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Date : 20030908

Dossier : IMM-4101-02

Référence : 2003 CF 1044

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2003

Présent:    L'honorable juge Blais

ENTRE :

                      MAHMOUD BKHITAN ALI KHALIFEH

                                                                Demandeur

                                    et

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                    

                                                                Défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de Roger Houde (le tribunal) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [la CISR] de la Section de la protection des réfugiés, en date du 8 août 2002, dans laquelle il a été décidé que Mahmoud Bkhitan Ali Khalifeh [le demandeur] n'est pas un réfugié au sens de la Convention selon l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [la Loi] ni une personne à protéger selon l'article 97 de cette même loi.


FAITS                                                                                                                                  

[2]                 Selon son Formulaire de renseignements personnels [FRP], le demandeur est né le 11 janvier 1963 et il a toujours vécu à Jéricho. À l'époque, la Cisjordanie était sous la juridiction de la Jordanie.

[3]                 Le demandeur appartient au Clan Ghrouf. Il est apatride et n'a jamais possédé de citoyenneté quelconque.

[4]                 Le demandeur est jardinier de métier. Depuis 1985, il a exercé ce métier auprès de communautés religieuses, soit les franciscains et bénédictines, ceux-ci possédant des monastères à Jéricho et à Jérusalem. Le demandeur a également travaillé pour le Consulat italien à Jérusalem.

[5]                 Pour travailler, le demandeur devait quotidiennement se déplacer entre Jéricho et Jérusalem.

[6]                 Au cours des années, les déplacements du demandeur ont été facilités par le fait que père Victor Dionne, un québécois franciscain qui était responsable de son travail à Jéricho, l'accompagnait.

[7]                 Le demandeur allègue cependant qu'il était victime de l'attitude de l'armée israélienne aux barrages de contrôle menant au territoire israélien. Selon son FRP, le harcèlement était constant et systématique, de sorte qu'il s'est toujours senti traqué et persécuté, considéré comme un être de seconde classe par l'armée israélienne; cette dernière, par sa conduite dégradante, porte atteinte à la dignité humaine du demandeur.

[8]                 D'autre part, du seul fait que le demandeur voyageait constamment d'un territoire à l'autre, il soumet qu'il devenait suspect aux yeux de l'armée israélienne et passible d'arrestation arbitraire, détenu sans motifs et sans avoir droit à un procès devant un tribunal.

[9]                 Également, en raison des tirs de représailles de l'armée israélienne alors qu'il habitait à peu de distance de la ligne de démarcation, il craint pour sa sécurité et celle de sa famille.

[10]            Lorsque la situation s'est détériorée au point où il lui était interdit de se rendre à son travail au Mont-des-Oliviers en raison de la fermeture complète des routes y menant par l'armée israélienne, le demandeur a décidé de venir au Canada.

[11]            Il a quitté Jéricho le 10 juillet 2001 pour arriver au Canada le 14 juillet 2001. Ce n'est cependant que le 16 septembre 2001 que le demandeur a fait une demande de statut de réfugié, alléguant la crainte de persécution du fait de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques imputées.

[12]            Le demandeur vit présentement à Châteauguay chez père Dionne, qui a bien voulu l'accueillir dans le presbytère de la paroisse dont il est présentement le curé.

[13]            Depuis son arrivée au Canada, la situation en Cisjordanie s'est détériorée à un point tel qu'il craint pour sa famille si lui-même devait y retourner.

[14]            Dans son FRP, le demandeur relate divers événements de cette guerre et en conclut que l'armée palestinienne ne peut assurer sa protection étant donné que son domicile est situé au coeur des districts entre l'armée israélienne et les groupes palestiniens:

-          Le 13 septembre 2001, sa femme l'informe que 30 chars blindés de l'armée israélienne ont pénétré Jéricho et se sont installés près de leur demeure;

-          Le 20 septembre 2001, l'armée israélienne a tiré des balles réelles en direction de la voiture où sa femme prenait place alors qu'elle circulait dans Jéricho;


-          Le 6 octobre 2001, le demandeur apprenait aux nouvelles de Radio-Canada qu'un père et son fils ont été tués dans leur propre voiture alors qu'ils circulaient près de chez lui;

-          Le 20 octobre 2001, des chars blindés de l'armée israélienne ont de nouveau pénétré près de sa maison; les tirs ont atteint sa maison.

[15]            Le demandeur soumet qu'il vit actuellement et depuis toujours dans la perspective de la mort du simple fait qu'il est palestinien et victime d'un conflit qui ne lui appartient pas.

[16]            Le 1er août 2002, l'audience de la revendication du statut de réfugié du demandeur a eu lieu devant la Section de la protection des réfugiés de la CISR.

[17]            Le 8 août 2002, le tribunal a rejeté la revendication du demandeur.

[18]            C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

QUESTION EN LITIGE

[19]            Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour en concluant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention?


ANALYSE

Norme de contrôle

[20]            Dans l'arrêt Ding c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1643, madame le juge Layden-Stevenson réitère que la norme de contrôle applicable lorsqu'il s'agit d'une question d'appréciation des faits est celle de manifestement déraisonnable.

[para. 5]    La norme de contrôle applicable à la décision de la SSR, un tribunal spécialisé, est celle de la décision manifestement déraisonnable, exception faite de l'interprétation des lois pour laquelle la norme est celle de la décision correcte (voir Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982). La SSR a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage et, dans la mesure où les inférences qu'elle tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer l'intervention de la Cour, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) La SSR n'est pas tenue d'interroger un revendicateur sur les conclusions d'invraisemblance qu'elle a tirées (voir Matarage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 460; Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 45 Imm. L.R. (2d) 209; Kahandani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1769.

