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Date : 20041217

Dossier : T-1190-03

Référence : 2004 CF 1755

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2004

Présente :      Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

M. MARC GÉLINAS

                                                                                                                                      demandeur

et

CENTRE D'ANALYSE DES OPÉRATIONS ET

DÉCLARATIONS FINANCIÈRES DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                     Le défendeur Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada ( « CANAFE » ) est un organisme constitué en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000 ch. 17, art. 41 (la « Loi » ). Il a comme objectifs principaux de recueillir, analyser, évaluer et communiquer des renseignements utiles pour la détection, la prévention et la dissuasion en matière de recyclage des produits de la criminalité ou de financement des activités terroristes, et de sensibiliser le public aux questions liées au recyclage des produits de la criminalité.

[2]                     Le demandeur est un individu qui fut employé par le CANAFE entre le 9 octobre 2001 et le 26 mars 2003. Au moment de la terminaison de son emploi, il occupait le poste de directeur régional de l'Est, dont les responsabilités comprenaient la gestion du bureau de Montréal du CANAFE et la supervision des quatre employés qui y étaient localisés.

[3]                     Les faits suivants ne sont pas contestés :

[4]                     Le 9 octobre 2001, le demandeur acceptait de se joindre au CANAFE pour y agir à titre d'agent principal de liaison (poste FT-5) au bureau d'affaires du défendeur à Montréal, après s'être vu offrir un congé sans solde d'une année par le ministère de la Défense nationale.

[5]                     Le 1er mars 2002, le demandeur devenait « Gestionnaire par intérim » (poste FT-6) du bureau régional de Montréal pour une première période de trois mois, période qui fut renouvelée à deux reprises. Il a occupé ce poste jusqu'au 26 mars 2003.

[6]                     Au cours du mois de janvier 2003, le demandeur informe Mme Shirley Cuddihy, la directrice adjointe aux ressources humaines du CANAFE, qu'il est en instance de divorce. Il informe également à la même époque son supérieur immédiat, M. Denis Meunier.

[7]                     Le 17 février 2003, le demandeur rencontre Mme Shirley Cuddihy pour l'informer qu'il avait une relation intime avec une des quatre subalternes qui relevaient de lui au bureau de Montréal.

[8]                     Le ou vers le 21 février 2003, le demandeur rencontre son supérieur immédiat M. Denis Meunier et l'informe également au même effet.

[9]                     Le 12 mars 2003, M. Denis Meunier et Mme Cuddihy rencontrent le demandeur pour lui annoncer qu'il est congédié comme gestionnaire du bureau régional du Québec.

[10]                   Lors de la même réunion, une offre d'emploi de rétrogradation lui est faite (FT-5) avec diminution de salaire et déplacement à Ottawa.

[11]                   Le 19 mars 2003, le demandeur refusait par écrit l'offre d'emploi à Ottawa.

[12]                   Le 19 mars 2003, le demandeur faisait parvenir à Mme Cuddihy une note médicale préconisant un arrêt de travail en raison du stress. Le demandeur demandait en conséquence au CANAFE de le considérer comme étant en congé de maladie.

[13]                   Le 25 mars 2003, le défendeur, par l'entremise de la Sous-directrice - Gestion des relations externes, Mme Sandra Wing, confirmait son congédiement.

[14]                   Le 26 mars 2003, le demandeur avisait Mme Wing de son refus de considérer la date du 26 mars comme date de son congédiement compte tenu de son congé en maladie.

[15]                   Le 24 avril 2003 le défendeur était formellement mis en demeure de réintégrer le demandeur dans ses fonctions avec pleine compensation, tel qu'en fait foi la mise en demeure.

[16]                   Le 1er mai 2003, le défendeur refusait de donner suite à la mise en demeure, d'oj le présent litige.


LA PREUVE

Preuve du demandeur

Témoignage de M. Marc Gélinas

[17]                   M. Gélinas témoigne avoir toujours fait preuve de transparence puisqu'il a averti son employeur dès le moment oj une relation amoureuse s'est développée avec Mme Rocheville. Il situe le début de cette relation vers la fin décembre 2002.

[18]                   Il explique les circonstances de son refus d'accepter un emploi à Ottawa. Puisqu'il était en instance de divorce à ce moment-là, il était impensable de laisser ses enfants pour déménager à Ottawa. De plus, vu la relation amoureuse avec Mme Rocheville et leur plan de faire vie commune, il trouvait inacceptable l'exil qu'on voulait lui imposer.

[19]                   Le stress vécu durant cette période lui a causé des problèmes graves de santé (insomnie, migraines) d'oj la note médicale qui préconisait un arrêt de travail pour maladie.

