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Date : 20011130

Dossier : T-935-99

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 30 NOVEMBRE 2001

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

LAURA MEDEIROS, KATHY AUDETTE, ESTHER CARISEE, CAROLINE CHARLEBOIS, FLORENCE GODON, LUCIA KOSTER, SHAPIRA LEVESQUE, MARTHA MALAIGRANDA, DONNA MARTIN, ROBERT MAYHEW, ALFREDO MEDEIROS, LAURA MEDEIROS JR, NOAH MEDEIROS, PETER MILLER, ALICE PEEVER, AMBROZINA POST, MARY SUTHERLAND, SOPHIE TARDIF, ADELINE TAYLOR, ALEX. TAYLOR, BONNIE TAYLOR, DAVID B. TAYLOR, DAVID TAYLOR, DONALD TAYLOR, GILBERT TAYLOR, LAWRENCE TAYLOR, LLOYD TAYLOR, LORETTA TAYLOR, MINNIE TAYLOR, SIMEON TAYLOR, THERESA TAYLOR, WILLIAM TAYLOR, EVA WESLEY, STELLA (ZACHARIE) WRIGHT, LOWLA ZACHARIE, RICHARD ZACHARIE, LIN ZACHARIE et PETER ZACHARIE

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

GABRIEL ECHUM (Chef de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui, BRUCE MENDOWEGAN (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui,

JOHN MENDOWEGAN (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui, ELZEAR TAYLOR (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui, CALVIN TAYLOR (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui, KEN CHARLES (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui,

LE CHEF ET LE CONSEIL EN EXERCICE DE LA PREMIÈRE NATION GINOOGAMING, LA PREMIÈRE NATION GINOOGAMING et

ONTARIO POWER GENERATION INC.

                                                                                                                                                     défendeurs


                                                               O R D O N N A N C E

Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, les décisions du conseil de bande de la Première nation Ginoogaming contenues dans les résolutions 1998-99-254 et 1998-99-257 du conseil de bande, toutes deux portant la date du 4 août 1998, sont annulées, et la question de l'emploi du produit de l'Accord de transaction est renvoyée au chef et au conseil de la Première nation pour nouvelle décision, laquelle devra être exempte de discrimination fondée sur la résidence à l'intérieur de la réserve ou hors de la réserve, et être conforme aux présents motifs. Les demandeurs ont droit à leurs dépens, ainsi qu'aux dépens de la demande d'injonction provisoire, et ces dépens seront payables par le conseil de bande de la Première nation.

                                                                                                                                  « François Lemieux »                

J U G E

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20011130

Dossier : T-935-99

Référence neutre : 2001 CFPI 1318

ENTRE :

LAURA MEDEIROS, KATHY AUDETTE, ESTHER CARISEE, CAROLINE CHARLEBOIS, FLORENCE GODON, LUCIA KOSTER, SAPHIRA LEVESQUE, MARTHA MALAIGRANDA, DONNA MARTIN, ROBERT MAYHEW, ALFREDO MEDEIROS, LAURA MEDEIROS JR, NOAH MEDEIROS, PETER MILLER, ALICE PEEVER, AMBROZINA POST, MARY SUTHERLAND, SOPHIE TARDIF, ADELINE TAYLOR, ALEX. TAYLOR, BONNIE TAYLOR, DAVID B. TAYLOR, DAVID TAYLOR, DONALD TAYLOR, GILBERT TAYLOR, LAWRENCE TAYLOR, LLOYD TAYLOR, LORETTA TAYLOR, MINNIE TAYLOR, SIMEON TAYLOR, THERESA TAYLOR, WILLIAM TAYLOR, EVA WESLEY, STELLA (ZACHARIE) WRIGHT, LOWLA ZACHARIE, RICHARD ZACHARIE, LIN ZACHARIE et PETER ZACHARIE

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

GABRIEL ECHUM (Chef de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui, BRUCE MENDOWEGAN (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui,

JOHN MENDOWEGAN (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui, ELZEAR TAYLOR (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui, CALVIN TAYLOR (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui, KEN CHARLES (conseiller de la Bande de la Première nation Ginoogaming), à titre personnel et pour compte d'autrui,

LE CHEF ET LE CONSEIL EN EXERCICE DE LA PREMIÈRE NATION GINOOGAMING, LA PREMIÈRE NATION GINOOGAMING et

ONTARIO POWER GENERATION INC.

                                                                                                                                                     défendeurs


                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.        INTRODUCTION

[1]                 Les demandeurs, dans cette procédure de contrôle judiciaire, sont des membres de la Première nation Ginoogaming (la « Première nation » ou la « bande » ) qui vivent hors réserve, dans la localité de Hornepayne, à quelque 140 kilomètres de la réserve de la bande située à l'extrémité supérieure de la rive nord-est du Longlac dans le nord-ouest de l'Ontario, au nord du lac Supérieur. La réserve a été établie en 1906 après la négociation du Traité de la Baie James (Traité no 9) en 1905-1906. En 1995, 236 membres de la bande vivaient dans la réserve et 374 vivaient en dehors. La Première nation était connue auparavant sous le nom de Bande de Longlac no 77.


[2]                 Les demandeurs contestent, pour des raisons de droit administratif seulement, vu qu'ils n'ont pas invoqué la Charte canadienne des droits et libertés, deux décisions prises le 4 août 1998 par le chef et le conseil de la bande, et qui concernaient l'emploi du produit d'un accord de transaction pour l'avantage des membres de la Première nation vivant dans la réserve, ce qui excluait donc les demandeurs. L'Accord de transaction a été négocié avec Hydro-Ontario (aujourd'hui Ontario Power Generation Inc.). Cet accord liquidait les revendications de la Première nation après que celle-ci eut subi un préjudice à la suite d'inondations qui avaient résulté de la construction en 1938, par Hydro-Ontario, d'un barrage sur la rivière Kenogami, un émissaire des eaux du Longlac.

[3]                 La première décision contestée est la résolution 1998-99-254 prise par le conseil de bande le 4 août 1998, résolution qui autorisait le chef et le conseil à conclure un accord de fiducie, prévu par l'Accord de transaction, au capital de 2 295 131,98 $, partie du produit de la transaction, pour le financement de travaux dans la réserve grâce aux intérêts produits par le capital de la fiducie.

[4]                 La deuxième résolution contestée, prise le même jour, est la résolution 1998-99-257 du conseil de la bande, qui prévoyait le versement durant cinq ans d'une somme de 3 000 $ par an à chaque Ancien admissible résidant ordinairement dans la réserve, officiellement pour sa participation aux négociations.

[5]                 Les décisions contestées ont été prises avant que la Cour suprême du Canada eût entendu le 13 octobre 1998, et jugé le 20 mai 1999, l'affaire Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1999] 2 R.C.S. 203.


[6]                 Dans l'affaire Corbière, la Cour suprême du Canada a invalidé, pour non-conformité à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, le paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens, qui niait aux membres hors réserve d'une bande indienne le droit de vote aux élections du conseil de bande.

[7]                 En l'espèce, la preuve révèle que les demandeurs n'ont pas reçu avis de la réunion du 4 août 1998 des membres de la bande, au cours de laquelle eut lieu le vote de ratification, vote auquel ils ne furent pas autorisés à participer.

[8]                 L'avocat de la Première nation justifie l'exclusion des demandeurs des avantages de l'accord de fiducie, partie intégrante de l'Accord de transaction conclu avec Hydro-Ontario, en affirmant que l'accord de fiducie avait pour objet et pour effet de réparer le préjudice causé par les inondations du Longlac et que le produit de la transaction devait essentiellement être affecté à des équipements collectifs dans la réserve même. S'agissant des sommes versées aux Anciens habitant la réserve, l'avocat de la Première nation affirme que l'intention était d'indemniser ceux qui avaient souffert le plus des dommages entraînés par l'exploitation du barrage.


[9]                 Et surtout, si les demandeurs ont été exclus des avantages prévus par l'accord de fiducie, ou si les Anciens de Hornepayne ont été exclus des gratifications en numéraire, c'est parce que, selon la Première nation : (1) il peut être démontré historiquement que les ancêtres des demandeurs ne faisaient pas partie de la collectivité qui formait la réserve et la bande de Longlac, puisque leurs ancêtres faisaient partie d'une collectivité différente dotée d'un territoire traditionnel différent qui se trouvait à l'extérieur de la zone touchée par les inondations pour lesquelles a été versée une indemnité; (2) les demandeurs et autres étaient membres d'une Première nation en réalité distincte, la Première nation Hornepayne; et (3) le chef de la Première nation Hornepayne avait décidé officiellement de ne pas intervenir dans les négociations de l'Accord de transaction. Ces vues de la Première nation Ginoogaming seraient en accord avec :

a)         la notoriété publique au sein de la population Ginoogaming;

b)         l'avis des Anciens de la bande;

c)         la position politique de longue date et les buts officiels de la Première nation Hornepayne;

d)         les déclarations faites par le chef de la Première nation Hornepayne lors d'une assemblée portant sur les négociations avec Hydro-Ontario;

e)         la reconnaissance politique de la Première nation Hornepayne par d'autres groupes autochtones; et

f)          les effets politiques et pratiques de cette reconnaissance.

[10]            Le champ de cette demande de contrôle judiciaire a été défini par l'ordonnance du 19 mai 1999 du juge Sharlow, alors juge de la Section de première instance. Saisie d'une demande, le juge Sharlow avait :

(1)        rejeté la demande présentée par les demandeurs en vue d'obtenir une ordonnance prorogeant le délai imparti pour contester la décision du conseil de la bande de la Première nation Ginoogaming de conclure l'Accord final de transaction avec Hydro-Ontario;


(2)        accueilli la demande présentée par les demandeurs pour que soit prorogé le délai imparti pour contester la décision du conseil de la Première nation Ginoogaming [TRADUCTION] « d'utiliser le produit de l'Accord final de transaction au bénéfice des membres de la Première nation Ginoogaming autres que les demandeurs » ;

(3)        décerné une injonction provisoire portant sur l'emploi du produit de l'Accord final de transaction, soit la somme de 300 000 $. Le juge Sharlow avait ordonné que cette somme soit détenue en fidéicommis par le conseil de la bande jusqu'à résolution de cette demande de contrôle judiciaire;

(4)        différé l'adjudication des dépens de la demande jusqu'à l'audition de la demande.

