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Date : 20041119

Dossier : T-2465-03

Référence : 2004 CF 1628

Ottawa (Ontario) le 19 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                            L'HONORABLE SINCLAIR STEVENS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PARTI CONSERVATEUR DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                                          - et -

                                     LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS

                                                                                                                                         intervenant

                                ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                M. Sinclair Stevens (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 7 décembre 2003 par laquelle le directeur général des élections (le DGE) a fait droit à la demande présentée ce jour-là en vue de modifier le registre des partis politiques en y ajoutant le nom du Parti conservateur du Canada (le défendeur) par suite d'une fusion effectuée conformément à la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, modifiée (la Loi).

[2]                À titre subsidiaire, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le DGE a refusé de réexaminer sa décision de faire droit à la demande de fusion qui lui avait été soumise conjointement par M. Peter MacKay, en sa qualité de chef du Parti progressiste-conservateur (le parti PC), et par M. Stephen Harper, en sa qualité de chef de l'Alliance réformiste conservatrice canadienne (l'Alliance).

[3]                Le demandeur introduit la présente demande en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée, en son nom personnel et au nom de plusieurs autres membres de l'ancien parti PC. Il réclame diverses réparations, à savoir :

[traduction]

1.              a)              Une ordonnance annulant l'enregistrement du Parti conservateur du Canada et rétablissant l'enregistrement du Parti progressiste conservateur du Canada au registre des partis politiques, conformément à la Loi électorale du Canada

b)              À titre subsidiaire, une ordonnance annulant la décision du 7 décembre 2003 par laquelle le Directeur général des élections a modifié le registre des partis politiques et renvoyant la demande d'enregistrement du Parti conservateur du Canada en tant que « parti issu d'une fusion » au Directeur général des élections pour qu'il prenne une décision en conformité avec les directives que la Cour estimera bon de lui donner.

2.              Une ordonnance annulant la décision du Directeur général des élections d'accorder au Parti conservateur du Canada la somme de 8 476 872,25 $.

3.              Une ordonnance enjoignant au Directeur général des élections de répondre aux questions que lui a adressées l'avocat du demandeur dans sa lettre du 9 décembre 2003.


4.              Les dépens du présent contrôle judiciaire, calculés selon un barème généreux.

5.              Toute autre réparation que l'avocat pourra réclamer et que la Cour pourra juger bon d'accorder.

Le demandeur a par ailleurs déposé un avis de question constitutionnelle portant sur les articles 400, 401 et 402 de la Loi. Voici comment le demandeur a libellé cette question :

Dans ces conditions, la décision du Directeur général des élections de dissoudre le Parti progressiste-conservateur contrevient-elle aux droits que l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît aux membres du Parti progressiste-conservateur?

GENÈSE DE L'INSTANCE

i)           Les parties

[4]                Le demandeur est un membre de longue date du parti PC. Il a été élu pour la première fois en 1972 au Parlement. Il a siégé comme député fédéral pendant plusieurs années et a été ministre du cabinet pendant un certain temps.

[5]                Le DGE est un haut fonctionnaire du Parlement. Il est nommé à titre inamovible par résolution de la Chambre des communes. Il exerce sa charge jusqu'à l'âge de 65 ans et ne peut être révoqué que pour un motif valable par le gouverneur général sur adresse conjointe du Sénat et de la Chambre des communes. Ses fonctions sont énoncées à l'article 16 de la Loi. Il est notamment chargé de diriger et de surveiller d'une façon générale les opérations électorales et d'exercer les pouvoirs et fonctions nécessaires à l'application de la Loi.

[6]                Le défendeur est un parti politique enregistré sous le régime de la Loi. Il a été créé le 7 décembre 2003 par suite de l'acceptation, par le DGE, de la demande de fusion que lui avaient soumise MM. MacKay et Harper.

[7]                Au départ, le DGE n'avait pas été constitué partie à la présente demande mais la qualité d'intervenant lui a été reconnue dans une ordonnance datée du 28 avril 2004.

ii)          La preuve

[8]                Le demandeur a soumis trois affidavits à l'appui de la présente demande. Il s'agit de l'affidavit qu'il a souscrit le 24 janvier 2004, de l'affidavit de Mme Marjaleena Repo et de l'affidavit de M. Joseph Hugelin. Mme Repo et M. Hugelin sont d'anciens membres du parti PC qui s'opposent à la fusion survenue le 7 décembre 2003.

[9]                À l'affidavit du demandeur sont jointes plusieurs annexes, dont une copie de l'entente de principe que MM. McKay et Harper ont signée le 15 octobre 2003, une copie des statuts constitutifs du parti PC, dans leur version modifiée au 24 août 2002, une copie de la décision rendue le 3 décembre 2003 par un groupe d'arbitrage constitué sous le régime des statuts et une copie du jugement rendu par la Cour supérieure de justice de l'Ontario le 5 décembre 2003 en réponse à une demande introduite par d'autres personnes qui s'opposaient à la fusion du parti PC et de l'Alliance.


[10]            Ni le défendeur ni le DGE n'ont produit d'affidavits au soutien de leur dossier de demande respectif. Un dossier du tribunal a toutefois été déposé conformément aux Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-200 (les Règles). Il renferme les pièces suivantes :

[traduction]

VOLUME III - Documents produits par Élections Canada conformément à l'article 317

ONGLET                                CONTENU

7.                              Lettre d'accompagnement adressée à Peter Rosenthal, Roach, Schwartz & Associates par Catherine Beaudoin, Gowling Lafleur Henderson srl, en date du 28 janvier 2004               

8.                              Recueil des documents produits par Élections Canada

9.                              Entente de principe (sur le site Internet du parti PC)

10.                            Télécopie adressée par Jerry Rice à Diane Davidson en date du 21 octobre 2003

11.                            Note de service provenant du cabinet Gardiner Roberts srl, en date du 23 octobre 2003

12.                            Note de service adressée par James Sprague à Diane Davidson le 25 novembre 2003

13.                            Courriel adressé par James Sprague à Diane Davidson le 2 décembre 2003

14.                            Avis d'Industrie Canada (Direction générale des corporations) à Jane Burke-Robertson, en date du 3 décembre 2003

15.                            Décision de la Cour supérieure de justice de l'Ontario sur la question de la fusion (avec notes manuscrites de James_Sprague) en date du 5 décembre 2003

16.                            Courriel adressé par Janice Vezina à James Sprague le 5 décembre 2003

17.                            Lettre adressée par Miguel Figueroa à Jean-Pierre Kingsley le 5 décembre 2003


18.                            Note de service d'Elaine Martel à James Sprague en date du 5 décembre 2003

19.                            Note au dossier en date du 7 décembre 2003

20.                            Lettre adressée par Stephen Harper et Peter MacKay à Jean-Pierre Kingsley le 7 décembre 2003

21.                            Liste des partis politiques enregistrés le 7 décembre 2003.

22.                            Lettre adressée par le Directeur général des élections à Stephen Harper, Peter MacKay et le sénateur John Lynch-Staunton le 7 décembre 2003

23.                            Lettre adressée par le Directeur général des élections à Peter S. Grant le 8 décembre 2003

24.                            Lettre adressée par Diane Davidson à Nicole Cloutier le 8 décembre 2003

25.                            Lettre adressée par le Directeur général des élections à tous les agents électoraux le 8 décembre 2003

26.                            Lettre adressée par le Directeur général des élections à Mme Maureen Kidd le 8 décembre 2003

27.                            Télécopie adressée par Peter Rosenthal à Jean-Pierre Kingsley le 8 décembre 2003

28.                            Lettre adressée par Jean-Pierre Kingsley à Miguel Figueroa le 8 décembre 2003

29.                            Communiqués de presse et avis aux médias en date du 8 décembre 2003

30.                            Affidavit de Natasha LeClerc

[11]            De plus, au cours de l'instruction de la présente demande, le demandeur a soumis l'affidavit de M. John Anderson, président du Parti progressiste canadien. Une cote a été attribuée à cet affidavit, sous réserve d'une décision quant à son admissibilité.


[12]            En l'espèce, le dossier du tribunal a été produit par le DGE le 28 janvier 2004. Le demandeur a contesté ce dossier au motif qu'il était insuffisant et il a présenté une requête réclamant la production par le DGE de l'ensemble des notes, correspondance, courriels, messages vocaux et autres documents se trouvant en la possession du DGE et concernant le Parti conservateur du Canada.

