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Date : 20030717

Dossier : T-1319-02

Référence : 2003 CF 892

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2003

En présence de :         Madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                             BOSTON PIZZA INTERNATIONAL INC.

                          et BOSTON PIZZA ROYALTIES LIMITED PARTNERSHIP

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

             BOSTON MARKET CORPORATION, LES RESTAURANTS McDONALD

                    DU CANADA LIMITÉE, BOSTON MARKET CANADA COMPANY

                   et GLOBAL RESTAURANT OPERATIONS OF IRELAND LIMITED

                                                                                                                                              défenderesses

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une requête intentée par les demanderesses en vue d'obtenir une ordonnance rejetant la demande reconventionnelle présentée par les défenderesses.


LES FAITS

[2]                 La demanderesse, Boston Pizza International Inc. (BPI), concède des franchises à l'égard de restaurants Boston Pizza au Canada. Elle est également propriétaire et exploitante de deux restaurants Boston Pizza. BPI et ses prédécesseurs exploitent et franchisent des restaurants portant le nom Boston Pizza depuis 1964.

[3]                 BPI et ses prédécesseurs ont utilisé diverses marques de commerce dans l'exploitation des restaurants Boston Pizza, notamment les suivantes (les marques de commerce Boston Pizza) :

Marque de commerce

Date de premier emploi

Date d'enregistrement

N º d'enregistrement

Boston Pizza

5 novembre 1965

18 septembre 1970

LMC 171,428

BP et dessin y afférent

5 novembre 1965

18 septembre 1970

LMC 171,429

BP et dessin y afférent

Décembre 1969

11 février 1972

LMC 181,249

BP's Lounge

12 avril 1983

3 août 1984

LMC 293,639

BP's Bistro

1er août 1988

3 novembre 1989

LMC 362,359

Boston's The Gourmet Pizza

8 février 1993

9 avril 1993

LMC 410,558

Boston Pizza Quick Express

27 novembre 1992

17 juin 1994

LMC 429,024

[4]                 En juillet 2002, BPI a participé à la constitution du Boston Pizza Royalties Income Fund. Tous les droits de propriété de la société dans les marques de commerce Boston Pizza ont été cédés à Boston Pizza Royalties Limited Partnership (la société en commandite).


[5]                 Les défenderesses, Boston Market Corporation, Les Restaurants McDonald du Canada Limitée, Global Restaurant Operations of Ireland Limited et Boston Market Canada Company (BMC), exploitent des restaurants sous le nom de Boston Market.

[6]                 Le 15 août 2002, BPI a intenté une action contre BMC pour contrefaçon de marque de commerce en vertu de l'article 20 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi), pour diminution de la valeur de l'achalandage attaché à ses marques de commerce déposées, en vertu de l'article 22 de la Loi, et pour commercialisation trompeuse en vertu de l'alinéa 7b) de la Loi.

[7]                 Le 7 octobre 2002, BMC a déposé une défense et une demande reconventionnelle. Dans sa demande reconventionnelle, BMC cherche à obtenir une ordonnance de radiation des enregistrements des marques de commerce Boston Pizza aux motifs que les marques ne sont pas distinctives de BPI en raison de l'emploi par des tiers de marques de commerce comportant le mot « Boston » et que les marques de commerce BOSTON PIZZA, BOSTON'S THE GOURMET PIZZA et BOSTON PIZZA QUICK EXPRESS n'étaient pas enregistrables du fait qu'elles étaient et continuent d'être une description claire d'un style de pizza associé à la ville de Boston, au Massachusetts.

L'ANALYSE


[8]                 Le paragraphe 57(1) de la Loi confère à la Cour la compétence exclusive d'ordonner qu'une inscription au registre soit biffée ou modifiée :


57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu'une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.


[9]                 Dans sa demande reconventionnelle, BMC cherche à faire radier les marques de commerce Boston Pizza au motif qu'elles ne sont pas distinctives de BPI, en vertu de l'alinéa 18(1)b) de la Loi :


18. (1)    L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

[...]

b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement;

[...]

18. (1)    The registration of a trade-mark is invalid if

[...]

b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, [...]


[10]            BMC cherche également à faire radier les marques de commerce BOSTON PIZZA, BOSTON'S THE GOURMET PIZZA et BOSTON PIZZA QUICK EXPRESS au motif que ces marques n'étaient pas enregistrables car elles étaient et continuent d'être une description claire des marchandises en liaison avec lesquelles elles sont employées, en vertu des alinéas 18(1)a) et 12(1)b) de la Loi :



18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement;

18. (1)    The registration of a trade-mark is invalid if

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,



12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :

[...]

b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[...]