[11]            Le juge Sharlow avait rejeté la demande des demandeurs portant sur la prorogation du délai imparti pour contester la décision du conseil de la bande de la Première nation de conclure l'Accord final de transaction avec Hydro-Ontario, parce que, selon elle, les demandeurs n'avaient pas établi une cause défendable. Le juge Sharlow s'est exprimée ainsi :

[22]     Si je comprends bien, l'argument des demandeurs, en ce qui concerne la décision de conclure le règlement, est que le conseil a outrepassé ses pouvoirs en tentant d'empêcher toute action future de la part des membres de la Première nation Ginoogaming qui n'auront pas droit au produit du règlement Certaines dispositions de renonciation et de libération du règlement semblent le prévoir.


[23]    Je commencerai par la thèse selon laquelle les conseils de bande ont l'obligation légale d'exercer leurs pouvoirs d'une façon équitable et impartiale, et qu'ils n'ont pas le droit de prendre des décisions arbitraires qui sont avantageuses pour un groupe de membres à l'exclusion d'un autre groupe. Il est possible de soutenir que toute décision de traiter les demandeurs d'une façon différente des autres membres de la Première nation Ginoogaming peut être annulée dans le cadre d'un contrôle judiciaire à moins que le traitement différent ne soit justifié.

[24]    Il est fait mention des [TRADUCTION] « membres » dans plusieurs clauses du règlement. Toutefois, aucune disposition de l'entente n'accorde à certains membres un plus grand nombre d'avantages que ceux qui sont accordés à d'autres membres, ou n'exige que certains membres renoncent à un plus grand nombre d'avantages que d'autres membres. Je conclus que rien dans le règlement lui-même ne peut étayer l'allégation des demandeurs selon laquelle le conseil a accordé sans motif légitime la préférence à un groupe de membres. Je conclus que les demandeurs n'ont pas démontré qu'ils avaient un motif soutenable à l'égard de la décision de conclure le règlement.

[25]    Je ne puis dire la même chose en ce qui concerne la décision que le conseil a prise au sujet de l'utilisation du produit du règlement. À cet égard, certains éléments de preuve montrent clairement qu'il avait été décidé de traiter différemment différents membres de la Première nation Ginoogaming selon l'endroit où ils résidaient et selon qu'ils étaient membres ou non de la Première nation Hornepayne. [non souligné dans l'original]

B.        AUTRES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

(1)        L'affidavit des demandeurs

[12]            Laura Medeiros, dans son affidavit au soutien de cette demande, affirme qu'elle est membre de la Première nation comme l'étaient son père (Peter Taylor) et sa mère (Frances Taylor) ((Shaganash)). Son père pratiquait la chasse et le piégeage en saison dans la région du Longlac. Elle vivait avec ses parents. La réserve n'était pas en mesure de subvenir à leurs besoins durant les douze mois de l'année. Sa tante et son oncle, James et Lottie Wynne, vivaient eux aussi dans la réserve. Son feu frère Sandy Taylor était membre de la bande et habitait la réserve. L'épouse et les enfants de son frère habitent la réserve, ainsi que certains cousins. Elle affirme que la seule bande indienne à laquelle elle soit rattachée est la Première nation.


[13]            Elle admet dans son affidavit qu'elle a récemment été élue chef de la Première nation Hornepayne. Elle ajoute que la Première nation Hornepayne n'est pas une bande indienne reconnue par le gouvernement du Canada, mais qu'elle est une association volontaire d'Indiens inscrits habitant la région de Hornepayne, et dont chacun est membre d'une bande indienne. Nombre des membres de l'association (la Première nation Hornepayne), mais certainement pas la totalité, sont des membres de la Première nation qui habitent la région de Hornepayne.

[14]            Son affidavit témoigne aussi des événements suivants.

[15]            Le 15 octobre 1996, elle a écrit au chef et au conseil de la Première nation au sujet d'un exposé à Hydro-Ontario concernant les éléments d'un éventuel compromis. Elle voulait savoir ce que cela signifiait, et elle ajoutait : « prière de nous tenir informés de l'évolution du dossier, et de l'éventuelle indemnité à laquelle nous prendrions part » . Elle ajoutait :

[TRADUCTION]

Nous savons également que la Bande Hornepayne n'est pas reconnue officiellement par le gouvernement fédéral. Cela signifie que nous sommes encore inscrits dans la réserve de la Première nation Ginoogaming. La présente lettre est envoyée au nom de quarante (40) des membres inscrits de la bande de la Première nation Ginoogaming.


[16]            Le 25 octobre 1996, Gabriel Echum, chef de la Première nation, écrivait à Laura Medeiros pour l'informer que, même si le dossier évoluait dans la bonne direction, il n'était pas sûr qu'une entente entre la Première nation et Hydro-Ontario fût possible. Il ajoutait :

[TRADUCTION]

Si toutefois une entente est possible, elle n'englobera pas de prestations en espèces aux particuliers. L'expérience a montré que les paiements de ce genre ne procurent pas en général de véritables possibilités de développement économique à long terme pour l'avantage actuel et futur de l'ensemble de la collectivité.

Toute entente conclue avec Hydro-Ontario sera sans préjudice des droits - ancestraux ou issus de traités - de chacun des membres inscrits de la Première nation Ginoogaming, qu'ils vivent ou non dans la réserve, et sans préjudice également des droits - ancestraux ou issus de traités - de toutes les autres Premières nations. Par conséquent, si une entente est éventuellement conclue avec Hydro-Ontario, elle ne portera pas atteinte aux intérêts des gens que vous représentez. [non souligné dans l'original]

[17]            Sur la feuille de transmission de télécopie de sa lettre du 25 octobre 1996 adressée à Laura Medeiros, le chef Echum disait qu'il ne traiterait qu'avec le chef et le conseil de la Première nation Hornepayne.

[18]              Durant la période pertinente allant d'octobre 1996 à août 1998, le chef de la Première nation Hornepayne était Judy Mayhew. Le chef Echum avait déjà écrit à Judy Mayhew le 12 octobre 1996, en des termes semblables à ceux de la lettre qu'il envoya plus tard à Laura Medeiros. Il indiquait que l'équipe de négociation avait été priée de conclure un éventuel compromis en fonction des possibilités de développement économique à long terme, pour le bien de la collectivité tout entière, actuelle et future, plutôt que pour celui de tels ou tels de ses membres.

[19]            Le groupe de Laura Medeiros s'attacha les services d'un avocat qui, le 3 décembre 1996, informa le chef Echum que ses clients souhaitaient être représentés séparément dans les négociations entreprises avec Hydro-Ontario, ce à quoi le chef Echum répondit dans les termes suivants, le 10 décembre 1996 :

[TRADUCTION]

Il est à la fois nécessaire et légitime que des négociations comme celles-ci soient conduites sous la direction du chef et du conseil dûment élus de la Première nation Ginoogaming. Si l'on parvient avec Hydro-Ontario à une entente satisfaisante pour le chef et le conseil, les membres auront évidemment la possibilité de participer au processus de ratification.

Dans l'intervalle, il ne serait pas acceptable pour le chef et le conseil de la Première nation Ginoogaming, et il ne serait pas non plus avantageux pour les négociations engagées avec Hydro-Ontario, que les gens que vous représentez puissent intervenir directement.

Le chef de la Première nation Hornepayne et moi-même communiquons régulièrement sur un certain nombre de sujets et je la tiens généralement informée des négociations avec Hydro-Ontario. Je crois comprendre que cela est tout à fait satisfaisant pour le chef et le conseil de la Première nation Hornepayne. [non souligné dans l'original]

[20]            Le 10 décembre 1996, le chef Mayhew de la Première nation Hornepayne écrivait quant à elle à l'avocat engagé par le groupe de Laura Medeiros. Les extraits pertinents de cette lettre sont reproduits ici :

[TRADUCTION]

... nous vous informons que bon nombre des membres de la Première nation Hornepayne sont à tort considérés par Affaires indiennes comme membres de la Première nation Ginoogaming. Cette confusion remonte à l'époque où notre peuple percevait à Longlac des paiements en vertu d'un traité. La Première nation Hornepayne s'emploie à obtenir une pleine reconnaissance et, en attendant, elle agit d'une manière aussi indépendante que possible.

Le chef et le conseil de la Première nation Hornepayne sont au fait des négociations entre Hydro et Ginoogaming. Même si nous figurons sur la liste de bande de Ginoogaming, ces négociations ne nous concernent pas. Le chef et le conseil de la Première nation Hornepayne ont donc officiellement adopté une position de « non-ingérence » .


Vu ce qui précède, je suis sûre que vous comprendrez pourquoi le chef et le conseil de la Première nation Hornepayne ne vous communiqueront pas de renseignements, ce qu'ils ne peuvent d'ailleurs faire, à propos des négociations entre Ginoogaming et Hydro. Le chef et le conseil ne soutiendront aucun de nos membres qui pourraient vouloir s'ingérer dans les affaires d'une autre Première nation.

Le chef Echum et moi-même communiquons régulièrement dans de nombreux dossiers. L'information générale à propos des négociations qui est communiquée par ce moyen est tout à fait acceptable pour le chef et le conseil dûment élus de la Première nation Hornepayne. [non souligné dans l'original]

[21]            Un double de la lettre du chef Mayhew à l'avocat engagé par le groupe de Laura Medeiros a été envoyé à M. A. May, d'Hydro-Ontario. Il était dans ce dossier le négociateur d'Hydro-Ontario.

