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                                                                                                                                            Date : 20030220

                                                                                                                                  Dossier : IMM-402-02

Ottawa (Ontario), ce 20e jour de février 2003

En présence de Monsieur le juge Pinard

Entre :

                                                                    MIHAIL DINITA

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision prise le 21 janvier 2002 par la déléguée du ministre, Claudette Deschênes, qui porte que le demandeur est un danger pour le public au Canada au vu des paragraphes 70(5) et 53(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, est accueillie. En conséquence, la décision de la déléguée du ministre est annulée et la question est renvoyée pour nouvel examen dès que possible par un délégué du ministre différent.

                        "Yvon Pinard"       

                                                                         

       Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                                                                                            Date : 20030220

                                                                                                                                  Dossier : IMM-402-02

                                                                                                               Référence neutre : 2003 CFPI 184

Entre :

                                                                    MIHAIL DINITA

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

        Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision délivrée le 21 janvier 2002 par la déléguée du ministre, Claudette Deschênes, portant qu'il constitue un danger pour le public au Canada en vertu des paragraphes 70(5) et 53(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

        Le demandeur est un citoyen de Roumanie et il est membre de l'ethnie rom (gitan). Le 10 janvier 1995, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a décidé qu'il était un réfugié au sens de la Convention et il a obtenu le droit d'établissement au Canada le 17 juillet 1996.


        Le 20 mars 2001, le demandeur a reçu copie d'un avis d'intention de demander l'avis du ministre pour déterminer s'il constituait un danger pour le public au Canada. Cet avis d'intention faisait suite à un rapport délivré le 17 février 2001, en vertu de l'alinéa 27(1)d) de la Loi, qui indiquait que le demandeur avait été trouvé coupable d'une infraction aux lois fédérales pour laquelle il avait été emprisonné pour une période de plus de six mois.

        Le demandeur a été trouvé coupable d'infractions répétées, notamment vols, fraudes et complots en vue de commettre une fraude. Les crimes commis par le demandeur et ses complices ciblaient souvent les petits commerces, ainsi que les personnes âgées qui utilisent les guichets automatiques.

        Le demandeur a trois enfants issus d'un premier mariage qui vivent en Roumanie. Ce mariage a été dissous en 1993. Il a une épouse au Canada et un enfant canadien, Michael Fane Emil Dinita, qui est né à Montréal le 4 décembre 1996.

        La déléguée du ministre a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada, suite à quoi il devait être expulsé :

. . . À mon avis, les risques que cette personne représente à la société canadienne sont plus élevés que les risques éventuels auxquels cette personne pourrait être exposée à son retour en Roumanie.

        En arrivant à sa décision, prise en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)a) de la Loi, la déléguée du ministre a adopté le raisonnement que l'on trouve dans le « Rapport sur l'avis du ministre » , daté du 30 avril 2001, ainsi que dans la « Demande de l'avis du ministre » , datée du 28 août 2001.


        Le demandeur soutient que les motifs de la déléguée du ministre ne répondent pas à la norme requise par l'obligation d'équité. Dans l'arrêt Canada (M.C.I.) c. Bhagwandass, [2001] 3 C.F. 3, la Cour d'appel fédérale a déclaré que la procédure de l'avis de danger adoptée par le ministre laisse voir la nécessité d'une norme d'équité plus exigeante que la norme applicable aux décisions prises aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi. Voici ce que dit Mme le juge Sharlow au paragraphe 31 :