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;


[11]            BPI et la société en commandite intentent une requête en vue d'obtenir une ordonnance rejetant la demande reconventionnelle déposée par BMC.

[12]            L'article 216 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, confère à la Cour le pouvoir de prononcer un jugement sommaire dans le cas où il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense.

[13]            Dans la décision Granville Shipping c. Pegasus Lines Ltd. (1re inst.), [1996] 2 C.F. 853, j'ai résumé les principes généraux qui s'appliquent à l'examen d'une requête en jugement sommaire :

1. ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al.);


2. il n'existe pas de critère absolu (Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le)), mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. c. Gillespie. Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth et Feoso);

4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario [R.R.O. 1990, Règl. 194]) peuvent faciliter l'interprétation (Feoso et Collie);

5. saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) (Patrick);

6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman et Sears);

7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (Forde et Sears). L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit « se pencher de près » sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes). [Renvois omis.]

[14]            BPI soutient d'abord que la demande reconventionnelle doit être rejetée en raison du caractère distinctif des marques de commerce Boston Pizza.


[15]            L'appréciation du caractère distinctif d'une marque de commerce soulève la question de savoir si la marque employée en liaison avec les marchandises distingue aux yeux du consommateur la source de ces marchandises. La Cour doit se demander si le consommateur moyen, dans le marché de ce type de produit, serait susceptible d'être induit en erreur au sujet de la source du produit (Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc. (1re inst.), [2001] 2 C.F. 536).

[16]            Le caractère distinctif exige qu'une marque soit reliée à un produit ou un service, que le propriétaire utilise le lien entre la marque et le produit ou le service et vende le produit ou le service, et enfin que l'association permette au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui des autres personnes (Phillip Morris Incorporated c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254).

[17]            La date pertinente pour apprécier le caractère distinctif d'une marque de commerce est la date où la marque est attaquée, en l'espèce le 7 octobre 2002.

[18]            Dans sa demande reconventionnelle, BMC fait valoir que l'emploi au Canada par des tiers d'un grand nombre de marques de commerce et de noms commerciaux comportant le mot « Boston » enlève leur caractère distinctif aux marques de commerce Boston Pizza.


[19]            À l'opposé, BPI soutient que toutes ses marques de commerce Boston Pizza ont été largement utilisées dans l'exploitation de restaurants Boston Pizza au Canada. Ces marques de commerce ont été annoncées, ont fait l'objet de promotion et sont notoirement connues du public en liaison avec les marchandises et services fournis par BPI. L'emploi occasionnel du mot « Boston » par des tiers qui exploitent des restaurants au Canada n'affecte en rien le caractère distinctif des marques de commerce Boston Pizza.

[20]            BPI s'appuie sur l'affidavit de Roger Barnes, qui décrit les résultats d'un sondage téléphonique réalisé par Thompson Lightstone & Company entre le 14 et le 20 mars 2002. En réponse à la question [traduction] « Avez-vous entendu parler de restaurants appelés Boston Pizza? » , 55 % des Canadiens interrogés ont répondu qu'ils avaient entendu parler de restaurants Boston Pizza, et plus de 95 % dans l'Ouest du Canada. Ces résultats établissent le caractère distinctif des marques de commerce Boston Pizza.

[21]            En outre, BPI souligne que deux de ses marques de commerce attaquées sont des dessins-marques, qui ont un caractère distinctif inhérent, et que ses marques de commerce BP'S LOUNGE et BP'S BISTRO n'emploient pas le mot « Boston » et ne sont donc pas touchées par les marques de commerce de tiers qui comportent le mot « Boston » .

[22]            Je suis convaincue que les marques de commerce BP et dessin y afférent (LMC 181,249 et LMC 171,429) ont un caractère distinctif inhérent dans la mesure où elles sont uniques. Aucune de ces marques de commerce n'utilise le mot « Boston » . Dans cette mesure, j'estime que l'opposition de BMC à la validité de ces marques de commerce doit être rejetée.

[23]            Je suis également d'avis que l'opposition de BMC à la validité des marques de commerce BP'S LOUNGE (LMC 293,639) et BP'S BISTRO (LMC 362,359) doit être rejetée parce qu'aucune de ces marques ne contient le mot « Boston » comme élément de la désignation.