[22]            Le dossier des défendeurs pour la Première nation contient une autre lettre que Judy Mayhew avait envoyée à l'avocat représentant le groupe Hornepayne. Cette lettre, dont un double fut envoyé à M. May, porte la date du 20 janvier 1997 et son contenu est semblable à celui de la lettre du 10 décembre qu'elle avait envoyée précédemment.


[23]            Laura Medeiros, ainsi que son avocat, s'étaient plaints dans une lettre au chef Echum en date du 19 décembre 1996 de ce qu'ils n'étaient pas informés des négociations par Judy Mayhew et en particulier de ce que telles négociations portaient sur le règlement d'une revendication de la Première nation au titre de pertes non quantifiables, notamment culturelles, et au titre de pertes économiques. Elle affirme, dans son affidavit, que Judy Mayhew croyait que la revendication de la Première nation concernait simplement une réclamation pour le préjudice causé au territoire proprement dit de la réserve et qu'elle ne voyait pas que la réclamation portait aussi sur un préjudice causé à des terres et à des eaux traditionnelles extérieures aux frontières de la réserve.

[24]            Laura Medeiros fut élue chef de la Première nation Hornepayne après que la Première nation Ginoogaming eut conclu son arrangement avec Hydro-Ontario et eut donné effet à l'Accord de transaction. Selon elle, elle commença d'examiner les dossiers de l'association, c'est-à-dire de la Première nation Hornepayne, et découvrit des numéros non distribués de bulletins de la Première nation Ginoogaming intitulés « Grief passé d'Hydro-Ontario » , et elle a affirmé que ces bulletins contenaient maintes choses d'intérêt pour les membres de la bande Ginoogaming vivant à Hornepayne.

[25]            Elle mentionne le bulletin de juillet-août 1996, où l'on peut lire que, avant la sédentarisation de la Première nation Ginoogaming, les gens vivaient une bonne partie de l'année sur leurs terres traditionnelles en petites colonies composées de familles. Il était fait mention de sépultures, non seulement à l'intérieur des frontières de la réserve ou dans les cimetières communautaires, mais partout sur les terres traditionnelles.


[26]            Le bulletin de juillet-août 1996 de la Première nation Ginoogaming décrivait, affirme Laura Medeiros, les moyens pris par la Première nation pour parvenir à un compromis qui prendrait soin de prévoir une indemnité au titre des terres et des eaux de la réserve touchées par les inondations et la dérivation, une indemnité au titre des terres et des eaux traditionnelles touchées par les mêmes causes, une indemnité au titre du préjudice passé causé aux terres de la réserve et aux terres traditionnelles, ladite indemnité devant tenir compte de la perte de l'utilisation économique des terres et des eaux, enfin une indemnité pour les répercussions culturelles, religieuses et communautaires.

[27]            Le numéro de juillet-août 1996 contient aussi, a-t-elle affirmé, la position de négociation d'Hydro-Ontario, ainsi qu'un sommaire des travaux de recherche sur les conséquences des activités de débordement et de dérivation du Longlac menées par Hydro-Ontario, avec l'indication que les familles qui vivaient dans la région touchée avaient dû quitter les lieux à cause de la détérioration de la faune et de la flore sauvages.

[28]            Laura Medeiros accuse Celia Echum, l'épouse du chef Echum et l'un des négociateurs de l'Accord de transaction, de ne pas avoir négocié de bonne foi au nom de tous les membres de la Première nation Ginoogaming, et elle croit que Celia Echum a porté atteinte aux intérêts des membres de la Première nation vivant à Hornepayne.

[29]            Laura Medeiros se plaint de ce que les membres de la Première nation Hornepayne n'ont pas reçu pour examen l'accord de principe, n'ont pas été invités à un atelier portant sur cet accord et ont été exclus du processus de ratification.


[30]            L'affidavit de Laura Medeiros, qui constitue l'appendice G, fait état des efforts déployés par la Première nation Hornepayne pour obtenir le statut de bande, ainsi qu'une réserve selon la Loi sur les Indiens.

(2)        Les affidavits de la Première nation défenderesse

[31]            La Première nation Ginoogaming a répondu principalement par l'entremise des affidavits de Trevor Falk, de Heather Ross et de Wally McKay. Trevor Falk a aidé la Première nation dans les négociations entreprises avec Hydro-Ontario. Heather Ross est une planificatrice qui a elle aussi aidé la Première nation à transiger avec Hydro-Ontario. Wally McKay a été engagé par la Première nation pour faciliter les négociations. Il a une grande expérience de la fonction gouvernementale autochtone, aux niveaux communautaire, régional et provincial, puisqu'il a été, entre autres, durant trois ans, Grand Chef d'une Première nation, et durant deux ans chef régional pour l'Ontario de l'Assemblée des premières nations.


a)         L'affidavit de M. Falk

[32]            L'affidavit de Trevor Falk embrassait un bon nombre des documents fournis par Laura Medeiros dans son affidavit, mais M. Falk est allé au-delà. M. Falk y décrivait le contexte des lettres du 10 décembre 1996 envoyées à l'avocat du groupe de Laura Medeiros, lettres dont il avait préparé les ébauches : une pour le chef Echum et une pour le chef Mayhew.

[33]            M. Falk y parlait d'une rencontre tenue le 9 décembre 1996 entre le chef Mayhew, de la Première nation Hornepayne, et le chef Echum. Les paragraphes 14 et 15 de l'affidavit de Trevor Falk sont ici reproduits :

[TRADUCTION]

14) Une demi-douzaine environ de représentants de la Première nation Hornepayne, dont le chef Judy Mayhew, sont arrivés à Ginoogaming au début de la soirée du 9 décembre 1996, ...

15) Le chef Mayhew et les représentants de Hornepayne ont dit que la Première nation Hornepayne est distincte de la Première nation Ginoogaming et qu'elle ne souhaitait pas s'ingérer dans les négociations entre Ginoogaming et Hydro. Puisque j'étais considéré à la réunion comme la personne la plus habile dans les affaires techniques et comme j'allais préparer une ébauche de lettre du chef Echum à M. Hugill, j'ai été prié par le chef Mayhew, et j'ai accepté, de rédiger une lettre et de la lui soumettre, lettre qui décrirait ce qui, selon moi, s'était dit durant la réunion. [non souligné dans l'original]


[34]            M. Falk note qu'en mai 1998, la Première nation a conclu un accord de principe avec Hydro-Ontario, accord qui fut signé le 11 juin 1998. Les négociations entre la Première nation et Hydro-Ontario se sont poursuivies et, en juillet 1998, un projet d'Accord de transaction était prêt pour ratification.

[35]            Il affirme qu'il y a eu une assemblée des Anciens dans la réserve le 23 juillet1998, durant laquelle les Anciens ont informé le chef et le conseil que seuls les résidents de la réserve devraient pouvoir assister aux assemblées de ratification et prendre des décisions sur l'Accord de transaction conclu avec Hydro-Ontario. M. Falk dit qu'il n'a été informé de la décision que le 25 juillet 1998, lorsqu'il s'est présenté à la réserve pour répondre aux questions durant l'assemblée communautaire prévue ce soir-là.

[36]            Il ne se souvient d'aucun débat tenu lors de l'assemblée communautaire du 25 juillet 1998, débat qui aurait porté sur les personnes aptes ou inaptes à voter à propos de la transaction projetée, mais il se souvient que l'on y avait débattu l'opportunité de verser des sommes aux Anciens habitant la réserve. C'est là qu'il apprit que des prestations individuelles en espèces étaient envisagées.

[37]            Un avis écrit fut délivré qui indiquait qu'un vote des membres de la Première nation Ginoogaming, pour la ratification de l'Accord final de transaction, aurait lieu durant une assemblée qui serait tenue le 4 août 1998. L'avis prévoyait que le vote se ferait à main levée et que seuls pourraient voter les membres de la bande habitant la réserve et admis à voter. Les demandeurs n'ont pas été autorisés à voter.


[38]            Trevor Falk se réfère à une lettre du 12 août 1998 de Judy Mayhew au chef Echum, laquelle renfermait le procès-verbal d'une assemblée tenue à Hornepayne des Anciens de la Première nation Hornepayne qui étaient membres de la Première nation Ginoogaming (par opposition aux Anciens de la Première nation Ginoogaming qui habitaient la réserve). Le compte rendu mentionnait qu'ils voulaient rencontrer aussitôt que possible le chef Echum. Les Anciens de Hornepayne voulaient prendre part à l'indemnité de 3 000 $ versée aux Anciens de plus de 55 ans en décembre 1998, parce qu'ils s'étaient rendus à Ginoogaming, après en avoir été priés, pour dire à Hydro-Ontario s'ils avaient souvenir de la réserve avant qu'elle ne fût inondée. Les Anciens de Hornepayne ont dit qu'ils avaient facilité la procédure de règlement des griefs d'Hydro-Ontario et qu'ils devraient être indemnisés comme l'étaient les Anciens habitant la réserve. Les Anciens de Hornepayne se souviennent qu'ils étaient allés à Ginoogaming durant l'été pour défricher la terre et construire des maisons afin de développer la réserve. Ils avaient quitté Ginoogaming à l'automne de 1932, pour retourner à leurs zones traditionnelles de piégeage de la région de Hornepayne afin de nourrir leurs familles.

[39]            Le chef Echum n'a pas accepté de rencontrer les Anciens. Il a plutôt transmis une lettre au chef Judy Mayhew le 12 août 1998, dans laquelle il écrivait ce qui suit :

[TRADUCTION]


Les directives que nous avons reçues sont de pourvoir aux besoins des membres et des Anciens qui sont membres de la Première nation Ginoogaming et qui y résident en permanence. Ils auront droit aux sommes actuelles et futures attribuées à la Première nation Ginoogaming. En tant que chef, vous devez respecter cette décision comme nous vous respectons, vous et les gens que vous représentez en tant que Première nation Hornepayne.