[13]            Aux termes d'une ordonnance datée du 11 mars 2004, le juge Russell a rejeté la requête. Il a estimé, au vu des affidavits déposés par le DGE, que le DGE avait rempli les obligations que les Règles mettaient à sa charge et qu'il avait produit les pièces pertinentes qui ne se trouvaient pas déjà en la possession du demandeur. Le DGE n'était pas tenu de produire quoi que ce soit d'autre. L'affidavit de Natasha Leclerc, qui a été versé au dossier du tribunal, énumère les documents que le DGE a examinés. L'affidavit comporte aussi deux annexes où sont précisés les documents qui n'ont pas été jugés pertinents (annexe A) et une liste des documents qui ont été considérés comme étant protégés par le secret professionnel de l'avocat. Selon ces annexes, le DGE a estimé que les statuts du parti PC n'avaient pas influencé la décision qu'il avait rendue au sujet de la demande de fusion qui lui avait été soumise au nom du parti PC et de l'Alliance.

iii)          Faits à l'origine du litige

[14]            Le demandeur fait principalement grief au DGE de la façon dont il a traité la demande de fusion qui lui a été soumise le 7 décembre 2003, et plus précisément de la suite qu'il a donnée à la résolution autorisant la fusion. Il affirme que cette résolution est entachée d'irrégularités parce que ses statuts ne permettaient pas au parti PC de fusionner avec une autre formation politique et que l'entente de principe sous-jacente était muette sur la question d'une éventuelle « fusion » .


[15]            L'entente de principe a été signée par MM. MacKay et Harper le 15 octobre 2003. Elle prévoyait notamment ce qui suit :

1.              Nom du parti

Le nom du nouveau parti sera le « Parti conservateur du Canada » .

2.              Les principes gouvernant la relation entre le Parti progressiste-conservateur du Canada et l'Alliance canadienne

a.              L'Alliance canadienne et le Parti progressiste-conservateur se traiteront         réciproquement en partenaires égaux;

b.              Le Parti conservateur du Canada encouragera et maintiendra les relations avec les partis progressites-conservateurs provinciaux existants, mais n'établira pas de partis provinciaux;

c.              Nous allons créer une force politique nationale faisant appel à tous les Canadiens et Canadiennes, et non seulement aux conservateurs ayant des objectifs et des principes communs.

...

[16]            L'entente de principe a été soumise à l'examen des membres de l'Alliance qui ont été invités à voter par la poste. M. Jerry Rice, un représentant de l'Alliance, a écrit le 21 octobre 2003 une lettre dans laquelle il portait certaines questions à l'attention du DGE. M. Rice se demandait s'il pouvait y avoir une fusion entre le parti PC actuel, l'Alliance et un « nouveau Parti conservateur » .


[17]            Il ressort du dossier que, le 25 novembre 2003, une rencontre a eu lieu avec des représentants du bureau du DGE. Des représentants du PC et de l'Alliance étaient présents, de même que Mme Diane Davidson, directrice générale adjointe des élections, et Me James Sprague, conseiller juridique principal du DGE. Me Sprague a par la suite rédigé à l'intention de Mme Davidson une note de service dans laquelle il reprenait les points discutés lors de cette rencontre.

[18]            Cette note de service, qui porte la date du 25 novembre 2003, indique qu'un des sujets de discussion abordés lors de cette rencontre était la fusion des partis existants, et non la fusion de ces partis avec un « nouveau » Parti conservateur. La note de service mentionne aussi un projet de demande de fusion soumis aux représentants du DGE. On a discuté du libellé de la résolution autorisant la fusion qui avait été rédigée et les représentants des deux partis ont été invités à donner des éclaircissements au sujet du sens de la résolution :

[traduction]

[...]

4.              Importance de la clarté de l'intention exprimée dans les résolutions autorisant la fusion des partis

Les représentants des partis ont informé les personnes présentes lors de la rencontre que le vote des membres de l'Alliance au sujet du projet de fusion aurait probablement lieu le 4 décembre 2003 et que le vote des membres du PC se tiendrait selon toute vraisemblance le 6 décembre. Le DGE a informé les représentants des partis, comme il avait coutume de le faire en ce qui concerne ce genre de mesure prise par des partis, qu'il était disposé à suivre une procédure souple et adaptée pour répondre de façon efficiente et efficace à toute demande qui pourrait être soumise à son bureau.

Des représentants des partis ont par ailleurs dit craindre, pour des raisons de contraintes de temps, que les diverses associations de circonscriptions électorales des deux partis manquent de temps pour fusionner efficacement et pratiquement leurs activités après l'éventuelle fusion des deux partis au début de décembre, compte tenu de l'entrée en vigueur du projet de loi C-24 le 1er janvier 2004.


[19]            Le vote des membres du parti PC sur l'entente de principe était prévu pour le 6 décembre 2003. Dans l'intervalle, un groupe de membres du parti PC, dont M. David Orchard, ont saisi la Cour supérieure de justice de l'Ontario d'une requête réclamant diverses déclarations ainsi qu'une injonction interdisant le transfert des actifs du parti au nouveau parti issu de la fusion.

[20]            La Cour supérieure de l'Ontario a instruit la demande le 4 décembre 2003 et a rendu son jugement, publié sous l'intitulé Ahenakew c. MacKay, (2003), 68 O.R. (3d) 277, conf. à (2004), 241 D.L.R. (4th) 314 (C.A.), le 5 décembre 2003. Dans son jugement, le juge Juriansz explique que l'entente de principe [traduction] « envisage manifestement une fusion » , sans toutefois préciser si elle était suffisante pour constituer une résolution autorisant la fusion, se contentant de dire que c'était au DGE qu'il revenait de se prononcer sur cette question.

[21]            Le juge Juriansz a passé en revue les diverses déclarations qui étaient initialement sollicitées dans la demande dont il était saisi et il a fait remarquer que les demandeurs s'étaient désistés de bon nombre de leurs conclusions, de sorte que la seule question à trancher était celle de savoir si le principe de common law relatif aux droits des membres d'associations bénévoles non constituées en personne morale s'appliquait aux affaires internes d'un parti politique enregistré et s'il y avait lieu de prononcer l'injonction réclamée pour interdire le transfert des actifs du parti.


[22]            Le juge a estimé que la règle de common law examinée dans l'arrêt Astgen et al. c. Smith et al., [1970] 1 0.R 129 (C.A.), et appliquée dans l'arrêt Organization of Veterans of the Polish Second Corps of the Eighth Army c. Army, Navy & Air Force Veterans in Canada et al. (1978), 20 O.R. (2d) 321 (C.A.), ne s'appliquait pas aux affaires internes d'un parti politique enregistré, lequel est doté d'une personnalité juridique distincte de celles de ses membres en vertu de la loi. Il a également estimé que les demandeurs n'avaient pas réclamé d'injonction au sujet du vote imminent du 6 décembre 2003. Le juge Juriansz a par conséquent rejeté la demande.

[23]            Le samedi 6 décembre 2003, l'entente de principe a été soumise au vote des membres du parti PC. Voici un extrait du préambule de la résolution :

[traduction] Attendu que le 15 octobre 2003 le chef du parti PC du Canada a conclu une entente de principe sur la création du Parti conservateur du Canada (l'entente);

[...]

Et attendu que le chef du Parti progressiste-conservateur du Canada a, conformément aux dispositions de l'entente, demandé que l'entente soit soumise à l'examen des membres du Parti progressiste-conservateur du Canada et attendu que le chef sollicite l'appui et l'approbation des membres du Parti progressiste-conservateur du Canada en ce qui concerne l'entente;

Il est résolu que :

L'entente de principe sur la création du Parti conservateur du Canada soit approuvée et qu'il soit donné pour instruction au chef du Parti progressiste-conservateur du Canada et à son comité d'orientation de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre l'entente et que le chef et son comité soient autorisés à le faire.

[...]

[24]            Le lendemain, le 7 décembre 2003, MM. MacKay et Harper ont, en leur qualité respectivement de chef du parti PC et de chef de l'Alliance, soumis une demande de fusion au DGE en vertu de la Loi. Voici un extrait de la lettre qui accompagnait cette requête :

[traduction] Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 400 de la Loi électorale du Canada par l'Alliance réformiste conservatrice canadienne (l'Alliance) et le Parti progressiste-conservateur du Canada (le parti PC) en vue de la fusion de nos partis respectifs conformément à l'article en question. Le nouveau parti sera appelé Parti conservateur du Canada/Conservative Party of Canada.

Vous trouverez ci-joint des certificats attestant l'authenticité des résolutions portant fusion qui ont été adoptées respectivement par l'Alliance et par le parti PC.

Les renseignements exigés au paragraphe 366(2) de la Loi sont contenus dans les annexes jointes à la présente.

