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Date : 20031222

Dossier : T-1133-02

Référence : 2003 CF 1512

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN                          

                                                                                   

ENTRE :

                                                        ABBOTT LABORATORIES et

                                                ABBOTT LABORATORIES LIMITED

                                                                                                                                            demanderesses

et         

                                                    LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                                                       APOTEX INC.

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                 Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited (Abbott) interjettent appel de l'ordonnance qu'a rendue la protonotaire Aronovitch le 7 octobre 2003. Celle-ci avait alors radié certains paragraphes des affidavits complémentaires déposés par Apotex Inc. (Apotex) conformément à l'ordonnance antérieure du 28 mai 2003.


LES FAITS                                                                                                             

[2]                 Il s'agit d'une demande fondée sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, sous sa forme modifiée (le Règlement). Le 31 mai 2002, Apotex a signifié à Abbott un avis d'allégation. Dans son avis, Apotex a allégué que le produit pharmaceutique qu'elle a proposé, la clarithromycine, ne contrefera pas le brevet que détiennent les demanderesses, soit le brevet canadien no 2,261,732 (le brevet 732) pour la clarithromycine, en raison de son invalidité.

[3]                 Le 18 juillet 2002, Abbott a introduit une instance en vertu de l'article 6 du Règlement pour solliciter une ordonnance interdisant au ministre défendeur de délivrer à Apotex un avis de conformité (AC) pour des comprimés de clarithromycine avant l'expiration du brevet 732. Les parties ont alors déposé leurs preuves suivant l'échéancier fixé dans une ordonnance datée du 9 septembre 2002.

[4]                 Le 28 mai 2003, en sa qualité de juge responsable de la gestion de l'instance, la protonotaire Aronovitch a rendu une ordonnance de consentement à la suite du dépôt par Abbott d'un avis de requête sollicitant l'autorisation de produire d'autres preuves en application de la règle 312 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles). L'ordonnance du 28 mai 2003 prévoit :


[TRADUCTION]

VU LA REQUÊTE présentée par la demanderesse Abbott Laboratories, Ltd. (Abbott) sollicitant une ordonnance lui permettant de déposer les affidavits complémentaires des Drs Stephen Byrn, Allan Myerson, Jerry Atwood et Leonard J. Chyall en application de la règle 312.     

VU le consentement déposé par Abbott et Apotex Inc. :

LA COUR ORDONNE QUE Abbott peut déposer les affidavits du Dr Stephen Byrn, daté du 1er avril 2003, du Dr Allan Myerson, daté du 1er avril 2003, du Dr Jerry Atwood, daté du 2 avril 2003, et du Dr Leonard J. Chyall, daté du 1er avril 2003.

LA COUR ORDONNE QUE Apotex peut déposer des preuves complémentaires au plus tard le 15 juin 2003, pourvu qu'il s'agisse d'une contre-preuve acceptable eu égard aux affidavits susmentionnés.

LA COUR ORDONNE QU'advenant un litige concernant le bien-fondé ou la portée de toute preuve complémentaire déposée par Apotex conformément au paragraphe 2 ci-dessus, ce litige sera tranché par voie de requête adressée à la Cour préalablement à l'instruction de la demande en l'espèce.

LA COUR ORDONNE QUE les dépens de la requête suivent l'issue de la cause.

[5]                 Conformément à l'ordonnance du 28 mai 2003, Abbott a déposé les affidavits des Drs Stephen Byrn, Allan S. Myerson et Jerry L. Atwood. En réponse, Apotex a produit les affidavits des Drs Robert Allan McClelland, Robert S. Brown et Nicholas A. Taylor.

[6]                 S'opposant à certains extraits de ces affidavits produits par Apotex, Abbott a déposé un avis de requête le 1er août 2003 pour obtenir une ordonnance radiant certains extraits des affidavits en réponse des Drs Brown et McClelland, ainsi que des extraits de l'affidavit du Dr Taylor, au motif qu'il ne s'agissait pas d'une contre-preuve acceptable. Subsidiairement, si ces extraits n'étaient pas radiés, Abbott a demandé que lui soit accordée l'autorisation de répondre aux affidavits déposés par Apotex.


[7]                 La requête contestée a été débattue devant la protonotaire Aronovitch le 7 août 2003. Celle-ci a rendu une ordonnance assortie de motifs par voie d'inscription, le 7 octobre 2003, en ces termes :

[TRADUCTION]                                       

1.             La requête est accordée selon les modalités suivantes.

2.            Apotex fera comparaître le Dr Ray pour contre-interrogatoire sur le contenu du paragraphe 28 de Brown #2 et du paragraphe 34 de McClelland #2, comme s'il s'agissait de ses propres déclarations. De plus, en ce qui concerne le paragraphe 30 de Brown #2, Apotex fera comparaître pour contre-interrogatoire une personne ayant une connaissance directe de l'utilisation de l' « aspirateur » y mentionné.

