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                                                                                                                                         Date :    20030424

                                                                                                                           Dossier :    IMM-3832-01

                                                                                                                     Référence :    2003 CFPI 510

ENTRE :

                                                                           JUN YAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GAUTHIER

1.                    Jun Yan demande le contrôle judiciaire d'une décision datée du 5 juillet 2001, par laquelle une agente des visas au Consulat général du Canada à Hong Kong a rejeté sa demande de résidence permanente au Canada à titre de requérant indépendant.

Faits


2.                    Jun Yan est un citoyen de la République populaire de Chine. Il a obtenu un baccalauréat ès sciences à l'université Fudan de Shanghai en 1993, ainsi qu'un baccalauréat en médecine de l'université de médecine chinoise traditionnelle de Shanghai en 1996. Il a également achevé un cours de professionnel agréé Microsoft.

3.                    Au moment où il a présenté sa demande, Jun Yan travaillait à l'université de médecine chinoise traditionnelle de Shanghai, principalement comme enseignant mais aussi comme chercheur s'intéressant aux effets du massage chinois traditionnel sur les symptômes de sevrage des toxicomanes. Dans le cadre de son projet de recherche, il donnait également des massages pendant environ deux à trois heures, tous les deux ou trois jours. Le demandeur a déclaré qu'il offrait également « au besoin » des traitements de physiothérapie à certains membres d'équipes de sport de l'université.

4.                    Jun Yan a aussi mentionné qu'il avait une vaste expérience de travail en informatique, comme on lui demandait souvent à l'université de dispenser ses services comme analyste de systèmes et programmeur. Le demandeur prétend qu'en plus de travailler pour l'université, il a également travaillé comme programmeur de 1993 à 1996 pour la Shanghai Juaghai Computer Company.

5.                    Le demandeur a demandé à être évalué comme chercheur en physiothérapie, programmeur et(ou) analyste de systèmes, en fonction des trois catégories professionnelles distinctes prévues par la Classification nationale des professions (CNP).


6.                    Pendant l'entrevue que l'agente des visas lui a fait passer, Jun Yan a admis qu'il n'avait pas obtenu de diplôme universitaire en physiothérapie et qu'il n'avait pas fait un stage supervisé en physiothérapie, tel que la CNP le requiert pour un chercheur en physiothérapie. Le demandeur a également longuement traité de son expérience en informatique. Or, après l'avoir longuement questionné, l'agente des visas a conclu que le demandeur ne pouvait répondre à des questions élémentaires en matière de programmation, que ce soit en anglais ou en mandarin. Finalement, après avoir tenté en vain de prendre contact avec la Shanghai Juaghai Computer Company pour vérifier quelle était véritablement l'expérience de travail du demandeur, l'agente des visas a conclu que Jun Yan n'avait pu exercer les fonctions énumérées dans la CNP en regard des occupations concernées.


7.                    Dans sa lettre de refus, l'agente des visas déclarait que Jun Yan n'avait pas obtenu les 70 points requis en vertu du Règlement sur l'immigration de 1978, en sa version modifiée (DORS/78-172) (le Règlement); on ne lui avait accordé que 61 points. Plus important encore, puisque les antécédents de Jun Yan ne correspondaient pas aux exigences concernant les physiothérapeutes de la CNP, on ne lui a accordé aucun point tant pour le travail que pour l'expérience dans ce domaine. Le demandeur n'a également obtenu aucun point pour l'expérience comme programmeur et aucun point tant pour le travail que pour l'expérience comme analyste en informatique. Étant donné que le demandeur n'avait aucune offre d'emploi spécifique au Canada, les résultats obtenus entraînaient son exclusion automatique selon le Règlement, à moins que l'agente des visas n'exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère son paragraphe 11(3), dont voici le libellé :


11(3) L'agent des visas peut

a) délivrer un visa d'immigrant a un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

11(3) A visa officer may

(a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

b) refuser un visa d'immigrant a un immigrant qui obtient un nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10, s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d' immigration supérieur et ont reçu 1'approbation de ce dernier.

            (b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10.

If, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded to don't reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.


