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Date : 20011129

Dossier : T-231-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1314

ENTRE :

                                                          SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

                                                                                                                                         Demanderesse

ET :

                                                                     ÉRIC F. LEMIEUX

                                                                                   

                                                                                                                                                   Défendeur

                                                           MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour Fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, contre une sentence arbitrale, datée du 10 janvier 2000, que l'arbitre Diane Fortier a rendue conformément à la partie III, section XIV, du Code Canadien du Travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, et de ses modifications ("le Code"), accueillant la plainte du Défendeur et ordonnant à la Demanderesse de payer au Défendeur une compensation de 54,253 $ moins les sommes gagnées ailleurs. La Demanderesse cherche à obtenir une ordonnance annulant la sentence arbitrale sur le fondement que l'arbitre a outrepassé sa compétence, et rejetant la plainte du Défendeur.

[2]                 Le Défendeur, qui est avocat de formation, rencontre, en septembre 1990, Messieurs André Larin et Vincent Leduc, travaillant pour la Demanderesse. Cette dernière était alors à la recherche d'un avocat pour, principalement, rédiger des contrats pour son service des acquisitions.

[3]                 Le 17 septembre 1990, Monsieur Leduc remet un contrat déjà signé par Monsieur Pierre Therrien, de la Demanderesse, et demande au Défendeur de le signer, ce qu'il fait. Le Défendeur est ainsi embauché pour la première fois par la Société Radio-Canada à titre d'Adjoint au chef des acquisitions par un contrat d'engagement à durée déterminée daté du 14 septembre 1990 et couvrant la période du 17 septembre 1990 au 30 juin 1991.

[4]                 L'article 15 dudit contrat prévoit les modalités de renouvellement le cas échéant; on y constate immédiatement que le renouvellement n'est pas automatique et ne survient pas à la suite d'un silence des parties. Essentiellement, pour qu'un renouvellement soit possible, la Demanderesse doit d'abord aviser Me Lemieux par écrit de son intention de renouveler ou non le contrat et ce, soixante (60) jours avant l'expiration du contrat. S'il y a volonté de renouvellement, Me Lemieux doit répondre à l'avis dans les dix jours. Si cette réponse est positive, les parties entreprennent des négociations. À défaut d'entente, le contrat expire à la date de terminaison et, en conséquence, n'est pas renouvelé.

                                                                                   

[5]                 Le contrat contient également à l'article 19 une disposition prévoyant expressément que le contrat contient la totalité des accords entre les parties et qu'il n'existe pas de sous-entendus, promesses, garanties ou arrangements autres que ceux qui y sont expressément stipulés.


[6]                 La procédure de renouvellement mentionnée ci-dessus sera suivie par la Demanderesse avant l'expiration de ce premier contrat et aussi avant l'expiration de chacun des renouvellements et autres contrats qui ont couvert les périodes allant du 1er juillet 1991 au 31 décembre 1991 et du 1er janvier 1992 au 30 juin 1992.

[7]                 Un autre contrat d'engagement interviendra pour la période allant du 1er juillet 1992 au 30 juin 1993, mais cette fois-ci, à titre d'Administrateur de contrats de production. Ce simple changement de titre signifiera pour le Défendeur une augmentation importante de son salaire sans qu'il n'ait eu à la négocier. Ce nouveau contrat comprend lui-aussi une clause de renouvellement selon les modalités comparables (article 16) et indique clairement qu'il contient la totalité des accords entre les parties.

[8]                 Me Lemieux aura un dernier contrat d'engagement avec la Société Radio-Canada pour la période allant du 1er juillet 1993 au 30 juin 1994.


[9]                 Tous les contrats que le Défendeur a signés étaient déjà présignés par un représentant de la Demanderesse. Il n'en a jamais négocié un quelconque élément. Le Défendeur a ainsi signé, sans négociation aucune, cinq contrats avec la Demanderesse.

[10]            Dans les délais prévus par le dernier contrat, la Société avisera Me Lemieux par une lettre datée du 8 avril 1994 de son intention de ne pas renouveler ce contrat à son échéance le 30 juin 1994, sans donner de raisons.

[11]            Le Défendeur contestera, en vertu des dispositions de l'article 240 du Code, ce qu'il croyait être un congédiement injustifié.

[12]            Dans une décision rendue le 10 janvier 2000, l'arbitre Diane Fortier a conclu que le Défendeur avait été congédié, et que ce congédiement était injustifié. Elle a ordonné à la Demanderesse de payer au Défendeur une compensation de 54, 253 $ moins les sommes gagnées ailleurs, d'où la présente demande de contrôle judiciaire instituée par la Demanderesse.


[13]            Suite à une objection formulée par la Demanderesse, l'arbitre devait d'abord décider si la preuve testimoniale eu égard aux circonstances entourant la signature et le renouvellement des contrats de travail que le Défendeur voulait présenter était recevable. Elle rejeta l'objection dans les termes suivants :

LE PROCUREUR DE L'EMPLOYEUR S'EST OBJECTÉ À LA RECEVABILITÉ DE LA PREUVE DU PLAIGNANT CAR ELLE VISAIT SELON LUI À CONTREDIRE UN ÉCRIT VALABLEMENT FAIT. CE N'EST PAS CE QUE J'AI COMPRIS DE CETTE PREUVE. LE PLAIGNANT A PLUTÔT TÉMOIGNÉ SUR LES CIRCONSTANCES DE SON EMBAUCHE, DES RENOUVELLEMENTS DE SES CONTRATS, SUR CELLES ENTOURANT LE NON RENOUVELLEMENT ET ENFIN, SUR LES PRATIQUES D'EMBAUCHE DE RADIO-CANADA. CONSIDÉRANT MA RÉPONSE À LA PREMIÈRE OBJECTION SOULEVÉE PAR L'EMPLOYEUR, J'EN CONCLUS QUE CETTE PREUVE TESTIMONIALE EST TOUT À FAIT RECEVABLE, CAR J'AI JUSTEMENT LA JURIDICTION ET LE DEVOIR D'EXAMINER TOUTES LES CIRCONSTANCES QUI ONT AMENÉ LA TERMINAISON DU LIEN D'EMPLOI DE MONSIEUR LEMIEUX.

