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Date : 20030217

Dossier : T-1350-01

Référence neutre : 2003 CFPI 174

Ottawa (Ontario), le 17 février 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                          WAI CHUAN SIMON CHU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur, Wai Chuan Simon Chu, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du juge de la Citoyenneté, Doreen Wicks (le juge de la Citoyenneté), en date du 12 juin 2001, qui avait refusé, aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, d'approuver sa demande de citoyenneté.


Les faits

[2]                 Le demandeur est né en Chine. Le 22 février 1996, il a obtenu la résidence permanente au Canada à titre d'investisseur en vertu du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, et modifications.

[3]                 À son arrivée au Canada, le demandeur et son épouse ont emménagé chez la belle-soeur du demandeur, ont déballé leurs affaires, ont ouvert un compte bancaire, ont demandé des cartes d'assurance sociale et d'assurance-santé, ont obtenu un emploi et ont cherché une école qui convienne à leurs fils. Ils n'ont pu trouver une école adéquate parce que l'on se trouvait au milieu de l'année scolaire. Le demandeur et son épouse sont donc retournés à Hong Kong le 1er mars 1996 pour que leurs fils puissent achever leur semestre scolaire à Hong Kong. Ils sont revenus au Canada le 27 juillet 1996.


[4]                 Avant d'immigrer au Canada, le demandeur avait travaillé à Hong Kong comme directeur général de la société Brimeland Company Limited (également appelée H.K. Brimeland Ltd.). Le demandeur a mis fin à cet emploi lorsqu'il est parti pour le Canada. Une fois au Canada, il a accepté une offre d'emploi que lui avait faite CFS International Inc. (CFS), qui est l'actionnaire majoritaire de H.K. Brimeland Ltd. (H.K. Brimeland). Le demandeur se vit offrir le poste de directeur général de H.K. Brimeland pour une durée de trois ans commençant le 1er juillet 1996. Le lieu de travail précisé dans ce contrat était « H.K. et Chine continentale » . Le demandeur bénéficiait d'un appartement meublé à Hong Kong ainsi que de 50 jours de congés payés par an, qu'il passait au Canada. Le demandeur tire son revenu de la société canadienne CFS et non de sa filiale étrangère.

[5]                 Le 1er octobre 1997, le demandeur et son épouse ont acheté une maison à North York. L'épouse, les deux fils et la mère du demandeur vivent dans cette maison depuis sa construction. Le demandeur a un médecin et un dentiste au Canada, ainsi que deux comptes bancaires auprès de TD-Canada Trust, et il produit des déclarations de revenus et de bénéfices au Canada. Le seul bien immeuble dont il est propriétaire est la maison de North York.

[6]                 Le 28 février 1999, un peu plus de trois ans après avoir obtenu leur droit d'établissement au Canada, le demandeur et sa famille sollicitaient la citoyenneté canadienne. Son épouse et ses deux fils ont obtenu leur citoyenneté le 27 mars 2001. Le demandeur ne l'a pas obtenue en raison de ses absences du Canada. Au cours des trois années qui ont précédé sa demande de citoyenneté canadienne, le demandeur a été absent du Canada durant 970 jours et il a été physiquement présent au Canada durant seulement 131 jours. Il lui manquait donc 964 jours.

[7]                 Dans la notification de sa décision au ministre, le juge de la Citoyenneté donnait les motifs suivants pour son refus d'attribuer la citoyenneté au demandeur :

[traduction] Le demandeur a une entreprise en Chine. Le demandeur vit plus en Chine qu'au Canada. Il n'a pas centralisé son mode d'existence ici. Le demandeur espère rester au Canada beaucoup plus fréquemment dans environ deux ans.

[8]                 La présente demande a été à tort introduite comme demande de contrôle judiciaire selon l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. La bonne manière de faire est d'interjeter appel de la décision du juge de la Citoyenneté.

[9]                 Le 25 janvier 2002, le demandeur introduisait une requête en remplacement du document introduction d'instance, en conformité avec la règle 57 des Règles de la Cour fédérale (1998). Par ordonnance en date du 8 février 2002, le protonotaire Lafrenière reportait l'audition de cette requête à la date de l'audition de la demande de contrôle judiciaire.