3.             Les paragraphes 4 à 10 de Brown #2, et 4 à 12 de McClelland #2 sont radiés sous réserve du droit d'Apotex de traiter de leur objet lors du contre-interrogatoire sur les affidavits d'Abbott quant au fond. Apotex signifiera et déposera ses affidavits, modifiés en conséquence, au plus tard le 10 octobre 2003.

4.            Apotex fera comparaître un représentant de BCI qui attestera qu'il a communiqué à Brown et à McClelland les tests mentionnés dans Brown #2 et McClelland #2.

5.            Si les parties ne peuvent s'entendre sur la questions des dépens, ceux-ci peuvent être examinés séparément.

PRÉTENTIONS


[8]                 Abbott soutient que la protonotaire a commis une erreur de droit en laissant inchangés les affidavits contestés, et ce, en dépit des dispositions de son ordonnance portant radiation de certains paragraphes des affidavits des Drs Brown et McClelland. Abbott prétend que les affidavits déposés par Apotex ne satisfont pas aux critères propres à une « contre-preuve acceptable » dont faisait état l'ordonnance du 28 mai 2003. Qui plus est, Abbott affirme que la protonotaire a omis de se demander si les trois dernières catégories d'éléments contestables relevées par les demanderesses constituaient une « contre-preuve acceptable » et qu'à ce titre, son ordonnance n'était pas motivée.

[9]                 Abbott prétend que la décision de la protonotaire portait sur une question de droit et qu'elle est susceptible de révision sur une base de novo. Selon elle, la requête ne comportait pas l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire dans le cadre de la gestion de l'instance. Invoquant la décision récente du juge Pelletier dans Halford c. Seed Hawk Inc., [2003] CFPI 141, les demanderesses font valoir que la protonotaire a omis de recourir au critère juridique applicable à l'examen des affidavits en réponse produits par Apotex.

[10]            Abbott a classé les preuves contestables sous quatre rubriques :

1.         Nouveaux résultats de tests;

2.        Nouvelles analyses des tests antérieurs;

3.        Reformulation ou nouvel argument sur des questions déjà traitées dans les affidavits initialement déposés par Apotex;

4.        Question tout à fait nouvelle.

[11]            Selon Abbott, la protonotaire a traité de la première catégorie de preuve contestée dans le paragraphe suivant de son inscription :


[TRADUCTION]

Je traiterai à présent des expériences ou des données résultant des tests menés (par BCI) pour le compte d'Apotex, qui ne les avait jamais divulguées et qui cherche maintenant à les produire en réponse à la réponse. Les paragraphes 15 et 33 de McClelland #2 ainsi que les paragraphes 27, 33 et 36 de Brown #2 sont notamment contestés sur ce fondement.

Je prendrai à titre d'exemple les données sur la diffraction des rayons X pour ARC-I-19-1, jointes récemment au dossier comme pièce 3 à McClelland #2, censément en réponse au paragraphe 28 de l'affidavit de Myerson. Nul doute que Myerson ne faisait pas qu'affirmer que certains tests ne lui avaient pas été communiqués; il émet également son opinion sur la manière d'interpréter l'absence de données et de conclusions qui s'imposent (dans la même veine, voir le paragraphe 47 de Myerson). Bien que ce soit depuis tout récemment qu'on cherche à produire la preuve, dans les circonstances, j'estime qu'elle s'inscrit à juste titre en réponse au témoignage de Myerson. Cela vaut également pour les autres preuves contestées sur un fondement analogue.

[12]            Quant aux autres catégories, elle a fait remarquer ce qui suit :

[TRADUCTION]

Quant aux autres questions contestées liées aux nouvelles formulations ou aux nouvelles analyses, encore une fois, aucune preuve d'expert n'a été produite; par exemple, quant à l'incapacité pour les demanderesses de procéder à la même analyse à laquelle Apotex a procédé, ou quant au préjudice.

[13]            Selon Abbott, la protonotaire a commis une erreur de plus lorsqu'elle a rejeté la requête pour absence de preuve d'expert au soutien d'une allégation de préjudice à l'endroit des demanderesses, à ce jour, lequel préjudice découlerait du dépôt des affidavits d'Apotex.


[14]            Apotex estime que l'ordonnance de la protonotaire ne comporte aucune erreur susceptible de révision, que ses affidavits répondaient aux questions soulevées dans les affidavits complémentaires produits par Abbott et que l'admissibilité de ses affidavits, dans la présente instance, relevait du pouvoir discrétionnaire dont jouit le protonotaire en vertu de l'article 312 des Règles.

[15]            Apotex invoque également la nature de la présente procédure, soit le fait qu'il s'agit d'une procédure sommaire au sens du Règlement et des Règles. Il ne s'agit pas d'un procès et les règles en matière d'admissibilité de la preuve dans le cadre d'un procès ne s'appliquent pas à proprement parler en l'espèce. Les demanderesses ont saisi la protonotaire d'une requête en radiation d'affidavits. Pareille requête fait intervenir l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Rien ne justifie l'annulation de l'ordonnance en question.