[25]            Le paragraphe 366(2) s'applique lorsqu'un parti politique demande l'enregistrement. Il doit fournir, avec sa demande d'enregistrement, des renseignements sur le nom intégral du parti, le nom du parti en sa forme abrégée ou l'abréviation de ce nom, s'il en est, qui doit figurer sur les documents électoraux, le logo du parti, le cas échéant, les nom et adresse du chef du parti, l'adresse du bureau du parti où sont conservées les archives et où les communications peuvent être adressées, les nom et adresse des dirigeants du parti, les nom et adresse du vérificateur désigné du parti et sa déclaration signée d'acceptation de sa charge, les nom et adresse de l'agent principal du parti et sa déclaration signée d'acceptation de sa charge et les nom, adresse et signature de cent électeurs membres du parti.

[26]            Le DGE a accepté la demande de fusion le 7 décembre 2003 et a adressé la lettre suivante à MM. Harper et MacKay et au sénateur Lynch-Staunton :


[traduction] J'ai examiné la demande qui m'a été soumise en vertu de l'article 400 de la Loi électorale du Canada le 7 décembre 2003 par les partis enregistrés - le Parti progressiste-conservateur du Canada et l'Alliance réformiste conservatrice canadienne - en vue de devenir un seul parti enregistré par suite de leur fusion sous le nom intégral de Parti conservateur du Canada/Conservative Paty of Canada et sous le nom abrégé de Conservateur/Conservative.

La demande de fusion était accompagnée d'une attestation du chef de chacun des partis fusionnants, MM. Peter MacKay et Stephen Harper.

La demande de fusion était également accompagnée de la résolution de chacun des deux partis fusionnants exigée par l'alinéa 400(2)b) de la Loi. La demande renfermait les renseignements que doit fournir le parti qui souhaite être enregistré (sauf pour les renseignements mentionnés à l'alinéa 366(2)i) de la Loi, qui n'ont pas à être communiqués dans le cas d'une demande présentée en vertu de l'article 400).

Je suis convaincu que le nom intégral et la forme abrégée du nom du parti issu de la fusion ne ressemblent pas de si près au nom ou à la forme abrégée du nom d'un parti enregistré ou d'un parti admissible qu'ils risquent à mon avis d'être confondus avec eux. Pour prendre cette décision, je n'ai pas tenu compte du nom intégral ou du nom abrégé du Parti progressiste-conservateur du Canada ou de l'Alliance réformiste conservatrice canadienne, car ces noms seraient remplacés si la demande était accueillie et ils ne pourraient donc plus créer de confusion dans l'esprit d'un membre de l'électorat canadien dans l'exercice des droits que lui reconnaît la Loi électorale du Canada.

Le nom du Parti conservateur du Canada/Conservative Party of Canada et la forme abrégée de ce nom ne comportent pas le mot « indépendant » ou un mot qui ressemble de si près à ce mot qu'il risque, à mon avis, d'y être confondu.

Je suis convaincu que la demande de fusion n'a pas été présentée pendant la période mentionnée au paragraphe 400(1) de la Loi.

J'ai fait réviser les renseignements qui se trouvent présentement dans le dossier d'Élections Canada, y compris le registre des partis politiques et, faute de renseignements contraires, je suis convaincu que les partis fusionnants ont assumé les obligations que leur impose la présente loi, notamment en matière de reddition de comptes sur leurs opérations financières et sur leurs dépenses électorales et de mise à jour des renseignements qui concernent leur enregistrement.

Je suis convaincu que le parti issu de la fusion est admissible à l'enregistrement sous le régime de la Loi, conformément au paragraphe 401(1) de la Loi électorale du Canada, et je suis donc tenu de modifier le registre des partis politiques. En conséquence, en date de ce jour, le nom des partis fusionnants est remplacé par celui de Parti conservateur du Canada/Conservative Party of Canada. (Non souligné dans l'original.)


Par conséquent, conformément à l'article 402 de la Loi électorale du Canada, la fusion des deux partis fusionnants prend effet aujourd'hui à la suite de la modification apportée au registre des partis politiques. Les présents renseignements seront affichés sur le site d'Élections Canada à l'adresse suivante : www.elections.ca. Un avis sera aussi publié dans la Gazette du Canada, comme l'exige le paragraphe 401(3) de la Loi.

[27]            Le 8 décembre 2003, le DGE a, conformément à la Loi, fait publier dans la Gazette du Canada, un avis informant également l'arbitre en matière de radiodiffusion et l'Agence des douanes et du revenu du Canada, que le registre des partis politiques avait été modifié le 7 décembre 2003 par la substitution au nom du parti PC et de l'Alliance, c'est-à-dire les partis fusionnants, du nom du parti issu de la fusion, c'est-à-dire le défendeur.

[28]            Le 8 décembre 2003, le demandeur a communiqué avec le bureau du DGE. Il a exprimé des réserves au sujet de la célérité avec laquelle le DGE avait décidé, le 7 décembre 2003, d'accepter la demande de fusion soumise par MM. MacKay et Harper. Il a parlé, à un certain moment donné, avec Me Sprague, conseiller juridique principal du DGE. Selon la note de service rédigée par Me Sprague au sujet de sa conversation téléphonique avec le demandeur, il n'y avait rien d'inusité dans le fait que cette décision soit prise un dimanche. À cet égard, Me Sprague a mentionné la décision que le DGE avait prise un dimanche à l'occasion des élections générales de 1997 à la suite des inondations survenues au Manitoba cette année-là. La note de service en question a été versée au dossier du tribunal.


[29]            Le même jour, le 8 décembre 2003, le demandeur a retenu les services d'un avocat pour qu'il communique, en son nom, avec le DGE, afin de lui poser certaines questions au sujet du bien-fondé de la décision du DGE d'accepter la demande de fusion le jour même de sa présentation, sans donner au demandeur, et aux citoyens partageant ses opinions, l'occasion de faire valoir leur point de vue.

[30]            Entre le 8 décembre 2003 et le 16 décembre 2003, l'avocat du demandeur a envoyé plusieurs lettres et pièces à l'appui au DGE, y compris un affidavit dans lequel le demandeur faisait part de ses réserves et de ses préoccupations. Le demandeur a exposé les raisons pour lesquelles il remettait en question la décision du DGE d'accepter la demande de fusion. La principale raison invoquée par le demandeur pour contester la décision du DGE était le vice dont était à son avis entachée la résolution autorisant la fusion. Il affirmait en effet que la résolution autorisant la fusion était contraire aux statuts du parti PC. Le demandeur citait notamment l'article 2.2.3 des statuts, qui prévoit que le parti peut proposer des candidats dans 301 circonscriptions électorales, c'est-à-dire pour le nombre total de sièges qui existaient avant la refonte récente de la carte électorale. Il demandait aussi au DGE de réexaminer sa décision.


[31]            Le DGE a donné sa réponse par lettre datée du 17 décembre 2003. Il a refusé de réexaminer sa décision et a expliqué que, même si la procédure suivie par le parti PC était entachée d'irrégularités, celles-ci n'étaient pas suffisamment graves pour rendre inéquitables le scrutin tenu le 6 décembre 2003 et les mesures ultérieures prises par le chef du Parti. Le DGE n'a ni admis ni nié qu'il avait le pouvoir de réexaminer sa décision mais il a fini par refuser de réexaminer sa décision du 7 décembre 2003, c'est-à-dire sa décision d'accepter la demande de fusion et de modifier le registre des partis pour y inscrire le Parti conservateur du Canada en tant que nouveau parti enregistré et successeur du parti PC et de l'Alliance.

[32]            Le 30 décembre 2003, le demandeur a introduit la présente demande de contrôle judiciaire.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

i)           Le demandeur

[33]            Le demandeur affirme que le DGE a commis une erreur de droit dans la façon dont il a examiné et accepté la demande de fusion soumise par le PC et l'Alliance. Il affirme tout d'abord que la résolution qui avait été soumise était irrégulière, parce qu'elle contrevenait aux statuts du parti PC, qui limitaient expressément à 301 le nombre de candidats que ce parti était autorisé à présenter lors d'un scrutin fédéral, conformément au nombre de sièges qui existaient à l'époque.


[34]            Le demandeur fait valoir que la résolution autorisant la fusion était également irrégulière parce que la procédure qui s'était soldée par le vote du 6 décembre 2003 ne respectait pas les diverses étapes et échéances stipulées dans l'entente de principe comme par exemple la désignation, au plus tard le 15 décembre 2003, par le PC et par l'Alliance, de représentants au Comité d'organisation de l'élection du chef et la mise sur pied d'un conseil mixte chargé de certaines fonctions. Ces mesures n'ont pas été suivies et suivant le demandeur, le DGE n'aurait pas dû accepter la résolution, sachant que certaines des dispositions de l'entente de principe n'avaient pas été respectées.