[24]            Toutefois, s'agissant des autres marques de commerce, BOSTON PIZZA, BOSTON'S THE GOURMET PIZZA et BOSTON PIZZA QUICK EXPRESS, je pense qu'il existe une véritable question litigieuse, soit de savoir si l'emploi par des tiers de marques de commerce où figure le mot « Boston » les a rendues non distinctives.

[25]            BMC a établi en preuve qu'il existe un grand nombre de restaurants au Canada qui utilisent le mot « Boston » dans leur dénomination, sur leurs enseignes et sur leurs menus. Ces éléments de preuve sont présentés dans les affidavits d'Alan Ross, Teresa Martin, Jack Trapp, Adam Joseph, Michael Morgan, John Plessas, Bob Hissink, Santina Serson, William Cooke et Kellie Dunbar. Si la preuve établit l'existence au Canada de restaurants faisant usage du mot « Boston » , elle n'indique pas si les usagers des marchandises et services de BPI sont au courant de leur existence. Je ne suis pas en mesure de trancher, sur le fondement de cette preuve, si l'emploi par des tiers qui sont des restaurants au Canada de marques de commerce comportant le mot « Boston » a privé les marques de commerce Boston Pizza de BPI de leur caractère distinctif. J'estime qu'il s'agit là d'une question qui devra être tranchée au procès.

[26]            Par ailleurs, BPI s'appuie sur le sondage téléphonique dont fait état l'affidavit de M. Barnes pour avancer que ses marques de commerce Boston Pizza sont distinctives. Cependant, la fiabilité de ce sondage téléphonique a été critiquée par BMC. BMC est préoccupée notamment par le fait que le sondage ne comportait pas de condition de contrôle, qu'il posait une question orientée et que M. Barnes ne savait pas qui avait mené l'ensemble du sondage, quelles instructions avaient été données aux sondeurs, si on avait utilisé des questions de sélection et si les personnes interrogées se trouvaient bien au Canada.

[27]            À mon avis, la question de savoir si le sondage a été fait correctement doit être traitée au procès, à l'étape où la Cour aura la chance d'entendre le témoignage de M. Barnes, soit en interrogatoire principal soit en contre-interrogatoire.

[28]            Par conséquent, je suis d'avis qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard du caractère distinctif des marques de commerce BOSTON PIZZA, BOSTON'S THE GOURMET PIZZA et BOSTON PIZZA QUICK EXPRESS et que cette question doit être examinée au procès.

[29]            De plus, contrairement à ce que fait observer BPI, je crois que la question du caractère distinctif des marques de commerce Boston Pizza par rapport à l'emploi fait par des tiers de marques de commerce comportant le mot « Boston » n'a jamais été vraiment tranchée et que l'irrecevabilité pour identité des questions en litige ne s'applique pas.


[30]            Le droit actuel en matière d'irrecevabilité pour identité des questions en litige a été résumé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co.(C.A.), [2003] 1 C.F. 242. La Cour a statué :

a) L'irrecevabilitépour identité des questions en litige est plus large et s'applique à des causes d'action distinctes. Elle intervient, selon la jurisprudence, lorsqu'une même question a déjà été tranchée, que la décision judiciaire donnant lieu à l'irrecevabilité est finale et que les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit sont les mêmes que les parties à l'instance où est soulevée la question de l'irrecevabilité.

b) L'irrecevabilitépour identité des questions en litige vise à empêcher un nouveau procès sur une question qui a déjà été tranchée de manière finale et concluante dans un procès antérieur entre les mêmes parties ou leurs ayants droit. Elle s'applique non seulement aux questions tranchées de manière finale et concluante, mais également aux arguments qui auraient pu être soulevés par une partie faisant preuve de diligence raisonnable.

c) L'irrecevabilitépour identité des questions en litige s'applique quand une question a été tranchée dans une action entre les parties et que cette décision est déterminante pour une action ultérieure entre les mêmes parties, sans égard au fait que la cause d'action puisse différer.

d) Le règlement final des litiges est une préoccupation de principe fondamentale; une partie ne devrait pas être poursuivie deux fois pour le règlement d'une question qui a déjà été tranchée de manière concluante. Un plaideur n'a droit qu « une seule tentative » .