Vous mentionnez qu'en août et décembre 1996 les Anciens avaient été priés de se présenter et de donner des informations. Rares ont été leurs interventions. Ils ont été payés pour leurs services.

Malheureusement, je n'ai guère plus à vous offrir, à vous et à vos membres de Hornepayne. [non souligné dans l'original]

b)         L'affidavit de Wally McKay

[40]            Wally McKay a exprimé l'avis que la Première nation Hornepayne était une collectivité autochtone qui est reconnue comme Première nation autonome par les autres Premières nations et par les organismes autochtones et qu'elle aspire à être reconnue par le Canada comme une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, mais n'a pas encore obtenu cette reconnaissance.

[41]            Il a ensuite énuméré les organisations suivantes, qui ont reconnu la Première nation Hornepayne :

(1)        La Nation Nishnawbe-Aski (la N.A.N.) a reconnu à la Première nation Hornepayne en février 1987 le statut de « membre de plein exercice » . La N.A.N. est une organisation qui représente 45 Premières nations du nord de l'Ontario. La Première nation Ginoogaming est elle aussi membre de la N.A.N., et c'est le chef de cette bande qui avait appelé à reconnaître la Première nation Hornepayne.


(2)        En juillet 1993, le conseil des chefs des Premières nations Matawa reconnaissait le chef et le conseil de la Première nation Hornepayne en tant que « représentants officiels de la collectivité autochtone Hornepayne » , et il invitait tous les autres organes compétents à reconnaître le chef et le conseil de la Première nation Hornepayne comme « le gouvernement officiel de la Première nation » . Le conseil des chefs des Premières nations Matawa, selon M. McKay, est l'organe politique du Conseil tribal Matawa, qui représente onze Premières nations du centre-nord de l'Ontario. La Première nation Ginoogaming et la Première nation Hornepayne appartiennent toutes deux au Conseil tribal Matawa.

(3)        En mars 1994, les chefs de l'Ontario reconnaissaient Hornepayne comme une Première nation proprement distincte.

[42]            À son avis, les reconnaissances qu'il mentionne étaient observées et respectées par tout autre organisme autochtone qui avait affaire à la Première nation Hornepayne. Hornepayne était traitée comme une Première nation autonome par tous les gouvernements et organismes autochtones avec lesquels elle entrait en relation. Les autres Premières nations, selon M. McKay, considéraient la Première nation Hornepayne comme une égale, et cette Première nation jouissait de tous les droits dans les assemblées et réunions des Premières nations qu'il mentionnait.

[43]            M. McKay affirme que la Première nation Hornepayne est reconnue en tant que telle d'une manière indirecte par la province de l'Ontario, parce que la Première nation Hornepayne a droit à une part des recettes du Casino Rama.

[44]            Selon M. McKay, plusieurs autres collectivités autochtones ont récemment demandé le statut de bande distincte et de réserve distincte. Au milieu de la décennie 1990, six nouvelles bandes du territoire de la N.A.N. ont été reconnues et ont obtenu des terres de réserve. Ces nouvelles bandes se composaient de personnes qui avaient déjà figuré sur les listes de bande d'autres Premières nations, mais qui en réalité formaient des collectivités distinctes.

[45]            C'était le cas de la Bande Aroland. Bon nombre des membres de la Bande Aroland étaient auparavant inscrits comme membres Ginoogaming. M. McKay a aussi ajouté que, dans aucun des six cas, les bandes à partir desquelles fut établie la liste des membres des nouvelles bandes n'ont été tenues de céder une partie de leurs terres ou autres biens pour que les nouvelles bandes puissent être créées et dotées de réserves.

[46]            Il a conclu en exprimant l'avis que, après que la Première nation Hornepayne eut été reconnue comme il l'avait indiqué, les autres Premières nations se sentaient obligées de traiter de gouvernement à gouvernement avec la Première nation Hornepayne.


c)         L'affidavit de Mary Candline

[47]            Mary Candline a elle aussi déposé un affidavit au soutien de la Première nation Ginoogaming. Elle est son premier dirigeant. Elle y affirme que, à l'exception d'un programme appelé « prestations de santé non assurées » , tous les programmes gouvernementaux appliqués à la Première nation Ginoogaming sont financés d'après la population habitant la réserve de la Première nation Ginoogaming. Le programme appelé « prestations de santé non assurées » est accessible aux membres de la bande qui habitent Hornepayne.

d)         L'affidavit de Heather Ross

[48]            L'affidavit de Heather Ross avait pour objet d'expliquer la manière dont on était arrivé à diverses dispositions monétaires de l'Accord de transaction. Elle y affirme que les sommes indiquées étaient des sommes négociées fondées sur diverses considérations. Ces sommes sont décrites au paragraphe 7 de l'Accord de transaction.

[49]            Selon le paragraphe 7 de l'Accord de transaction, Hydro-Ontario devait verser à la Première nation la somme de 4 011 517,68 $, dont une partie devait être mise en fidéicommis, somme qui était calculée ainsi :


a)         595 131,68 $ en réparation du préjudice causé à 384,3 acres de terres de réserve;

b)         1 700 000 $ en réparation de divers préjudices économiques;

c)         750 000 $ en réparation de préjudices non quantifiables, notamment culturels, somme versée dans un fonds établi pour la construction d'un centre culturel communautaire;

d)         836 386 $ dans un fonds établi pour la protection des rives contre l'érosion;

e)         10 000 $, soit le premier de seize (16) paiements annuels de 10 000 $ affectés à un fonds de bourses d'études;

f)          10 000 $, soit le premier de quinze (15) paiements annuels égaux affectés à la surveillance de l'environnement;

g)         une somme de 100 000 $ affectée au fonds des grands-pères décédés;

h)         10 000 $, soit le premier de seize (16) paiements annuels égaux de 10 000 $ chacun, affectés à un fonds d'enseignement postsecondaire, en mémoire de seize (16) sépultures abîmées par les activités d'Hydro-Ontario.


[50]            Outre ces sommes, Hydro-Ontario s'est aussi engagée à faire, en vertu de l'article 8 de l'Accord de transaction, des paiements annuels de 23 800 $ pour une emprise portant sur 384,3 acres de terres de réserve devant être concédés par le Canada conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens.

[51]            Heather Ross a décrit la manière dont les diverses sommes indiquées ci-dessus ont été calculées :

(1)        l'indemnité pour le préjudice causé aux terres de réserve (section 7a)) devait être une estimation aussi exacte que possible de la valeur réelle des terres endommagées;

(2)        le coût annuel de l'emprise grevant les terres de la réserve (section 8) devait lui aussi correspondre à une estimation aussi exacte que possible de la valeur marchande réelle de l'emprise. Le chiffre final résultait de calculs effectués avec l'aide d'arpenteurs et d'évaluateurs professionnels;

(3)        le paiement correspondant aux ouvrages de protection contre l'érosion (section 7d)) résultait d'estimations du coût réel de certains ouvrages de même nature;

(4)        les paiements effectués au crédit du fonds des grands-pères (sections 7g) et h)) représentaient la détérioration ou la destruction de sépultures sur les rives du Longlac par suite des inondations causées par Hydro-Ontario. Il s'agissait de sommes symboliques, mais de sommes établies compte tenu d'une étude archéologique détaillée qui avait recensé les sépultures endommagées ou détruites;


(5)        les sommes affectées aux bourses d'études ont été fixées par simple accord;

(6)        la somme affectée à la surveillance de l'environnement et prévue dans la section 7f) a été fixée par simple accord.

[52]            Heather Ross a expliqué très minutieusement la manière dont l'indemnité pour préjudice économique a été calculée dans la sous-section 7d) de l'Accord de transaction. Selon elle, cette indemnité devait réparer les préjudices économiques individuels effectifs causés par les inondations.

[53]            Un modèle économique fut mis au point pour l'estimation des pertes individuelles du revenu tiré des activités traditionnelles, pertes attribuables aux inondations. Le modèle d'indemnisation ne prenait en compte que les membres Ginoogaming habitant la réserve du Longlac, et Heather Ross a expliqué ainsi comment a été calculée dans le modèle la population de la réserve :


(1)        Les premiers chiffres de population, pour les fins de ce modèle économique, apparaissent dans les listes 1938-1939 de rémunération selon un traité. Les résidents du Longlac ont été recensés après consultation de Genevieve Echum, une Ancienne qui était âgée de 54 ans lorsqu'elle a prêté son concours. Elle a marqué de la lettre « H » , sur les listes en question, les individus qui selon elle habitaient alors Hornepayne, et de la lettre « A » ceux qui habitaient Aroland en 1938. La même méthode a été employée pour calculer les chiffres de population de 1948 à 1951.

(2)        Pour les années 1940 à 1947, et 1952 à 1960, il n'existait pas de données démographiques concernant la réserve, de telle sorte qu'on a procédé à des interpolations linéaires entre les données démographiques connues qui existaient avant et après les dates en question, afin d'arriver à la population totale. Les données démographiques de la réserve ont été estimées. Ces mêmes estimations ont également servi pour les années 1963 à 1973, puisque l'on ne disposait que de données démographiques totales.

(3)        Pour les années 1974 à 1995, les statistiques démographiques ont été extraites du Registre des Indiens. Ces statistiques donnent une répartition de la population de la réserve et de la population hors réserve. Pour 1996, une liste de bande a été employée et seuls ont été comptés les gens dont on savait qu'ils habitaient la réserve.


[54]            Pour terminer, Heather Ross a considéré la section 7c) de l'Accord de transaction, qui prévoit une somme pour les « préjudices non quantifiables, notamment culturels » . Elle affirme que cette somme ne peut être qu'un chiffre symbolique, mais qu'elle a été retenue au regard des répercussions des inondations sur le tissu social de la collectivité. Elle affirme qu'il était entendu que la collectivité se composait des personnes directement touchées par les inondations, à savoir les résidents du Longlac.

e)         Autres pièces du dossier des défendeurs

[55]            Le dossier des défendeurs renferme d'autres pièces provenant d'engagements pris lors du contre-interrogatoire de Laura Medeiros. Je mentionne deux d'entre elles.