[35]            Le demandeur affirme que le DGE a commis une erreur de droit en acceptant la demande de fusion et en enregistrant le parti issu de la fusion le jour même où la demande de fusion a été présentée. Il explique que la précipitation avec laquelle le DGE a statué sur la demande de fusion a causé plusieurs problèmes.

[36]            En faisant droit à la demande de fusion le jour même de sa présentation, le DGE a fermé les yeux sur plusieurs des lacunes évidentes que comportait la demande de fusion, notamment sur le fait que celle-ci ne respectait pas les statuts du parti PC. Le traitement ainsi réservé à la demande a causé une violation des dispositions de la Loi qui obligeait le DGE à attendre au moins trente jours entre la date de réception de la demande de fusion et l'enregistrement du nouveau parti issu de la fusion au registre des partis politiques.


[37]            Le demandeur soutient ensuite que la précipitation avec laquelle le DGE a agi a eu pour effet de porter atteinte aux droits du demandeur et des autres personnes se trouvant dans une situation semblable en violant leurs droits reconnus en common law, ainsi que le droit que leur reconnaît la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), ch. 11 (la Charte), de faire valoir leur point de vue au sujet de la fusion projetée. Le demandeur invoque à cet égard les arrêts Astgen c. Smith, précité, Organization of Veterans of the Polish Second Corps of the Eighth Army, précité, et Figueroa c. Canada (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 912.

[38]            Cet argument découle de l'argument principal du demandeur suivant lequel la résolution autorisant la fusion était entachée d'irrégularités parce qu'elle allait à l'encontre des statuts du Parti et parce que le DGE a commis une erreur de droit en concluant qu'il n'avait pas à tenir compte des statuts pour décider si la résolution autorisant la fusion respectait ou non les exigences de la Loi.

[39]            Le demandeur ajoute que le DGE a commis une erreur en refusant de répondre à certaines de ses questions.

[40]            Le demandeur explique que les affidavits qu'il a soumis à l'appui de la présente demande de contrôle judiciaire ont été régulièrement portés à l'attention de la Cour et que les objections soulevées par le défendeur à l'audience quant à l'utilisation de certains des affidavits ne sont pas fondées. Le demandeur affirme que les pièces que le défendeur conteste sont à juste titre admissibles soit en raison de leur utilité, soit en raison du fait qu'elles sont qualifiées d'aveux contre intérêt.


[41]            Le principal argument qu'invoque le demandeur au sujet de la résolution autorisant la fusion est le fait qu'elle n'est pas mentionnée dans l'entente de principe signée par MM. MacKay et Harper le 15 octobre 2003. L'entente de principe portait sur la possibilité de former un nouveau parti; elle ne parlait pas de « fusion » . Qui plus est, la lettre que M. Jerry Rice a adressée au DGE le 21 octobre 2003 portait sur la création d'un « nouveau parti » qui fusionnerait ensuite avec les partis existants, à savoir le PC et l'Alliance. Suivant le demandeur, cette lettre montre que le « projet » consistait à former un nouveau parti qui ne serait pas enregistré.

[42]            Le demandeur cite ensuite la note de service rédigée le 25 novembre 2003 par le conseiller jurdique principal du DGE, Me Sprague. Cette note de service reprend les points discutés lors de la rencontre du 25 novembre 2003 à laquelle avaient participé Mme Diane Davidson, directrice générale adjointe des élections, Me Sprague et des représentants du PC et de l'Alliance. Me Sprague a signalé qu'on avait discuté de la nécessité de nommer un chef pour le nouveau parti et il s'était inquiété de [traduction] « l'imprécision de l'intention exprimée dans la résolution autorisant la fusion » .

[43]            Suivant le demandeur, ces documents montrent qu'entre le 21 octobre 2003, date à laquelle M. Rice a écrit au DGE pour lui poser certaines questions au sujet de l'applicabilité des dispositions de la Loi relatives aux fusions à une fusion entre un nouveau parti non enregistré et deux partis enregistrés déjà existants, et la rencontre du 25 novembre 2003, un changement d'intention s'est produit. Il ne s'agissait plus de créer un « nouveau » parti, mais bien de fusionner deux partis existants. Cette intention n'était pas déclarée dans l'entente de principe.

[44]            Le demandeur cite l'article 2.2.3 des statuts du parti PC dont voici le libellé :

2.2.3 de procurer un cadre organisationnel où les membres du Parti progressiste-conservateur du Canada peuvent apporter des changements, d'obtenir l'appui de la population à l'égard de ses politiques et d'influer sur les politiques du gouvernement par la nomination d'un candidat progressiste-conservateur dans chaque circonscription et l'élection de députés progressistes-conservateurs à la Chambre des communes, dans le but de favoriser l'épanouissement du Canada.

Suivant le demandeur, cet article signifie que le parti PC est déterminé à présenter des candidats dans chacune des 301 circonscriptions électorales existantes, ce qui ne serait pas possible si ce parti fusionnait avec un autre parti politique.

[45]            Le demandeur affirme que le DGE a commis une erreur en ne tenant pas compte de ces dispositions des statuts du parti PC.

[46]            Le demandeur attire l'attention de la Cour sur les préoccupations exprimées par Me Sprague dans la note de service du 25 novembre 2003, au sujet de « l'imprécision de l'intention » exprimée dans la résolution relative à la fusion. La résolution autorisant la fusion n'a pas été modifiée à la suite de la rencontre du 25 novembre 2003. Le demandeur signale que, comme l'entente de principe parlait uniquement de la création d'un nouveau parti enregistré et non de la fusion de partis existants, la résolution autorisant la fusion était irrégulière, si l'on se réfère à l'entente de principe. Qui plus est, la résolution autorisant la fusion allait à l'encontre des statuts du parti PC.


[47]            Le demandeur soutient que le DGE a commis une erreur dans la suite qu'il a donnée à la demande de fusion. La demande lui a été soumise le 7 décembre 2003. Il l'a accueillie le jour même et il a modifié le registre des partis politiques en y ajoutant le « Parti conservateur du Canada » . Le demandeur affirme qu'en agissant ainsi, le DGE contrevenait au paragraphe 400(1) de la Loi, qui oblige le DGE à attendre au moins 30 jours entre la réception de la demande de fusion et l'acceptation de cette demande pour modifier le registre des partis politiques enregistrés.

[48]            Le demandeur signale qu'en sa qualité d'intervenant dans la présente instance, le DGE cherche à justifier le fait qu'il a pris sa décision un dimanche. À cet égard, le demandeur cite le mémoire déposé par le DGE dans lequel celui-ci affirme qu'il y avait une possibilité d'élection partielle à Ottawa plus tard au cours du mois de décembre 2003.

[49]            Le demandeur affirme qu'un bref ordonnant la tenue d'une élection partielle est identique au bref pour une élection dont il est question dans la Loi. Il explique que, si une élection partielle avait été déclenchée, le DGE aurait été obligé, de par la Loi, d'annuler la fusion et que c'est la raison pour laquelle la Loi oblige le DGE à attendre trente jours avant de décider d'accepter une demande de fusion.

[50]            Le demandeur soutient aussi que le DGE a commis une erreur en ne réexaminant pas sa décision. Il reconnaît que la Loi n'oblige pas le DGE à réexaminer sa décision, mais il souligne que la Loi lui confère de vastes pouvoirs et ajoute que le réexamen de ses décisions peut faire partie de ces pouvoirs.

[51]            Le demandeur soutient que, si le DGE avait effectivement réexaminé sa décision, il aurait peut-être reconnu, à la lumière des éléments soumis par le demandeur, qu'il était irrégulier d'enregistrer la demande de fusion sans laisser une délai de trente jours s'écouler. S'il avait réexaminé sa décision à la lumière des statuts du parti PC, le DGE en serait peut-être arrivé à une conclusion différente.

ii)          Le défendeur

[52]            Le défendeur commence son plaidoyer en formulant une objection préliminaire aux affidavits soumis par le demandeur. Il soutient que ces affidavits sont « truffés » de ouï-dire et d'opinions politiques. Invoquant les jugements Gingras c. Service canadien du renseignement de sécurité et al., (1987), 19 C.P.R. (3d) 283 (C.F. 1re inst.) et Bell Canada c. Canada (Commission des droits de la personne), [1991] 1 C.F. 356 (C.F. 1re inst.), il soutient que les affidavits du demandeur, de Mme Repo et de M. Hugelin devraient être radiés en entier.