8.                    De fait, Jun Yan a expressément demandé à l'agente des visas d'exercer ce pouvoir discrétionnaire dans une lettre du 21 janvier 1999, adressée par ses avocats au Consulat général du Canada. Les motifs suivants étaient énoncés dans cette lettre à l'appui de la demande de considération spéciale en vertu du paragraphe 11(3) : (i) Jun Yan est un demandeur hautement qualifié, (ii) il détient deux baccalauréats, (iii) il lit, parle et écrit bien l'anglais et (iv) il compte plusieurs années d'expérience en recherche et en programmation et il s'est montré motivé à améliorer ses connaissances professionnelles en programmation, ce qu'il a réussi à faire.


9.                    La lettre de refus ne fait nulle mention de cette demande et n'indique aucunement si l'agente des visas s'est penchée sur celle-ci. Il n'y a non plus aucune mention de cette demande dans les notes du STIDI. Même l'affidavit déposé pour le compte du défendeur n'y fait aucune allusion et jamais l'agente des visas ne mentionne qu'elle n'était tout simplement pas convaincue qu'elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur.

10.              Jun Yan soulève certaines questions relativement au caractère raisonnable de l'évaluation comme telle de l'agente. Après examen de la preuve et des arguments présentés par les parties, la Cour conclut que l'agente des visas n'a commis aucune erreur révisable lorsqu'elle a procédé à son évaluation en vertu des paragraphes 11(1) et 11(2) du Règlement. Ses conclusions à cet égard étaient toutes de pures conclusions de fait parfaitement de son ressort, et toutes étaient raisonnables [Lin c. Canada (1991), 121 N.R. 241 (C.A.), à la page 243.] Aucune conclusion n'a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l'agente des visas disposait.

11.              Cette conclusion n'a cependant pas d'effet déterminant sur la présente demande, puisqu'une autre question reste à examiner.

Question en litige

12.              La question qu'il reste à examiner est la suivante :


            (i)         L'agente des visas a-t-elle manqué à l'obligation d'agir équitablement en ne tenant pas compte de la demande que Jun Yan lui a faite d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement?

Analyse

13.              Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas infirmer la décision pour les motifs suivants :

            a)         il y a présomption que l'agente des visas a tenu compte de tous les éléments dont elle disposait;

            b)          l'agente n'est pas tenue de faire état dans ses notes du STIDI ou dans la lettre de refus de sa décision de ne pas recourir à son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur (Channa c. Canada (M.C.I.) 1996, 124 F.T.R. 290 et Feng c. Canada (M.C.I.) (1998), 153 F.T.R. 59).


14.              Le défendeur soutient en outre que, même si le défaut de l'agente des visas de prendre en compte la requête du demandeur constituait une erreur révisable, cela n'aurait pas un effet important sur l'issue de l'affaire. On n'a recouru au pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement que dans des cas où il ne manquait que quelques points (rejet de peu) aux demandeurs et jamais pour pallier un écart important, comme dans le cas qui nous occupe.

15.              Le défendeur ajoute qu'en tout état de cause, la lettre du 21 juillet 1999 ne révélait l'existence d'aucun facteur inhabituel pouvant justifier un exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 1l(3) du Règlement.

16.              Jun Yan se fonde sur la décision de notre Cour dans Gangadeen c. Canada (M.C.I.) [2000] A.C.F. n ° 1539 (QL), où le juge McKeown a suivi la décision du juge McGillis dans Savvatee c. M.C.I. (1999) A.C.F. n ° 922 (QL), et statué qu'une fois formulée une demande spécifique de prise en compte du paragraphe 11(3), l'agent des visas ne peut en faire abstraction, et ce, même si les motifs avancés par le demandeur pour justifier l'exercice du pouvoir discrétionnaire ne sont pas très clairs.

17.              Le demandeur soutient, en outre, qu'un tel manquement aux règles de l'équité procédurale constitue une erreur révisable qui permet à notre Cour d'annuler la décision, que cela importe ou non pour l'issue de l'affaire.


18.              La Cour partage l'avis du défendeur selon lequel l'agente des visas n'était pas tenue de justifier dans ses motifs sa décision de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire prévu par le paragraphe 11(3) du Règlement; cela ne veut pas dire toutefois que l'agente des visas n'avait pas à prendre en compte la requête spécifique formulée par Jun Yan.

