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Date : 20030917

Dossier : IMM-5685-02

Référence : 2003 CF 1076

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                                                 MOSTAFA KHAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 19 novembre 2002, décision par laquelle la Commission a estimé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, et n'était pas une personne à protéger.


[2]                 Le demandeur est un ressortissant du Bangladesh, âgé de 34 ans, qui affirme avoir des raisons de craindre la persécution en raison de ses opinions politiques. Il dit qu'il a été battu et torturé par la police et par des gens associés au Parti national du Bangladesh (le PNB) en raison des activités politiques et sociales qu'il menait au nom du Parti Jatiya.

[3]                 Le demandeur est arrivé au Canada le 15 novembre 1995 et a revendiqué, à son arrivée, le statut de réfugié. Une audience a eu lieu le 28 janvier 1999, et une décision défavorable a été rendue le 5 mars 1999. Cependant, le 1er février 2000, la Cour fédérale infirmait cette décision et renvoyait la revendication à un tribunal différemment constitué, pour nouvelle décision.

[4]                 Le 1er novembre 2002, une nouvelle audience a eu lieu. Après l'audience, la Commission a rendu une décision orale dans laquelle elle concluait que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention et n'était pas une personne à protéger.


[5]                 La Commission n'a pas cru l'affirmation du demandeur selon laquelle la police, les membres du PNB et les fondamentalistes musulmans étaient allés le chercher chez lui au Bangladesh en juillet 2002. La Commission a relevé les facteurs suivants qui selon elle rendaient peu vraisemblable cette affirmation : aucune charge n'était pendante contre le demandeur, le demandeur s'était trouvé hors du pays pendant une période de six ans, le PNB et les fondamentalistes musulmans savaient que le demandeur ne vivait plus dans son village, et le demandeur ne figurait pas sur la liste des suspects. Selon la Commission, il était impensable que les autorités décident d'aller chercher le demandeur à son domicile si elles savaient qu'il n'y était pas. Par ailleurs, si les autorités croyaient vraiment que le demandeur était responsable du meurtre, il est inconcevable que son nom n'ait pas figuré sur la liste des suspects.

[6]                 La Commission a aussi exprimé l'avis que le demandeur n'était plus en danger parce que le paysage politique du Bangladesh s'était modifié considérablement. Le demandeur s'était occupé de politique il y avait longtemps, à un niveau modeste, dans une région rurale, et le Parti Jatiya n'était plus une réelle menace pour le PNB car il n'y avait plus beaucoup de députés Jatiya au Parlement.

[7]                 Il est bien établi que la Commission est fondée à mettre en doute la crédibilité d'un requérant d'asile si elle constate des contradictions ou des incohérences dans la version du requérant ou si elle trouve que la preuve n'est pas vraisemblable. Lorsque la Commission tire sans équivoque de telles conclusions, appuyées de motifs, la Cour ne doit pas intervenir, quand bien même la preuve autoriserait théoriquement une autre conclusion (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) 160 N.R. 513 (C.A.F.)).

[8]                 Dans l'affaire Atwal c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 82 F.T.R. 73, le juge Gibson s'exprimait ainsi, au paragraphe 10 :


Il va sans dire qu'un tribunal n'est pas tenu de parler, dans ses motifs de décision, de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance. Le fait qu'un tribunal omette de le faire ne permet pas, dans des circonstances normales, de conclure qu'il n'a pas tenu compte de toute la preuve produite. J'arrive toutefois à la conclusion que ce principe ne s'applique pas au défaut de faire mention d'un document pertinent qui constitue une preuve directement applicable à la question fondamentale traitée dans la décision du Tribunal.

[9]                 Ainsi que le faisait observer le juge Evans dans l'affaire Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, l'obligation d'expliquer s'accroît avec l'utilité des éléments de preuve. Il s'est exprimé ainsi, au paragraphe 17 :

[...] plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : [...] Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. [...]

[10]            En l'espèce, si la Commission a conclu à l'absence de crédibilité du demandeur, c'est parce qu'elle ne croyait pas l'affirmation du demandeur selon laquelle les autorités étaient allées le chercher à son domicile au Bangladesh en juillet 2002. Cependant, en tirant cette conclusion, la Commission ne s'est pas exprimée sur la preuve documentaire du demandeur, plus particulièrement la pièce « C » , une lettre de l'avocat du demandeur, qui confirmait l'affirmation du demandeur selon laquelle les autorités étaient allées le chercher à son domicile au Bangladesh en juillet 2002. Si la Commission a décidé d'ignorer cet élément de preuve (par exemple parce qu'elle croyait que la lettre était intéressée), alors elle aurait dû exposer des motifs dans sa décision. La Commission n'a pas fait état de cet élément de preuve dans sa décision, et cela constitue, à mon avis, une erreur sujette à révision.

[11]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué, pour nouvelle décision.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre tribunal, pour nouvelle décision.

                                                                     « Danièle Tremblay-Lamer »          

                                                                                                             Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              IMM-5685-02

INTITULÉ :                                             MOSTAFA KHAN

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 15 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE                           MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                          le 17 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Me Rezaur Rahman                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Me Alexander M. Gay                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Rezaur Rahman                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Avocat

1882 Hennessy Crescent

Ottawa (Ontario)

K4A 3X8

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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