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Date : 20010129


Dossier : T-1258-00

ENTRE :

     Chef Larry Commodore, Chef de la bande indienne de Soowahlie, en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Soowahlie, et en son nom et au nom de tous les autres membres de la Nation autochtone Sto:lo
     Chef David Sepass, Chef de la bande indienne de Skowkale, en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Skowkale, et en son nom et au nom de tous les autres membres de la Nation autochtone Sto:lo
     Chef Joe Hall, Chef de la bande indienne de Tzeachten, en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Tzeachten, et en son nom et au nom de tous les autres membres de la Nation autochtone Sto:lo
     Chef Frank Malloway, Chef de la bande indienne de Yakweakwioose, et Chef Dalton Silver, chef intérimaire de la bande indienne de Yakweakwioose, en leur nom et au nom de tous les autres membres de la Nation autochtone Sto:lo

     demandeurs

ET :

                                    

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE




LE JUGE ROULEAU



[1]      Il s'agit d'un appel interjeté par le défendeur contre l'ordonnance rendue le 21 novembre 2000 par madame le protonotaire R. Aronovitch, par laquelle celle-ci a rejeté la requête du défendeur visant à transformer en action la demande de contrôle judiciaire des demandeurs en vertu de l'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale. Subsidiairement, le défendeur conteste une irrégularité figurant dans la demande de contrôle judiciaire, à savoir que les motifs invoqués ne respecteraient pas la règle 301e) des Règles de la Cour fédérale.


[2]      Les demandeurs sont membres de quatre bandes indiennes faisant partie de la Nation autochtone Sto:lo et représentent les Autochtones vivant à Chilliwack (Colombie-Britannique) et dans les environs. En juillet 2000, ils ont institué une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour pour contester la validité du décret C.P. 2000-925, pris le 16 juin 2000, lequel autorise le ministre de la Défense à céder la propriété d'environ soixante-deux hectares de terres à la Société immobilière du Canada en vertu de la Loi sur les immeubles fédéraux, L.C. 1991, ch. 50.


[3]      Le défendeur a présenté une requête visant à transformer la demande de contrôle judiciaire en action au motif que la demande et la preuve à l'appui soulevaient la question de la preuve des droits ancestraux et du titre autochtone relativement aux terres en question. Le protonotaire Aronovitch a rejeté la requête du défendeur par décision rendue le 21 novembre 2000, disant notamment dans ses motifs que :

     [TRADUCTION] J'estime que la question à trancher dans le cadre de la présente demande ne porte pas sur le titre ou sur les droits des demandeurs relativement aux terres en cause. Les demandeurs du présent contrôle judiciaire cherchent à établir la portée de l'obligation fiduciaire et des obligations de la Couronne à leur endroit, s'il y a lieu, à la lumière des faits de la présente affaire, à savoir dans les cas où la Couronne connaît l'existence d'une revendication de même que le fondement probatoire appuyant cette revendication.
     Il se peut fort bien, comme le défendeur l'indique, qu'aucune obligation et qu'aucune atteinte à cette obligation ne puissent être démontrées dans le cadre de la demande sur la foi de droits allégués plutôt que prouvés. Cela relève toutefois du fonds de la demande de contrôle judiciaire et cette lacune au niveau des motifs peut être plaidée en défense par le Canada, et je suis certain qu'elle le sera.
     Quant aux questions de preuve, j'estime que la preuve par affidavit des demandeurs, y compris celle portant sur la question principale et contestée de l'établissement de la réserve Douglas et des droits relatifs à une réserve qui en découlent pour la Nation Sto:lo, est présentée par les demandeurs à titre de preuve du fondement ou du caractère raisonnable de leur revendication et non pas à titre de preuve du droit leur revenant ou de preuve de l'existence de droits relatifs à une réserve en soi.
     Je suis donc d'avis que ni la Cour ni le Canada ne subiront un préjudice, dans un cas, en devant déterminer, et dans l'autre, en devant nier l'existence de ces droits dans le cadre d'une procédure sommaire à la lumière d'une preuve insuffisante ou non vérifiée.
     Lorsque les droits et le titre devront être déterminés, s'il y a lieu, l'affaire pourra faire l'objet d'un procès et nécessitera des interrogatoires préalables et des contre-interrogatoires complets devant le juge des faits.

