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                                                                 Date : 20030613

                                                             Dossier : IMM-2627-02

                                                        Référence : 2003 CFPI 728

Entre :

                              ZDENEK KOURIL

                                                                demandeur

                                  - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision datée du 23 avril 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, selon la définition donnée de cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[2]    Le demandeur est citoyen de la République tchèque et revendique le statut de réfugié du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social (les victimes du crime organisé).


[3]    Le demandeur était entrepreneur dans son pays d'origine et avait besoin de fonds supplémentaires pour accroître ses activités. La banque exigeait toutefois une garantie avant de lui accorder un prêt. Le demandeur a donc versé une certaine somme à une entreprise de garantie de prêt appelée Holub and Company, laquelle a par la suite omis de prendre les mesures voulues pour qu'il obtienne le prêt. Lorsque le demandeur a exigé le remboursement de son dépôt, M. Holub et un de ses associés l'ont menacé de faire du mal à lui et à sa famille s'il s'adressait à la police. Le demandeur a néanmoins déposé une plainte auprès du service de police; M. Holub et son associé ont été arrêtés, déclarés coupables et condamnés à une peine d'emprisonnement de six ans.

[4]    Le demandeur allègue qu'il a ensuite commencé à recevoir des appels téléphoniques de menace, mais qu'il n'a pas communiqué avec la police parce qu'elle ne l'avait pas aidé lors d'autres occasions semblables. Le demandeur a plutôt fui son pays et est venu au Canada. Il soutient que M. Holub l'a depuis menacé de lui faire du mal une fois qu'il sera libéré de prison.

[5]    La décision de la Commission se trouve à la première page de ses motifs. En voici le texte :

[traduction]

Quant au motif fondé sur l'appartenance à un groupe social, le tribunal a décidé que la crainte du revendicateur n'avait aucun lien avec la définition prévue par la Convention. Le tribunal a également examiné le motif touchant les opinions politiques. À cet égard, le tribunal a conclu qu'il n'y a pas suffisamment dléments de preuve dignes de foi pour justifier une décision favorable.

[6]    La conclusion tirée par la Commission figure à la page 7 de ses motifs et est ainsi rédigée :

[traduction]


Chacun des commissaires de la Section du statut de réfugié qui a entendu la présente revendication est d'avis que le revendicateur n'est pas un réfugié au sens de la Convention et qu'il n'y a pas de preuve digne de foi l'autorisant à conclure qu'il est un réfugié au sens de la Convention. Par conséquent, la Section du statut de réfugié décide que le revendicateur, Zdenek Kouril, n'est pas un réfugié au sens de la Convention et conclut, en application du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, que la revendication est dénuée d'un minimum de fondement.

[7]    Le demandeur fait valoir que la Commission aurait dûse prononcer sur la preuve documentaire relative à la corruption dans l'administration et au manque de protection de la part de ltat pour ceux qui portent plainte contre des éléments du crime organisé. Il invoque l'arrêt Klinko c. Canada (M.C.I.), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.), pour affirmer que le dépôt d'une plainte contre de tels éléments peut constituer l'expression d'une opinion politique lorsque la corruption est endémique au sein de ltat. Toutefois, dans cet arrêt, l'opinion politique exprimée consistait en la dénonciation de la corruption de représentants de ltat. En l'espèce, le demandeur ne s'est pas plaint d'actes accomplis par des représentants de ltat, mais plutôt de ceux d'un groupe de simples citoyens qui ont sciemment désobéi à la loi. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a adopté une interprétation large du terme « opinion politique » , lequel englobe « toute opinion sur une question dans laquelle l'appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé » . Même selon cette interprétation large, la plainte portée par le demandeur contre Holub and Company ne peut constituer l'expression d'une opinion politique, particulièrement s'il est tenu compte de la conclusion tirée par la Commission à la lumière d'une preuve digne de foi et voulant que la corruption ne soit pas endémique dans la République tchèque. La Commission n'a pas commis d'erreur sur ce point.


[8]    Le demandeur soutient également que la Commission a omis d'examiner chacun des éléments de preuve pour décider s'il existait une quelconque preuve digne de foi susceptible dtayer sa revendication du statut de réfugié. Elle aurait aussi négligé, outre de fournir des motifs exprès à l'appui de sa conclusion relative à l' « absence d'un minimum de fondement » , d'apprécier expressément l'ensemble de la preuve. La Commission précise sans équivoque dans sa conclusion qu'elle se fonde sur le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi pour rejeter la revendication du demandeur. Dans la décision Foyet c. Canada (M.C.I.) (2000), 187 F.T.R. 181, Monsieur le juge Denault explique l'effet de cette disposition de la manière suivante :

[18]      Depuis la réforme de la Loi sur l'immigration en 1992, le système n'est désormais plus à deux paliers et une conclusion d'absence de minimum de fondement comme l'autorise l'alinéa 69.1(9.1) de la Loi est lourde de conséquences. Ainsi, lorsque le tribunal en vient à la conclusion que la revendication est dénuée d'un minimum de fondement, le demandeur n'obtient plus qu'un sursis de sept jours à l'exécution de son renvoi du Canada (alinéa 49(1)f) de la Loi). Par contre, si la section du statut n'a pas conclu à l'absence d'un minimum de fondement, un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi entre automatiquement en vigueur, et le requérant est admissible aux procédures relatives au demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada. Cette conclusion quant à l'absence d'un minimum de fondement est donc d'une grande signification pour les revendicateurs du statut de réfugié.

