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Date : 20000317


Dossier : IMM-1031-00



ENTRE :


RICARDO GARDNER


demandeur


et



MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON


Introduction

[1]      Les présents motifs font suite à une demande de sursis de l"exécution d"une mesure de renvoi du Canada qui a été prise contre le demandeur. La demande m"a été présentée la première fois par conférence téléphonique le 9 mars 2000 en fin d"après-midi; à ce moment-là, le demandeur et son avocat craignaient que le défendeur renvoie ce dernier à Trinité le soir même. Après cette audition, j"ai ordonné qu"il soit sursis à l"exécution de la mesure de renvoi jusqu"au vendredi 10 mars, à 15 h, et j"ai ajourné l"audition par conférence téléphonique jusqu"au 10 mars, à 14 h 15, car j"estimais qu"au moment de la reprise de la conférence téléphonique, la Cour disposerait de meilleurs éléments de preuve concernant les faits de l"affaire, et une explication raisonnablement complète serait alors fournie pour ce qui est du fondement de la prétention du défendeur selon laquelle il était en droit de renvoyer le demandeur du Canada contre son gré.

[2]      Malheureusement, à la reprise de la conférence téléphonique, de meilleurs éléments de preuve n"ont pas été produits à la Cour et une explication considérablement plus claire du fondement de la prétention du défendeur selon laquelle il aurait été en droit de renvoyer le demandeur du pays ne lui a pas été fournie. En conséquence, comme nous estimions qu"il se pouvait que le défendeur renvoie le demandeur du Canada contre son gré sans qu"il n"en ait le pouvoir, j"ai rendu une autre ordonnance, que voici :

[TRADUCTION]
La Cour ordonne qu"il soit sursis, le 9 mars 2000 à partir de 15h, à l"exécution du renvoi du demandeur, jusqu"à ce que la mesure d"interdiction de séjour qui a été prise contre lui le 7 mars 2000 devienne, le cas échéant, une mesure d"expulsion.
Le demandeur a l"autorisation de demander, après l"expiration du présent sursis, un autre sursis qui sera valide jusqu"à ce que la demande d"autorisation ci-jointe [soit tranchée] et, dans le cas où l"autorisation est accordée, jusqu"à ce que la demande de contrôle judiciaire ci-jointe soit tranchée.
Les motifs suivront.
     [les mots entre crochets paraissent dans l"ordonnance originale par erreur]

[3]      La demande d"autorisation et de contrôle judiciaire qui sous-tend la demande de sursis concerne la mesure d"expulsion qui a été prise contre le demandeur le 7 mars.

Le contexte

[4]      Le demandeur est un citoyen de Trinité âgé de 30 ans. Il est arrivé au Canada en tant que visiteur en 1996. Son statut de visiteur a été renouvelé une fois, jusqu"au 16 avril 1998. Depuis lors, il séjourne au Canada sans statut.

[5]      Le demandeur soutient qu"il craint de retourner à Trinité en raison de ce qui paraît être la vendetta que mène un individu dont la tentative de coup d"État contre le gouvernement de Trinité a échoué. L"individu, pour une quelconque raison, du moins dans l"esprit du demandeur, estime que ce dernier est responsable du fait que sa tentative a échoué. Le demandeur a attendu jusqu"au 8 mars dernier avant de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. Il n"a pas, semble-t-il, autrement tenter de régulariser son statut au Canada après le 16 avril 1998.

[6]      Le demandeur et son avocat soutiennent que le défendeur tente de le renvoyer du Canada contre son gré, à un moment où la mesure d"interdiction de séjour qui a été prise contre lui n"est pas devenue une mesure d"expulsion.

La question litigieuse

[7]      La seule question litigieuse que soulève la présente demande est de savoir si le défendeur peut renvoyer le demandeur contre son gré, à ce moment-ci, sur le fondement de la mesure d"interdiction de séjour qu"il a prise contre lui. Le défendeur n"ayant pas produit d"affidavit relativement à la demande de sursis, j"ai supposé, pour les fins de mon ordonnance et des présents motifs, que le défendeur était, à l"époque pertinente, en train de renvoyer le demandeur du pays contre son gré sur le seul fondement de la mesure d"interdiction de séjour.