[53]            Le défendeur fait ensuite valoir que la décision du DGE d'accepter la demande de fusion le jour où elle a été présentée, c'est-à-dire le dimanche 7 décembre 2003, est susceptible de contrôle judiciaire en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable. Selon lui, la décision en question satisfait à cette norme et le DGE n'était pas obligé d'attendre trente jours avant de la prendre.

[54]            Suivant le défendeur, c'est à bon droit que le DGE a pris sa décision le 7 décembre 2003 parce qu'aucun bref n'avait encore été lancé en vue de la tenue d'une élection visée par la Loi. Qui plus est, le bien-fondé de la décision a été confirmé par l'écoulement du temps, car aucun bref n'a été délivré au cours de la période préalable à l'instruction de la présente demande.

[55]            Le défendeur soutient que le DGE n'est pas l'arbitre des questions internes du parti PC. En conséquence, il n'avait pas à tenir compte des statuts du Parti pour prendre sa décision et il n'a commis aucune erreur qui justifierait l'intervention de la Cour dans la façon dont il a traité ce document.

[56]            Le défendeur signale que la présente demande de contrôle judiciaire est fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, précité. Les motifs qui donnent ouverture à un contrôle judiciaire sont énumérés au paragraphe 18.1(3) et le défendeur soutient que, pour obtenir gain de cause, le demandeur doit démontrer que le DGE a outrepassé sa compétence, a commis une erreur de droit ou a rendu une décision manifestement déraisonnable. Le défendeur affirme que la Cour doit examiner la décision en se fondant sur le dossier dont disposait l'auteur de la décision, c'est-à-dire en se fondant sur les pièces et éléments contenus au dossier du tribunal. C'est la raison pour laquelle la Cour ne devrait tenir compte d'aucun des affidavits soumis par le demandeur, étant donné que le DGE ne les avait pas en mains.

[57]            Invoquant les jugements Parti national du Canada et al. c. Stephenson et al., (1996), 124 F.T.R. 108, conf. à (1998), 230 N.R. 342, et Cavilla c. Canada (Directeur général des élections), (1994), 76 F.T.R. 77, le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[58]            Le défendeur explique que les articles 400, 401 et 402 définissent les consignes que doit suivre le DGE lorsqu'il reçoit une demande de fusion. Le DGE doit d'abord examiner la demande qui lui est soumise et s'assurer qu'elle est accompagnée des documents et renseignements nécessaires. Un des documents exigés est une résolution signée par les représentants autorisés des partis fusionnants.

[59]            Suivant le défendeur, le dossier montre que le DGE a suivi les consignes prévues par la Loi. Le DGE s'est dit convaincu qu'on lui avait soumis une résolution régulière signée par les personnes dûment autorisées. Le défendeur affirme que rien ne justifierait la Cour de modifier la décision du DGE au sujet de la suffisance ou du bien-fondé de la demande de fusion. La demande soumise le 7 décembre 2003 était complète. Aucun autre document ou renseignement n'était requis.


[60]            Le défendeur rappelle par ailleurs que le demandeur s'était soumis à l'arbitrage prévu par les statuts du parti PC pour contester le vote imminent des membres du Parti au sujet de la mise en oeuvre de l'entente de principe. Or, le demandeur s'est retiré de la procédure d'arbitrage. Le groupe d'arbitrage a rendu sa décision le 3 décembre 2003, peu de temps avant le vote. Le groupe d'arbitrage a conclu que le vote proposé sur l'entente de principe ne contrevenait pas aux statuts du Parti. Il ne s'est toutefois pas prononcé sur le fond de la résolution.

[61]            Le défendeur affirme que, si le demandeur était insatisfait de la décision du groupe d'arbitrage, il pouvait introduire une demande de contrôle judiciaire devant les tribunaux ontariens. Le défendeur estime qu'il s'agit là du moyen approprié pour contester le respect par le parti PC de ses propres statuts. La question du respect des statuts déborde le cadre du mandat du DGE.

[62]            Le défendeur a également formulé quelques observations au sujet de la décision récente de la Cour de l'Ontario sur la demande présentée par d'autres membres du parti PC dans l'affaire Ahenakew, précitée. Dans cette affaire, certaines personnes réclamaient une injonction pour empêcher le transfert des actifs du Parti. Dans une décision rendue le 5 décembre 2003, le juge Juriansz de la Cour supérieure de l'Ontario a examiné les moyens invoqués au soutien de la demande ainsi que les arguments avancés au sujet des droits que la common law reconnaît aux membres d'une association bénévole non constituée en personne morale.


[63]            Le juge a rejeté la demande au motif que l'entente de principe prévoyait une fusion. Il a ajouté qu'en sa qualité de parti politique enregistré sous le régime de la Loi, le parti PC jouissait des avantages non négligeables conférés par l'enregistrement, y compris le fait d'être reconnu comme une « personne » à certaines fins. Ces facteurs excluent l'applicabilité des principes de common law relatifs aux associations bénévoles.

iii)          L'intervenant

[64]            Le DGE, en sa qualité d'intervenant, formule ses arguments en fonction des principes régissant le contrôle judiciaire. Une demande de contrôle judiciaire vise à faire corriger les erreurs commises au cours de l'instance qui s'est déroulée devant le tribunal inférieur. Aucun nouvel élément de preuve ne peut être admis dans le cadre d'un contrôle judiciaire et l'auteur de la décision qui fait l'objet du contrôle judiciaire, en l'espèce le DGE, n'a pas à chercher à recueillir de nouveaux éléments de preuve. Le DGE invoque le jugement Via Rail Canada Inc. c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 1 C.F. 376 (C.F. 1re inst.) à l'appui de cet argument.

[65]            Pour ce qui est de la présente demande, le DGE affirme qu'il n'est pas tenu de se renseigner au sujet des affaires internes des partis politiques. Il se fonde sur le jugement Stephenson, précité, pour étayer cet argument.


[66]            Finalement, le DGE affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Les obligations du DGE sont énumérées aux articles 400 à 403 de la Loi. Il doit décider si la demande dont il est saisi satisfait aux critères prévus par la Loi, notamment en ce qui a trait aux délais. Si les conditions prévues par la Loi sont respectées, le DGE est alors obligé de modifier le registre des partis politiques conformément au paragraphe 401(1).

[67]            La demande de fusion est la résolution qui a été signée respectivement par le chef du parti PC et par le chef de l'Alliance. Elle était accompagnée d'attestations signées par MM. MacKay et Harper.

[68]            Suivant le groupe d'arbitrage, la résolution est [traduction] « suffisamment claire » . Le DGE affirme que le groupe d'arbitrage s'est penché sur la constitutionnalité de la résolution et il avance que la décision du groupe d'arbitrage est compatible avec l'application de valeurs démocratiques au règlement de questions essentiellement politiques.

[69]            Le DGE affirme que rien ne permet de conclure que M. MacKay a agi de façon arbitraire en soumettant la résolution et l'attestation.


[70]            La première décision du DGE était que la demande satisfaisait aux critères prescrits par la Loi. Il était saisi d'une résolution émanant de chacun des partis fusionnants et il s'est dit convaincu que la demande de fusion n'avait pas été présentée pendant la période mentionnée au paragraphe 400(1) de la Loi. Le DGE soutient qu'il s'agissait là de questions de fait qui sont susceptibles d'être examinées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[71]            Le DGE signale par ailleurs que la question des délais n'a pas été soulevée par le demandeur dans sa demande de réexamen.

[72]            Le DGE s'est penché sur la question de savoir si les partis fusionnants avaient respecté les délais prévus par la Loi en ce qui concerne le dépôt de leur demande. Ils devaient présenter leur demande avant le 7 décembre 2003, date à laquelle la demande de fusion a été soumise.

[73]            Le DGE a également fait remarquer qu'en date du 7 décembre 2003, le demandeur n'avait pas encore communiqué avec son bureau. La première communication a eu lieu le 8 décembre 2003 lorsque le demandeur a téléphoné à son bureau. Ce premier contact a été suivi par plusieurs lettres que l'avocat du demandeur a envoyées les 8 décembre, 9 décembre, 11 décembre et 16 décembre. Le DGE explique que, s'il était tenu de réexaminer sa décision et s'il a commis une erreur à cet égard, les observations écrites en question sont pertinentes car elles peuvent servir de fondement à une recommandation.