[9]    La Cour d'appel fédérale s'est elle aussi prononcée sur l'effet de cette disposition dans l'arrêt Rahaman c. Canada (M.C.I.), [2002] 3 C.F. 537, à la page 545 :

[2]     Une conclusion d' « absence de minimum de fondement » a principalement pour effet de faire en sorte que le revendicateur débouté n'a pas le droit de demander la permission de demeurer au Canada à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) et qu'il risque d'être renvoyé du Canada sept jours après que la mesure de renvoi est devenue exécutoire.

[10] Selon le paragraphe 69.1(9.1), il faut remplir deux exigences avant qu'une conclusion relative à l' « absence d'un minimum de fondement » puisse être tirée. Chaque commissaire doit d'abord être d'avis que le revendicateur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Ensuite, chaque commissaire doit être convaincu qu'il n'existait aucune preuve digne de foi permettant de conclure que le revendicateur est un réfugié au sens de la Convention. Cette disposition va donc plus loin qu'une simple décision suivant laquelle le revendicateur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. En réalité, elle agit comme un filtre dans les cas oùle revendicateur ne serait pas accepté à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) puisqu'elle permet d'isoler les affaires qui ne reposent sur absolument aucune preuve digne de foi.


[11] En raison des conséquences graves qu'entraîne une conclusion d' « absence de minimum de fondement » , le paragraphe 69.1(9.1) a reçu une interprétation stricte. Il a été décidé que la Commission doit examiner tous les éléments de preuve pour trancher le point de savoir s'il existe ou non des éléments de preuve dignes de foi et indépendants susceptibles dtayer la revendication avant de tirer une conclusion d' « absence de minimum de fondement » (Rahaman, précitée), et qu'elle doit en outre donner les motifs justifiant cette conclusion (Foyet, précitée). Or, la Commission n'a satisfait à aucune de ces exigences.

[12] La Commission a rempli la première condition fixée au paragraphe 69.1(9.1) lorsqu'elle a conclu qu'il n'y avait pas de lien entre la crainte du demandeur et l'un des deux motifs reconnus par la Convention qu'il a invoqués. La Commission a précisé que [traduction] « les victimes d'actes frauduleux liés au crime organisé ne constituent pas un groupe social » au sens de la définition donnée dans la Convention. Parallèlement, elle ajoute que le fait, pour le demandeur, d'avoir dénoncé Holub and Company ne pouvait être assimilé à l'expression d'une opinion politique. Elle a donc conclu que le demandeur ntait pas un réfugié au sens de la Convention.

[13] La Commission poursuit son analyse en examinant certains des éléments de preuve documentaires dont elle est saisie et qui traitent de la capacité et de la volonté du gouvernement tchèque à lutter contre le crime organisé. Elle conclut que le gouvernement a pris des mesures en ce sens. La Commission en est venue à cette conclusion parce qu'elle a préféré la preuve documentaire plutôt que le témoignage du demandeur, ce qu'elle est autorisée à faire [voir, par exemple, la décision Nijjar c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (4 décembre 1998), IMM-408-98 (C.F. 1re inst.) et l'arrêt Zhou c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (18 juillet 1994), A-492-91 (C.A.F.)]. Par contre, l'examen de la preuve documentaire par la Commission se termine là . Cette dernière ne fait aucune mention des documents produits par le demandeur au soutien de sa revendication.


[14] De plus, la Commission s'interroge sur la crédibilité du témoignage du demandeur uniquement en ce qui concerne son assertion selon laquelle il ne pourrait se réclamer de la protection de ltat s'il retournait dans la République tchèque. La Commission n'a mis en doute la crédibilité d'aucun autre aspect du témoignage ou de la preuve documentaire présentés par le demandeur. Elle n'a donc pas rempli la seconde condition imposée au paragraphe 69.1(9.1). Elle n'a pas établi qu'il n'y avait aucune preuve digne de foi la justifiant de conclure que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention.