19.              La Cour peut assurément considérer que l'absence de mention du paragraphe 11(3) dans l'affidavit de l'agente des visas constitue un élément, parmi d'autres, lui permettant de déduire que la requête du demandeur n'a pas du tout été prise en compte.

20.              Dans la décision Channa invoquée par le défendeur, l'affidavit de l'agente des visas faisait voir clairement que celle-ci avait bel et bien décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire.

21.              À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l'agente des visas a omis de prendre en compte la requête que lui a présentée Jun Yan d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement.

22.              La Cour devrait-elle faire abstraction de cette erreur révisable puisque, comme le défendeur le soutient, elle n'importe pas à l'issue de l'affaire?

23.              Jun Yan n'est pas passé près d'obtenir les 70 points requis et les circonstances inhabituelles qu'il invoque ne sont pas claires. La lettre du 21 juillet 1999 de son avocat est plutôt vague.


24.              Quoi qu'il en soit et même si les probabilités de réussite d'une telle requête semblent bien minces à ce stade-ci, la Cour ne peut conclure qu'un agent des visas refuserait nécessairement d'exercer en faveur de Jun Yan le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 11(3). La Cour devrait spéculer sur le résultat d'un tel exercice. On outrepasserait ainsi l'exception à la règle stricte prévoyant qu'un manquement aux règles de l'équité procédurale entraîne normalement l'annulation de la décision. (Se reporter à Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228, et à Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.)). La décision doit par conséquent être annulée.

25.              À l'audience, le défendeur a fait remarquer que Jun Yan sollicitait une ordonnance renvoyant l'affaire pour que soit rendue une nouvelle décision, en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, en sa version modifiée, ainsi que du Règlement sur l'immigration de 1978, soit les dispositions législatives en vigueur au moment de l'examen initial de sa demande.


26.              À ce sujet, Jun Yan n'a cité aucune jurisprudence ni avancé aucun argument, si ce n'est que l'application de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 et du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 lui causerait préjudice. Il déclare en particulier qu'en vertu du nouveau régime, 75 points plutôt que 70 sont désormais requis. Ni l'une ni l'autre partie n'a dit quoi que ce soit quant à savoir si un agent des visas a toujours ou non le pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa à un demandeur n'ayant pas obtenu le nombre de points requis.

27.              La Cour n'est pas disposée à ordonner qu'on procède à la réévaluation sur le fondement d'une loi et d'un règlement qui ne sont plus en vigueur. La Cour est d'accord avec le juge Gibson, qui a déclaré ce qui suit au paragraphe 31 de Hilewitz c. Canada (M.C.I.) 2002 CFPI 844 :

[...] Je suis convaincu qu'une ordonnance de la Cour qui renverrait cette affaire pour nouvel examen conformément à la Loi sur l'immigration et son Règlement serait en fait illégale.

28.              La Cour note, quoi qu'il en soit, que le paragraphe 76(3) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés confère à l'agent des visas le pouvoir discrétionnaire, si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié ne reflète pas son aptitude à réussir son établissement économique au Canada, de faire abstraction du fait qu'il a obtenu moins que le nombre de points minimal requis.

29.              Une demande en vertu de ces dispositions permettra qu'on procède à l'examen des circonstances inhabituelles invoquées par Jun Yan.


30.              Il est demandé aux avocats de signifier et déposer leurs observations relativement à la certification de toute question de portée générale dans les sept jours de la réception des présents motifs. Chaque partie disposera de trois jours additionnels pour signifier et déposer une réplique aux observations de l'autre partie. Ensuite, une ordonnance sera rendue ayant pour effet d'accueillir la demande de contrôle judiciaire.

                                                                                                                                     « Johanne Gauthier »                

                                                                                                                                                                 Juge                               

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-3832-01

INTITULÉ :                                        Jun Yan c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 20 mars 2003

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                        Le juge Gauthier

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 avril 2003

COMPARUTIONS :

M. Mark Rosenblatt                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Mme Kareena R. Wilding                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Mark Rosenblatt                                                                       POUR LE DEMANDEUR

1000 - 335, rue Bay

Toronto (Ontario) M5H 2R3

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)


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