[74]            Le DGE fait toutefois valoir qu'il n'était pas habilité à réexaminer sa décision et que, s'il l'était, il n'a pas commis d'erreur justifiant la révision de sa décision en décidant de maintenir sa décision du 7 décembre 2003, c'est-à-dire sa décision de faire droit à la demande de fusion.


AUTRES PRÉTENTIONS ET MOYENS

[75]            À la suite du prononcé de l'arrêt par lequel la Cour d'appel de l'Ontario a rejeté l'appel interjeté de l'ordonnance du juge Juriansz, les parties se sont vu offrir l'option de formuler d'autres observations à la lumière de l'arrêt Ahenakew, précité. Toutes les parties se sont prévalues de cette possibilité.

i)           Le demandeur

[76]            Le demandeur a expliqué que l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé l'avis du juge de première instance suivant lequel le sous-alinéa 401(1)b)(ii) de la Loi confère au DGE et non à la Cour le pouvoir de décider si la demande de fusion satisfait aux exigences de la Loi. Le demande fait par ailleurs valoir que la Cour d'appel a reconnu que l'alinéa 400(2)b) de la Loi exige implicitement qu'une résolution autorisant la fusion soit adoptée en conformité avec les statuts du parti fusionnant.

[77]            Le demandeur fait par conséquent valoir que cette décision va dans le sens de son argument que le DGE a commis une erreur de droit en estimant qu'il n'avait pas à tenir compte des statuts du parti PC pour prendre sa décision. Le demandeur reprend ses arguments antérieurs que les statuts de ce parti interdisent expressément la demande de fusion qui a été présentée.


[78]            Le demandeur signale que l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario ne traite pas de l'argument que les droits reconnus en common law aux associations bénévoles comprennent le droit d'être entendu lorsqu'une telle association est un parti politique qui risque la dissolution.

ii)          Le défendeur

[79]            Le défendeur n'est pas d'accord avec l'interprétation que le demandeur fait de l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario et il affirme que la Cour a écarté l'argument que la fusion du parti PC et de l'Alliance a donné lieu à l'application du principe de common law suivant lequel le consentement unanime de tous les membres de ces partis était requis pour obtenir la fusion de ces partis. Le défendeur ajoute que la Cour d'appel fédérale a jugé que la Loi ne requiert pas le consentement unanime des membres des partis concernés pour qu'il y ait fusion.

[80]            En conclusion, le défendeur se fonde sur l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario qui appuie selon lui son avis que la décision du DGE de modifier le registre des partis le 7 décembre 2003 était bien fondée.

iii)          L'intervenant

[81]            Le DGE insiste sur les observations qu'a formulées la Cour d'appel de l'Ontario au sujet du rôle qu'elle joue lorsqu'elle examine la « validité apparente » de la demande de fusion et il explique que la Cour d'appel a bien précisé que son rôle ne comportait pas pour elle l'obligation de s'assurer que les membres du parti PC respectaient les statuts de ce parti. Le DGE reconnaît qu'il n'est pas obligé de s'assurer de cette conformité mais qu'il doit vérifier si la demande de fusion satisfait aux critères prescrits par la Loi. Le DGE explique aussi qu'il a le droit de réclamer de plus amples renseignements s'il a des doutes raisonnables sur la suffisance des renseignements qui lui sont soumis.

[82]            Le DGE soutient que l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario ne permet pas d'affirmer qu'il est tenu de faire droit à toute demande de fusion qui lui est soumise pour la simple raison qu'elle est « apparemment valide » . Le DGE ajoute toutefois que la Cour ne s'est pas fondée sur cette question pour décider de rejeter l'appel interjeté de la décision du juge Juriansz.

ANALYSE

[83]            Ainsi que je l'ai signalé au début des présents motifs, il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, précitée. Le paragraphe 18.1(4) énumère les cas d'ouverture au contrôle judiciaire :


18.1(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.                                               

18.1(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or(f) acted in any other way that was contrary to law.

[84]            Le demandeur soutient que le DGE a manqué à son devoir d'agir envers lui avec équité sur le plan de la procédure parce qu'il ne lui a pas offert la possibilité de faire valoir son point de vue avant de décider de faire droit à la demande de fusion. Le demandeur reconnaît qu'il ne tire pas cet argument de la Loi, mais il maintient que les conséquences de la décision sur les personnes visées, c'est-à-dire la dissolution du parti PC, sont suffisamment graves pour justifier de leur accorder la possibilité de faire connaître leurs vues sur la question.

[85]            Je n'accepte pas cet argument, compte tenu du rôle du DGE et de la nature de la décision en cause. Les pouvoirs du DGE sont énumérés à l'article 16 de la Loi :

16. Le directeur général des élections :

a) dirige et surveille d'une façon générale les opérations électorales;

b) veille à ce que les fonctionnaires électoraux agissent avec équité et impartialité et observent la présente loi;

c) donne aux fonctionnaires électoraux les instructions qu'il juge nécessaires à l'application de la présente loi;

d) exerce les pouvoirs et fonctions nécessaires à l'application de la présente loi.                                                        

16. The Chief Electoral Officer shall

(a) exercise general direction and supervision over the conduct of elections;

(b) ensure that all election officers act with fairness and impartiality and in compliance with this Act;

(c) issue to election officers the instructions that the Chief Electoral Officer considers necessary for the administration of this Act; and

(d) exercise the powers and perform the duties and functions that are necessary for the administration of this Act.

[86]            Je passe aux autres objections formulées par le demandeur au sujet du présumé manque d'attention du DGE au respect, par le parti PC, des détails de l'entente de principe se rapportant au comité d'organisation et au comité mixte de gestion. À mon avis, l'évaluation de la pertinence de cette question relevait entièrement du pouvoir discrétionnaire du DGE. L'alinéa 401(1)b) l'oblige à s'assurer que les partis fusionnants ont assumé les obligations que leur impose la Loi.


[87]            Dans l'arrêt Ahenakew, précité, la Cour d'appel de l'Ontario s'est penchée sur les principes de common law sur lesquels le demandeur se fonde pour étayer sa thèse au sujet des affaires internes du parti PC. Il est désormais acquis que les principes de common law relatifs à la gestion des activités des partis politiques enregistrés ont été supplantés par les exigences de la Loi. Certes, dans cet arrêt, la Cour d'appel traitait de la question de la nécessité d'un appui unanime des membres du Parti en faveur de la fusion, mais j'estime que la Cour a reconnu que la Loi confère maintenant au DGE le pouvoir de réglementer la conduite des partis enregistrés dans le cadre d'une demande de fusion.

[88]            Quant à l'argument du demandeur suivant lequel la procédure suivie par le chef du parti PC et la réponse du DGE violent les droits démocratiques consacrés par l'article 3 de la Charte, je suis d'avis que cet argument est mal fondé. Le demandeur invoque à cet égard l'arrêt Figueroa, précité, de la Cour suprême du Canada.

[89]            En l'espèce, le demandeur et d'autres membres du parti PC ont eu l'occasion de voter sur la résolution qui leur a été soumise. Lors de ce scrutin, la majorité des membres ont voté en faveur de la résolution. Le processus démocratique a été respecté.

[90]            Le demandeur sollicite également le contrôle judiciaire de la décision du DGE de ne pas réexaminer sa décision du 7 décembre 2003. Le défendeur a soulevé l'objection qu'aux termes des Règles de la Cour fédérale (1998), DOR/98-106, une seule décision peut faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.

[91]            C'est exact. Mais, en tout état de cause, je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré que le DGE a commis une erreur justifiant notre intervention en refusant de réexaminer sa décision. Je constate également que le demandeur reconnaît que la Loi n'oblige pas le DGE à réexaminer une décision qu'il a déjà prise.


[92]            Les dispositions précises de la Loi qui portent sur la fusion des partis enregistrés, c'est-à-dire les paragraphes 400(1) et 401(1), ne prévoient pas la participation de qui que ce soit d'autre que les partis fusionnants et le DGE. Ces dispositions sont ainsi libellées :

400. (1) Deux ou plusieurs partis enregistrés peuvent, en tout temps sauf pendant la période commençant trente jours avant la délivrance du bref pour une élection et se terminant le jour du scrutin, demander au directeur général des élections l'enregistrement du parti issu de leur fusion.

...

401. (1) Le directeur général des élections substitue, dans le registre des partis, le nom du parti issu de la fusion à ceux des partis fusionnants :

a) si la demande de fusion n'est pas présentée pendant la période mentionnée au paragraphe 400(1);

b) s'il est convaincu que, à la fois :

(i) le parti issu de la fusion est admissible à l'enregistrement sous le régime de la présente loi,

(ii) les partis fusionnants ont assumé les obligations que leur impose la présente loi, notamment en matière de reddition de compte sur leurs opérations financières et sur leurs dépenses électorales et de mise à jour des renseignements qui concernent leur enregistrement.