[14]            L'arbitre devait ensuite répondre à l'objection préliminaire à sa juridiction soulevée par la Demanderesse à l'effet que nous sommes en présence d'un non-renouvellement du contrat du plaignant et non pas en présence d'un congédiement au sens de l'article 240 du Code. Après avoir pris en considération toutes les circonstances, elle conclut qu'elle était en présence d'un congédiement déguisé et qu'elle avait compétence pour statuer sur le cas d'espèce :


ON PARLE SOUVENT D'UN CONGÉDIEMENT DÉGUISÉ EN LICENCIEMENT. NE PEUT-ON PAS PARLER ICI D'UN CONTRAT D'EMPLOI À DURÉE INDÉTERMINÉE DÉGUISÉ EN CONTRAT À DURÉE DÉTERMINÉE? NORMALEMENT, UN CONTRAT À DURÉE DÉTERMINÉE SUIT LA DURÉE DE LA FONCTION OCCUPÉE. AINSI, UN PROJET SPÉCIAL, UN REMPLACEMENT D'UN CONGÉ, UNE FONCTION DONT LE BUDGET N'EST PAS RÉCURRENT SONT COUVERTS PAR DES CONTRATS À DURÉE DÉTERMINÉE. MAIS LORSQU'IL S'AGIT DE FONCTIONS RÉGULIÈRES EXISTANT DEPUIS DE NOMBREUSES ANNÉES, ET QUI VONT DEMEURER, LES OCCUPANTS DE CES FONCTIONS ONT GÉNÉRALEMENT UN CONTRAT DE TRAVAIL À DURÉE INDÉTERMINÉE, COMME C'ÉTAIT LE CAS AVANT 1989 À RADIO-CANADA.

DANS CE CONTEXTE, IL ÉTAIT LÉGITIME POUR LE PLAIGNANT DE CROIRE QU'IL CONTINUERAIT COMME LES AUTRES CADRES À OCCUPER SES FONCTIONS D'ADMINISTRATEUR DES CONTRATS D'AUTANT PLUS QUE SON EMPLOYEUR SEMBLAIT ÊTRE SATISFAIT DE SA PRESTATION EN LUI OCTROYANT DEUX (2) AUGMENTATIONS DE SALAIRE ENTRE SEPTEMBRE 1990 ET JUIN 1993 REPRÉSENTANT UNE HAUSSE DE 40%.

COMPTE TENU DES CIRCONSTANCES DÉCRITES PAR LA PREUVE PRÉSENTÉE PAR LE PLAIGNANT, IL M'APPARAÎT QUE LE NON-RENOUVELLEMENT DE SON CONTRAT ÉQUIVAUT À UN CONGÉDIEMENT ET EST SOUMIS À L'EXAMEN DE L'ARBITRE EN VERTU DE L'ARTICLE 242.

[15]            L'arbitre a ensuite conclu que le Défendeur était victime d'un congédiement injuste.

[16]            Par ailleurs, lors de l'audition devant l'arbitre Fortier, la preuve non contredite des faits suivants a été faite :

a) Le Défendeur possède une formation juridique; il est membre du Barreau et connaissait très bien la signification et la portée de la signature d'un contrat d'emploi à durée déterminée;


b) Au sujet du premier contrat signé par le Défendeur le 17 septembre 1990, Messieurs Larin et Leduc ont dit qu'il s'agit d'une politique de la Demanderesse de faire signer des contrats à durée déterminée, qui se renouvellent au fil des ans;

c) Les contrats à durée déterminée offerts au Défendeur n'étaient pas tous pour une durée d'une année, les trois premiers contrats étant d'ailleurs pour des durées inférieures à douze mois;

d) À chaque période de contrat et à l'intérieur des délais prévus par chaque contrat, la demanderesse laissait savoir au Défendeur qu'elle était disposée à renouveler son contrat, et le défendeur confirmait alors son accord. Le Défendeur a choisi à chaque fois d'accepter la proposition de contrat qui lui était faite par la Demanderesse;

e) Le Défendeur connaissait très bien le caractère essentiellement temporaire de son emploi auprès de la Demanderesse puiqu'il a demandé à être considéré pour un poste permanent, ce qui lui a été refusé;

f) Le Défendeur a bénéficié d'une augmentation importante de son salaire à l'occasion d'un changement de titre d'emploi qui résulte d'une réorganisation du service et non à la suite d'une évaluation de rendement et d'une promotion qui lui serait accordée;


g) Tous les postes cadres chez la Demanderesse, sauf un, étaient embauchés comme contractuels depuis 1989, puisqu'on n'embauchait pas de "permanents", mais que leurs contrats étaient renouvelés d'année en année;

h) Des postes occupés par des permanents ont été remplacés par des contractuels, l'année frontière étant 1989;

i) l s'agit de postes apparaissant dans les divers organigrammes déposés en preuve par le Défendeur, des postes commandant une prestation de travail régulière à durée indéterminée;

j) Même si un grand nombre d'employés bénéficiant de contrats à durée déterminée voient leurs contrats renouvelés suite à la volonté de renouvellement exprimée par les deux parties, d'autres ne sont pas renouvelés;

k) Certains employés, d'abord embauchés par contrat à durée déterminée, obtiennent le statut d'employé permanent;

l) Les contrats d'autres employés de la Demanderesse ayant le même statut que le Défendeur sont identiques, avec des modifications mineures;


m) Le contrat de travail de la remplaçante du Défendeur chez la Demanderesse s'est avéré identique au contrat du Défendeur;

n) Le Défendeur n'a jamais eu de reproche quant à son travail (sauf devant l'arbitre Fortier, pour la première fois, à l'effet que le Défendeur manquait de leadership);

o) Lors de la fin d'emploi, le 8 avril 1994, on a informé le Défendeur de nouvelles orientations de la direction dont il relevait, et que les besoins du service requéraient une personne plus spécialisée.

