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Date : 20031110

Dossier : IMM-8670-03

Référence : 2003 CF 1326

Toronto (Ontario), le 10 novembre 2003

En présence de Monsieur le juge Russell

ENTRE :

                                                                 LEIB WALDMAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une requête pour obtenir une ordonnance suspendant l'exécution de l'arrêté d'extradition vers les États-Unis du demandeur dans l'attente d'une demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire.

[2]                 La requête devait à l'origine être instruite le 10 novembre 2003 à Toronto, mais elle a dû être instruite d'urgence par téléconférence le 8 novembre 2003.

[3]                 Le 30 avril 1999, le ministre de la Justice a ordonné l'extradition inconditionnelle du demandeur vers les États-Unis, en application de la Loi sur l'extradition.

[4]                 Le 9 août 2001, la Cour d'appel de l'Ontario a instruit conjointement l'appel du demandeur et sa demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre. L'appel et la demande de contrôle ont été rejetés.

[5]                 Le demandeur a sollicité l'autorisation d'interjeter appel du jugement de la Cour d'appel de l'Ontario devant la Cour suprême du Canada, et il a également présenté à celle-ci une requête en production de nouveaux éléments de preuve.

[6]                 Le 11 avril 2002, la Cour suprême a rejeté, sans fournir de motifs, la demande d'autorisation et la requête en production.

[7]                 Le demandeur a ensuite tenté de persuader de nouveau le ministre de la Justice de réexaminer la décision de l'extrader vers les États-Unis. Par lettre datée du 17 mars 2003, le ministre de la Justice a rejeté la demande de réexamen du demandeur.

[8]                 Le demandeur a ensuite présenté à la Cour d'appel de l'Ontario une demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre de la Justice de ne pas procéder à un réexamen.

[9]                 La Cour d'appel de l'Ontario a rejeté la demande de contrôle judiciaire du demandeur.


[10]            Ayant épuisé ses recours en vertu de la Loi sur l'extradition, le demandeur invoque maintenant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

[11]            Il a, sans quitter le Canada, présenté une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire. La décision sur cette demande est toujours en instance.

[12]            Le demandeur a également demandé qu'on procède à un examen des risques avant renvoi visant les États-Unis ainsi que la Roumanie.

[13]            Une mesure d'expulsion à l'encontre du demandeur est toujours en vigueur mais n'a pas été exécutée, les autorités canadiennes concentrant leur attention sur l'extradition en application de la Loi sur l'extradition.

[14]            L'historique de la présente affaire, long, complexe et imposant, est exposé dans les documents produits par le demandeur et les défendeurs. Les parties ne semblent pas en désaccord quant aux faits pertinents entourant la présente requête.


[15]            Pour les fins de la présente demande de sursis, qu'il suffise de dire que le demandeur fait l'objet tant d'une mesure d'expulsion en application de la LIPR, que d'un arrêté d'extradition en application de la Loi sur l'extradition. Le demandeur estime qu'une telle situation confère à la Cour compétence pour instruire à la fois la présente demande de sursis et la demande sous-jacente de contrôle judiciaire.

[16]            Le demandeur soulève les questions qui suivent.

1.         Y a-t-il atteinte au droit du demandeur à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, énoncé à l'article 7 de la Charte, du fait qu'il est extradé sans que les autorités compétentes aient procédé à un examen approprié des risques avant renvoi, étant donné que la Loi sur l'extradition ne prévoit aucune garantie procédurale ni processus équitable obligeant un décideur compétent à examiner et évaluer la preuve relative aux risques pour la vie et la sécurité de l'intéressé dans le pays de destination?

2.         Convient-il de suspendre l'exécution de la mesure de renvoi comme on n'a pas procédé à un examen approprié des risques avant renvoi pour la vie et la sécurité du demandeur advenant qu'il soit renvoyé aux États-Unis ou en Roumanie?