[20]                   Cependant, dès le mois de mai 2003, il commençait à chercher du travail. Il a fait approximativement 130 démarches d'emploi pour accepter finalement un emploi avec Sportcom. Son salaire est de 60 000 $, soit une diminution de plus de 30 000 $ de son emploi précédent.

[21]                   En contre-interrogatoire, il convient que les employés du CANAFE travaillaient normalement de 9 h à 17 h sauf Mme Rocheville et lui-même qui devaient souvent travailler la fin de semaine pour préparer des présentations ou des réponses aux questions des entités déclarantes.

[22]                   Le registre des appels téléphoniques de septembre à janvier indique beaucoup d'appels chez Mme Rocheville, et ce, souvent le soir et les fins de semaine. La fréquence dépasse de loin celle des appels aux autres employés de Montréal. M. Gélinas affirme que les appels à Mme Rocheville étaient reliés au travail, bien qu'il admette qu'à l'occasion il discutait d'autres questions.

[23]                   Un courriel envoyé à son fils et transmis à Mme Rocheville le 22 janvier 2003 laisse entrevoir que la relation amoureuse aurait commencé avant décembre puisque M. Gélinas affirme avoir consulté un psychologue en novembre pour voir clair sur toute l'affaire. De plus, il écrit à son fils qu'il aimait une autre femme passionnément. Dans ce courriel il admet avoir menti à sa femme et l'avoir trompée. M. Gélinas affirme qu'il ne référait pas à la relation amoureuse avec Mme Rocheville mais au mariage tourmenté qu'il vivait. Il admet en contre-interrogatoire qu'il savait qu'il était en amour vers la fin décembre.

[24]                   Quant à la recommandation élogieuse d'une reclassification du poste de Mme Rocheville en novembre 2003, il affirme qu'une telle démarche était basée uniquement sur les qualifications de Mme Rocheville. Il n'avait pas à divulguer à son employeur sa relation intime puisque celle-ci n'avait pas encore débuté.

[25]                   Lors de sa rencontre avec M. Meunier le 21 février pendant laquelle il a fait part de sa relation amoureuse, M. Meunier aurait indiqué qu'il s'agissait d'une situation fréquente et qu'il y avait des solutions. Il devait discuter avec ses collègues.

[26]                   En contre-interrogatoire, M. Gélinas reconnaît que l'employeur doit être mis au courant le plus tôt possible lorsque certaines situations peuvent entraîner un conflit d'intérLts ou créer une perception réelle ou apparente de favoritisme ou de partialité.

Preuve du défendeur

Mrs. Shirley Cuddihy, Assistant Director of Human Resources with FINTRAC

[27]                   Mrs. Cuddihy testified that she communicated with Mr. Gélinas on many occasions where he did seek out her advice as a human resources advisor. She was impressed with his professional ability as an employee.

[28]                   She remembers that Mr. Gélinas participated at a meeting in January 2003 where a draft code of conflicts of interest for FINTRAC was discussed. In this document, an illustration of conflict of interest is when a supervisor is in a relationship with an employee. The Public Service Policy for Conflict of Interest was in force during 2002 and 2003 and was superceded by the Code of Conduct in September 2003. Although it does not mention relationships between employees, it does mention the avoidance of preferential treatment.

[29]                   Mr. Gélinas advised her in early January 2003 of his marital breakup over the course of the Christmas period. In February 2003 he requested a private meeting that took place on February 17th to discuss a private matter. At the meeting, he revealed his relationship with Mrs. Rocheville, and offered some solutions. She immediately communicated her concerns to Mr. Gélinas. It was not the fact of the relationship that concerned her but the resulting conflict of interest and the lack of judgment that was exhibited on the part of Mr. Gélinas. She suggested to him that he meet with Mr. Meunier, which he did on February 21, 2003.

[30]                   She describes Mr. Gélinas as a very thoughtful person. Although he did not mention a date for the beginning of the relationship, the fact that he mentioned that he was falling in love led her to believe that a committed relationship had existed for some time.

[31]                   She was concerned that there was a conflict of interest situation because of the managerial position of Mr. Gélinas and the potential for the abuse of authority.

[32]                   She was also concerned that Mrs. Rocheville benefited from a preferential treatment or would have given the perception of a preferential treatment because Mr. Gélinas recommended her for a reclassified position - FINTRAC relied on Mr. Gélinas's recommendation.

[33]                   Between February 24 and March 11, 2003, Mr. Meunier and her met other management personnel to discuss the situation.