L"analyse

[8]      Dans la terminologie de la Loi sur l"immigration1 (la Loi), les mesures d"interdiction de séjour sont visées, à l"instar des mesures d"expulsion et des mesures d"exclusion, par l"expression " mesure de renvoi "2. L"article 48 de la Loi prévoit qu"une mesure de renvoi et, par conséquent, qu"une mesure d"interdiction de séjour, doit être " ...exécutée dès que les circonstances le permettent ". Cela dit, la différence entre une mesure d"interdiction de séjour et une mesure d"expulsion est que la mesure d"interdiction de séjour fournit à l"intéressé, pendant un temps limité, l"occasion de quitter le Canada de son gré et donc d"obtenir une attestation de départ qui lui permettra, en supposant qu"il respecte les dispositions législatives pertinentes généralement applicables, de revenir au pays sans devoir d"abord obtenir le consentement du défendeur3. Dans le cas où la personne qui fait l"objet de la mesure d"interdiction de séjour ne quitte pas le Canada de son gré dans le délai prescrit, habituellement une période de 30 jours suivant la date à laquelle la mesure d"interdiction de séjour devient applicable4, cette mesure devient légalement une mesure d"expulsion5.

[9]      Compte tenu de ce qui précède, la Loi paraît également prévoir le renvoi d"un individu comme le demandeur contre son gré pendant que la mesure d"interdiction de séjour est toujours en vigueur et avant qu"elle ne devienne une mesure d"expulsion. Voici le libellé du paragraphe 55(3) de la Loi :

3) A person against whom a departure order has been made

(a) who

(i) complies with section 32.01, is issued a certificate of departure under that section and leaves Canada voluntarily before the expiration of the applicable period specified for the purposes of subsection 32.02(1), or

(ii) is removed from Canada before the expiration of that period and has been issued a certificate of departure under section 32.01, or

(b) who is detained before the expiration of the applicable period specified for the purposes of subsection 32.02(1), who is still in detention under this Act at the expiration of that period and who is subsequently removed from Canada,

may, if the person otherwise meets the requirements of this Act and the regulations, return to Canada without the written consent of the Minister

(3) Peuvent revenir au Canada sans l'autorisation écrite du ministre, si elles satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements, les personnes suivantes_:

a) celles qui font l'objet d'une mesure d'interdiction de séjour et qui quittent volontairement le Canada ou en sont renvoyées, conformément à l'article 32.01, avant l'expiration de la période réglementaire applicable prévue au paragraphe 32.02(1);

b) celles qui, ayant fait l'objet d'une mesure d'interdiction de séjour, sont en détention avant la date d'expiration de cette période, se trouvent encore en détention en vertu de la présente loi à cette date et sont par la suite renvoyées du Canada.


[10]      Le sous-alinéa 55(3)a)(ii) de la Loi paraît conférer au défendeur le droit de renvoyer un individu comme le demandeur pendant que la mesure d"interdiction de séjour est toujours en vigueur et avant qu"elle ne devienne une mesure d"expulsion, du moins de façon implicite, qu"une attestation de départ ait ou non été délivrée à l"individu en vertu de l"article 32.01 de la Loi.