[56]            La première consiste en une série d'affidavits, établis sous serment en 1993, au soutien d'une demande adressée au gouverneur en conseil pour que la Première nation Hornepayne soit reconnue comme bande selon la Loi sur les Indiens. Trois des déposants sont demandeurs dans la présente instance.


[57]            En général, les déposants qui étaient des Anciens se définissaient, eux et leurs parents, comme des riverains du lac Nagagamisis et de la rivière Morrison, où se trouvaient leurs parcours de piégeage. Ils affirment que, bien qu'ils figurent sur la liste de bande de la Première nation Ginoogaming, ils n'ont aucun lien avec la Première nation, ne s'y rendant que pour recueillir les sommes qui leur reviennent en vertu d'un traité. Un déposant mentionne qu'en 1931, le ministère des Affaires indiennes avait construit des maisons sur la réserve du Longlac et voulait que les riverains de la rivière Morrison y emménagent. La plupart d'entre eux n'ont jamais demeuré dans la réserve Longlac.

[58]            Les déposants plus jeunes, qui figuraient eux aussi sur la liste de la bande, disent qu'ils sont nés à Hornepayne et font remonter leur ascendance au lac Nagagamisis, à la rivière Morrison et autres régions.

[59]            La région du lac Nagagamisis est devenue un parc provincial dans les années 1960.

[60]            Le deuxième document produit à titre d'engagement est le rapport de recherche Hornepayne rédigé par Joan Holmes & Associates, à la demande semble-t-il de la N.A.N. Ce rapport décrit l'histoire de la collectivité de la Première nation Hornepayne, au soutien de l'objectif de cette collectivité, qui est d'obtenir une réserve bien à elle. Le rapport a été communiqué à Laura Medeiros, chef de la Première nation Hornepayne, et à Roy Meaniss, chef de la Première nation Beaverhouse, le 27 avril 2000 par la Nation Nishnawbe-Aski.


[61]            La seule autre pièce nécessaire du dossier concerne l'Accord de transaction lui-même, qui contient une clause détaillée de libération et de garantie. Par le paragraphe 14, la Première nation s'engageait en son propre nom et au nom de ses membres à libérer à jamais Hydro-Ontario de toute réclamation, mise en demeure, action et cause d'action que la Première nation ou ses membres pouvaient alors avoir ou, sous réserve de l'Accord, pourraient plus tard avoir en raison des griefs résultant de la construction et de l'exploitation du barrage.

[62]            Dans son paragraphe 18, l'Accord de transaction ne met pas fin, même implicitement, à une quelconque réclamation de la Première nation ou de l'un de ses membres à l'encontre des administrations fédérale, provinciale ou municipale, autres qu'Hydro-Ontario, qui pourraient être rendues solidairement responsables avec Hydro-Ontario au regard de l'un quelconque des griefs.

C.        POINTS EN LITIGE

[63]            Le principal point en litige dans cette demande de contrôle judiciaire est de savoir si les décisions du conseil de bande visées par le contrôle devraient être cassées parce qu'elles établissent une discrimination à l'encontre des membres demandeurs de la Première nation qui vivent à Hornepayne et non dans la réserve.


[64]            L'avocat des demandeurs affirme que ces décisions sont discriminatoires parce que l'application aux membres de la Première nation qui vivent à Hornepayne d'un traitement différent de celui qui est appliqué aux membres vivant dans la réserve ne repose sur aucun fondement rationnel. Il soutient aussi qu'elles contreviennent à l'obligation fiduciaire du conseil de la bande envers ses membres.

[65]            Il a fait valoir plusieurs raisons à l'appui de son premier point. Ses arguments étaient principalement axés sur l'insuffisance de la recherche concernant l'existence des diverses collectivités autochtones dans la région du Longlac au moment de la ratification du Traité no 9, ce qui, dit-il, dément l'idée selon laquelle les ancêtres des demandeurs figuraient par erreur sur la liste de la bande. Il soutient que la preuve historique n'est pas concluante en la matière, une position que le gouvernement du Canada semble accepter puisqu'il n'a pas reconnu la Première nation Hornepayne comme une bande selon la Loi sur les Indiens.

[66]            Cette incertitude est accentuée, affirme-t-il, par le fait que le conseil de la bande prétend soumettre tous les membres de la bande, y compris ceux qui vivent à Hornepayne, aux dispositions de libération et de garantie contenues dans l'Accord de transaction, un fait qui est exacerbé par la méthode fautive employée pour calculer les préjudices économiques individuels. Cette méthode se limitait à recenser la population qui vivait dans la réserve en 1938 et ne va pas jusqu'à énumérer les ancêtres qui vivaient dans des zones traditionnelles autour de la réserve au moment de la signature du Traité.

[67]            Il ajoute que l'absence de lien entre certains des membres de la Première nation qui vivent à Hornepayne et ceux qui vivent dans la réserve s'explique par le fait que les résidents de Hornepayne ont perdu leur culture et leur identité autochtones.

[68]            L'avocat de la Première nation défenderesse soutient que, si les demandeurs ont été exclus des avantages, c'est pour les raisons mentionnées aux paragraphes 8 et 9 des présents motifs et que, vu l'ensemble des circonstances, les décisions étaient des décisions raisonnables. Il ajoute que le chef et le conseil étaient fondés à s'en remettre à l'absence de lien entre les deux collectivités, c.-à-d. les résidents de Hornepayne et les résidents de la réserve. Il y a eu un brassage évident de diverses collectivités et familles au moment de la signature du traité en 1906, et cela pour la commodité administrative du gouvernement fédéral. Selon l'avocat de la Première nation, celle-ci était fondée à s'en remettre à la décision de non-ingérence prise par le chef Judy Mayhew, ainsi qu'à la reconnaissance de la Première nation Hornepayne par les autres groupes autochtones.

[69]            L'avocat de la défenderesse Ontario Power Generation Inc. ne s'est intéressé qu'à l'une des déclarations sollicitées par les demandeurs, une déclaration qui, a-t-il dit, n'apparaissait que dans l'exposé des faits et du droit produit par les demandeurs, mais qui n'était pas mentionnée dans la demande de contrôle judiciaire.

[70]            La déclaration sollicitée, et frappée d'opposition, était que les dispositions de l'Accord de transaction relatives à la libération ne s'appliquent pas aux demandeurs. Il a dit que je ne pouvais ni ne devrais faire une telle déclaration parce que ce serait faire indirectement ce que, selon Madame le juge Sharlow, ne pouvait être fait directement, c'est-à-dire que ce serait contester l'Accord de transaction.

D.        ANALYSE

           a)         La norme de contrôle

[71]            L'avocat de la Première nation défenderesse a proposé que le contrôle des résolutions contestées soit effectué selon le critère de la décision raisonnable, encore qu'il ait signalé l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ville de Nanaimo c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, au soutien de la proposition selon laquelle les décisions municipales prises dans le respect des pouvoirs conférés ne devraient être examinées qu'en fonction du critère de la décision manifestement déraisonnable, parce que, dans de tels cas, les cours de justice ont affaire à des décisions qui entrent dans les pouvoirs conférés par les corps législatifs provinciaux et qui sont prises par des conseillers municipaux élus, lesquels doivent rendre compte à leurs électeurs, ce qui vaut également pour les résolutions des conseils de bande.

[72]            Dans l'arrêt Simon Smith et al. c. Le Ministre des Affaires indiennes et du Nord [dossier A-568-98, 17 novembre 1999], la Cour d'appel fédérale examinait la norme de contrôle d'une décision du ministre de louer des terres indiennes selon le paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens.

[73]            Le juge Décary a appliqué l'analyse effectuée par le juge Bastarache dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et approuvée dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Il est arrivé à la conclusion que, eu égard à l'ensemble des facteurs énumérés par la Cour suprême, les cours de justice devraient se montrer très circonspectes à l'égard des décisions du conseil de bande et que la norme de contrôle à appliquer était celle de la décision raisonnable.

[74]            Si l'affaire dont je suis saisi eût concerné simplement une contestation des résolutions du conseil de bande en tant qu'expression de son rôle décisionnel, la norme de contrôle eût été, comme l'a donné à entendre la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ville de Nanaimo, précité, celle de la décision manifestement déraisonnable. (Voir l'affaire News c. Wahta Mohawks, [2000] A.C.F. no 637 (C.F. 1re inst.).) Toutefois, l'arrêt Ville de Nanaimo posait en principe que les résolutions n'étaient pas entachées d'excès de pouvoir et que les conseils municipaux sont des organes élus.

[75]            La situation dont je suis saisi diffère de celle de l'arrêt Ville de Nanaimo. Les résolutions du conseil de bande sont contestées pour cause de discrimination -- un point de droit qui doit être examiné au regard de faits particuliers. Un tel facteur appelle un moindre devoir d'acquiescement, qui se réduit encore si l'on tient compte d'un autre facteur, à savoir l'absence d'une clause privative.

[76]            D'ailleurs, les décisions contestées du conseil de la bande ont été prises avant l'arrêt Corbière, lorsque les membres d'une bande vivant en dehors de la réserve ne pouvaient voter aux élections du conseil de bande, un autre facteur distinctif qui intéresse la portée du processus électoral.

[77]            En l'occurrence, je ne vois pas en quoi les connaissances spécialisées du conseil de bande de la Première nation peuvent être mises à contribution, bien que je reconnaisse qu'une telle décision peut requérir un certain polycentrisme - une délicate mise en équilibre d'intérêts rivaux.

[78]            Dans ces conditions, j'adopte, pour l'examen des résolutions du conseil de bande de la Première nation qui sont analysées ici, la norme de la décision raisonnable.


b)         L'incidence de l'arrêt Corbière

[79]            Comme on l'a dit, la Cour suprême du Canada a invalidé, dans l'arrêt Corbière, parce qu'elles étaient contraires à l'article 15 de la Charte, les dispositions du paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens, qui prévoyaient que, pour pouvoir voter, un membre d'une bande devait avoir au moins 18 ans et résider ordinairement sur la réserve.