[17]            Lors de l'instruction de la présente affaire le 8 novembre 2003, le demandeur a étoffé son argumentation écrite et souligné que, dans un cas comme celui-ci où une mesure d'expulsion est en vigueur, l'extradition équivaudra de facto à une expulsion, laquelle ne peut avoir lieu en vertu de la LIPR à moins que les garanties prévues par cette loi ne soient mises en application et qu'on ait procédé à un examen des risques valide. Pareille mise en application de la LIPR fait entrer en scène le ministre de l'Immigration et confère à la Cour compétence pour instruire et trancher les questions soulevées.


[18]            Le demandeur soutient essentiellement que la Loi sur l'extradition est lacunaire, parce qu'elle ne prévoit pas de garanties adéquates en matière d'examen des risques non plus que des garanties semblables à celles offertes par la LIPR, et que cela ne devrait avoir aucune incidence sur les droits d'une personne découlant de l'article 7 de la Charte que son renvoi se fasse par voie d'extradition ou d'expulsion.

[19]            Bien que cet argument puisse être fort valable, si la Cour faisait droit à la présente requête du demandeur, cependant, cela soulèverait de graves difficultés.

[20]            J'estime, pour commencer, que l'extradition du demandeur ne donnera pas lieu à une expulsion de facto faisant ensuite entrer en jeu la LIPR.

[21]            L'article 240 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit quand une mesure de renvoi est exécutée. L'exécution a lieu, par exemple, lorsque l'étranger concerné « quitte le Canada » (alinéa c)). L'article 240 prévoit clairement cependant, selon moi, que le départ du Canada doit découler de l'exécution de la mesure de renvoi elle-même, l'article précisant que l'exécution peut être soit volontaire ou forcée, du fait du ministre de l'Immigration.


[22]            Si l'arrêté d'extradition est exécuté à l'encontre du demandeur en l'espèce, c'est le ministre de la Justice qui en assurera l'exécution et, par suite, le demandeur sera hors du Canada. Ce dernier fait pourrait bien avoir une incidence, en vertu de la LIPR, quant à la manière dont le demandeur pourrait retourner ici. Mais le demandeur se trouverait hors du Canada non parce qu'il a quitté le pays volontairement et non parce que le ministre de l'Immigration a exécuté une mesure de renvoi à son encontre, mais parce que le ministre de la Justice l'a fait extrader.

[23]            J'estime qu'en l'espèce, l'extradition ne constitue manifestement pas une expulsion de facto en vertu de la LIPR et qu'ainsi, le processus d'extradition que le ministre de la Justice entend mettre à exécution ne fait entrer en jeu ni le ministre de l'Immigration ni la compétence de notre Cour.

[24]            Le jugement du juge Teitelbaum dans Garcia c. Canada (Ministre de la Justice) [1997] C.F.P.I. n ° 453, au paragraphe 25, bien qu'il soit antérieur à notre régime législatif actuel sur ces questions, me semble faire clairement jurisprudence quant au principe selon lequel notre Cour n'a pas compétence pour connaître d'un recours en contrôle judiciaire contre une décision d'extrader du ministre de la Justice en application de la Loi sur l'extradition « ou de la requête accessoire en mesure de redressement provisoire » . Il semble manifeste, de par le libellé du paragraphe 57(1) de l'actuelle Loi sur l'extradition, que telle est toujours la règle de droit applicable :

57. (1)     Malgré la Loi sur la Cour fédérale, la cour d'appel de la province où l'incarcération a été ordonnée a compétence exclusive pour connaître, conformément au présent article, de la demande de révision judiciaire de l'arrêté d'extradition pris au titre de l'article 40.

[25]            C'est là la raison pour laquelle, à ce jour, le demandeur a concentré son attention sur la Cour d'appel de l'Ontario.