Enfin, la Couronne soutient que la procédure de l'avis de danger n'est pas contradictoire et que, pour ce motif, l'obligation d'équité du ministre n'existe qu'à un faible degré. Je ne peux pas accepter cet argument. Il me semble au contraire que la procédure de l'avis de danger adoptée par le ministre laisse voir la nécessité d'une norme d'équité plus exigeante que la norme applicable aux décisions prises aux termes du paragraphe 114(2). Cela est dû au fait que la procédure est contradictoire dès ses débuts et qu'elle le demeure jusqu'à la fin. Dans la présente affaire, la procédure a commencé par la lettre d'intention du 19 juin 1998 informant M. Bhagwandass qu'un fonctionnaire du Ministère croyait qu'un avis de danger s'imposait. Cette lettre mentionne les observations, les arguments et la preuve qui sont pris en considération par le ministre, lesquels constituent manifestement les attributs d'un processus contradictoire. La dernière étape de la procédure, avant la prise de la décision, a été la présentation au délégué du ministre du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande de l'avis du ministre. Étant donné le contenu et l'objet apparent de ces documents, ceux-ci peuvent à juste titre être qualifiés d'outils de plaidoirie par lesquels les fonctionnaires du ministère recommandent la délivrance d'un avis de danger et énoncent les faits pour lesquels ils croient que cette recommandation est justifiée. Il ressort, on ne peut plus clairement, des documents que les fonctionnaires du Ministère s'étaient ligués contre M. Bhagwandass. Il ne faut pas les critiquer pour cela. Ils se sont manifestement fait demander leur avis et ils avaient le droit de l'exprimer. Mais le fait de qualifier la procédure de non contradictoire n'est tout simplement pas compatible avec la preuve.

(Non souligné dans l'original)

        En l'instance, la déléguée du ministre a effectivement adopté le Rapport sur l'avis du ministre et la Demande de l'avis du ministre. Ceci pourrait satisfaire à l'exigence de motifs adéquats (voir, p. ex., Mullings c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (7 juin 2001), IMM-4146-00, 2001 CFPI 607). Toutefois, dans les circonstances particulières de la présente affaire, ces motifs ne sont pas suffisants.

      La Demande de l'avis du ministre porte qu'il y a une réelle possibilité que le demandeur soit soumis à des dangers importants s'il retourne en Roumanie :


Tout en considérant les renseignements ci-dessus et le fait que Monsieur Dinita ait été reconnu réfugié au sens de la Convention, il est possible qu'il rencontre des difficultés et même des sanctions excessives ou des traitements inhumains à son retour en Roumanie.

      Les motifs de la déléguée du ministre ne traitent pas directement de la question des traitements inhumains. Toutefois, dans l'arrêt Suresh c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2002 CSC 1, la Cour suprême du Canada a déclaré que les motifs du ministre doivent pondérer le risque d'un préjudice sérieux causé à la société si le demandeur reste au Canada, face au risque qu'il subira un traitement cruel ou inusité s'il est renvoyé dans son pays d'origine :

[126]      La ministre doit motiver sa décision par écrit. Ses motifs doivent exposer clairement et étayer rationnellement sa conclusion qu'il n'existe pas de motifs sérieux de croire que la personne visée par l'attestation prévue à l'al. 53(1)b) sera torturée ou exécutée ou subira quelque autre traitement cruel ou inusité, dans la mesure où cette personne a fait valoir qu'elle s'exposait à un tel sort. Sous réserve du caractère privilégié de l'information ou de l'existence d'autres raisons juridiques valables de ne pas divulguer de renseignements détaillés, les motifs doivent également préciser les raisons pour lesquelles la ministre croit que l'intéressé constitue un danger pour la sécurité du Canada, comme l'exige la Loi. De plus, ces motifs doivent émaner de l'auteur de la décision, en l'occurrence la ministre, et ne doivent pas prendre la forme d'une opinion ou d'une recommandation, comme la note de M. Gauthier. Le rapport préparé par M. Gauthier pour expliquer à la ministre le point de vue de Citoyenneté et Immigration Canada s'apparente davantage à un mémoire de la poursuite qu'à un exposé des motifs produits à l'appui d'une décision.

[127]      . . . Si le réfugié établit l'existence d'une possibilité réelle de torture, la ministre doit lui communiquer tous les renseignements et conseils qu'elle a l'intention de prendre en compte, elle doit lui donner la possibilité de présenter des observations écrites pour les réfuter et elle doit exposer des motifs écrits répondant à ces observations. Ce sont là les mesures minimales requises pour assurer le respect de l'obligation d'équité et satisfaire aux exigences de la justice fondamentale conformément à l'art. 7 de la Charte.