[80]            La Cour suprême du Canada a statué ainsi :

(1)       S'agissant des élections, la distinction entre les membres d'une bande autochtone qui résident dans la réserve et ceux qui n'y résident pas niait le droit au même bénéfice ou imposait un fardeau inégal. Une telle distinction constituait une différence de traitement;

(2)        Le statut de membre hors réserve a été reconnu comme motif analogue de discrimination, c'est-à-dire « un indicateur permanent de discrimination législative potentielle, que la contestation vise un crédit d'impôt gouvernemental, un droit de vote ou un régime de pension » . (Voir le paragraphe 10 des motifs conjoints du juge en chef et du juge Bastarache).


(3)        La distinction entre les membres d'une bande qui vivent dans la réserve et ceux qui n'y vivent pas se rapporte à une caractéristique essentielle de l'identité personnelle d'un membre d'une bande, caractéristique « qui est considérée immuable au même titre que la religion ou la citoyenneté. Les membres hors réserve d'une bande autochtone ne peuvent devenir des membres habitant la réserve qu'à un prix considérable, si tant est qu'ils le peuvent » . (Voir le paragraphe 14 des motifs conjoints du juge en chef et du juge Bastarache, à la page 220);

(4)        Une telle distinction est discriminatoire. Le juge en chef et le juge Bastarache s'expriment ainsi aux paragraphes 17 et 18 (page 221 de l'arrêt publié).

La distinction reprochée perpétue le désavantage historique vécu par les membres hors réserve des bandes indiennes en les privant de leur droit de voter et de participer à l'administration de leur bande. Ces personnes ont des intérêts importants à faire valoir en ce qui concerne l'administration de la bande, ce que la distinction les empêche de faire. Ils sont copropriétaires de l'actif de la bande. Qu'ils y vivent ou non, la réserve est leur territoire et celui de leurs enfants. En tant que membres de la bande, ils sont représentés par le conseil de la bande auprès de la communauté en général, tant au sein des organisations autochtones que dans le cadre des négociations avec le gouvernement. Bien qu'il existe des sujets d'intérêt purement local qui ne touchent pas aussi directement les intérêts des membres hors réserve des bandes indiennes, la privation complète de leur droit de voter et de participer à l'administration de leur bande a pour effet de les traiter comme des individus moins dignes de reconnaissance et n'ayant pas droit aux mêmes avantages et ce, non pas parce que leur situation justifie ce traitement, mais uniquement parce qu'ils vivent à l'extérieur de la réserve.

(5)        Ils se sont ensuite référés au Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones et en ont cité les extraits suivants :

a)             (à la page 586 du rapport) : Tout au long des audiences, les autochtones ont rappelé à la Commission qu'il est essentiel pour eux de préserver et d'enrichir leur identité culturelle quand ils vivent en milieu urbain. L'identité autochtone est l'essence de l'existence des peuples autochtones. La préservation de cette identité est donc un objet fondamental et valorisant pour les autochtones citadins;

b)             (aux pages 589 et 590 du rapport) : De plus, les autochtones citadins associent l'identité culturelle à la notion d'assise territoriale ou de territoire ancestral. Pour nombre d'entre eux, ces deux concepts sont indissociables... Il est important pour les autochtones citadins de pouvoir s'identifier à un lieu ancestral, en raison des rituels, des cérémonies et des traditions qui y sont associés, des gens qui y vivent, du sentiment d'appartenance, du lien avec une communauté ancestrale et de la possibilité d'accéder à la famille, à la communauté et aux anciens.

[81]       Le juge L'Heureux-Dubé a rédigé des motifs concordants très détaillés, auxquels ont souscrit les juges Gonthier, Iacobucci et Binnie. Elle a développé son analyse de ce qui pourrait constituer des sujets d'intérêt purement local qui ne touchent pas directement les intérêts des membres hors réserve, et cela après avoir tenu les propos suivants, au paragraphe 71 :

. . . les membres hors réserve des bandes indiennes font partie d'une « minorité discrète et isolée » , qui est définie tant par sa race que par son lieu de résidence, qui est vulnérable et qui, à l'occasion, ne s'est pas vu accorder l'égalité de respect ou de considération par le gouvernement ou par d'autres personnes au sein des sociétés canadienne et autochtone. Les décideurs ne tiennent pas toujours compte des points de vue et des besoins des autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves, particulièrement en ce qui concerne leur identité autochtone et leur désir de maintenir des liens avec leur patrimoine et leurs racines culturelles.

[81]            Puis le juge L'Heureux-Dubé a examiné les pouvoirs de réglementation administrative conférés aux conseils de bande par la Loi sur les Indiens, en notant plusieurs dispositions qui intéressaient tous les membres des bandes, qu'ils résident ou non dans les réserves. Elle a donné les exemples suivants :

a)         l'alinéa 81(1)i), qui permet à un conseil de bande de répartir les terres de la réserve;


b)         les alinéas 81(1)p) et 81(1)p.1), qui autorisent la passation de règlements administratifs concernant la résidence et l'entrée sans droit ni autorisation dans la réserve, « sujets qui peuvent avoir une incidence sur la capacité des non-résidents d'utiliser les terres de la réserve et les installations s'y trouvant, ainsi que de revenir vivre dans la réserve. Il a été démontré que la capacité d'habiter dans la réserve ou de participer à des activités sur les terres de la réserve est importante pour les non-résidents qui désirent le faire, et les fonctions susmentionnées du conseil de bande influent directement et d'une manière fondamentale sur la situation et les besoins de ces personnes » (paragraphe 75);

c)         l'article 83, qui donne au conseil de bande le pouvoir de prendre des règlements administratifs sur des questions pécuniaires, pouvoir qui, de l'avis du juge L'Heureux-Dubé, est un mélange de fonctions qui touchent non seulement les résidents de la réserve, mais également tous les membres de la bande;

d)         le paragraphe 64(1), qui permet au ministre, avec le consentement du conseil de bande, de prescrire la dépense de sommes d'argent au compte en capital de la bande à diverses fins, notamment pour distribuer per capita certaines sommes aux membres de la bande et pour construire de nouvelles habitations. Ces sommes, qui constituent le compte en capital de la bande, proviennent de la vente de terres cédées ou de biens de capital de la bande, biens qui appartiennent collectivement à tous les membres de la bande;


e)         le paragraphe 66(1), qui autorise le ministre, avec le consentement du conseil de bande, à ordonner l'affectation à certaines fins de sommes d'argent du compte de revenu. Ici, le juge L'Heureux-Dubé s'est exprimée ainsi :

Le conseil de bande peut consacrer des dépenses à des fins telles que l'éducation, la construction de nouvelles habitations, l'établissement d'installations dans les réserves, ainsi qu'à d'autres fins susceptibles d'avoir une incidence sur l'intérêt économique qu'ont les membres hors réserve dans les biens et l'infrastructure de la réserve qui seront disponibles pour faciliter leur retour dans celle-ci s'ils le désirent.

f)          L'alinéa 39(1)b), qui exige l'assentiment d'une majorité des électeurs de la bande pour la cession de terres de la bande.

c)         Assimilation des bandes indiennes aux conseils municipaux


[82]            Dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. La Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 C.F. 325, la Cour d'appel fédérale a accepté, lorsque les circonstances le justifient, l'analogie entre les conseils de bande et les conseils municipaux, lorsqu'elle s'est demandée si un règlement administratif en matière fiscale édicté par la Bande de Matsqui était invalide pour cause de discrimination non autorisée. La Cour d'appel fédérale a invalidé ce règlement administratif. (Voir le juge Desjardins et le juge Robertson, aux paragraphes 62 à 76, ainsi qu'aux paragraphes 183 et 184). Le juge Desjardins, tout en se référant à la jurisprudence qui approuvait cette analogie, a ensuite posé comme principe fondamental du droit administratif, eu égard à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ville de Montréal c. Arcade Amusements Inc. et al., [1985] 1 R.C.S. 368, le principe selon lequel le pouvoir d'un conseil de bande de prendre des règlements administratifs ne comprend pas le pouvoir d'édicter des dispositions discriminatoires à moins que la loi d'habilitation n'autorise de telles dispositions. Elle s'est exprimée ainsi au paragraphe 76 :

... les conseils de bande constituent des organismes d'origine législative subordonnés qui sont sui generis. En cette qualité, je ne vois pas comment ils pourraient se soustraire aux principes de droit administratif régissant les organismes d'origine législative subordonnés.

d)         Discrimination non autorisée

[83]            Dans l'arrêt Arcade Amusement Inc., le juge Beetz a fait une analyse approfondie attestant le caractère fondamental, en droit administratif canadien, de la proposition selon laquelle le pouvoir d'une municipalité de prendre des règlements ne comprenait pas le pouvoir d'édicter des dispositions discriminatoires. Selon lui, ce principe avait été observé « de temps immémorial en droit public anglais et canadien » (page 404). À la page 413, il s'est exprimé ainsi :

Il faut tenir qu'à moins de dispositions explicites au contraire ou de délégation implicite faite par voie d'inférence nécessaire, le législateur souverain s'est réservé à lui-même le pouvoir important de restreindre les droits et libertés des citoyens en fonction de distinctions aussi délicates. Le principe transcende les cadres du droit administratif et du droit municipal. C'est un principe de liberté fondamentale. [non souligné dans l'original]

[84]            Le juge Beetz a cité abondamment l'arrêt rendu par lord Russell of Killowen dans l'arrêt Kruse v. Johnson, [1898] 2 Q.B. 91, au soutien de l'idée selon laquelle un règlement était illégal parce qu'il était déraisonnable. Il a reproduit l'extrait suivant de l'avis majoritaire de lord Russell (page 404 de l'arrêt Arcade) :


Mais déraisonnable en quel sens? On peut penser, par exemple, à des règlements qui font acception de personne et s'appliquent de façon inégale à différentes classes, à des règlements manifestement injustes, à des règlements empreints de mauvaise foi, à des règlements entraînant une immixtion abusive ou gratuite dans les droits des personnes qui y sont assujetties, au point d'être injustifiables aux yeux d'un homme raisonnable; la Cour pourrait alors dire « le Parlement n'a jamais eu l'intention de donner le pouvoir d'établir ces règles; elles sont déraisonnables et ultra vires » . C'est en ce sens et uniquement en ce sens qu'il faut considérer la question du caractère déraisonnable. Un règlement n'est pas déraisonnable simplement parce que certains juges peuvent penser qu'il va plus loin que ce qui est prudent, nécessaire ou convenable, ou parce qu'il n'est pas assorti d'une réserve ou d'une exception dont certains juges peuvent estimer la présence nécessaire. Assurément, il n'est pas exagéré de dire que, sur les questions qui touchent directement ou principalement les habitants de la municipalité, qui ont le droit d'élire ceux qu'ils estiment les plus qualifiés pour les représenter au sein des organismes municipaux, il faut faire confiance à ces représentants pour comprendre leurs propres besoins encore plus qu'aux juges.