Conclusions du demandeur

[10]            Selon le demandeur, cette demande ne devrait pas être rejetée du seul fait que la procédure n'a pas été valablement constituée. Le demandeur appuie cet argument sur la règle 57 des Règles de la Cour fédérale (1998) et sur les précédents qui ont appliqué cette règle (Khaper c. Canada, [1999] A.C.F. n ° 1735 (1re inst.) (QL); McLean c. Canada, [1999] A.C.F. n ° 400 (1re inst.) (QL)).


[11]            Le demandeur a aussi fait valoir que le juge de la Citoyenneté aurait dû indiquer quel critère de résidence elle employait. Puisque le demandeur ne pouvait répondre au critère de la présence physique, le critère qui aurait dû être employé est le critère Thurlow, ou critère du mode centralisé d'existence. Le juge de la Citoyenneté n'a pas tenu compte des circonstances du demandeur. Elle a, en application du critère Thurlow, prié le demandeur de produire des renseignements, mais elle n'aurait pas dû refuser sa demande de citoyenneté. Si l'on applique le critère Thurlow, il est clair que le demandeur a centralisé son mode d'existence au Canada et que le refus du juge de la Citoyenneté de lui conférer la citoyenneté était injustifié (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 410 (1re inst.) (QL); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hung, [1998] A.C.F. n ° 1927 (1re inst.) (QL)).

Conclusions du défendeur

[12]            D'après le défendeur, cette procédure n'est pas, selon la loi applicable, valablement constituée et elle est donc entachée d'un vice fondamental. Et c'est un vice qui intéresse la compétence elle-même de la Cour. L'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale prive la Cour de toute compétence sur la demande de contrôle judiciaire, et la procédure doit par conséquent être rejetée.


[13]            Selon le défendeur, si le législateur fédéral a autorisé une année d'absence au cours des quatre années précédant la demande de citoyenneté, il faut nécessairement en déduire que la présence au Canada durant les trois autres années doit être effective. La jurisprudence récente de la Cour fédérale insiste sur la nécessité d'une présence physique effective au Canada (Re Chow, [1997] A.C.F. n ° 7 (1re inst.) (QL); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ho, [1999] A.C.F. n ° 276 (1re inst.) (QL); Jreige c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1469 (1re inst.) (QL)). Comme l'écrivait le juge Lutfy (tel était alors son titre) dans le jugement Lam, précité, il est loisible au juge de la Citoyenneté d'adopter le critère de résidence de son choix. Contrairement à l'affirmation du demandeur, le juge de la Citoyenneté a accordé au nombre de jours de présence physique au Canada une importance considérable, et elle a tenu compte de l'argument du demandeur selon lequel le critère Thurlow devait s'appliquer. Le juge de la Citoyenneté a eu raison de dire que le demandeur n'avait pas centralisé son mode d'existence au Canada. Le demandeur avait obtenu un permis de retour, mais cela ne veut pas dire qu'il répondait aux exigences de résidence énoncées dans l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (Yip c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1393 (1re inst.) (QL)).

[14]            Selon le défendeur, les circonstances de l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lu, [1999] A.C.F. n ° 479 (1re inst.) (QL), où le juge Gibson avait estimé que rien ne permettait de dire que M. Lu s'était intégré dans la société canadienne, sont semblables à celles de la présente affaire. Par ailleurs, le défendeur s'en remet aux propos du juge Rothstein dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lu, [1998] A.C.F. n ° 1709 (1re inst.) (QL), selon lesquels les demandeurs de la citoyenneté canadienne doivent scrupuleusement se conformer aux règles canadiennes de l'impôt sur le revenu. Finalement, selon le défendeur, le demandeur a présenté une demande de citoyenneté qui était prématurée.


Dispositions législatives et réglementaires applicables

[15]            Le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté expose les critères d'attribution de la citoyenneté canadienne. L'alinéa 5(1)c) intéresse la présente affaire :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

...

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

...