...

400. (1) Two or more registered parties may, at any time other than during the period beginning 30 days before the issue of a writ for an election and ending on polling day, apply to the Chief Electoral Officer to become a single registered party resulting from their merger.

...

401. (1) The Chief Electoral Officer shall amend the registry of parties by replacing the names of the merging parties with the name of the merged party if

(a) the application for the merger was not made in the period referred to in subsection 400(1); and

(b) the Chief Electoral Officer is satisfied that

(i) the merged party is eligible for registration as a political party under this Act, and

(ii) the merging parties have discharged their obligations under this Act, including their obligations to report on their financial transactions and their election expenses and to maintain valid and up-to-date information concerning their registration.

...

[93]            L'article 400 permet à des partis enregistrés de demander leur fusion. Il s'agit d'une nouvelle disposition qui a récemment été insérée dans la Loi et la demande de fusion présentée au nom du parti PC et de l'Alliance constitue la première demande présentée en vertu du nouveau régime.


[94]            Le DGE n'a pas commis d'erreur justifiant notre intervention en décidant de procéder sans solliciter ou recevoir d'observations du demandeur ou de personnes se trouvant dans une situation semblable. Le recours ouvert au demandeur consistait à faire valoir son point de vue au parti PC s'il s'opposait au projet de fusion. Or, il ressort du dossier, et notamment de l'affidavit du demandeur, que le demandeur a choisi de recourir à la procédure d'arbitrage prévue par les statuts du parti PC.

[95]            Bien que le demandeur se soit retiré de l'arbitrage, le groupe d'arbitrage a rendu une décision dans laquelle il confirmait le droit du parti PC de procéder à la mise en application de l'entente de principe. Le demandeur n'a pas poursuivi ses démarches judiciaires relativement à cette décision.

[96]            Le demandeur conteste également la conclusion du DGE selon laquelle M. MacKay a soumis une résolution du parti PC qui était régulière et qui autorisait la fusion projetée, comme l'exige l'alinéa 400(2)b). Le demandeur soutient que le DGE a commis une erreur de droit en tirant cette conclusion et il affirme que, comme la résolution autorisant la fusion contrevenait aux statuts du Parti, elle ne pouvait être une résolution acceptable.

[97]            Le DGE avait devant lui les statuts du parti PC lorsqu'il a examiné la demande de fusion et ces statuts ont été versés au dossier du tribunal. Le DGE s'est toutefois dit d'avis qu'il n'avait pas à tenir compte des statuts du Parti pour prendre une décision au sujet de la demande de fusion.

[98]            En concluant que la demande de fusion satisfaisait aux exigences formelles de la Loi, le DGE exerçait le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi. Il a tiré une conclusion de fait qui échappe à l'intervention judiciaire, dès lors qu'elle repose sur les éléments de preuve portés à sa connaissance. Le dossier du tribunal contenait la demande de fusion et il est évident que la demande comprend les renseignements exigés au paragraphe 400(2), c'est-à-dire les attestations des chefs des partis fusionnants, les résolutions de chacun des partis fusionnants autorisant la fusion projetée et les renseignements exigés d'un parti cherchant à se faire enregistrer, y compris le nom du chef du parti issu de la fusion et le nom et l'adresse de ses dirigeants.

[99]            À mon avis, le DGE avait le pouvoir de décider de ne pas tenir compte des statuts du parti PC pour prendre la décision qu'il était tenu de prendre au sujet du respect des exigences prescrites par la Loi en matière de fusion. S'il est vrai que les statuts régissaient les affaires internes du parti PC, le DGE n'était pas chargé de surveiller le respect des statuts en question. Il n'est pas l'arbitre des affaires internes des partis politiques.

[100]        Toutefois, examiner la demande et s'assurer que les renseignements requis sont communiqués n'est qu'un des aspects des fonction du DGE. Il doit également s'assurer que la demande a été présentée dans les délais prescrits, comme l'exige le paragraphe 400(1) de la Loi.

[101]        L'article 401 porte sur les obligations auxquelles est soumis le DGE lorsqu'il examine une demande de fusion. Il doit d'abord s'assurer que la demande n'a pas été présentée pendant la période d'interdiction prévue au paragraphe 400(1). Voici le texte de l'alinéa 401(1)a) :

401. (1) Le directeur général des élections substitue, dans le registre des partis, le nom du parti issu de la fusion à ceux des partis fusionnants :

a) si la demande de fusion n'est pas présentée pendant la période mentionnée au paragraphe 400(1);

...                             

401. (1) The Chief Electoral Officer shall amend the registry of parties by replacing the names of the merging parties with the name of the merged party if

(a) the application for the merger was not made in the period referred to in subsection 400(1); and

...             

[102]        Suivant le demandeur, le paragraphe 401(1)a) signifie qu'il y a un délai de carence de trente jours après la réception de la demande de fusion que le DGE doit laisser s'écouler avant de pouvoir accepter la demande et modifier le registre des partis politiques. Le demandeur explique que la seule manière de savoir que des brefs ne seront pas délivrés dans le délai de trente jours est de laisser ce délai s'écouler. Il ajoute que, comme il n'a pas attendu que le délai de trente jours soit écoulé, le DGE a commis une erreur dans son interprétation de la Loi. Cette erreur d'interprétation constitue une erreur de droit qui est susceptible d'être révisée en fonction de la norme de la décision correcte.


[103]        Le défendeur et le DGE soutiennent tous les deux que la conclusion du DGE suivant laquelle la demande de fusion n'a pas été présentée au cours de la période d'interdiction est susceptible d'être révisée en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable. Le défendeur explique que les faits confirment la conclusion du DGE, étant donné qu'aucun bref électoral n'avait été délivré au moment de la réception de la demande de fusion et qu'aucun bref n'avait été délivré dans les trente jours suivant le 7 décembre 2003, date où il a modifié le registre des partis politiques.

[104]        À mon avis, ce raisonnement est fallacieux parce qu'il ne confère aucun sens aux termes employés au paragraphe 400(1) qui définissent la période d'interdiction. Ces termes sont incorporés par renvoi à l'alinéa 401(1)a), ce qui confirme selon moi qu'ils doivent avoir un sens. Quoi qu'il en soit, en matière d'interprétation législative, il existe un principe qui veut que le législateur soit présumé ne pas se répéter inutilement ou avoir voulu faire de tautologie.

[105]        Dans l'arrêt Hill c. William Hill (Park Lane) Ltd., [1949] A.C. 530 (H.L.), à la page 546, le vicomte Simons déclare ce qui suit :

[TRADUCTION] En ce qui concerne la première de ces objections, il y a lieu d'observer que, bien que le législateur soit, tout comme les parlementaires, capable de dire la même chose deux fois sans ajouter rien de plus à ce qu'il a déjà dit la première fois, il ne faut pas présumer une telle répétition dans le cas d'une loi adoptée par le Parlement. Lorsque le législateur insère une expression dans une loi, il faut présumer qu'il dit quelque chose qui n'avait pas encore été dit juste avant. Le principe suivant lequel il faut, dans la mesure du possible, donner un sens à chacun des mots de la loi suppose que, sauf s'il existe une bonne raison contraire, les mots ajoutent quelque chose qui n'existerait pas s'ils n'y étaient pas.

[106]        À mon avis, les mots qui définissent la période d'interdiction signifient que cette période commence trente jours avant la délivrance des brefs et se poursuit jusqu'au jour du scrutin. Suivant l'alinéa 57(1.2)c), la date de la tenue du scrutin doit être éloignée d'au moins trente-six jours de la délivrance du bref. La période d'interdiction dure donc au moins soixante-six jours.

[107]        Il s'agit donc de déterminer quand la période d'interdiction commence à courir, puisque la date de délivrance des brefs ordonnant la tenue d'une élection n'est connue que lorsque cet événement survient. L'événement qui déclenche la délivrance des brefs est la proclamation ou le décret que prend le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi. Le DGE délivre alors les brefs en vertu de l'article 58, qui dispose :

58. Aussitôt après la prise de la proclamation ou du décret, le directeur général des élections délivre un bref selon le formulaire 1 de l'annexe 1 au directeur du scrutin de chacune des circonscriptions où se tiendra l'élection.

58. The Chief Electoral Officer shall issue a writ in Form 1 of Schedule 1 to the returning officer for the electoral district in which the election is to be held without delay after the proclamation is issued or the order is made by the Governor in Council.