[85]            Le juge Beetz a souligné la distinction établie par la décision de lord Russell entre l'opportunité politique d'un règlement, qui engendrait la notion de décision raisonnable au sens étroit, cas où les cours de justice doivent se montrer très circonspectes, et la notion de décision raisonnable au sens large ou au sens juridique, qui permet de conclure à l'illégalité du règlement si par exemple la décision a été partiale ou si elle a été inégale dans son application à différentes catégories, etc. Le juge Beetz a conclu ainsi, à la page 406 :

Il importe de noter que la première catégorie de règlements déraisonnables dans le sens juridique retenu par lord Russell of Killowen est celle des règlements discriminatoires suivant l'acception non pas péjorative mais la plus neutre du terme et qui sont frappés de nullité quand même la distinction qui en forme le pivot serait parfaitement rationnelle ou raisonnable dans le sens étroit ou politique et serait conçue et imposée de bonne foi, sans esprit de favoritisme ni de malice.


e)          La notion de discrimination

[86]            Bien qu'elle se rapporte à la Charte, la définition suivante de la discrimination, extraite des motifs du juge McIntyre dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la page 174, convient dans l'affaire dont je suis saisi :

Il existe plusieurs autres énoncés où l'on a tenté de définir succinctement le terme « discrimination » . Ils sont généralement conformes aux descriptions mentionnées auparavant. J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement. [non souligné dans l'original]

E.         CONCLUSIONS

[87]            Sur la question principale, je n'ai aucun mal à conclure que les deux résolutions contestées qui ont été adoptées par le conseil de bande le 4 août 1998 doivent être annulées parce qu'elles sont déraisonnables et donc illégales selon le sens indiqué par le juge Beetz dans l'arrêt Arcade Amusement, où il s'appuie sur l'opinion de lord Russell dans l'arrêt Kruse. Tout d'abord, je ne vois dans la Loi sur les Indiens aucune disposition autorisant un conseil de bande à établir une distinction entre les membres d'une bande qui vivent dans la réserve et ceux qui vivent en dehors.


[88]            Cette conclusion s'appuie sur plusieurs éléments.

[89]            En premier lieu, il ne fait aucun doute que l'exclusion établie dans les résolutions contestées du conseil de bande était discriminatoire. Ces résolutions refusaient en effet aux membres de la Première nation qui vivaient en dehors de la réserve tous les avantages de l'Accord de transaction, dont l'objet était d'éteindre toutes les revendications passées de la Première nation et de tous ses membres et de réparer plusieurs préjudices causés par la construction en 1938 du barrage et de la dérivation, un sujet rattaché à la terre et dans lequel tous les membres de la bande ont un intérêt, par opposition à un sujet de nature purement locale, selon la définition donnée par le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Corbière, précité.

[90]            Il ne s'agit pas ici d'un cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable, mais plutôt d'un cas où le conseil de bande a appliqué directement et délibérément un traitement différent à ses membres hors réserve. Le traitement appliqué en l'espèce aux membres hors réserve présente des similitudes avec le moyen invoqué dans l'arrêt Corbière : c'est une illustration de la vulnérabilité des populations autochtones hors réserve, ainsi que de la manière dont leurs besoins et leurs espoirs ont été ignorés. Elles ont été marginalisées.

[91]            Il y a deux aspects à ce constat de discrimination : l'un concerne la forme et l'autre le fond.

[92]            Sur le plan de la forme, il était fautif de la part du chef et du conseil de la Première nation d'empêcher les membres de la Première nation vivant hors réserve à Hornepayne de participer au processus de ratification de l'Accord de transaction, la source de l'entente fiduciaire qu'envisage l'Accord. Il était également erroné pour le conseil de bande d'adopter une résolution qui ne conférait des avantages qu'aux Anciens de la bande vivant dans la réserve.

[93]            Le motif de cette conclusion est évident. Dans sa lettre du 25 octobre 1996 à Laura Medeiros, le chef Echum assurait celle-ci que, pour le cas où un compromis serait atteint, il n'était pas prévu de gratifications individuelles en espèces. Aspect plus important, le chef Echum a dit plus tard au conseiller juridique du groupe Hornepayne que le groupe ne participerait pas aux négociations, mais qu'il pourrait prendre part au processus de ratification.


[94]            Ces deux promesses ont été rompues par la procédure adoptée lors de l'assemblée du 4 août 1998. Au regard de la procédure, les membres Hornepayne de la Première nation pouvaient légitimement espérer être en mesure de participer au processus d'approbation finale -- une participation essentielle à l'intérêt des membres hors réserve dans l'actif commun de la réserve et dans l'indemnité destinée à réparer la perte de biens collectivement détenus par tous les membres.

[95]            Quant au fond, l'élément de discrimination a été précisé -- la négation de tous les avantages, une négation qui est accentuée et aggravée par le fait que le compromis lie également tous les membres de la Première nation, qu'ils vivent dans la réserve ou à l'extérieur. Je garde à l'esprit cependant que, à certains égards, plusieurs travaux entrepris dans la réserve pouvaient profiter aux membres hors réserve. Il est question ici de proportions, lesquelles globalement permettent de conclure qu'il y a eu différence de traitement injustifiée.

[96]            La Première nation défenderesse a avancé plusieurs justifications tendant à montrer que le traitement appliqué à ses membres hors réserve n'était pas discriminatoire. J'estime que ces justifications sont pour l'essentiel hors de propos.


[97]            Dans une grande mesure, la justification principale qui permettrait de conclure à l'absence de discrimination à l'endroit des membres hors réserve reposait sur l'idée selon laquelle, même si juridiquement les membres résidant à Hornepayne étaient membres de la bande, ils pouvaient être exclus du partage des bénéfices de l'extinction d'une revendication passée parce que leurs ancêtres n'étaient pas en réalité membres de la Première nation depuis le début, avant 1906, lorsque la réserve fut constituée. Ils étaient membres de collectivités distinctes dont les terres traditionnelles n'étaient pas voisines de la zone traditionnelle occupée par la collectivité de Longlac.

[98]            Leur qualité de membre était dénuée de sens parce que leurs ancêtres étaient devenus membres par erreur, ayant été ajoutés à la liste de la bande de la Première nation tout simplement pour des raisons de commodité administrative et non à cause d'un lien communautaire.

[99]            Les justifications avancées par la Première nation, selon lesquelles ses membres hors réserve résidant à Hornepayne n'étaient membres qu'en raison d'une inadvertance, ou selon lesquelles ils faisaient partie d'une Première nation Hornepayne distincte, ne peuvent être acceptés parce que ce serait là dénaturer les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives au processus d'appartenance et à la reconnaissance des bandes.

[100]        Selon l'article 2 de la Loi sur les Indiens, un « membre d'une bande » est une personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure. Selon le paragraphe 9(2) de la Loi, les noms figurant à la liste d'une bande le 16 avril 1985 constituent la liste de cette bande au 17 avril 1985 (date à laquelle d'importantes modifications ont été apportées à la Loi sur les Indiens par le législateur fédéral afin d'assurer la conformité de cette loi à la Charte).

[101]        Les articles 9 à 14 de la Loi contiennent des dispositions qui se rapportent aux listes de bande, à leur conservation, aux noms qui y sont ajoutés ou qui en sont retranchés, et aux révisions ou appels portant sur des ajouts ou des retranchements, selon que la liste de bande est tenue par le registraire ou est placée sous la responsabilité d'une bande.

[102]        Ce régime constitue le cadre législatif permettant de régler les points qui se rapportent à l'appartenance à une bande et confère aux personnes concernées des droits d'examen et d'appel, selon le cas, dans l'éventualité d'une suppression de leurs noms.

[103]        L'intention manifeste du législateur, ainsi que les dispositions de la Loi sur les Indiens considérées globalement, empêchent à mon avis l'exclusion de fait d'un membre d'une bande fondée sur le motif que l'on croit que ce membre ne devrait pas figurer sur la liste de bande. Lorsqu'un conseil de bande croit que le nom d'une personne ne devrait pas figurer sur sa liste de bande, le législateur fédéral a prévu le mécanisme de suppression, ainsi que les recours dont dispose la personne concernée.


[104]        Il s'ensuit que le moyen idéal de vérifier le droit d'une personne au maintien de son appartenance à une bande, un moyen qui consiste à examiner à l'aide de preuves généalogiques adéquates l'ascendance de l'intéressé, consiste soit à s'adresser au registraire si le ministère lui-même tient la liste de la bande, soit à recourir au mécanisme adopté par la bande si c'est elle qui a la responsabilité de la liste. C'est le registraire et la bande qui sont les premiers décideurs, et leurs décisions sont sujettes à examen. (Voir, par exemple, l'affaire News, précitée, et l'affaire Scrimbitt c. Conseil de la Bande indienne Sakimay, [2000] 1 C.F. 513 (C.F. 1re inst.).)