[17]            La question principale que soulève le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si l'arbitre a commis une erreur révisable et outrepassé sa compétence en concluant que le non renouvellement du contrat à durée déterminée du Défendeur au moment de l'arrivée de son terme constituait un congédiement déguisé. La présente affaire soulève également la question intéressante de savoir si l'arbitre a commis une erreur révisable en rejetant l'objection de la Demanderesse à la preuve que le Défendeur voulait faire des promesses qui lui auraient été faites verbalement avant l'embauche.


[18]            Lors de l'audience, la Demanderesse a tout d'abord soulevé le fait que la décision de l'arbitre Fortier était basé sur une preuve testimoniale et a soumis que l'arbitre a excédé sa juridiction et a commis une erreur de droit manifestement déraisonnable en concluant que le non renouvellement du contrat à durée déterminée du Défendeur à l'arrivée de son terme constituait un congédiement déguisé.

[19]            La Demanderesse rappelle que lors de l'audience devant l'arbitre, le Défendeur a voulu témoigner qu'avant la signature de son premier contrat en 1990, des représentants de la Société Radio-Canada lui avaient fait savoir qu'il devrait signer un contrat annuel, mais que celui-ci allait se renouveler d'année en année. La Demanderesse, se fondant sur les dispositions de l'article 1234 du Code civil du Bas-Canada ("C.C.B.C."), lequel s'appliquait au premier contrat signé par le Défendeur, mais aussi au dernier contrat signé par ce dernier et ce, en vertu de l'article 141 de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil, s'est alors objectée à cette preuve puisqu'il s'agissait là d'une preuve qui contredisait directement les termes exprès d'un écrit valablement fait. L'article 1234 du Code civil du Bas-Canada se lit comme suit:



1234. Dans aucun cas la preuve testimoniale ne peut être admise pour contredire ou changer les termes d'un écrit valablement fait.

1234. Testimony cannot in any case, be received to contradict or vary the terms of a valid written instrument.


[20]            La Demanderesse soutient qu'en rejetant l'objection, l'arbitre n'a pas compris sa portée exacte. En effet, à la lecture de sa décision sur l'objection, il est clair que l'arbitre la décide comme si la demanderesse s'était objectée à l'ensemble de la preuve du Défendeur alors que la Demanderesse ne s'était objectée qu'à une seule affirmation, à savoir qu'on lui aurait indiqué que malgré la signature d'un contrat annuel, celui-ci serait renouvelé d'année en année, ce qui contredisait directement les termes du contrat à durée déterminée.

[21]            Tout d'abord, en ce qui a trait à la norme de contrôle applicable, la Demanderesse soutient que la jurisprudence pertinente, tant celle de la division de première instance de la Cour Fédérale que celle de la Cour Fédérale d'Appel, apparaît constante et unanime à l'effet que la norme de contrôle de la décision de l'arbitre concernant sa compétence pour entendre et trancher une plainte de congédiement injustifié est l'absence d'erreur : Lemieux c. Canada, [1998] 4 C.F. 65 à la p. 87 (C.A.F.). La Demanderesse soumet que non seulement la décision de l'arbitre n'est pas exempte d'erreur, mais elle ajoute que cette décision est même manifestement déraisonnable.


[22]            Au mérite de la question, la Demanderesse se fonde sur l'article 2086 C.C.Q. pour affirmer que les parties à un contrat de travail sont libres de choisir de se lier l'une à l'autre pour une durée déterminée et alors, à moins de renouvellement tacite, le contrat se terminera à l'arrivée du terme. La Demanderesse soutient que même si le C.C.B.C. ne prévoyait pas de la même manière qu'un contrat de travail peut être à durée déterminée ou indéterminée, la situation était la même par l'application de l'article 1138 C.C.B.C. En l'espèce, le plaignant, un avocat de formation, n'a jamais été permanent, connaissait le sens et la portée du contrat à durée déterminée, a signé des contrats à durée déterminée en toute connaissance de cause sans protestation, a demandé sa permanence mais ne l'a pas obtenue, a reçu des avis d'intention de renouvellement et a néanmoins accepté de signer d'autres contrats à durée déterminée à quatre reprises.


[23]            La Demanderesse soutient que l'arbitre Fortier a erré en émettant la théorie que les contrats à durée déterminée ne peuvent pas exister pour des fonctions régulières et doivent exister uniquement pour des projets spéciaux, des remplacements de congé, une fonction dont le budget n'est pas récurrent. Autrement, dit l'arbitre, on parle de "contrat d'emploi à durée indéterminée déguisé en contrat à durée déterminée", et ceci l'amène a conclure qu'il était "légitime pour le plaignant de croire qu'il continuerait comme les autres cadres à occuper ses fonctions [...]". La Demanderesse soutient qu'il n'y a aucun fondement juridique à cette théorie. Rien ne restreint les circonstances de ce choix laissé aux parties. La Demanderesse soumet qu'il s'agit d'une erreur de droit très importante qui justifie à elle-seule l'intervention de la Cour.

[24]            La Demanderesse soutient également que l'arbitre a erré en droit en présumant que le fait que le plaignant ait eu deux augmentations de salaire à l'occasion de deux de ses cinq contrats démontre la satisfaction de l'employeur. Or, il n'y a pas de preuve à cet effet. Au contraire, prétend la Demanderesse, il a été établi que l'augmentation importante que le plaignant a obtenue pour l'un de ses contrats résultait non pas d'une appréciation de ses services mais d'une restructuration et d'un changement organisationnel. La seule augmentation de salaire que le Défendeur a eu à part de celle-là est survenue à la fin de son premier contrat de neuf mois et est plutôt modeste. La Demanderesse souligne également que la plaignant a vu deux de ses quatre renouvellements se faire sans augmentation de salaire. Pouvait-on, soumet la Demanderesse, en tirer un argument contraire et dire que ces renouvellements sans augmentation sont des preuves d'insatisfaction de la part de l'employeur?