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[16] Le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté confère un droit d'appel de la décision du juge de la Citoyenneté devant la Section de première instance de la Cour fédérale :

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

(5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

a) de l'approbation de la demande;

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

[17] L'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale dispose que, lorsqu'une loi fédérale prévoit expressément qu'il peut être interjeté appel d'une décision, cette décision ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire :

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu'une loi fédérale prévoit expressément qu'il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l'impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d'une décision ou d'une ordonnance d'un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d'un tel appel, faire l'objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d'évocation, d'annulation ni d'aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

18.5 Notwithstanding sections 18 and 18.1, where provision is expressly made by an Act of Parliament for an appeal as such to the Court, to the Supreme Court of Canada, to the Court Martial Appeal Court, to the Tax Court of Canada, to the Governor in Council or to the Treasury Board from a decision or order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act.

[18] La règle 57 des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit qu'un acte introductif d'instance ne peut être annulé du seul fait que l'instance aurait dû être introduite au moyen d'un autre acte introductif d'instance.

57. La Cour n'annule pas un acte introductif d'instance au seul motif que l'instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d'instance

57. An originating document shall not be set aside only on the ground that a different originating document should have been used.

Analyse

Point n ° 1 : Cette demande devait-elle être rejetée parce que la procédure n'a pas été validement introduite?

[19] Cette procédure a été par inadvertance introduite par voie de demande de contrôle judiciaire, plutôt que par voie d'appel. Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la règle 57 des Règles de la Cour fédérale (1998), qui n'a pas été appliquée très souvent, devrait s'appliquer ici.

[20] Dans l'arrêt Shun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. n ° 1382 (C.A.) (QL), le demandeur avait déposé à la fois une demande de contrôle judiciaire et un appel à l'encontre de la décision défavorable du juge de la Citoyenneté. La Cour d'appel fédérale avait estimé que le recours qui s'imposait était un appel et non un contrôle judiciaire. Le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté confère un droit général d'appel, ce qui soustrait la décision d'un juge de la Citoyenneté à tout contrôle selon l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Dans l'arrêt Shun, puisque le demandeur avait déjà interjeté appel selon le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, outre sa demande de contrôle judiciaire, la Cour était dispensée de recourir à la règle 57 pour convertir en un appel la demande de contrôle judiciaire.


[21] L'arrêt Shun, précité, est le seul précédent qui soit directement pertinent ici, mais je suis d'avis que la requête du demandeur devrait, dans les circonstances particulières de la présente affaire, être accueillie et que cette demande de contrôle judiciaire devrait être jugée comme un appel en application de la règle 57. C'est là un résultat qui serait conforme à l'esprit de la règle 57 et au courant jurisprudentiel selon lequel l'emploi du mauvais instrument introductif d'instance est une irrégularité qui peut être corrigée. D'ailleurs, la preuve produite ici laisse voir que l'emploi du mauvais document introductif d'instance, c'est-à-dire un avis de demande plutôt qu'un avis d'appel, a été le résultat d'une erreur involontaire de l'avocat du demandeur. À mon avis, le demandeur ne devrait pas souffrir de l'erreur de son avocat, et la présente demande sera donc instruite comme s'il s'agissait d'un appel.

Point n ° 2 : Le juge de la Citoyenneté a-t-elle commis une erreur de fait et de droit en n'indiquant pas quel critère elle appliquait et en n'appliquant pas les faits au critère exposé par M. le juge Thurlow dans l'affaire Re Papadogiorgakis?

[22] À mon avis, le juge de la Citoyenneté n'a pas commis d'erreur.

[23] La norme de contrôle à appliquer a été exposée par le juge Lutfy (tel était alors son titre) au paragraphe 33 du jugement Lam, précité :

La justice et l'équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.


[24] Le juge de la Citoyenneté ne s'est pas expressément référée au « critère Thurlow » ou aux « facteurs Re Koo » , mais elle a estimé que le demandeur n'avait pas centralisé son mode d'existence au Canada. Cette conclusion montre que le juge de la Citoyenneté a appliqué le critère du mode centralisé d'existence.

[25] Dans l'Affaire intéressant la Loi sur la citoyenneté et l'affaire Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow avait exposé ainsi le critère du mode centralisé d'existence, aux pages 213 et 214 :

... Il me semble que les termes « résidence » et « résident » employés dans l'alinéa 5(1)b) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante fréquente pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps...

Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand [in Thomson v. M.N.R., [1946] R.C.S. 209] dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [traduction] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question » .

[26] Dans le jugement Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), le juge Reed a énuméré, aux pages 293 et 294, six facteurs qui signalent un attachement suffisant au Canada pour autoriser l'attribution de la citoyenneté, même lorsque le nombre minimum requis de jours n'est pas atteint :


La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :

(1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

(3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

(5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[27] Les indices formels de l'existence d'attaches avec le Canada, par exemple un permis de conduire, des comptes bancaires et des cartes de membre, ne suffiront pas à eux seuls à établir un mode centralisé d'existence au Canada. En revanche, la qualité des attaches du requérant avec le Canada doit indiquer qu'il vit régulièrement, normalement et habituellement dans ce pays (Re Koo, précité; Re Hul, [1994] A.C.F. n ° 238 (1re inst.) (QL)).

[28] D'après les circonstances de la présente affaire, le demandeur présente un bon nombre d'indices formels de l'existence d'attaches avec le Canada : le demandeur et son épouse sont propriétaires d'une maison à North York; la famille immédiate du demandeur habite dans cette maison; le demandeur travaille pour une société canadienne; le demandeur a obtenu des permis de retour; il a une carte-santé de l'Ontario et un permis de conduire de l'Ontario; il a un numéro d'assurance sociale; il a un compte bancaire canadien et une carte de crédit canadienne; enfin il produit des déclarations de revenus et déclarations de bénéfices.


[29] Cependant, contrairement à l'affirmation du demandeur, si l'on applique le critère Thurlow, il n'est pas évident que le demandeur a centralisé son mode d'existence au Canada. Le demandeur peut justifier d'un nombre important de liens passifs avec le Canada, mais il a été absent très souvent au cours des trois années qui ont précédé sa demande de citoyenneté. La première de ces absences s'est produite seulement sept jours après qu'il a été admis au Canada comme résident permanent. Les absences sont demeurées constantes et importantes au cours des trois années suivantes. Le demandeur ne s'est jamais trouvé au Canada pendant plus de 20 jours à la fois au cours des trois années qui ont précédé sa demande de citoyenneté. La majorité de ces absences s'expliquaient par des raisons professionnelles, mais il n'est pas établi qu'elles étaient de nature temporaire. En réalité, le contrat de travail du demandeur avec CFS montre clairement que son lieu de travail est Hong Kong et la Chine continentale. De plus, le demandeur a passé une partie de ses congés en dehors du Canada, ce qui ne donne pas à entendre qu'il « revient [au Canada] fréquemment lorsque l'occasion se présente » . Le demandeur ne répond ni aux conditions du critère Thurlow ni à la majorité des facteurs exposés par le juge Reed dans l'affaire Re Koo, précitée.

[30] En conséquence, même si la famille du demandeur a manifestement centralisé son mode d'existence au Canada, il n'est pas établi que le demandeur l'a fait lui aussi. Le juge de la Citoyenneté n'a donc pas commis d'erreur en disant que le demandeur n'avait pas centralisé son mode d'existence au Canada et en rejetant pour cette raison sa demande de citoyenneté.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. la demande de contrôle judiciaire est convertie en un appel interjeté contre la décision du juge de la Citoyenneté datée du 12 juin 2001;

2. cet appel est rejeté.

                                                                                  « Judith A. Snider »             

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a. LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-1350-01

INTITULÉ :                                                 WAI CHUAN SIMON CHU

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE MARDI 11 FÉVRIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         MADAME LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                               LE LUNDI 17 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :

M. Cecil L. Rotenberg                                   pour le demandeur

M. Stephen H. Gold                                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Cecil L. Rotenberg                                   pour le demandeur

Avocat

255, chemin Duncan Mill

Bureau 803

Don Mills (Ontario)

M3B 3H9

Morris Rosenberg                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20030211

         Dossier : T-1350-01

ENTRE :

WAI CHUAN SIMON CHU

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                défendeur

                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                               


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