[105]        Il est clair que, pour l'application de la Loi sur les Indiens, une personne est membre d'une bande ou ne l'est pas et que, dans la mesure où son nom figure sur la liste de la bande, elle est membre de cette bande au regard de la Loi sur les Indiens. Affirmer le contraire serait détruire l'intégrité de la loi tout entière, dont les dispositions essentielles s'ordonnent autour de l'appartenance à une bande.

[106]        Il en va de même de la création de nouvelles bandes par le ministre en conformité avec l'article 17 de la Loi. Selon l'alinéa 17(1)b), le ministre peut, lorsqu'il l'estime à propos, constituer de nouvelles bandes et établir à leur égard des listes de bande à partir des listes de bande existantes, ou du registre des Indiens, si demande lui en est faite par des personnes proposant la constitution de nouvelles bandes. Je note que, selon le paragraphe 17(2), si une nouvelle bande a été constituée à même une bande existante ou une partie de cette dernière, la fraction des terres de réserve et des fonds de la bande existante que le ministre détermine est détenue à l'usage et au profit de la nouvelle bande.

[107]        Certes, le dossier dans la présente instance révèle que certaines personnes, y compris certains des demandeurs, en tant que membres de la Première nation Hornepayne, avaient invité en 1993 le Canada à les reconnaître comme nouvelle bande, mais, à ce jour, la reconnaissance en question n'a pas eu lieu et pourrait ne pas avoir lieu avant longtemps.

[108]        Jusqu'à ce qu'une nouvelle bande soit constituée selon l'article 17 de la Loi, et que de nouvelles listes de bande aient été établies, l'appartenance à une bande antérieure continue. Le paragraphe 17(2) de la Loi fait ressortir l'importance de l'exercice du pouvoir du ministre dans la création d'une nouvelle bande et la modification des listes de bande existantes. Le paragraphe 17(2) prévoit que, lorsque le ministre exerce ce pouvoir, aucune protestation ne peut être formulée en vertu de l'article 14.2 à l'égard de la modification de la liste de bande. Cette disposition fait ressortir là encore l'idée du législateur fédéral selon laquelle une certitude est nécessaire dans l'inscription sur les listes de bande si l'on veut que la loi soit convenablement appliquée.

[109]        Le conseil de bande de la Première nation ne peut de facto s'arroger un pouvoir dévolu au ministre et agir comme si les membres de la Première nation résidant à Hornepayne avaient reçu du ministre une reconnaissance légale en tant que membres de la Première nation Hornepayne et, par conséquent, comme s'ils n'étaient plus membres de leur bande d'origine.


[110]        Je passe maintenant à la justification se rapportant à la reconnaissance politique de la Première nation Hornepayne par d'autres groupes autochtones, notamment la Première nation Ginoogaming. Je sais que d'autres groupes autochtones ont reconnu la Première nation Hornepayne, et je respecte les relations organisationnelles et reconnaissances entre groupes autochtones, et j'admets qu'elles ont pu influencer les rapports entre la Première nation Ginoogaming et la Première nation Hornepayne, ce sur quoi je reviendrai plus tard. Cependant, ces faits ne peuvent l'emporter sur le régime législatif régissant l'inscription sur les listes de bande et la création de nouvelles bandes à partir de listes de bande existantes et, en conséquence, ils ne peuvent justifier une distinction entre les membres vivant dans la réserve et les membres hors réserve.

[111]        L'avocat de la Première nation Ginoogaming a fait valoir que le chef et le conseil de bande pouvaient s'appuyer sur la position de non-ingérence adoptée par le chef Mayhew à l'égard des négociations de la Première nation avec Hydro-Ontario.


[112]        Je n'accorde pas beaucoup de poids au fait que le chef et le conseil de bande se soient reposés sur la position de non-ingérence adoptée par le chef Mayhew, si tant est que ce fût le cas, compte tenu de la déclaration expresse du chef Echum selon laquelle les membres hors réserve participeraient au processus de ratification si les négociations réussissaient. De plus, les demandeurs avaient indiqué à la Première nation les raisons pour lesquelles ils étaient intéressés par telles négociations, à cause des revendications culturelles et historiques qu'ils avaient exprimées, ainsi que leurs ancêtres.

[113]        Finalement, je suis d'avis qu'aucune des justifications avancées par la Première nation ne suffit à valider le traitement discriminatoire appliqué par la Première nation à ses membres hors réserve vivant à Hornepayne.

[114]        Je n'ai pas l'intention de m'exprimer le moindrement sur la pertinence de la preuve produite par l'avocat de la Première nation, et cela parce que je suis arrivé à la conclusion que cette preuve était pour l'essentiel hors de propos.

[115]        On a accordé beaucoup d'importance au Rapport de recherche Hornepayne préparé par Joan Holmes and Associates. Si utile que ce rapport puisse être dans l'avenir, il ne saurait fortifier les résolutions contestées du conseil de bande, parce qu'il porte la date d'avril 2000 et qu'il n'était pas accessible au conseil de bande lorsque celui-ci a pris les résolutions en question.


[116]        La présente affaire présente une similitude avec celle dont avait été saisie la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Barry et al. v. Chief and Council of the Garden River Band of Ojibways, [1997] O.R. (3d) 783. Dans cette affaire, des sommes issues d'un compromis avaient été versées par le gouvernement fédéral au compte de revenu de la bande, compte sur lequel le conseil de bande avait décidé de faire une distribution à chacun des membres de la bande.

[117]        La Cour d'appel de l'Ontario a jugé que les sommes versées par le gouvernement fédéral ne constituaient pas un fonds d'affectation spéciale parce qu'elles avaient été portées au crédit du compte de revenu de la bande, mais elle a jugé qu'une fiducie avait été établie lorsque le conseil de bande avait décidé de faire une distribution à chacun des membres, décision qui l'obligeait expressément à déterminer et à vérifier la catégorie qui allait bénéficier de la distribution, ainsi qu'à recenser et à trouver les membres de cette catégorie.


[118]        La similitude évoquée plus haut est que les sommes résultant du règlement des revendications se rapportaient à la terre -- un sujet qui intéresse tous les membres de la bande, comme on l'a déjà noté. Mais la similitude s'arrête là car, dans l'affaire dont je suis saisi, aucune distribution individuelle n'est proposée, les bénéfices étant confinés à des travaux sur la réserve, travaux qui, selon les circonstances, pourraient bien profiter aux membres hors réserve, et à propos desquels je n'ai pas l'intention de m'exprimer parce qu'il appartiendra à la Première nation, lorsqu'elle administrera le fonds d'affectation spéciale, d'atteindre un juste équilibre dans le choix des travaux, lesquels ne sauraient se limiter à des travaux dans la réserve, attentive que doit être la Première nation aux besoins de tous ses membres, dans la réserve ou en dehors. Les travaux ne sauraient être limités aux membres vivant dans la réserve comme c'était le cas avec les Anciens vivant à Hornepayne. C'est cette exclusion qui porte la marque de la discrimination.

[119]        Quant au point soulevé par l'avocat de Ontario Power Generation, je suis en accord avec ses conclusions. Comme l'a noté le juge Sharlow, l'Accord de transaction englobe l'ensemble des membres de la Première nation, y compris ses membres hors réserve. Déclarer nulles et de nul effet, pour autant que les demandeurs soient concernés, les dispositions des paragraphes 14 et 15 de l'Accord de transaction constituerait une atteinte inacceptable à cet accord, à propos duquel le juge Sharlow avait refusé la prorogation de délai qui aurait permis d'y porter atteinte.

F.         DISPOSITIF


[120]        L'avocat de la Première nation a reconnu que les demandeurs étaient autorisés par l'ordonnance du 19 mai 1999 du juge Sharlow à contester « la décision du conseil de la Première nation Ginoogaming d'employer le produit du règlement final au bénéfice des membres de la Première nation Ginoogaming autres que les demandeurs » . Cette décision comportait deux éléments. D'abord, la décision de signer l'acte de fiducie constitué par la résolution 1998-99-254 du conseil de bande en date du 4 août 1999, et deuxièmement la décision d'établir le fonds Keemeshomnishmanak, prise par la résolution 1998-99-257 du conseil de bande.

[121]        Pour les motifs ci-dessus, ces deux décisions étaient déraisonnables parce qu'elles étaient discriminatoires, et elles sont par conséquent illégales.

[122]        Finalement, ces décisions sont annulées, mais la question de l'emploi du produit de l'Accord de transaction est renvoyée au chef et au conseil de la Première nation pour nouvelle décision, laquelle devra être exempte de discrimination fondée sur la résidence dans la réserve ou hors de la réserve, et être conforme aux présents motifs. Les demandeurs ont droit à leurs dépens ainsi qu'aux dépens de la demande d'injonction provisoire, et ces dépens seront payables par le conseil de bande de la Première nation.

                                                                                                                     « François Lemieux »                

J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

Le 30 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-935-99

INTITULÉ :                              LAURA MEDEIROS ET AUTRES

c.

GABRIEL ECHUM ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 28 JUIN 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :           LE 30 NOVEMBRE 2001

ONT COMPARU :

MICHAEL BENNETT                                                    POUR LES DEMANDEURS

LONNY CLARKE                                                           POUR LA DÉFENDERESSE,

ONTARIO POWER

GENERATION INC.

ROGER TOWNSHEND                                                 POUR LES DÉFENDEURS,

GABRIEL ECHUM ET AUTRES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MICHAEL BENNETT                                                    POUR LES DEMANDEURS

SAULT STE. MARIE (ONTARIO)

ONTARIO POWER GENERATION              POUR LA DÉFENDERESSE,

TORONTO (ONTARIO)                                                ONTARIO POWER

GENERATION INC.

OLTHUIS KLEER TOWNSHEND                               POUR LES DÉFENDEURS,

TORONTO (ONTARIO)                                                GABRIEL ECHUM ET AUTRES

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