[25]            La Demanderesse soutient en outre que l'arbitre a commis une erreur en imposant à l'employeur un fardeau de preuve qui fait complètement fi de l'existence d'un contrat à durée déterminée et de la jurisprudence, en affirmant que "L'employeur doit plutôt établir qu'un employé est incompétent pour justifier un congédiement". La Demanderesse soumet respectueusement qu'en matière de non renouvellement de contrat, c'est l'employé qui doit plutôt démontrer qu'il a été congédié. Ici, l'employeur a expliqué les raisons qui l'ont amené à prendre la décision de ne pas renouveler le contrat, et ces raisons n'étaient ni illégales, ni discriminatoires, ni injustes.

[26]            Par ailleurs, la Demanderesse soutient que l'arbitre se contredit elle-même dans ses conclusions en concluant, d'une part, que l'employeur n'était pas justifié de ne pas renouveler le contrat et, d'un même souffle, en décidant de ne pas ordonner sa réintégration parce que le plaignant "reconnaît lui-même qu'il était placé dans une situation catastrophique et insoutenable". Cette situation de fait, qu'elles qu'en soient la cause et les circonstances, justifiait pleinement la Demanderesse de ne pas renouveler le contrat.

[27]            Enfin, la Demanderesse soumet que l'arbitre sera justifié d'intervenir et de conclure à congédiement déguisé uniquement dans les cas où il ou elle sera convaincu(e) par la preuve du plaignant qu'il y a un lien entre la décision de l'employeur de ne pas renouveler un contrat à durée déterminée et l'exercice au même moment par le plaignant d'un droit protégé par une disposition particulière d'ordre public : Mark C. Moore c. Compagnie Montréal Trust et autres, (1988) R.J.Q. 2339 à la p. 2345; C.A.L.F.A. c. Nationair, 1986, Carswell Nat 1002, 67 di 217. En l'espèce, il n'y aucune preuve que le plaignant était dans une telle situation et la Demanderesse soumet qu'elle n'a fait qu'exercer un droit prévu par le contrat dûment signé entre les parties parce qu'elle avait déterminé, comme cela était son droit, qu'il était opportun de le faire pour des raisons qui étaient ni illégales, ni discriminatoires, ni injustes.

[28]            La Demanderesse soumet que le fait de conclure que ce non renouvellement constitue un congédiement et, de surcroît, un congédiement injuste, est une abomination juridique qui justifie pleinement l'intervention de la Cour.   


[29]            Le Défendeur soutient qu'il ne lui semble pas, comme la Demanderesse le laisse voir dans son Mémoire des Faits et du Droit, que le législateur permet à l'arbitre "d'intervenir et de conclure à congédiement déguisé uniquement dans les cas où il sera convaincu par la preuve du plaignant qu'il y a un lien entre la décision de l'employeur de ne pas renouveler un contrat à durée déterminée et l'exercice au même moment par le plaignant d'un droit protégé par une disposition particulière d'une loi d'ordre public". En effet, les tribunaux n'ont jamais limité la détermination d'un congédiement dans le cadre de son renouvellement de contrats à durée déterminée à la violation d'une loi d'ordre public. La Cour d'appel fédérale, dans la présente affaire, a même précisé que ce concept "n'est pas coulé dans le béton" (voir Lemieux, supra aux pp. 70, 84 et 85). Par ailleurs, le Défendeur soumet que la décision de la Cour supérieure du Québec dans Gagnon c. Ville de Chambly, [1996] R.J.Q. 398, confirmée par la Cour suprême du Canada, [1999] R.C.S. 8, ne représente pas une solution à la présente affaire car elle doit être nettement distinguée de cette dernière.

[30]            Ainsi, le Défendeur soumet que l'arbitre Fortier a tenu compte judicieusement de la preuve qui lui a été présentée, a correctement appliqué les principes juridiques à cette preuve et n'a pas commis d'erreur dans l'exercice de la juridiction qui lui était conférée par le Code.

[31]            Pour l'examen du cas dont il est saisi, le paragraphe 242(2)(b) prévoit que l'arbitre fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier.

[32]            Étant donné les circonstances, il était loisible pour l'arbitre de recevoir la preuve testimoniale.


[33]            Il est reconnu que le fédéral, en exerçant ses compétences principales, peut empiéter de manière incidente ou accessoire sur les domaines de compétence provinciale, laissant le droit commun provincial régir la matière par ailleurs.    En l'espèce, le contexte et l'exhaustivité du partage des compétences font voir que la compétence sur la procédure et la preuve "civile" est octroyée aux provinces par l'article 92(14) de la Loi constitutionnelle. Cependant ce paragraphe précise qu'il s'agit de la procédure applicable devant les tribunaux provinciaux puisque l'économie de la Loi constitutionnelle voulait qu'en principe ce soient les tribunaux provinciaux qui se chargent de l'application des lois tant fédérales que provinciales. A contrario, c'est le fédéral qui peut établir la procédure "civile" (autre que criminelle) et les règles de preuve applicables devant les tribunaux fédéraux : H. Brun & G. Tremblay, Droit Constitutionnel, 3ème éd., Cowansville (Québec), Yvon Blais, 1997 à la p. 508. Selon moi, le fédéral peut valablement édicter des règles de procédure et de preuve dans le cadre de différends impliquant les relations et conditions de travail au sein d'entreprises privées relevant de la compétence fédérale, telle la Demanderesse dans la présente affaire, en vertu des pouvoirs "nécessairement accessoires" à ses compétences principales et non de ses compétences exclusives (la section XIV de la partie III du Code qui contient l'article 242(2)(c) a été adoptée par le Parlement afin d'offrir aux travailleurs non syndiqués une voie de recours en cas de congédiement injuste). Ainsi, en présence de dispositions législatives valides, soit les articles 242(2)(c) du Code et 1234 du C.C.B.C., il s'agit de déterminer si la province de Québec peut régir concurremment la même matière, soit l'administration de la justice dans le cadre de différends impliquant les relations et conditions de travail au sein d'entreprises privées relevant de la compétence fédérale.