[21]            Également, cette Cour a maintes fois établi que la Section de la protection des réfugiés occupe une position privilégiée dans son appréciation de la crédibilité d'un revendicateur. Ceci fut réitéré dans l'arrêt Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, (confirmé par la Cour d'appel fédérale, [2002] 3 C.F. 537):

[para. 38] Il est clair en droit que la Commission a le pouvoir discrétionnaire pour évaluer la crédibilité d'un demandeur et qu'elle est la mieux placée pour le faire: Dan-Ash c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1998), 93 N.R,. 33 (C.A.F.).


Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour en concluant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention?

[22]            Dans l'arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.), (1984) 55 N.R. 129, [1984] A.C.F. no 601, monsieur le juge Heald confirme les éléments nécessaires pour satisfaire à la définition de réfugié au sens de la Convention:

... La présente Cour, ainsi que la Cour suprême du Canada, a indiqué dans un certain nombre d'arrêts quelles étaient les composantes subjective et objective nécessaires pour satisfaire à la définition de réfugié au sens de la Convention. L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée. ...

[23]            Quant au contexte politique, monsieur le juge Heald rappelle:

J'ai cité de grands extraits de la déposition du requérant parce qu'elle témoigne indubitablement d'une longue période de menaces et de mauvais traitements systématiques. Le requérant n'a pas été maltraité parce qu'il y avait de l'agitation au sein de la population du Sri Lanka mais parce qu'il était Tamoul et musulman. Il n'a pas commis d'actes manifestes autorisant qui que ce soit à sévir contre lui. Il n'appartenait à aucun parti ou groupe politique et n'était membre d'aucun groupe révolutionnaire ni ne soutenait un tel groupe. J'estime par conséquent que même si elle a décidé que le requérant était un témoin digne de foi, la Commission n'a pas tenu compte de son témoignage à cet égard et, ce faisant, elle a commis une erreur de droit.

[24]            J'ai examiné avec soin le dossier, particulièrement le témoignage du demandeur. Il est certain que ce dernier devait subir des inconvénients à répétition lors de ses déplacements entre Jéricho et Jérusalem.

[25]            Cependant, le demandeur ne m'a pas convaincu que le harcèlement plus ou moins constant aux postes de contrôle entre Jéricho et Jérusalem, ainsi que les incidents où le demandeur a dû subir des attentes nombreuses et parfois des situations humiliantes face aux interventions intempestives des forces israéliennes, puissent constituer de la persécution.

[26]            Le demandeur n'a jamais été détenu ou arrêté. La conclusion du tribunal à l'effet que tous les inconvénients subis par lui n'étaient pas suffisants pour faire naître une crainte objective pour sa vie et qu'il ne faisait pas face à un danger réel de torture ou de traitement inusité, n'était pas déraisonnable dans les circonstances.

[27]            Il n'est pas facile de tracer la ligne entre des incidents malheureux et troublants et ce qui constitue vraiment de la persécution au sens de la Convention.

[28]            Dans l'affaire Sagharichi c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, jugement non publié, A-169-91, le 5 août 1993, le juge Marceau précise:


Les événements mentionnés par l'appelante dans son témoignage étaient sans doute malheureux, puisqu'ils constituaient selon toutes les apparences de la discrimination, ou même peut-être du harcèlement; cependant, dans leurs motifs respectifs, les deux membres font clairement savoir qu'à leur avis, ces événements n'étaient pas suffisamment sérieux ou systématiques pour être qualifiés de persécution, ou pour permettre de conclure qu'il existait une possibilité sérieuse de persécution à l'avenir.

Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

[29]            Il n'était pas non plus déraisonnable pour le tribunal de s'interroger sur le fait que l'épouse du demandeur soit retournée à Jéricho à l'époque (septembre 2001) pour liquider les biens de la famille, alors que lui-même considérait que sa vie était en danger advenant son retour à Jéricho.

[30]            Le fait pour le tribunal de ne pas trouver crédible les explications fournies par le demandeur quant à son délai à revendiquer le statut de réfugié n'était pas, non plus, déraisonnable.


[31]            Il est sans doute vrai qu'un certain nombre de palestiniens vivant dans les territoires occupés sont spécifiquement visés par des mesures de contrôle et de harcèlement par les autorités israéliennes, lorsque l'on se réfère à la preuve documentaire, ce qui, à la longue, pourrait constituer de la persécution au sens de la Convention; cependant, le demandeur ne m'a pas convaincu qu'il faisait partie de ce groupe visé.

[32]            Le tribunal a également discuté longuement avec le demandeur, du motif principal de sa venue au Canada, et le demandeur a candidement admis que sa situation économique et la perte des ses emplois avaient été déterminantes dans son choix.

[33]            Bien que la situation du demandeur puisse nous être sympathique, la Cour n'a d'autre choix que de conclure que les conclusions du tribunal, dans l'ensemble, n'étaient pas déraisonnables et que l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.


                                     O R D O N N A N C E

[1]                 En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[2]                 Aucune question pour certification.

                   Pierre Blais                      

    J.C.F.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-4101-02

INTITULÉ :

ENTRE :

                    MAHMOUD BKHITAN ALI KHALIFEH

                                                                                                Demandeur

                                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

                                                                                                 Défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              6 août 2003

MOTIFS : Le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                     8 septembre 2003

COMPARUTIONS:

Me Jacques Beauchemin                                                   POUR LE DEMANDEUR

Me Christine Bernard                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Alarie, Legault & Associés                                                POUR LE DEMANDEUR


Ministère fédéral de la Justice                                            POUR LE DÉFENDEUR


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