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Date : 20020904

Dossier : IMM-3335-01

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 932

ENTRE :

           

                                                        DAVIT IANTBELIDZE

demandeur

- et -

             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L' IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]                 M. Davit Iantbelidze (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 6 juin 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu au désistement de sa revendication.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est un citoyen de la Géorgie qui a revendiqué le statut de réfugié à son entrée au Canada au motif qu'il craignait d'être persécuté en Géorgie en raison de ses opinions politiques et de sa prétendue appartenance à un groupe de chanteurs s'exécutant lors de grands rassemblements. Il allègue dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) avoir été sauvagement battu par des responsables géorgiens et étaye d'une preuve documentaire la prétention selon laquelle il aurait subi des blessures corporelles.

[3]                 Un avis de convocation daté du 12 février 2001 prévoyait que l'audition de la revendication par la Commission devait avoir lieu le 24 octobre 2000. Le demandeur n'a pas comparu pour l'audition le 12 février 2001, mais un conseil a comparu en son nom et a informé la Commission qu'il ne pouvait être présent pour cause de maladie.

[4]                 La Commission a mis en branle la procédure de désistement et a informé le conseil du demandeur qu'à l'audience de justification, ce dernier devrait comparaître muni d'un certificat médical donnant des précisions sur sa maladie, sa durée, le traitement subi, les médicaments prescrits ainsi que le motif pour lequel le demandeur n'avait pu comparaître le 12 février 2001.


[5]                 Le demandeur et son conseil ont comparu lors de l'audience sur le désistement, dont la date avait été fixée au 5 avril 2001. Lors de cette audience, le demandeur a remis un billet de son médecin mentionnant un motif pour son absence le 12 février 2001.

[6]                 La Commission a rejeté le billet, qu'elle a jugé insuffisant parce qu'il était écrit à la main sur un livret d'ordonnances, qu'il était daté du 12 février 2001 et qu'on pouvait y lire : « la présente lettre confirme que le patient a été traité à notre cabinet pour des motifs médicaux » .

[7]                 La Commission a fait remarquer qu'à la date où le demandeur était censé être malade, il a pu faire l'aller-retour à pied de chez lui au cabinet de son médecin à vingt minutes de distance, aller acheter du pain, prendre les arrangements requis pour remettre le billet du médecin à son interprète, prendre l'autobus pour rencontrer cette dernière, revenir chez lui, puis appeler son conseil.

[8]                 La Commission a tiré une conclusion défavorable du défaut par le demandeur de prendre le médicament prescrit. Il en a été de même quant au manque de cohérence de certaines réponses du demandeur au cours de son interrogatoire. La Cour a conclu que le témoignage du demandeur avait acquis un caractère intéressé.


[9]                 La Commission n'a pas cru le demandeur lorsqu'il a dit qu'il ne pouvait fournir le 15 février 2001 un rapport médical sur son état de santé du 12 février 2001. La Commission a souligné que le demandeur a parlé au masculin de son médecin, alors qu'il s'agissait d'une femme. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas présenté sa revendication avec diligence, et qu'il y avait eu désistement de celle-ci.

LES ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[10]            Le demandeur soumet l'affidavit de Sofia Taboukachvili, déposé avec le dossier de la demande, comme preuve du caractère déficient, en contravention des principes d'équité et de justice naturelle, des services d'interprétation dispensés à l'audience sur le désistement. Il soutient que l'interprétation doit satisfaire à l'exigence prévue à l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), exigence dont la portée s'étend aux audiences de la Section du statut de réfugié. Il se fonde à cet égard sur la décision R. c. Tran (1994), 32 C.R. (4th) 34 (C.S.C.).

[11]            Le demandeur soutient que l'article 14 de la Charte requiert de fournir une traduction continue, exacte, impartiale, fidèle et simultanée. Tout manquement à cette exigence relativement à une question essentielle constitue une erreur révisable. Il se fonde à cet égard sur Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 371 (C.F.P.I.), conf. [2001] 4 C.F. 85 (C.A.F.).


[12]            Le demandeur soutient que l'interprète a mal traduit les mots « désistement » , « audience » et « médecin » et que la traduction erronée se rapportait à un élément essentiel de la preuve à établir par le demandeur. Ce dernier soutient d'ailleurs que l'interprète dont les services étaient fournis par la Commission ne traduisait pas ce qu'il disait bien souvent, et qu'elle donnait des réponses de son cru.

[13]            Le demandeur prétend, en second lieu, que le rapport médical plus détaillé fourni par le Dr Ina Roitberg et daté du 3 juillet 2201 est admissible en preuve dans le cadre de la présente demande. Il se fonde pour cela sur Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(2000), 195 F.T.R. 313, révisé pour d'autres motifs à 2002 C.A.F. 148 et sur Ou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 48 Imm. L.R. (2d) 131 (C.F.P.I.).