[34]            À mon avis, en présence d'un conflit irréductible entre les dispositions du Code et du C.C.B.C., celles du Code ont prépondérance sur les dipositions du C.C.B.C. qui leur sont incompatibles. En effet, l'application concomitante ou complémentaire de ces dispositions est radicalement impossible en l'espèce puisque l'arbitre Fortier serait en même temps investie d'un large pouvoir d'entendre toute preuve ou témoignage qu'à son appréciation elle juge indiqués, qu'ils soient admissibles ou non en justice, et empêchée de recevoir toute preuve testimoniale contredisant un écrit valablement fait. Ainsi, étant donné que l'article 1234 du C.C.B.C. entre directement en conflit avec les dispositions des articles 242(2)(c) et 16(c) du Code, celui-ci est inopérant dans la mesure du conflit qu'il soulève avec les dispositions du Code en matière de preuve. Sur cette seule base, je suis d'avis que l'arbitre Fortier a, à bon droit, rejeté l'objection de la demanderesse quant à la recevabilité de la preuve testimoniale eu égard aux circonstances entourant la signature et le renouvellement des contrats de travail.


[35]            En outre, et abstraction faite de l'argumentation précédente, il m'apparaît clair que l'arbitre Fortier avait non seulement compétence pour accepter la preuve testimoniale du Défendeur, mais devait apprécier toute la preuve entourant tant son engagement que le renouvellement de ses contrats et sa fin d'emploi afin de déterminer si celui-ci avait été effectivement "congédié" par la Demanderesse. En effet, il ressort clairement du mécanisme établi aux paragraphes 242(2)(b), (c) et 16(b), (c) du Code que la "plainte" effectivement formulée par "une personne" est la plainte que le ministre peut "renvoyer" à un arbitre, que l'arbitre doit "entendre l'affaire en question et en décider" et qu"il doit être permis à chaque partie "d'exposer [...] son point de vue et de [...] présenter des preuves". Le Code ne contient curieusement aucune disposition qui limite les pouvoirs de l'arbitre en matière de procédure et de preuve; bien au contraire, et comme le souligne le Défendeur, les pouvoirs octroyés à l'arbitre en matière d'appréciation de la preuve, par exemple, sont très larges afin de lui permettre de bien remplir son rôle et de peser tous les faits relatifs à l'engagement et à la fin d'emploi. L'arbitre n'est pas lié par les règles rigides en matière de preuve et peut accorder à des éléments de preuve le poids qu'elle juge approprié : Canadian Union of Public Employees (CUPE) c. Ashton, [1994] F.C.J. No. 852 (QL) au para. 5 (C.A.F.); Frezza c. Canadian Pacific Railway, [1999] F.C.J. No. 105 (QL) au para. 38-40 (C.F.); Canadian Pacific Air Lines Ltd. c. Canadian Air Line Pilots Association, [1993] 3 R.C.S. 724 au para. 8, 10. Or, bien que les dispositions du Code confèrent à l'arbitre le pouvoir d'admettre une preuve qui serait autrement inadmissible, elles ne lui permettent pas d'exercer sa compétence et trancher le bien-fondé de la plainte du Défendeur en l'absence d'une preuve convaincante à cet effet : Regina c. Barber et al., Ex parte Warehousemen and Miscellaneous Drivers' Union Local 419 (1968), 68 D.L.R. (2d) 682 aux pp. 689-690 (C.A. Ont.).


[36]            De plus, on ne peut raisonnablement soutenir que l'article 1234 C.C.B.C. est applicable à et limite les pouvoirs conférés à l'arbitre en vertu du Code puisque cela aurait pour effet d'exclure une preuve pertinente qui aurait un impact très important sur la décision de l'arbitre. Or, un refus de l'arbitre de permettre au Défendeur "d'exposer son point de vue et de présenter ses preuves" sur une question aussi cruciale que celle de la compétence de l'arbitre de décider si le "congédiement" du Défendeur est injuste constituerait une violation des principes de justice naturelle et un refus de l'arbitre d'exercer sa compétence : Eamor c. Air Canada Ltd. et al. (1999), 179 D.L.R. (4th) 243 aux para. 55-58 (B.C.C.A.) (per Esson J.A.). Par conséquent, l'article 1234 C.C.B.C. ne peut avoir pour effet d'empêcher l'arbitre Fortier de commencer à exercer les fonctions que lui assigne le Code. En exerçant ces fonctions, celle-ci doit, sur le fondement de toute la preuve et les arguments présentés, trancher la question de sa compétence à décider du bien-fondé de la plainte du Défendeur : Lee-Shanok c. Banque Nazionale Del Lavoro du Canada, [1987] 3 C.F. 578 (C.A.F.). Ainsi, il m'est impossible de conclure que l'arbitre Fortier a commis une erreur en entendant la preuve testimoniale du Défendeur au sujet de promesses de renouvellement d'année en année qui lui auraient été faites au moment de son embauche, et en rejetant l'objection préliminaire alléguant son absence de compétence.