[31]            Dans l'affaire Boston Pizza International Inc. c. Boston Chicken Inc. (2001), 15 C.P.R. (4th) 345, la demanderesse visait à faire radier les marques de commerce Boston Chicken au motif qu'elles n'étaient pas distinctives et créaient de la confusion avec les marques de commerce Boston Pizza. Bien qu'on ait présenté en preuve l'emploi par des tiers de marques de commerce comportant le mot « Boston » , cette preuve était présentée pour établir que le public était en mesure de faire la différence entre des restaurants dont les noms comportaient le mot « Boston » et que les marques de commerce Boston Chicken et Boston Pizza ne créaient donc pas de confusion entre elles. La question de savoir si les marques de commerce Boston Pizza avaient cessé d'être distinctives aux termes de l'alinéa 18(1)b) en raison de l'usage par des tiers de marques de commerce contenant le terme « Boston » n'a pas été soulevée dans cette affaire.

[32]            Devant la Cour d'appel fédérale, ((2003), 301 N.R. 190), la seule question à trancher était de savoir si les marques de commerce Boston Chicken étaient devenues distinctives. La Cour a décidé que les marques n'étaient pas devenues distinctives comme elles n'avaient pas été employées au Canada. La question du caractère distinctif des marques Boston Pizza n'a pas été soulevée.

[33]            J'estime donc pour cette raison que la question de savoir si les marques de commerce Boston Pizza ont cessé d'être distinctives en raison de l'emploi par des tiers n'a jamais été tranchée de façon décisive et finale. On ne peut donc pas opposer l'irrecevabilité pour empêcher BMC de soulever cette question dans sa demande reconventionnelle.

[34]            BPI soutient ensuite que la demande reconventionnelle devrait être rejetée du fait que les marques de commerce BOSTON PIZZA, BOSTON'S THE GOURMET PIZZA et BOSTON PIZZA QUICK EXPRESS ne constituent pas une description claire des marchandises ou des services en liaison avec lesquels elles sont employées.

[35]            Pour qu'une marque donne une description claire, aux termes de l'alinéa 12(1)b), elle doit faire plus que suggérer seulement la nature ou la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l'égard desquels on projette de l'employer. Le caractère descriptif doit porter sur la composition matérielle des produits ou services ou renvoyer à une qualité intrinsèque manifeste des produits ou des services auxquels est liée la marque de commerce, comme un aspect, un trait ou une caractéristique appartenant au produit lui-même.

[36]            Le critère permettant d'apprécier si une marque de commerce contrevient à l'alinéa 12(1)b) est l'impression immédiate ou la première impression qu'elle produit. La décision ne doit pas être fondée sur une recherche du sens des mots ou sur leur analyse critique (Oshawa Group Ltd. c. Registraire des marques de commerce, [1981] 2 C.F. 18). L'adjectif « claire » de l'alinéa 12(1)b) n'est pas un synonyme de précise, mais signifie plutôt facile à comprendre, évidente ou simple (Drackett Co. of Canada Ltd. c. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29). L'impression doit aussi être appréciée du point de vue de l'acheteur ou de l'utilisateur moyen des marchandises ou services (Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1978), 40 C.P.R. (2d) 25). La perspective des experts ou des consultants spécialisés dans le domaine n'est pas représentative des connaissances du consommateur type ordinaire (Consorzio del Prosciutto di Parma, précitée).

[37]            BMC a établi qu'il existait divers styles de pizzas, nommés selon la ville où ils ont été conçus, par exemple la pizza à la new-yorkaise, à la manière de Chicago et à la bostonienne.


[38]            L'affidavit de Jennifer Stecyk indique que la désignation « Boston pizza » correspond à un style particulier de pizza. Les caractéristiques de la pizza à la bostonienne sont notamment une croûte fine au centre, épaisse autour, la combinaison des fromages mozzarella et cheddar blanc et une sauce à base de tomates. La pizza à la bostonienne se distingue de la pizza à la new-yorkaise et de la pizza à la manière de Chicago par l'épaisseur de la croûte. La pizza à la bostonienne a une croûte plus épaisse que la new-yorkaise, mais plus mince que la pizza à la manière de Chicago.

[39]            BMC a également présenté en preuve le témoignage du président de BPI, M. Corboda, qui a indiqué en contre-interrogatoire sur son affidavit qu'il connaissait la pizza à la manière de Chicago.

[40]            La preuve de BMC soulève la question de savoir s'il existe un style de pizza dit pizza à la bostonienne [Boston pizza en anglais] et si l'acheteur moyen des marchandises et services de BPI estimerait que les marques de commerce visées en donnent une description claire. Je suis d'avis qu'il existe une véritable question litigieuse à examiner au procès. Par conséquent, j'estime qu'il serait inapproprié pour la Cour d'accueillir la requête en jugement sommaire sur la question du caractère descriptif des marques de commerce BOSTON PIZZA, BOSTON'S THE GOURMET PIZZA et BOSTON PIZZA QUICK EXPRESS.