[14]            Le demandeur soutient que la Commission n'a pas de compétences en médecine et qu'elle a péché par excès de zèle en trouvant des failles dans son témoignage. Il ajoute que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable du fait qu'il pouvait se déplacer et qu'il a décidé de ne pas prendre les médicaments prescrits. Il soutient que la Commission a besoin d'une preuve médicale pour contredire le demandeur et pour tirer pareilles conclusions.


[15]            Il prétend, finalement, que ces erreurs étaient des erreurs de droit, susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte. Pour ce qui est des questions mixtes de droit et de fait, le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[16]            Le défendeur soutient que le demandeur a renoncé à son droit d'alléguer un manquement à la justice naturelle en regard des services d'interprétation dispensés, comme il n'a pas fait une telle allégation à la première occasion. Le défendeur signale qu'au cours de l'audience on s'est enquis auprès du demandeur si la traduction convenait, et que celui-ci n'a soulevé aucune objection.

[17]            Le défendeur prétend, en second lieu, que le certificat médical révisé du Dr Roitberg n'a pas été soumis à la Commission à l'audience et qu'il est donc inadmissible aux fins du contrôle judiciaire. Le défendeur déclare qu'en l'espèce cet élément de preuve contredit la preuve soumise à l'audience, puisque le demandeur avait alors prétendu ne pouvoir obtenir un document plus valable.


[18]            Le défendeur soutient que la décision dans Ou, précitée, était erronée et qu'une nouvelle preuve ne peut être admise dans le cadre du contrôle judiciaire d'une procédure de désistement que si le demandeur n'a comparu ni à l'audience relative à la reconnaissance du statut de réfugié ni à l'audience sur le désistement.

[19]            Le défendeur soutient que, quant à savoir si le demandeur comprenait bien la nature de la procédure, ce dernier a tenu des propres contradictoires dans son témoignage. Il a dit en particulier qu'il comprenait la nature de l'audience sur le désistement lorsqu'il a reçu l'avis, daté du 14 février 2001, l'informant de la tenue de l'audience, mais il a ensuite déclaré qu'il n'en était pas ainsi, en raison d'erreurs de traduction.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]            La présente demande soulève les questions suivantes :

1.         La lettre du Dr Roitberg est-elle admissible?

2.         Y a-t-il eu violation des articles 7 et 14 de la Charte, ou encore entorse à la justice naturelle, en raison des services d'interprétation prétendument inadéquats dispensés à l'audience sur le désistement?

ANALYSE


[21]            En règle générale, une nouvelle preuve est inadmissible dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. Toutefois, dans Stumf, précitée, le juge Simpson a suivi la décision Ou, précitée, et statué qu'une nouvelle preuve pouvait être présentée dans le cadre d'une telle demande lorsque le désistement de la revendication du statut de réfugié et non le bien-fondé de celle-ci était en litige.

[22]            En l'espèce, le demandeur tente d'offrir une nouvelle preuve en vue de justifier son absence à l'audience sur le désistement. Une telle situation, soutient-il, tombe sous le coup des décisions Stumf et Ou, précitées.

[23]            Les arguments du demandeur à ce sujet ne parviennent pas à me convaincre. Je suis d'accord, plutôt, avec les prétentions du défendeur selon lesquelles produire le certificat médical plus détaillé du Dr Roitberg c'est convier la Cour à réviser la décision de la Commission sur le fondement d'une preuve dont elle n'avait pas été saisie.

[24]            À mon avis, les faits d'espèce sont uniques dans Ou, et on peut les distinguer des faits de la présente affaire. Dans Ou, l'affidavit supplémentaire venait expliquer que le demandeur n'avait pas reçu d'avis d'audience en raison d'une erreur involontaire et non d'un manque de diligence de sa part. Et l'on avait fourni cette explication à la première occasion.


[25]            Ce n'est pas ce qui est survenu en l'espèce. La lettre que le demandeur tente maintenant de présenter en preuve est un certificat médical qui renferme les précisions demandées à l'origine par la Commission. La lettre ne mentionne pas que pareil certificat n'était pas disponible au moment de l'audience. On ne peut dans ces circonstances dresser de parallèle entre les faits dans la présente affaire et dans l'affaire Ou. Je refuse ainsi de déclarer la lettre du Dr Roitberg admissible en preuve dans la présente instance.

