentation, le son ou l'idée dont il est question à l'alinéa 6(5)e), les marques de commerce en cause doivent être examinées comme un tout. De la même façon, puisque c'est la combinaison des éléments qui constitue la marque de commerce et lui confère son caractère distinctif, il n'est pas correct, pour l'application du critère de la confusion, de placer les marques l'une en regard de l'autre et de comparer ou observer les ressemblances ou les différences des éléments ou des composantes de ces marques. En outre, les marques de commerce ne doivent pas être considérées séparément des marchandises ou services avec lesquels elles sont associées, mais en liaison avec ces marchandises ou services. Quant il s'agit de marques célèbres ou notoirement connues, il peut être plus difficile d'établir qu'il n'y a pas de probabilité de confusion, particulièrement quand le genre des marchandises est similaire. En dernier lieu, les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) ne doivent pas nécessairement se voir attribuer le même poids. Chaque cas de confusion peut justifier qu'on accorde plus d'importance à l'un de ces critères.

[20]            C'est au demandeur qu'il incombe de montrer que, dans l'esprit du consommateur moyen, il n'y a pas de possibilité de confusion avec la marque de commerce déposée.

ANALYSE

i) Caractère distinctif inhérent

[21]            En examinant les articles mentionnés dans le paragraphe 6(5) de la Loi, le demandeur ne conteste pas la conclusion de la registraire à l'effet qu'aucune des marques n'a de caractère distinctif inhérent, de sorte que ce facteur ne favorise aucune partie. Les marques faibles ont droit à une plage plus étroite de protection. Voir : Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.).


ii) Période d'usage

[22]            La date pertinente pour déterminer la confusion en vertu de l'alinéa 12(1)d) de la Loi est la date de l'établissement de l'opposition fait par la registraire d'après les éléments de preuve. Dans le cas présent, il est convenu que cette date est le 10 juillet 2001. À ce moment, la preuve concernant l'usage par Brick de sa marque était qu'elle avait fait l'objet d'une intense publicité entre 1990 et 1993, mais que plus de sept années s'étaient écoulées depuis le dernier usage attesté de BEDDING EXPRESS.

[23]            Comme l'a correctement noté la registraire, il était juste de conclure que BEDDING EXPRESS n'était plus très connu, plus de sept ans après son dernier usage.

iii) Genre de marchandises, services ou entreprises

[24]            Aucune contestation n'est faite de la conclusion de la registraire que les services se recouvrent de manière importante, parce que les deux parties utilisent leurs marques en association avec la vente au détail de mobiliers, dont des matelas.


(iv) Nature du commerce

[25]            La conclusion de la registraire à l'effet qu'il n'y avait pas de différence significative entre les canaux de distribution des parties était bien fondée et n'est pas contestée dans le présent appel.

v) Ressemblances dans la présentation, le son ou les idées qu'ils suggèrent

[26]            La registraire a trouvé un degré élevé de ressemblance entre les marques dans les idées qu'elles suggèrent et un moindre degré de ressemblance entre les marques dans la présentation et le son. Cette conclusion n'est pas contestée.

vi) Autres circonstances d'espèce

[27]            La registraire n'a accordé que peu de poids à la preuve du manque de confusion et a refusé d'examiner l'apparente cessation d'emploi de la marque de l'opposant, comme autres circonstances d'espèce. Le demandeur prétend que, ce faisant, la registraire a commis une erreur.


[28]            Je ne suis pas de son avis. Pour ce qui est du poids à donner à la preuve du manque de confusion, la registraire a accordé peu de poids à la preuve, en partie parce que l'utilisation par Nefco de la marque a été quelque peu limitée. À cause du non-usage par Brick de la marque, ce n'était pas un cas où il y aurait eu l'utilisation concurrente des marques sans confusion. À mon avis, la registraire avait le droit d'accorder peu de poids à la preuve.

[29]            Quant à l'apparente cessation d'emploi de la marque de Brick, je conviens avec la registraire que ce facteur a déjà été pris en compte en vertu des alinéas 6(5)a) et b) de la Loi. Il n'était pas nécessaire de tenir compte deux fois de ce facteur.

[30]            L'erreur grave alléguée est que la registraire n'a pas adéquatement tenu compte de l'effet du non-usage de la marque de l'opposant, au vu de ses conclusions qu'il n'y avait pas de preuve que la marque de Brick avait été utilisée après 1993, de sorte que la marque BEDDING EXPRESS n'était plus très connue.

[31]            La question fondamentale à résoudre par la registraire était de savoir si les marques de commerce en question créaient de la confusion. Le test de la confusion du paragraphe 6(1) de la Loi est de savoir si le consommateur moyen pensera que les marchandises pour lesquelles la deuxième marque est utilisée sont associées de quelque manière avec les marchandises de la première marque. C'est un test de première impression et un souvenir imparfait, et finalement l'établissement d'un fait. Parce que, dans tous les cas, c'est une question de fait, il faut accorder un poids égal à tous les facteurs mentionnés dans le paragraphe 6(5) de la Loi.

[32]            Dans la présente instance, même si certains facteurs comme la nature du commerce et le degré de ressemblance entre les marques suggèrent une possibilité de confusion, les facteurs déterminants sont, à mon avis, la faiblesse inhérente des marques et la conclusion juste de la registraire à l'effet que, à la date de sa décision, la marque Brick était peu connue. La faiblesse des marques et le fait que la première marque n'était plus très connue contredisent fondamentalement la conclusion de la registraire à l'effet que le demandeur n'avait pas montré qu'il n'y avait pas de probabilité raisonnable de confusion. Une marque faible, qui n'a pas été en usage pendant si longtemps et qui n'est plus très connue ne peut être une source de confusion.

[33]            Il faut accorder aux décisions d'un registraire une certaine mesure de déférence. Cependant, l'examen selon la norme de la décision raisonnable simpliciter commande que la Cour se demande si, après une examen quelque peu probant, les motifs de la registraire, pris comme un tout, appuient la décision. Voir : Law Society of New Brunswick c. Ryan, 2003, CSC 20 au paragraphe 47. Pour les motifs établis ci-dessus, je dois conclure que les motifs dans leur ensemble n'appuient pas la décision. Il s'ensuit que l'appel est accueilli avec dépens.


ORDONNANCE

[34]            IL EST ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES

1.          L'appel est accueilli et la décision de la registraire refusant la demande du demandeur, conformément au paragraphe 38(8) de la Loi, est annulée.

2.          Le défendeur paiera au demandeur les coûts du présent appel. En cas de désaccord, ces coûts seront évalués conformément au milieu de la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale, 1998.

             « Eleanor R. Dawson »                                                                                                                                    Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                    T-1911-01

INTITULÉ :                                   Nefco Furniture Ltd. c. The Brick Warehouse Corporation

LIEU DE L'AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :         11 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE

L'HONORABLE MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :              9 juillet 2003

COMPARUTIONS :

M. Robert A. Watchman                 DEMANDEUR

M. Christopher Brett                       DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado Buchwald Asper                                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                        POUR LE DÉFENDEUR

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