[41]            En outre, BPI soutient que la demande reconventionnelle devrait être rejetée au motif que BMC a donné son acquiescement à l'emploi des marques de commerce Boston Pizza, dont elle connaissait l'existence depuis 1994 et à l'égard duquel elle ne s'est opposée que récemment.

[42]            Une défense fondée sur l'acquiescement peut être accueillie si la partie demandant la radiation (la partie demanderesse) consent à l'emploi et à l'enregistrement de la marque de commerce ou laisse croire à la partie défenderesse que l'emploi qu'elle fait de la marque est correct, au préjudice de la partie défenderesse.

[43]            Dans la décision White Consolidated Industries, Inc. c. Beam of Canada Inc. (1991), 47 F.T.R. 172, le juge Teitelbaum a adopté la définition suivante de l'acquiescement, tirée de l'arrêt Archbold c. Scully (1861), 9 H.L.C. 360 :

Si une partie qui aurait pu s'y opposer demeure passive et permet sciemment à un autre d'engager une dépense pour poser un acte, croyant que nul ne s'y opposerait, elle se trouve, en quelque sorte à avoir autorisé l'autre à modifier sa condition, ce qui revient à dire qu'elle a acquiescé. [...]

[44]            Dans l'arrêt Anheuser-Busch Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Ltd. (1986), 68 N.R. 226, la Cour d'appel fédérale a adopté à la page 238 une formulation du critère de l'acquiescement qui met l'accent sur l'équité entre les parties :

.... l'estoppel par assentiment exige une approche beaucoup plus libérale : il s'agit plutôt de déterminer, dans des circonstances données, s'il serait exagéré de permettre àune partie de s'opposer à une conduite qui lui a causé préjudice mais qu'elle a permise ou encouragée, sciemment ou non, plutôt que de faire enquête sur la situation afin de déterminer si elle peut s'inscrire dans une quelconque formule prédéterminée, utilisée pour jauger toutes les formes de comportement inacceptable.


[45]            Dans l'application de la doctrine de l'acquiescement et du manque de diligence, les facteurs clés à prendre en considération sont la durée du retard et la nature des actes qui sont intervenus, qui peuvent affecter l'une ou l'autre des parties et rompre l'équité entre les parties. Le critère applicable est de savoir si le titulaire du droit a fait quelque chose qui va au-delà du retard pour encourager l'auteur du préjudice à croire que le titulaire du droit ne ferait pas valoir ses droits et si l'auteur du préjudice a agi à son détriment en raison de cette croyance (Institut national des appellations d'origine des vins et eaux de vie c. Andres Wines Ltd. (1987), 16 C.P.R. (3d) 385).

[46]            BPI fait valoir que Boston Market Canada Company et Global Restaurant Operations of Ireland Limited, par leur prédécesseur Boston Chicken, connaissaient l'existence des marques de commerce Boston Pizza et les autres faits qui appuient leur demande reconventionnelle depuis au moins juillet 1994, voire même beaucoup plus tôt lorsqu'ils ont déposé une demande d'enregistrement des marques de commerce Boston Chicken.

[47]            Depuis 1994, BPI a pris un grand nombre de décisions commerciales fondées sur la validité des marques de commerce Boston Pizza. Si la demande reconventionnelle est accueillie, BPI sera ruinée financièrement, ayant pris des décisions commerciales sur la foi de la validité des marques de commerce Boston Pizza. Le retard qu'a mis BMC à soulever ces questions constitue un acquiescement.


[48]            À mes yeux, une conclusion d'acquiescement doit se fonder sur les circonstances particulières suivantes : BPI a-t-elle été incitée à croire, par les actes de BMC et de son prédécesseur, que BMC n'attaquerait pas la validité des marques de commerce Boston Pizza et BPI, en misant sur ce retard, a-t-elle subi un préjudice? Il s'agit donc d'apprécier la crédibilité et le poids de l'ensemble de la preuve. Cette conclusion ne peut être tirée qu'au procès sur la base de l'ensemble de la preuve et non dans le cadre d'une requête en jugement sommaire.