[4]      Le défendeur interjette maintenant appel contre cette décision au motif que le protonotaire a commis une erreur de droit en concluant que les demandeurs n'avaient pas l'intention de démontrer l'existence de droits ancestraux ou d'un titre autochtone relativement aux terres en question, mais qu'ils avaient plutôt fait une allégation raisonnablement fondée de ces droits et qu'il ne fallait pas que cette « théorie de l'allégation » soit déterminée par voie d'action.

[5]      J'accueille l'appel pour les motif suivants.

[6]      La jurisprudence a clairement établi que les affaires nécessitant la preuve de droits ancestraux ou d'un titre autochtone devaient être résolues par voie d'action. Dans MacMillan Bloedel Ltd. v. Mullin et al. (1985), 61 B.C.L.R. 145, l'une des premières affaires portant sur les revendications de cette nature à s'être rendue devant les tribunaux, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a rejeté l'affirmation que les droits ancestraux et le titre autochtone pouvaient être déterminés au moyen d'une preuve par affidavits. La cour a dit à la p. 151 :

     [TRADUCTION] Je crois fermement que la revendication relative au titre autochtone ne peut pas être rejetée à cette étape du litige. Les questions soulevées par la revendication ne sont pas de celles qui doivent être tranchées dans le cadre d'une demande interlocutoire. De nombreux éléments de preuve factuelle devront être entendus et examinés, les témoignages d'opinion des experts en la matière devront être recueillis et liés à la preuve factuelle et il devra y avoir une étude approfondie du droit. Cela doit avoir lieu dans le cadre d'un procès; cela ne peut pas être fait dans le cadre d'une demande interlocutoire.

[7]      Le même raisonnement a été adopté dans bon nombre d'affaires ultérieures, notamment dans Barlow c. Canada, [2000] A.C.F. no 282 (1re inst.); Taku River Tlingit First Nation v. Tulsequah Chief Mine Project (30 avril 1999), no du greffe de Vancouver A990300 (C.S.C.-B.); Athabasca Tribal Council v. Alberta (Minister of Environmental Protection) (1985), 15 Admin. L.R. (3d) 110 (C.B.R. Alb.); Calliou and Kelly Lake Cree Nation v. Canada (Ministry of Energy and Mines), (21 septembre 1998, no du greffe de Vancouver C984320 (C.S.C.-B.); British Columbia (Minister of Forests) v. Westbank First Nation [2000] B.C.J. No. 1613 (C.S.C.-B.).

[8]      La décision la plus récente sur cette question a été rendue dans Haida Nation v. British Columbia (Minister of Forests), [2000] B.C.J. No. 2427 (C.S.C.-B.), une affaire portant sur des questions fort semblables, voire même identiques, à celles soulevées en l'espèce. Le décision Haida Nation a trait à une contestation judiciaire faite par la Nation Haida contre certaines décisions prises en vertu de la loi par le ministre des Forêts de la Colombie-Britannique relativement à la récolte du bois sur les îles Queen Charlotte. Les motif invoqués à l'audience et examinés par la cour énonçaient que l'allégation de l'existence d'un titre autochtone donnait lieu à une obligation fiduciaire de la part de la Couronne provinciale et entraînait la protection de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[9]      Rejetant la demande de la Nation Haida, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu qu'on ne pouvait pas se prononcer sur l'allégation de l'existence d'un titre autochtone en l'absence de procès. La cour a dit ce qui suit à la p. 8 :