[15] Le défendeur avance quant à lui qu'il existe de la jurisprudence permettant d'affirmer que la Commission n'est pas tenue de motiver sa conclusion d' « absence de minimum de fondement » . Or, dans toutes les affaires invoquées par le défendeur, la Commission avait décidé que le témoignage du demandeur ntait pas digne de foi avant de conclure que sa revendication était dénuée d'un minimum de fondement. Dans les affaires de ce genre, il est fort possible qu'il ne soit pas nécessaire d'apporter plus de précisions que celles déjà données sur la question de la crédibilité personnelle du revendicateur, comme je l'ai mentionné dans la décision Nizeyimana c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (30 mars 2001), IMM-1789-00, 2001 CFPI 259 :

[9]      Cette disposition de la Loi requiert clairement qu'une conclusion d'absence de minimum de fondement fasse partie de la même décision que celle ayant trait à la revendication du statut de réfugié. Si une décision distincte sur la question du minimum de fondement n'est pas requise, il en découle que des motifs distincts ne sont pas davantage exigés. L'obligation imposée au tribunal par le paragraphe 69.1(11) de la Loi de fournir des motifs écrits au soutien d'une décision à l'encontre d'un revendicateur de statut de réfugié étant remplie, il suffit simplement de s'assurer, alors, que ces motifs appuient bien les conclusions de la décision en cause, incluant, s'il y a lieu, la conclusion relative à l'absence de minimum de fondement.


[16] Monsieur le juge Blais en est venu à une conclusion analogue dans la décision Sarker c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (25 mai 2001), IMM-3392-00, 2001 CFPI 526. Dans l'affaire Kanvathipillai c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (16 août 2002), IMM-4509-00, 2002 CFPI 881, autre décision invoquée par le défendeur, Monsieur le juge Pelletier a conclu que, lorsque la Commission prend en compte l'ensemble de la preuve, tant orale que documentaire, ses motifs pour décider qu'il n'existe pas de preuve digne de foi étayant la revendication du demandeur serviront également de motifs à l'appui de la conclusion d' « absence de minimum de fondement » .

[17] En l'espèce, la Commission n'a pas mis en doute la crédibilité du demandeur, et paraît même avoir accepté le fait qu'il a été victime du crime organisé. Elle n'a pas conclu qu'aucune preuve digne de foi ntaye la revendication du demandeur. Dans ces circonstances, elle avait l'obligation de motiver en termes exprès la conclusion d' « absence de minimum de fondement » . Je ne suis pas convaincu que les motifs fournis par la Commission à l'appui de sa conclusion relative à l'absence de lien sont suffisants pour justifier la conclusion voulant que la revendication soit dénuée d'un minimum de fondement. Les décisions invoquées par le défendeur ne s'appliquent donc pas à la présente affaire.


[18] La Commission a commis une erreur lorsqu'elle a rejeté la revendication du demandeur pour cause d' « absence de minimum de fondement » en négligeant de se soumettre aux conditions énoncées au paragraphe 69.1(9.1) de la Loi. En revanche, elle n'a pas commis d'erreur dans son analyse touchant l'absence de lien entre les craintes du demandeur et les motifs reconnus par la Convention qu'il a invoqués. Elle n'a pas contesté la crédibilité générale du demandeur dans son analyse. Dans une affaire comme celle dont je suis saisi, j'estime que la réparation la plus opportune et la plus efficace consiste à radier de la décision rendue par la Commission les mentions du paragraphe 69.1(9.1) et de l'absence de preuve digne de foi, sans invalider la décision elle-même. Cette mesure permet de corriger l'erreur de la Commission sans annuler sa conclusion voulant que le demandeur ne soit pas un réfugié au sens de la Convention, tout en accordant à ce dernier la possibilité de présenter, à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, une demande de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi du Canada.

[19] Une ordonnance sera rendue en conséquence.

                  « Yvon Pinard »                   

                                                                            JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 13 juin 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              IMM-2627-02

INTITULÉ :                           ZDENEK KOURIL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 21 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                 MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :              Le 13 juin 2003

COMPARUTIONS :

Ron Shacter                           POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ron Shacter                           POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


                                                                 Date : 20030613

                                                             Dossier : IMM-2627-02

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2003

En présence de Monsieur le juge Pinard

Entre :

                              ZDENEK KOURIL

                                                                demandeur

                                  - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                                ORDONNANCE


La demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 23 avril 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, selon la définition donnée de cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), et a conclu, en application du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi, que la revendication du demandeur est dénuée d'un minimum de fondement est accueillie en partie seulement. La conclusion de la Commission selon laquelle la revendication du demandeur est dénuée de fondement est annulée, sans toutefois invalider la décision de la Commission voulant que le demandeur ne soit pas un réfugié au sens de la Convention. En conséquence, les mentions faites du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi et de l'absence de preuve digne de foi sont radiées de la décision sans qu'il soit nécessaire de renvoyer l'affaire à la Commission.

                       « Yvon Pinard »                          

       JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

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