[26]            La deuxième question en litige concerne la convenance de la traduction fournie au demandeur lors de l'audience devant la Commission. Pour faire valoir ses arguments, le demandeur se fonde sur l'affidavit de Sonia Taboukachvili, une traductrice accréditée pour le géorgien et le russe auprès de la Commission. Mme Taboukachvili déclare dans son affidavit qu'elle a écouté l'enregistrement sur bande de l'audience et qu'elle a relevé diverses erreurs de traduction.

[27]            Elle a noté, en particulier, que tout au long de l'audience les mots « désistement » , « audience » et « médecin » étaient traduits incorrectement. À mon avis, ces erreurs de traduction se rapportent à des éléments fondamentaux de la procédure de désistement, et elles soulèvent des questions d'équité procédurale et reliées à la Charte suffisamment importantes pour que soit justifiée la tenue d'une nouvelle audience.

[28]            Le défendeur soutient que le demandeur a renoncé à son droit de mettre en cause la convenance de la traduction en omettant de faire valoir cette question à l'audience. Dans Mohammadian, précitée, le juge Pelletier a déclaré ce qui suit (à la page 383) :

L'élément clé est donc l'expectative raisonnable que le demandeur se plaigne à la première occasion. Dans plusieurs cas, le demandeur se rend compte qu'il peut difficilement communiquer avec l'interprète. Les motifs peuvent varier, mais le demandeur se rend compte de la difficulté. Dans ces circonstances, il est raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur en fasse état. Il y a d'autres cas où les erreurs d'interprétation ne sont pas détectées par le demandeur, puisqu'elles se produisent dans la langue du tribunal et qu'il ne la connaît pas. De telles erreurs ne peuvent être découvertes qu'après le fait. Il n'est alors pas raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur se plaigne au moment même de l'audience.

[29]                         En l'espèce, à mon avis, il n'était pas raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur sache au moment de l'audience que des erreurs de traduction étaient alors commises. Il ne pouvait pas savoir que la traductrice traduisait erronément le genre des pronoms en anglais puisqu'il ne comprenait pas cette langue.

[30]                         Le demandeur n'a pu s'apercevoir d'autres erreurs, en outre, parce que les phrases traduites étaient justes au plan grammatical; elles n'en étaient pas moins erronées au plan sémantique.

[31]                         Je relève dans la transcription de l'audience, finalement, que des membres de la Commission ont eux-mêmes mis en question la justesse de la traduction. Il ne fait pas de doute que les membres de la Commission connaissaient le géorgien et le russe. Il ne fait pas de doute non plus qu'ils connaissaient aussi l'anglais. À mon avis, le fait même que ces membres aient mis en question la justesse de la traduction fait s'interroger sérieusement sur le caractère équitable de l'audience relative à la revendication du demandeur.


[32]            Je note également que la Commission a évalué de manière trop minutieuse l'emploi du temps du demandeur le 12 février 2001, soit la date fixée à l'origine pour l'audience relative à sa revendication du statut de réfugié. Les membres de la Commission se sont trouvés de cette manière, selon moi, à évaluer l'état de santé du demandeur. Or, ils n'étaient pas qualifiés pour ce faire; je renvoie à cet égard à Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.), où le juge Hugessen a fait remarquer ce qui suit (à la page 170) :

1. Un tribunal ne peut tout simplement pas considérer que la mesure dans laquelle un genou fracturé empêche de marcher est de connaissance judiciaire; cette situation dépend de la nature et du degré de la fracture ainsi que des circonstances dans lesquelles se trouve la personne blessée. Il existe maints récits de guerre rapportant que des personnes ayant subi des blessures qui auraient normalement dû les empêcher d'aller plus avant ont accompli des actes d'héroïsme.

[33]            La Commission s'est adonnée au type d'activité que la Cour désapprouvait dans Attakora, précitée.

[34]            Par suite, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.


[35]            Le conseil du demandeur propose la certification de deux questions mais, à mon avis, la présente demande ne soulève aucune question grave de portée générale. C'est là le critère prévu dans Liyanagamage c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 176 N.R. 4 (C.F.P.I.) pour la certification d'une question. Je ne suis pas convaincue que la présente demande soulève une question de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

                                                              ORDONNANCE

La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

Aucune question n'est certifiée.

                      « E. Heneghan »                  

      Juge

  

OTTAWA (Ontario)

Le 4 septembre 2002

    

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                                 IMM-3335-01

INTITULÉ :                                                Davit Iantbelidze c. MCI

                                                                            

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                      Le jeudi 30 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :       LE JUGE HENEGHAN

DATE DE L'ORDONNANCE :           Le 4 septembre 2002

  

COMPARUTIONS :

M. Micheal Crane                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Mme Amina Riaz                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Micheal Crane                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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