DISPOSITIF

[16]            Le présent appel porte sur une question précise. En disposant comme elle l'a fait de la requête présentée par Abbott, la protonotaire a-t-elle commis une erreur telle que notre Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire sur une base de novo, suivant le critère énoncé dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.). À mon avis, ce n'est pas le cas.

[17]            Je ne relèverai pas les détails contenus dans les affidavits auxquels les demanderesses s'opposent, vu que les documents déposés en l'espèce font l'objet d'une ordonnance de non-divulgation et, quoi qu'il en soit, les détails sont connus des parties.


[18]            Les affidavits en cause font suite aux questions soulevées dans les affidavits des demanderesses. Abbott l'admet, mais fait cependant valoir que les affidavits déposés par Apotex ne satisfont pas au critère de la « contre-preuve acceptable » au sens de l'affaire Halford, précitée, où la Cour a dit, au paragraphe 15 :

En conséquence, j'estime que les principes suivants régissent l'admissibilité des contre-preuves :

1 - La preuve qui sert uniquement à corroborer une preuve déjà soumise au tribunal n'est pas admissible.

2- La preuve qui porte sur une question qui a été soulevée pour la première fois en contre-interrogatoire et qui aurait dû faire partie de la preuve principale du demandeur n'est pas admissible. Toute autre nouvelle question qui se rapporte à une des questions en litige et qui ne vise pas uniquement à contredire un des témoins de la défense est admissible.

3- La preuve qui sert uniquement à réfuter un élément de preuve qui a été présenté en défense et qui aurait pu être présenté dans le cadre de la preuve principale n'est pas admissible.

[19]            À mon avis, le critère strict servant à qualifier la contre-preuve dans le cadre d'un procès ne s'applique pas nécessairement aux procédures engagées en vertu du Règlement. Ces procédures sont introduites par voie de demande; voir Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 377. Elles sont régies par la Partie 5 des Règles.


[20]            Ces Règles ne prévoient rien sur le dépôt de la contre-preuve, mais la règle 312 traite du dépôt d'affidavits complémentaires. La question a été examinée dans le contexte des anciennes Règles de la Cour fédérale dans Eli Lilly Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 15, où la Cour a relevé trois facteurs à considérer dans le cadre d'une demande de dépôt d'affidavits complémentaires : la preuve complémentaire va-t-elle dans le sens des intérêts de la justice? aidera-t-elle la Cour? et causera-t-elle un préjudice grave à la partie adverse?

[21]            Abbott tente en l'occurrence de donner un caractère technique et formaliste aux termes « contre-preuve acceptable » , ce qui n'est pas justifié. Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire, et non pas d'un procès, et les règles générales en matière d'admissibilité de la preuve ne s'appliquent pas. La protonotaire tranchait une requête visant le dépôt d'affidavits complémentaires et, selon moi, elle a tenu compte des facteurs appropriés tels qu'ils ont été établis dans la jurisprudence actuelle.

[22]            Parmi ces facteurs, on retrouve la question du préjudice. La protonotaire n'a pas requis l'introduction d'une preuve d'expert en soi sur la question du préjudice. À mon avis, la référence relative à l'absence de preuve d'expert pour le compte d'Abbott, en réponse à la requête, doit être interprétée à la lumière de l'absence de preuve d'expert quant à son incapacité de procéder à la même analyse qu'Apotex.

[23]            En définitive, je ne relève aucune erreur dans la manière dont la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en application des Règles, plus particulièrement de la règle 312, et rien ne justifie l'annulation de l'ordonnance. L'appel est rejeté et les dépens sont adjugés à Apotex.


[24]            Si elle n'obtient pas gain de cause dans le cadre de cette requête - comme c'est le cas -, Abbott a demandé l'autorisation de répondre aux affidavits d'Apotex. La protonotaire ne lui a pas accordé cette autorisation. De même, je ne vois pas la nécessité d'accorder cette autorisation, mais la question peut être soulevée auprès du juge responsable de la gestion de l'instance, le cas échéant.

                                           ORDONNANCE

L'appel est rejeté et les dépens sont adjugés à Apotex.

                                                                            « E. Heneghan »

ligne

                                                                                                              juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                       COUR FÉDÉRALE

                                                         

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-1133-02

INTITULÉ :              ABBOTT LABORATORIES ET AL

                                                                                              demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AL

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 26 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                     LE 22 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :                                        Andrew Reddon / Meghan Leon

                                       Pour la demanderesse

Andrew Brodkin / David Lederman

Pour la défenderesse (Apotex)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Goodmans

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse (Apotex)        


Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

                                                                                                                   


COUR FÉDÉRALE

                                Date : 20031222

Dossier : T-1133-02

                               

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES ET AL

                                      demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                              défendeur

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                   


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