[11]      Madame le juge Sharlow, du temps qu"elle était juge à la Section de première instance de notre Cour, a traité de cette question dans le passage suivant, tiré des motifs qu"elle avait exposés dans Trasmundi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)6 :

Le demandeur soutient qu'en raison de l'article 32.02 de la Loi sur l'immigration, la mesure d'interdiction de séjour et la détention sont incompatibles sur le plan du droit et que cette dernière est donc illégale.
Si je le comprends bien, l'argument peut être résumé comme suit. La mesure d'interdiction de séjour exige du demandeur qu'il quitte le Canada mais sa détention l'empêche de s'y conformer. Par une mesure d'interdiction de séjour, le ministre donne à une personne le droit de quitter le Canada volontairement, à condition seulement qu'elle signale son départ au fonctionnaire compétent en la matière, conformément à l'article 32.01, afin de permettre à celui-ci de lui remettre une attestation de départ. Selon le paragraphe 32.02(1), si aucune attestation de départ n'est délivrée dans le délai prévu au Règlement, la mesure d'interdiction de séjour devient une mesure d'expulsion. En vertu du paragraphe 32.02(3), la présomption prévue au paragraphe 32.01(1) ne s'applique pas à une personne qui est détenue après la prise d'une mesure d'interdiction de séjour contre elle et qui se trouve encore en détention à l'expiration de la période prescrite. En conséquence, en l'espèce, la mesure d'interdiction de séjour ne peut pas devenir une mesure d'expulsion tant que le demandeur se trouve en détention. Non seulement la détention du demandeur l'empêche de partir volontairement, mais elle empêche le ministre de le renvoyer contre son gré, ce qui signifie qu'il pourrait demeurer en détention à perpétuité. Il doit s'en suivre que la détention est illégale.
L'erreur dans ce raisonnement est que le ministre n'est pas empêché de renvoyer le demandeur contre son gré [...]. Une mesure d'interdiction de séjour, à l'instar d'une mesure d'expulsion, constitue une mesure de renvoi et est exécutoire de la même façon. Il y a une différence entre ces deux types de mesure en ce sens que la personne qui est frappée par une mesure d'interdiction de séjour peut avoir un droit supérieur en vertu de l'article 55 de revenir au Canada après avoir quitté ce pays. [Citations omises.]

[12]      Les faits de l"affaire dont Madame le juge Sharlow était saisie différaient, semble-t-il, considérablement des faits de l"espèce, dans la mesure où on les connaît. Cela dit, avec égards, je ne souscris pas entièrement au raisonnement de Madame le juge Sharlow. Je ne suis pas disposé à interpréter le sous-alinéa 55(3)a )(ii) de la Loi, ou la réalité qu"une mesure d"interdiction de séjour, à l"instar d"une mesure d"expulsion, constitue une mesure de renvoi, d"une façon qui m"amène à conclure qu"une mesure d"interdiction de séjour est applicable de la même façon qu"une mesure d"expulsion. Je suis convaincu que tirer cette conclusion reviendrait à conférer au défendeur le pouvoir de contrecarrer le régime législatif, qui établit une distinction entre les mesures d"interdiction de séjour et les mesures d"expulsion, ce qui permettrait au défendeur de renvoyer du Canada, contre son gré, un individu comme le demandeur, sans permettre à ce dernier d"obtenir l"avantage du fait qu"un arbitre a choisi de prendre une mesure d"interdiction de séjour contre lui au lieu d"une mesure d"expulsion. Pour éviter ce résultat, j"interprète le sous-alinéa 55(3)a )(ii) de la Loi de façon plus générale, en estimant qu"il ne confère au défendeur que le pouvoir de renvoyer contre son gré une personne qui fait l"objet d"une mesure d"interdiction de séjour qui a été prise dans une situation où une attestation de départ a été délivrée à cette dernière en vertu de l"article 32.01 de la Loi.

[13]      Compte tenu du nombre très restreint d"éléments de preuve dont j"ai été saisi dans la présente affaire, je suis convaincu que le défendeur avait le pouvoir, en vertu de l"article 103 de la Loi, d"arrêter et de détenir le demandeur, s"il était d"avis qu"il y avait des motifs raisonnables de croire que ce dernier ne quitterait pas le Canada de son gré ou ne se présenterait pas aux autorités en vue d"en être renvoyé de son gré. Il ressort plutôt de la preuve limitée dont je dispose que le demandeur a été arrêté et escorté de la région d"Ottawa jusqu"à Toronto. Cependant, la preuve dont je dispose ne permet pas de répondre à la question de savoir si, après avoir amené le demandeur à Toronto, le défendeur avait l"intention de le renvoyer du Canada contre son gré, alors qu"il faisait toujours l"objet d"une mesure d"interdiction de séjour et non d"une mesure d"expulsion, sans d"abord lui délivrer une attestation de départ en vertu de l"article 32.01 de la Loi.