[49]              En dernier lieu, BPI fait valoir que la demande reconventionnelle est interdite au motif qu'elle intervient après le délai de prescription prévu à l'article 39 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, qui prévoit :


39. (1) Sauf disposition contraire d'une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province.

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n'est pas survenu dans une province.

39. (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in any province between subject and subject apply to any proceedings in the Court in respect of any cause of action arising in that province.

(2) A proceeding in the Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.


[50]            BPI soutient que le paragraphe 39(2) s'applique à la demande reconventionnelle. BMC ou son prédécesseur étaient au courant de l'existence de ces demandes depuis au moins 1994, mais n'ont intenté de poursuite qu'en 2002, longtemps après l'expiration du délai de prescription. La demande reconventionnelle devrait donc être rejetée.

[51]            À mon avis, le délai de prescription ne s'applique pas à l'action intentée pour obtenir la radiation de marque de commerce. Je renvoie à cet égard à Fox, Harold G., The Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, (4th Edition, Toronto: Carswell, 2002), où on lit à la page 11-59 :

[traduction] Sous réserve d'une exception limitée, la Loi sur les marques de commerce ne prévoit pas de délai de prescription à l'égard d'une action en radiation de marque de commerce. Un délai de prescription serait contraire à l'économie globale de la Loi et autoriserait le maintien d'enregistrements de marques de commerce dans les cas où la marque est manifestement devenue non distinctive ou invalide pour une autre raison. En d'autres termes, en limitant l'application de la notion de caractère distinctif telle qu'elle est définie dans la Loi et dans la jurisprudence, on protégerait des marques de commerce par ailleurs invalides.

[52]            L'absence de délai de prescription pour l'action en radiation d'une marque de commerce déposée ressort de nombreuses affaires qui font autorité dans le droit canadien des marques de commerce, dans lesquelles une demande de radiation de la marque de commerce d'un concurrent est intentée longtemps après un délai de six ans sans que soit soulevée la question du délai de prescription (Pepsi-Cola Co. of Canada c. Coca-Cola Co. Of Canada, [1940] R.C.S. 17, et Phillip Morris Incorporated, précitée).

[53]            Par conséquent, je suis d'avis que la demande reconventionnelle n'est pas exclue par le délai de prescription prévu à l'article 39 de la Loi sur la Cour fédérale.


[54]            En résumé, je suis convaincue que les demanderesses ont soulevé des motifs valables à l'appui de leur demande reconventionnelle. J'estime qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse à instruire à l'égard de la validité des marques de commerce BP'S LOUNGE, BP'S BISTRO et BP et dessin y afférent. Toutefois, il existe selon moi une véritable question litigieuse à instruire au sujet de la validité des marques de commerce BOSTON PIZZA, BOSTON'S THE GOURMET PIZZA et BOSTON PIZZA QUICK EXPRESS. À cet égard, la demande reconventionnelle est recevable, mais est limitée à la radiation de ces marques de commerce.

[55]            Pour l'ensemble de ces motifs, la requête des demanderesses est accueillie en partie et les dépens suivront l'issue de la cause.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La requête en vue d'obtenir un jugement sommaire est accueillie en partie. La demande reconventionnelle est rejetée à l'égard des marques de commerce suivantes :

Marque de commerce                                                           Date d'enregistrement             N º d'enregistrement

BP et dessin y afférent

18 septembre 1970

LMC 171,429

BP et dessin y afférent

11 février 1972

LMC 181,249

BP's Lounge

3 août 1984

LMC 293,639

BP's Bistro

3 novembre 1989

LMC 362,359

Les dépens suivront l'issue de la cause.

« Danièle Tremblay-Lamer »

                     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-1319-02

INTITULÉ :                                        BOSTON PIZZA INTERNATIONAL INC. et BOSTON PIZZA ROYALTIES LIMITED PARTNERSHIP

et

BOSTON MARKET CORPORATION, LES RESTAURANTS McDONALD DU CANADA LIMITÉE, BOSTON MARKET CANADA COMPANY et GLOBAL RESTAURANT OPERATIONS OF IRELAND LIMITED

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE:                 Le 8 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DE                   MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :            Le 17 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Gregory N. Harney                                                                         POUR LES DEMANDERESSES

Andrew Morrison

Glen A. Bloom                                                                               POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shields Harney

1285 West Pender Street, 9Th Floor

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6E 4B1                                                                                         POUR LES DEMANDERESSES

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Suite 1500, 50 O'Connor Street

Ottawa (Ontario)

K1P 6L2                                                                                         POUR LES DÉFENDERESSES


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