[26]            Dans la récente décision Froom c. Canada (Ministre de la Justice) (1re inst.) [2003] 3 C.F. 268, [2002] A.C.F. n ° 1725, 2002 CFPI 1278, le juge Gibson a clairement énoncé, au paragraphe 15, la position de notre Cour relativement aux arrêtés d'extradition pris en vertu de la Loi sur l'extradition :

Il importe de noter que le paragraphe 57(1) de la Loi exclut la compétence de notre Cour pour ce qui est du contrôle judiciaire d'un arrêté d'extradition pris en vertu de l'article 40 de la Loi et confère cette compétence à la cour d'appel de la province intéressée.

[27]            En conformité avec les commentaires du juge Teitelbaum dans Garcia, précitée, j'estime que notre Cour n'a pas compétence pour connaître des requêtes en mesure de redressement provisoire relatives à un arrêté d'extradition pris au titre de l'article 40.

[28]            Le demandeur tente de contourner l'obstacle en prétendant qu'il ne demande pas le contrôle judiciaire de l'arrêté d'extradition, mais vise plutôt à empêcher son renvoi du Canada avant qu'on ait procédé à un examen des risques valide, en conformité avec les garanties prévues par la LIPR.


[29]            Toutefois, la mesure injonctive demandée au moyen de la présente requête consiste en un « [traduction] sursis d'exécution de l'arrêté d'extradition vers les États-Unis [...] » , et l'on demande ainsi à la Cour d'intervenir dans un processus d'extradition dont la Cour d'appel de l'Ontario et la Cour suprême du Canada ont eu à connaître depuis un certain temps déjà, et à l'égard duquel, à mon avis, la Cour n'a pas compétence. C'est l'arrêté d'extradition qu'on met à exécution pour renvoyer le demandeur hors du Canada, et c'est à l'encontre de cet arrêté que le demandeur recherche réparation.

[30]            Selon moi, le fait que le demandeur a introduit une instance qui fait entrer en jeu la LIPR (une demande pour CH, une demande d'examen des risques avant renvoi, une demande de déclaration portant qu'il faudrait procéder à un examen des risques valable avant que le demandeur ait à quitter le Canada et qu'on n'a pas tenu compte de ses droits garantis par l'article 7 de la Charte) ne confère pas à la Cour compétence pour connaître, tel que le demandeur l'a demandé, d'un arrêté d'extradition pris en vertu de l'article 40 de la Loi sur l'extradition.

[31]            Ce dont le demandeur se plaint essentiellement, c'est que la Loi sur l'extradition est lacunaire parce qu'elle ne comporte pas les garanties prévues dans la LIPR pour protéger les droits en vertu de l'article 7 de la Charte des personnes renvoyées du Canada. Cette critique peut ou non être justifiée, mais elle ne peut servir de fondement juridique à une intervention de la Cour face au processus d'extradition auquel le demandeur est maintenant confronté, après avoir saisi la Cour d'appel de l'Ontario à plusieurs reprises et même avoir sollicité l'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada.

[32]            En résumé, la demande de suspension est donc rejetée pour les motifs suivants :

1.         la Cour n'a pas compétence pour accorder la mesure de réparation demandée;


2.         le demandeur ne soulève pas de question grave, conformément au critère en trois volets énoncé dans la décision Toth et les décisions connexes;

3.         le demandeur ne m'a pas persuadé qu'il subira un préjudice irréparable s'il est extradé vers les États-Unis, la preuve présentée à cet égard relevant de la simple spéculation.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE le rejet de la requête pour suspension.

                                                                                        « James Russell »                 

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-8670-03

INTITULÉ :                                              LEIB WALDMAN

                                                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                   défendeurs

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 8 NOVEMBRE 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DES MOTIFS :                           LE 10 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           LE JUGE RUSSELL

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Mary Matthews                                                                             POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Waldman and Associates

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

         Date : 20031110

        Dossier : IMM-8670-03

ENTRE :

LEIB WALDMAN

                                             demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ligne

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

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