[14]      Je ne partage pas l"avis de l"avocat qui a plaidé devant Madame le juge Sharlow, avis qui se reflète dans le passage précité des motifs qui ont été exposés dans l"affaire Trasmundi , selon lequel il pourrait résulter d"une interprétation comme la mienne qu"un individu comme le demandeur soit détenu à perpétuité. On peut, selon moi, opposer quatre objections à un tel avis. Premièrement, dans le cas où l"intéressé, se trouvant en détention, accepterait de quitter le pays de son gré après avoir reçu une attestation de départ, le défendeur aurait l"obligation légale de faciliter son départ. Deuxièmement, dans le cas où l"intéressé, se trouvant en détention, refuserait fermement de quitter le pays de son gré, le défendeur pourrait néanmoins, selon mon interprétation du sous-alinéa 55(3)a )(ii) de la Loi, le renvoyer contre son gré, après lui avoir délivré une attestation de départ. Troisièmement, la Loi prévoit que la mesure de détention doit fait l"objet de contrôles périodiques et, dans le cas où les résultats de ces contrôles demeuraient résolument défavorables à l"intéressé, que ces décisions pourraient faire l"objet d"un contrôle judiciaire. Enfin, dans le cas où l"intéressé préférerait être indéfiniment détenu au lieu de quitter le pays de son gré et le défendeur ne voudrait pas lui délivrer une attestation de départ, je ne suis pas disposé à conclure que les agents de ce dernier ne pourraient libérer l"intéressé et, par la suite, le surveiller de très près, de sorte qu"au moment où la mesure de renvoi deviendrait une mesure d"expulsion, on pourrait l"appréhender et le renvoyer du pays contre son gré. Je conviens que cette dernière procédure pourrait s"avérer compliquée et onéreuse, mais je ne peux concevoir que le défendeur doive souvent y recourir.

[15]      Compte tenu de l"analyse qui précède, en l"absence d"une quelconque garantie que le défendeur délivrerait une attestation de départ au demandeur avant de le renvoyer du pays contre son gré, j"ai rendu l"ordonnance susmentionnée.

[16]      J"ai intentionnellement omis de faire des remarques dans les présents motifs sur la question de savoir si une mesure d"interdiction de séjour a, à bon droit, été prise contre le demandeur. Je suis convaincu que cette question ne devait pas être examinée dans le cadre de la demande de sursis qui m"a été soumise. Il s"agit plutôt d"une question qui doit être examinée dans le cadre de la demande


d"autorisation et, si l"autorisation est accordée, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire qui sous-tend la demande dont j"ai été saisi.

" Frederick E. Gibson "

                                         J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

Le 17 mars 2000










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                  IMM-1031-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :          RICARDO GARDNER c. MCI



LIEU DE LA CONFÉRENCE TÉLÉPHONQUE :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE LA CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE :      LE 10 MARS 2000

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                  17 MARS 2000


ONT COMPARU :             

M. ISAAC SÉCHÈRE

                                 POUR LE DEMANDEUR

MME SUZANNE PEREIRA     

                                 POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

    

M. ISAAC SÉCHÈRE

                                 POUR LE DEMANDEUR


M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

                                 POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      Voir la définition de " mesure de renvoi " au paragraphe 2(1) de la Loi.

3      Voir les paragraphes 55(1) et (3) de la Loi .

4      Voir le paragraphe 27(1) du Règlement sur l"immigration de 1978, DORS/78-172.

5      Voir le paragraphe 32.02(1) de la Loi.

6      [1999] J.C.F. no 982 (Q.L.).

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