[37]            Tout d'abord, en ce qui concerne la norme de contrôle applicable, la Cour Fédérale d'Appel établit que l'une des conditions essentielles préalables à la compétence de l'arbitre d'examiner une plainte pour de congédiement injuste sous le régime du paragraphe 240(1) du Code est que le plaignant prouve qu'il a été "congédié", ou en d'autres termes que l'employeur avait clairement l'intention de mettre fin unilatéralement à la relation de travail. Cette Cour a estimé à plusieurs reprises que l'interprétation donnée par un arbitre des conditions préalables, énoncées dans le Code, concernant la régularité du dépôt d'une plainte aux termes de l'article 240(1) est assujettie à la norme de l'absence d'erreur : Lemieux, supra à la p. 87 (et les décisions qui y sont citées).

[38]            En ce qui concerne l'appréciation de la preuve, il est bien établi en droit que l'intervention de cette Cour pour contrôler les conclusions de fait d'un tribunal administratif ne doit se faire que lorsqu'il est manifeste que l'arbitre a commis une erreur dans l'interprétation des faits découlant de la preuve : Gauthier c. Banque du Canada, [2000] A.C.F. No 1453 (QL) aux para. 27, 35 (C.F.). Or, à mon avis, les éléments de preuve, effectivement perçus de façon raisonnable par l'arbitre Fortier, ne peuvent étayer sa conclusion sur ce point.


[39]            Comme le souligne la Demanderesse dans son mémoire, une grande partie de la décision de l'arbitre sur ce point est consacrée à des conclusions de fait erronées qui ont mené à la conclusion que le Défendeur avait effectivement été "congédié". Ces inférences que l'arbitre a tirées de la preuve dépendent en grande partie de l'emphase excessive qu'elle a placée sur la preuve testimoniale du Défendeur à l'effet qu'on lui aurait dit, lors de son embauche, qu'il devait signer des contrats à durée déterminée, mais que ceux-ci se renouvelleraient au fil des ans. Ainsi, l'arbitre écrira que "Lors de cette rencontre avec Messieurs Leduc et Larin, on lui souligne que la procédure d'embauche est le contrat annuel, mais que les contrats sont renouvelés. Cette preuve n'a pas été contestée." et, plus loin, que "Ce qu'avaient dit Messieurs Leduc et Larin se révélait exact car il y a eu quatre renouvellements de contrats [...]". Or, cette preuve testimoniale, bien qu'elle ne soit pas contredite expressément par la Demanderesse, a fait l'objet d'une objection préliminaire à la compétence de l'arbitre de l'accepter sur la base qu'elle contredisait un écrit valablement fait, ce qui dénote à tout le moins une intention de la Demanderesse de la contester. De plus, elle n'a aucunement été corroborée, et le Défendeur n'a pas pris la peine de faire témoigner les autres cadres bénéficiant d'un statut similaire au sujet de ces soit-disant promesses qui leur auraient également été faites.


[40]            Il est vrai que l'arbitre Fortier n'a pas omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents, et n'a donc pas commis d'erreur de droit à ce titre. En droit, l'arbitre doit tenir compte de chacun des facteurs et éléments de preuve et le plaignant doit, par prépondérance de preuve, convaincre l'arbitre qu'il a été "congédié". Bien que l'appréciation du poids des divers éléments de preuve doit être laissée à l'arbitre, du moins au départ, cette Cour est justifiée d'intervenir si elle en vient à la conclusion que l'arbitre, en accordant trop de poids à certains éléments ou pas un poids suffisant à certains facteurs pertinents, a agi de façon déraisonnable et commis une erreur : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 au para. 43. En l'espèce, l'importance accordée à la preuve testimoniale du Défendeur est venue teinter le reste de la décision de l'arbitre Fortier et, à mon avis, celle-ci commit une erreur révisable en concluant presqu'exclusivement sur la base de la preuve testimoniale du Défendeur que celui-ci avait été "congédié".   


[41]            La jurisprudence de cette Cour a établi que l'arbitre a compétence pour entendre une plainte de congédiement injuste une fois qu'il a été conclu qu'il ressort des actes de l'employeur que ce dernier avait clairement la volonté de mettre fin unilatéralement au contrat de travail qui le lie à son employé, quelle qu'en soit la raison : Eskasoni School Board et al. c. MacIsaac et al (1986),69 N.R. 315 à la p. 317, para. 11. L'arbitre devait apprécier tous les faits et déterminer si le geste de l'employeur a eu pour effet de mettre fin au contrat de travail du Défendeur. Dans les circonstances particulières en l'espèce, l'arbitre devait inévitablement venir à la conclusion que les contrats à durée déterminée que le Défendeur a signé étaient en fait des contrats à durée indéterminée déguisées, et donc que le Défendeur jouissait en quelque sorte du statut d'un employé "permanent". C'est ce qu'elle fit d'ailleurs en se basant sur la théorie selon laquelle les contrats à durée déterminée ne pas exister pour des fonctions régulières et doivent exister uniquement pour des projets spéciaux, des remplacements de congé, une fonction dont le budget n'est pas récurrent. Ceci l'amena par ailleurs à conclure qu'il était "légitime pour le plaignant de croire qu'il continuerait comme les autres cadres à occuper ses fonctions [...]". Or, comme le souligne la Demanderesse, il n'y a aucun fondement juridique à cette théorie.    Rien ne restreint les circonstances du choix laissé aux parties d'organiser leurs relations de travail à leur guise. Il convient ici de reproduire un extrait de la décision de cette Cour dans Sagkeeng, supra aux pp. 399-400, qui revêt un grand intérêt pour l'affaire en l'espèce :

Une politique d'emploi introduite par l'employeur ne devient une condition du contrat de travail que si elle a été clairement acceptée par l'employé. La connaissance de la politique par un employé pendant qu'il continue d'occuper le même emploi sans formuler d'opposition ne sera pas nécessairement interprétée comme un acquiescement, notamment lorsqu'une dénonciation de la politique pourrait mener à une mise à pied. Cependant, [...] s'il y a acceptation claire et non équivoque de la politique en tant que condition d'emploi, la politique lie l'employé.