      Bien que l'arrêt Suresh traite spécifiquement des expulsions en vertu de l'alinéa 53(1)b), savoir lorsqu'un réfugié constitue un danger pour la sécurité du Canada, le raisonnement utilisé devrait s'appliquer également à une mesure d'expulsion prononcée en vertu de l'alinéa 53(1)a), lorsque le réfugié est jugé constituer un danger pour le public au Canada. En l'instance, le demandeur a démontré que s'il est renvoyé en Roumanie il fera face à un risque de « traitement inhumain » étant donné qu'il est Rom. Selon son Formulaire de renseignements personnels, ces traitements peuvent aller de la raclée jusqu'à la mort violente, et les autorités roumaines ne s'en préoccuperaient pas. Selon moi, le rapport de la déléguée du ministre ne tient pas adéquatement compte de la preuve au sujet de ce risque.

      Le demandeur soutient aussi que la déléguée du ministre n'a pas tenu compte des motifs d'ordre humanitaire, et qu'elle n'a pas procédé à l'analyse imposée par l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817. Lorsqu'il s'agit d'examiner un avis de danger, le délégué du ministre doit tenir compte de tous les motifs d'ordre humanitaire (Gonzalez c. Canada (M.C.I.), 6 Imm. L.R. (3d) 33, et Bhagwandass, précité). La lettre d'avis au demandeur, datée du 19 mars 2001, fait ressortir le fait que Citoyenneté et Immigration Canada reconnaît la pertinence de cette question :

. . . La preuve, les arguments ou autres observations que vous présenterez doivent porter sur la question du danger pour le public, sur l'existence de considérations humanitaires manifestes dans votre cas ou sur le fait que votre renvoi du Canada menace votre vie ou vos libertés. . . .

      Tant dans ses prétentions du 12 avril 2001 que dans celles du 20 novembre 2001, l'avocat du demandeur a renvoyé spécifiquement à l'épouse et à l'enfant du demandeur, dans le contexte des motifs d'ordre humanitaire, pour obtenir une suspension de la mesure d'expulsion.


      Dans sa décision, la déléguée du ministre indique qu'elle a examiné toutes les considérations humanitaires qui pourraient exister dans ce cas. Toutefois, elle n'ajoute rien à cette déclaration et les motifs d'ordre humanitaire ne sont mentionnés nulle part dans la Demande de l'avis du ministre ou dans le Rapport sur l'avis du ministre. La Cour suprême du Canada a clairement déclaré que, dans les affaires où il y a lieu de tenir compte de motifs d'ordre humanitaire, l'intérêt supérieur des enfants doit recevoir un poids important (Baker, précité). Toutefois, la Cour d'appel fédérale a décidé que la simple présence d'enfants n'était pas nécessairement un empêchement à l'expulsion (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Legault (28 mars 2002), A-255-01), mais qu'il y a toutefois lieu de l'examiner avant la prise de décision. On ne trouve rien dans les motifs de la déléguée du ministre qui indiquerait que cette analyse a été réalisée.

      En conclusion, étant donné que la déléguée du ministre n'a pas présenté de motifs adéquats pour appuyer sa décision d'expulser le demandeur nonobstant le risque existant pour lui s'il était renvoyé en Roumanie, et qu'elle n'a pas non plus adéquatement traité des motifs d'ordre humanitaire soulevés par le demandeur, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. En conséquence, la décision de la déléguée du ministre est annulée et la question est renvoyée pour nouvel examen à un autre délégué du ministre, dès que possible.

"Yvon Pinard"

                                                                         

                    Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 février 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-402-02

INTITULÉ :                                                        MIHAIL DINITA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 7 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                     Le 20 février 2003                                               

COMPARUTIONS:

M. William Sloan                                                                            POUR LE DEMANDEUR

M. Daniel Latulippe                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

William Sloan                                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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