[108]        Le DGE n'est pas au courant des événements ayant conduit à la prise d'une proclamation ou d'un décret par le gouverneur en conseil et ces questions échappent à son contrôle. Son obligation de délivrer un bref de convocation des électeurs découle des actes accomplis par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 57(1). Le DGE, en tant que haut fonctionnaire du Parlement, est à l'abri du processus politique qui conduit à la prise d'une proclamation ou d'un décret par le gouverneur en conseil.

[109]        Dans ce contexte, j'interprète les termes du paragraphe 400(1) qui définissent la période d'interdiction comme imposant un délai de carence de trente jours qui permet au DGE de déterminer avec certitude qu'aucune demande de fusion n'a été présentée « pendant la période commençant trente jours avant la délivrance du bref » .

[110]        Le paragraphe 400(1) précise bien qu'une demande de fusion peut être présentée « en tout temps » sauf pendant la période interdite. C'est toutefois au DGE qu'il appartient, en vertu de l'alinéa 401(1)a) de définir cette période. À mon avis, il s'agit là d'un facteur critique sur lequel il lui appartient de se prononcer parce qu'une fois qu'il a jugé que les conditions relatives aux délais et au caractère suffisant de la demande de fusion ont été respectées, le DGE doit, aux termes du paragraphe 401(1), modifier le registre des partis en conséquence. Il s'agit là d'une décision obligatoire et non d'une mesure facultative. À mon avis, en raison du caractère impératif de cette disposition, le DGE doit être très attentif lorsqu'il vérifie si les exigences de la Loi ont été respectées.

[111]        La lecture du paragraphe 401(3) et de l'article 402 confirme l'opinion que j'ai de l'importance des facteurs énumérés au paragraphe 401(1). Il ressort du paragraphe 401(3) que l'acceptation de la demande de fusion n'est pas automatique. En voici le texte :

(3) Il fait publier dans la Gazette du Canada un avis de la radiation de l'inscription des partis fusionnants du registre des partis et de l'inscription du parti issu de la fusion.

(3) If the Chief Electoral Officer amends the registry of parties, he or she shall cause to be published in the Gazette of Canada a notice that the names of the merging parties have been replaced in the registry with the name of the merged party.

[112]        L'article 402 définit la date de prise d'effet et ses conséquences :


402. (1) La date de la fusion est celle à laquelle le directeur général des élections inscrit le parti issu de la fusion au registre au titre du paragraphe 401(1).

(2) À la date de la fusion :

a) le parti issu de la fusion succède aux partis fusionnants;

b) le parti issu de la fusion devient un parti enregistré;

c) l'actif des partis fusionnants est cédé au parti issu de la fusion;

d) le parti issu de la fusion est responsable des dettes de chacun des partis fusionnants;

e) le parti issu de la fusion continue d'assumer l'obligation des partis fusionnants de rendre compte de leurs opérations financières et de leurs dépenses électorales antérieures;

f) le parti issu de la fusion remplace chaque parti fusionnant dans les poursuites civiles, pénales ou administratives engagées par ou contre celui-ci;

g) toute décision, judiciaire ou quasi judiciaire, rendue en faveur d'un parti fusionnant ou contre lui est exécutoire à l'égard du parti issu de la fusion.

(3) À la date de la fusion, les associations enregistrées des partis fusionnants sont radiées et, malgré l'alinéa 403.01c), peuvent, dans les six mois suivant la date de la fusion, céder des produits ou des sommes au parti issu de la fusion ou à une de ses associations enregistrées. Une telle cession de produits ou de sommes ne constitue pas une contribution pour l'application de la présente loi.       

402. (1) A merger of registered parties takes effect on the day on which the Chief Electoral Officer amends the registry of parties under subsection 401(1).

(2) On the merger of two or more registered parties,

(a) the merged party is the successor of each merging party;

(b) the merged party becomes a registered party;

(c) the assets of each merging party belong to the merged party;

(d) the merged party is responsible for the liabilities of each merging party;

(e) the merged party is responsible for the obligations of each merging party to report on its financial transactions and election expenses for any period before the merger took effect;

(f) the merged party replaces a merging party in any proceedings, whether civil, penal or administrative, by or against the merging party; and

(g) any decision of a judicial or quasi-judicial nature involving a merging party may be enforced by or against the merged party.

(3) On the merger of registered parties, any registered association of a merging party is deregistered and, despite paragraph 403.01(c), may transfer goods or funds to the merged party or a registered association of the merged party in the six months immediately after the merger. Any such transfer is not a contribution for the purposes of this Act.

[113]        À la suite d'une fusion réussie, les partis fusionnants jouissent du statut de « partis enregistrés » au sens de la Loi. Les partis fusionnants n'existent plus en tant que partis enregistrés et ils n'ont plus droit aux avantages que confère la Loi. Le caractère raisonnable de l'obligation faite au DGE d'attendre trente jours avant de donner suite à une demande de fusion est évident lorsqu'on examine la procédure par laquelle un parti politique devient un « parti enregistré » . À cet égard, je cite le paragraphe 370(1), qui dispose :


370. (1) Le parti admissible est enregistré lorsqu'a été confirmée la candidature d'un candidat soutenu par lui dans cinquante circonscriptions pour une élection générale, s'il n'a pas retiré sa demande d'enregistrement et si celle-ci a été présentée au moins soixante jours avant la délivrance des brefs pour cette élection.

370. (1) An eligible party becomes a registered party if it has candidates whose nomination has been confirmed in 50 electoral districts for a general election and its application to become registered was made 60 days before the issue of the writs for the general election and has not been withdrawn.

...

[114]        Un délai de carence de soixante jours s'applique lorsqu'un parti politique présente pour la première fois une demande d'enregistrement. À mon avis, il est raisonnable qu'un délai de carence, quoique plus court, s'applique aussi lorsque deux partis enregistrés présentent une demande de fusion.

[115]        Il s'ensuit donc, selon moi, que le DGE a commis une erreur en modifiant le registre des partis politiques le jour même où la demande de fusion lui a été présentée sans attendre que le délai de trente jours soit écoulé pour s'assurer qu'aucun bref électoral ne serait délivré, déclenchant ainsi la période d'interdiction.

[116]        Ainsi que je l'ai déjà signalé, le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du DGE et réinscrivant le parti PC au registre des partis politiques. À titre subsidiaire, le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du 7 décembre 2003 et renvoyant l'affaire au DGE.


[117]        J'estime que la Cour ne doit pas accorder les réparations que le demandeur réclame. Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, confère à la Cour, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, le pouvoir discrétionnaire d'accorder certaines réparations. Il lui arrive à l'occasion de refuser d'accorder une réparation. À cet égard, je me reporte à l'arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202.

[118]        En l'espèce, je prends connaissance d'office du fait qu'aucun bref ordonnant la tenue d'une élection n'a été délivré dans les trente jours suivant le 7 décembre 2003. La mesure qu'a prise le DGE en modifiant sans attendre le registre des partis politiques ne tire donc pas à conséquence et ce, même si elle est contraire à l'interprétation que je fais de la Loi. Exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m'a été conféré, je refuse d'accorder les réparations demandées.

[119]        La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur a toutefois soulevé une question valable et il a donc droit à ses dépens taxés qui seront calculés conformément à la colonne III.


                                                     

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée et le demandeur a droit à ses dépens taxés qui seront calculés conformément à la colonne III.

                                                                                   « E. Heneghan »

                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

_______________________

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                 T-2465-03

INTITULÉ :                                 L'HONORABLE SINCLAIR STEVENS

c.

LE PARTI CONSERVATEUR DU CANADA

et

LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS

LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :            LE 11 MAI 2004    (OBSERVATIONS ÉCRITES COMPLÉMENTAIRES REÇUES LES 5 ET 6 AOÛT 2004)                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                  MADAME LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                  LE 19 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

PETER ROSENTHAL                    POUR LE DEMANDEUR

ARTHUR HAMILTON

LAURIE LEVINGSTONE              POUR LE DÉFENDEUR

RONALD D. LUNAU

CATHERINE BEAUDOIN             POUR L'INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROACH, SCHWARTZ

& ASSOCIATES                            

TORONTO (ONTARIO)               POUR LE DEMANDEUR

CASSELS BROCK

& BLACKWELL srl                       

TORONTO (ONTARIO)                POUR LE DÉFENDEUR

GOWLING LAFLEUR

HENDERSON srl                           

OTTAWA (ONTARIO)                   POUR L'INTERVENANT

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