[42]            Comment ce principe doit-il s'appliquer en l'espèce? Depuis 1989, la Demanderesse a informé ses employés, notamment ceux nouvellement embauchés ou sur le point de l'être, qu'elle exigerait d'eux qu'ils signent des contrats à durée déterminée avec elle (d'une durée de 12 mois ou moins, comme dans le cas des 2 premiers contrats signés par le Défendeur) et que tous les postes cadres seraient comme contractuels et non "permanents". Il est manifeste que, par ce geste, la Demanderesse tentait de modifier sa politique contractuelle relative à l'emploi. À mon avis, l'arbitre n'a pas la compétence pour juger de la validité de cet arrangement contractuel intervenu entre la Demanderesse et ses employés; celle-ci se limite à ce que prévoit le Code et, en l'occurrence, celui-ci lui permet uniquement de décider si la fin de la relation d'emploi entre les parties au différend peut être qualifié de "congédiement", et, le cas échéant, si ce congédiement est injuste : Banque nationale du Canada, supra à la p. 736. Quels choix s'offraient alors au Défendeur lors de la conclusion de son premier contrat avec la Demanderesse ou du dernier contrat faisant l'objet de ce litige? Le Défendeur pouvait accepter les termes et conditions desdits contrats, ce qu'il fit en l'espèce. Il pouvait aussi refuser d'accepter la politique de la Demanderesse de faire signer des contrats à durée déterminée pour une prestation requérant des "heures de travail non-limitées". Si tel était le cas, il s'en serait probablement suivi des négociations sur la validité des soit-disant promesses tenus par la Demanderesse au sujet du renouvellement automatique des contrats et, plus particulièrement, leur relation vis-à-vis des clauses standards suivantes contenues dans tous les contrats signés par le Défendeur :

RENOUVELLEMENT

Soixante (60) jours avant l'expiration de la présente entente, RADIO-CANADA avise par écrit ÉRIC F. LEMIEUX de son désir de renouveler ou non le présent contrat. Dans le cas d'offre de renouvellement, ÉRIC F. LEMIEUX répond par écrit à cet avis dans les dix (10) jours ouvrables. Dans le cas de renouvellement, les parties entreprennent immédiatement des négociations.

MODIFICATION

Aucun désistement ni changement à aucune des conditions du présent contrat me sera valide à moins d'être fait par écrit et de porter la signature des deux parties.

ENTENTE INTÉGRALE

Le présent contrat contient la totalité des accords entre les deux parties. Il n'existe pas de sous-entendus, promesses, garanties ou arrangements autres que ceux qui y sont expressément stipulés.


[43]            Toutefois, en signant le premier contrat annuel et chacun des autres par la suite au cours d'une période d'environ 5 ans, le Défendeur a consenti, le plus clairement possible, à la politique relative à l'emploi proposée par la Demanderesse. En supposant que ce consentement a été valablement donné, un contrat de travail à durée déterminée comprenant les termes et conditions ci-dessus est entré en vigueur entre les parties. Il est donc évident que le Défendeur n'évoque pas le cas d'un employé faisant face à une politique contractuelle unilatéralement imposée qui n'a pas été acceptée expressément, et on ne peut pas dire qu'il y avait quelque chose de "répréhensible sur le plan moral" quant aux circonstances dans lesquelles les contrats ont été conclus. Comme le rappelle pertinemment la Demanderesse, le Défendeur, un avocat de formation, n'a jamais été permanent, connaissait le sens et la portée du contrat à durée déterminée, a signé des contrats à durée déterminée en toute connaissance de cause sans protestation année après année, a demandé sa permanence mais ne l'a pas obtenue, a reçu des avis d'intention de renouvellement et a néanmoins accepté de signer d'autres contrats à durée déterminée à quatre reprises. L'arbitre a donc commis une erreur en ne prenant pas cette acceptation en considération, en accordant une importance démesurée à la preuve testimoniale du Défendeur, et en avançant une théorie sans aucun fondement juridique, ce qui l'a finalement mené à conclure que le Défendeur avait été "congédié".



[44]            De plus, dans Mark C. Moore, supra à la p. 2342, la Cour d'Appel du Québec précisa que "sans nier l'existence du droit d'un employeur ou d'un employé de ne pas renouveler un contrat d'emploi à durée déterminée, ce droit ne peut être utilisé par l'employeur comme prétexte pour terminer l'emploi d'un employé à cause de l'exercice par celui-ci d'un droit qui lui résulte de la Loi sur les normes du travail (art. 122)" ou, en l'espèce, du Code. Il faut donc, selon la Cour d'Appel, "examiner les circonstances de l'espèce et examiner si, hormis l'existence de conditions économiques négatives ou d'une cause juste et suffisante de ne pas renouveler, l'employé pouvait ici s'attendre normalement à ce que son contrat d'emploi soit renouvelé". Or, le Défendeur en l'espèce ne peut se prévaloir d'aucun droit protégé par une disposition particulière d'ordre public, et il faut se rappeler qu'il n'existe pas un droit à un emploi permanent : Sagkeeng, supra à la p. 401. Généralement, la Cour supérieure du Québec répugne à transformer un contrat à durée déterminée dont les parties ont librement convenu en un contrat à durée indéterminée en l'absence d'une clause de renouvellement automatique ou d'une obligation de renouvellement de l'employeur, sur la seule base que le contrat à durée déterminée avait été renouvelée année après année.    L'affaire Mark C. Moore, quant à elle, n'indique pas de façon décisive qu'un contrat à durée déterminée renouvelé successivement donnait naissance à un contrat à durée indéterminée (voir page 2344 du jugement de la Cour supérieure; voir aussi à ce sujet C.A.L.F.A. c. Nationair, supra aux para. 4-7). En l'espèce, la Demanderesse a fait valoir qu'elle ne peut accepter que ses employés aient un statut d'employés "permanents". Les contrats qu'a signés le Défendeur ne contenaient pas une clause de renouvellement automatique qui pouvait laisser croire que le contrat était présumé renouvelé chaque année à l'expiration de son terme à moins d'indication contraire. Je ne suis pas convaincu que l'existence d'une option de renouvellement du contrat, comme celle contenue dans les contrats signés par le Défendeur, soit suffisante pour maintenir la relation d'emploi d'une année à l'autre. Il n'y avait donc aucune garantie d'emploi tant et aussi longtemps que le contrat du Défendeur n'était pas renouvelé. En dépit de tout ceci, l'arbitre Fortier nota que le contrat du Défendeur avait été renouvelé à quatre reprises et conclut qu'il était "légitime pour le plaignant de croire qu'il continuerait comme les autres cadres à occuper ses fonctions [...]". En ce faisant, l'arbitre a converti un contrat de durée déterminée en un contrat à durée indéterminée.