     [TRADUCTION] J'estime que l'argument des demandeurs souffre de lacunes fondamentales. Premièrement, il vise à imposer à la Couronne la charge de réfuter l'existence du titre autochtone allégué par la Nation Haida relativement à toutes les terres du bloc 6. Selon cet argument, si la Couronne ne s'est pas acquittée de cette charge, l'existence du titre de la Nation Haida relativement au bloc 6 doit être présumée. Mais en plus, l'argument veut que le titre de la Nation Haida soit présumé dans la mesure revendiquée par cette dernière. C'est seulement si cette présomption est faite que l'argument peut se rendre jusqu'à l'étape suivante, à savoir la prétention que le titre de la Nation Haida doit recevoir « priorité » . Cela permettrait aux demandeurs de soutenir que la Couronne avait l'obligation d' « accommoder » le titre de la Nation Haida. Mais j'ai conclu qu'il n'existait aucune présomption de ce genre en droit.
     Les demandeurs disent, dans les faits, que la Couronne a le fardeau de prouver la « justification » de l'atteinte à des droits dont la nature ou l'étendue n'a pas encore été établie. À mon avis, la question de savoir s'il y a eu atteinte à un droit ancestral ne peut pas être tranchée avant que la nature et l'étendue du droit ait été établie. J'estime que la lacune déterminante est le fait que les demandeurs veulent obtenir des résultats qui pourraient être atteints à un procès, et ce, seulement après que la Nation Haida aurait démontré l'existence de son titre autochtone et la violation de ce titre.
     Je suis d'avis que la portée de l'obligation fiduciaire de la Couronne envers la Nation Haida ne peut pas être déterminée sans qu'il y ait un procès. La question de savoir si cette obligation exige que le titre autochtone reçoive priorité et, dans l'affirmative, celle de savoir si les mesures prises par la Couronne sont conformes au principe de la priorité sont des questions qui dépendent de la nature et de la portée du droit ancestral ou du titre autochtone en cause. Selon moi, les motifs rendus par le juge Lamer, juge en chef du Canada, dans l'arrêt Delgamuukw, aux paragraphes 162 à 167, indiquent que ces questions doivent faire l'objet d'un procès.


[10]      Ce raisonnement s'applique également à l'affaire dont je suis saisi actuellement. Dans sa forme actuelle, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soulève la question de la preuve des droits ancestraux et celle de la preuve du titre autochtone. Il s'agit de questions qui ne peuvent être tranchées qu'au moyen d'un procès, de sorte que la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs doit être transformée en action.

[11]      Enfin, les demandeurs soutiennent que l'obligation fiduciaire de la Couronne à leur endroit ainsi que l'obligation fiduciaire liée de consulter sont exécutoires avant que l'existence de droits et d'un titre relativement aux terres en question n'ait été établie. J'ai examiné les décisions invoquées par les demandeurs au soutien de leur argument, et je suis convaincu qu'elles peuvent faire l'objet d'une distinction puisqu'elles ont été rendues dans le contexte de négociations de traité en cours ou dans le contexte d'une obligation découlant du cadre de la Environmental Assessment Act. À cet égard, je suis d'accord avec la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans British Columbia (Minister of Forests) v. Westbank First Nation, [2000] B.C.J. No. 1613, que les décisions citées par le demandeur sur cette question n'appuient pas la proposition qu'il suffit d'alléguer des droits pour donner naissance à une obligation fiduciaire de consulter.

[12]      Pour ces motifs, l'appel de la décision du protonotaire est accueilli. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est transformée en action en vertu de l'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale. Si les demandeurs décident de poursuivre, la présente affaire doit être gérée à titre d'instance à gestion spéciale.

                                 « P. ROULEAU »

                                 J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

Le 29 janvier 2001.


Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.





COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-1258-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Chef Larry Commodore et autres c. Procureur
                     général du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 17 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :              29 janvier 2001

ONT COMPARU

Mme Louise Mandell                      POUR LES DEMANDEURS
M. John Hunter                      POUR LE DÉFENDEUR

M. Michael Stephens


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Mandell Pinder                      POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)











Date : 20010129


Dossier : T-1258-00

OTTAWA (Ontario), le 29 janvier 2001

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

     Chef Larry Commodore, Chef de la bande indienne de Soowahlie, en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Soowahlie, et en son nom et au nom de tous les autres membres de la Nation autochtone Sto:lo
     Chef David Sepass, Chef de la bande indienne de Skowkale, en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Skowkale, et en son nom et au nom de tous les autres membres de la Nation autochtone Sto:lo
     Chef Joe Hall, Chef de la bande indienne de Tzeachten, en son nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne de Tzeachten, et en son nom et au nom de tous les autres membres de la Nation autochtone Sto:lo
     Chef Frank Malloway, Chef de la bande indienne de Yakweakwioose, et Chef Dalton Silver, chef intérimaire de la bande indienne de Yakweakwioose, en leur nom et au nom de tous les autres membres de la Nation autochtone Sto:lo

    

demandeurs

ET :


PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


défendeur


ORDONNANCE


[1]      L'appel de la décision du protonotaire est accueilli.



« P. ROULEAU »

J.C.F.C.



Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.

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