[45]            Selon la Demanderesse, l'arbitre, après avoir accepté le témoignage illégal du Défendeur, considère que les contrats à durée déterminée signés par le Défendeur constituent "une simple fiction juridique" alors que la preuve en l'espèce a clairement démontré que, d'une part, les contrats n'étaient pas renouvelés d'année en année, mais parfois pour des périodes plus courtes et que, d'autre part, la procédure de renouvellement prévue par le contrat était suivie scrupuleusement à chaque fois. Il m'apparaît de la décision de l'arbitre Fortier que celle-ci affirma qu'un contrat de travail à durée déterminée constitue "une simple fiction juridique" dans le contexte plus large de la théorie selon laquelle dès qu'il y a non-renouvellement de contrats à durée déterminée, il ne peut y avoir de congédiement au sens de l'article 240(1) du Code. Elle ne se prononce pas à l'effet que les contrats d'emploi à durée déterminée signés par les cadres contractuels de la Demanderesse, y compris le Défendeur, constituent tous sans exception "une simple fiction juridique". À mon avis, l'arbitre affirme simplement que si on retenait la thèse rigide précitée, cela signifierait qu'en cas de terminaison d'emploi, certains cadres ("employés permanents") auraient droit à la protection de l'article 240 du Code alors que d'autres, en l'occurrence ceux ayant signé des contrats à durée déterminée, ne l'auraient pas, ce qui aurait pour effet de créer un système de protection à deux mesures qui n'était certes pas souhaité par le législateur.

[46]            Par ailleurs, et comme le souligne la Demanderesse, l'arbitre Fortier a également erré en présumant que le fait que le plaignant ait eu deux augmentations de salaire à l'occasion de deux de ses cinq contrats démontre la satisfaction de l'employeur. Or, il n'y a pas de preuve à cet effet. Au contraire, la preuve a établi que l'augmentation importante que le plaignant a obtenue pour l'un de ses contrats résultait non pas d'une appréciation de ses services mais d'une restructuration et d'un changement organisationnel. Cette conclusion de fait erronée était très importante puisque l'arbitre Fortier en fait une des raisons pour lesquelles il était légitime pour le Défendeur de croire que son contrat serait renouvelé de nouveau.



[47]            En matière de non renouvellement de contrat, l'employé a le fardeau de démontrer, par prépondérance de la preuve, qu'il a été congédié. Il incombait à l'arbitre de tenir compte de toutes les circonstances entourant la signature et le renouvellement des contrats de travail des cadres contractuels de la Demanderesse et particulièrement du Défendeur pour interpréter si c'était bien l'intention des deux parties au différend de planifier leur relation de manière telle qu'il ne puisse y avoir de congédiement dans un cas donné et ce, abstraction faite de la façon dont l'emploi du Défendeur a pris fin et des motifs invoqués par la Demanderesse : Lemieux, supra aux pp. 84-85. Sans constituer une liste exhaustive, les facteurs suivants peuvent être pertinents: la durée de la relation d'emploi; les termes du contrat de travail écrit, les renseignements fournis à l'employé concernant la politique d'embauche et de mise à pied, les représentations faites par l'employeur à l'employé lors de la négociation du contrat, et les pratiques de l'industrie. En déterminant si l'arbitre Fortier, nommée pour entendre la plainte de congédiement du Défendeur, a correctement conclu à un tel congédiement et n'a donc, à cet égard, commis aucune erreur révisable, l'emphase ne doit pas être placée tant sur le raisonnement ayant mené l'arbitre à sa décision que sur le résultat final atteint. En l'espèce, après avoir apprécié toutes les circonstances et la preuve déposée, je suis d'avis que l'arbitre a erré et outrepassé sa compétence en concluant sur la base de la preuve qui lui était soumise que le non-renouvellement du contrat du Défendeur équivalait à un "congédiement" déguisé, et sa décision est donc susceptible de contrôle. La décision de la Demanderesse de ne pas renouveler le dernier contrat du Défendeur Lemieux ayant été prise conformément aux dispositions de ce dernier et ne constituant pas un "congédiement" au sens du paragraphe 240(1) du Code, l'arbitre n'avait donc pas compétence pour examiner la plainte pour congédiement injuste en vertu de l'article 242 du Code.

[48]            Pour les motifs précités, j'accueille la demande de contrôle judiciaire et j'annule la sentence arbitrale de l'arbitre Diane Fortier.

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 29 novembre 2001


                                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                   SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                        NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                             T-231-00

INTITULÉ :                                              Société Radio-Canada c. Éric F. Lemieux

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 6 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE l'honorable juge Rouleau

EN DATE DU :                                      29 novembre 2001

COMPARUTIONS:

Me Pierre Flageolle                                                    POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me David Rhéaume                                                 POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Borden Ladner Gervais S.R.I.                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Grégoire Rhéaume Payette                                  POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Granby (Québec)

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