[34]                   After these meetings, FINTRAC decided that because Mr. Gélinas had not come forward earlier to disclose the relationship, he had shown a lack of judgment as a manager and that his behaviour created an irreparable breach of trust. Consequently, the consensus was that he could no longer continue as a manager. However, because he was a good employee, an offer of employment in a non-managerial position would be made.

[35]                   In cross-examination, she reiterated that the termination of employment was not due to the relationship but because as a manager he did not declare the relationship in a timely fashion. Although it was not impermissible for a supervisor to have a relationship with an employee, when a possible conflict of interest was identified, it is important for the employer to be aware of the situation in order to take rapidly the appropriate measures.

[36]                   In her view, the arrangement proposed was reasonable. The alternative position offered was the highest position at a non-managerial level (FT-5) and the only vacant position was in Ottawa. The salary offered was the one that Mr. Gélinas had before he was appointed at a managerial position. She added that the direction was flexible and ready to negotiate on that point.

Témoignage de M. D. Meunier, directeur du CANAFE

[37]                   M. Meunier était le superviseur immédiat de M. Gélinas à l'époque pertinente. Il témoigne qu'il a toujours eu une bonne relation avec M. Gélinas. Celui-ci lui a fait part de son divorce vers la fin janvier 2002. Il relate la rencontre du 21 février 2003 avec M. Gélinas à Ottawa pendant laquelle celui-ci lui annonce qu'il a une relation amoureuse avec Mme Rocheville. M. Gélinas a proposé plusieurs solutions pour résoudre le problème de conflit d'intérêts df à cette relation. M. Meunier lui a indiqué qu'il devait prendre conseil de Mme Cuddihy. Comme l'avait indiqué Mme Cuddihy, il a eu l'impression que la relation entre M. Gélinas et Mme Rocheville ne venait pas de se développer mais datait d'un certain temps.

[38]                   Plusieurs rencontres eurent lieu par la suite avec différents intervenants pour discuter de l'impact de cette situation sur l'opération.

[39]                   Une réunion eut lieu le 10 mars avec le directeur du CANAFE, M. Horst Inster. Lors de cette réunion, la discussion a porté sur le manque de jugement de M. Gélinas. Comme gestionnaire, le CANAFE s'attendait à ce qu'il se conduise conformément aux valeurs de l'organisme soit avec transparence, loyauté et intégrité.

[40]                   Le 11 mars 2004, une décision fut prise de congédier M. Gélinas comme gestionnaire. En même temps, reconnaissant que M. Gélinas était un bon employé, CANAFE lui offrait un poste alternatif à Ottawa.

[41]                   Le 12 mars, M. Meunier et Mme Cuddihy rencontrent M. Gélinas pour lui annoncer la nouvelle de son congédiement et l'offre d'emploi à Ottawa.

[42]                   M. Gélinas trouve la sanction trop sévère. Il ne peut accepter le déplacement vers Ottawa. M. Meunier lui demande de réfléchir et lui indique qu'il est prêt à faire preuve de flexibilité pour les déplacements.

[43]                   Le 13 mars, il contacte M. Gélinas pour discuter de certains dossiers. Il réitère qu'il se montrerait flexible et qu'il essaierait de lui obtenir un salaire supérieur.

[44]                   Le 14 mars, il apprend que M. Gélinas ne se sentait pas bien et qu'il avait consulté un médecin. M. Meunier lui confirme qu'il était prêt à offrir le maximum de l'échelle de salaire soit 84 057. $.

[45]                   En contre-interrogatoire, il affirme que le poste qu'on allait offrir à Ottawa n'existait pas comme tel. Il devait être ajusté pour accommoder les compétences de M. Gélinas. Il considère que les fonctions de M. Gélinas à ce nouveau poste seraient importantes pour le CANAFE. Cependant, il faisait une séparation entre ce qui est requis pour être un bon gestionnaire et ce qui est requis pour être un bon employé.

[46]                   Il confirme que le manque de jugement ne provient pas de sa relation amoureuse avec Mme Rocheville mais du fait de ne pas l'avoir dévoilé plus tôt lorsque sa relation gestionnaire/employée était compromise et créait une situation de conflit d'intérêts potentiel.

[47]                   Il admet que Mme Rocheville a eu une bonne évaluation et un bonus de rendement après le départ de M. Gélinas.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[48]                   La présente action soulève les questions suivantes :

          1)         La terminaison d'emploi porte-t-elle atteinte à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 ?

2)         La terminaison d'emploi du demandeur s'est-elle faite pour des motifs valables ?

            3)         En l'absence des motifs valables de congédiement :

                        a)         à quelle indemnité raisonnable le demandeur a-t-il droit ?

                        b)         il y a-t-il lieu d'ordonner la réintégration ?

                        c)         le demandeur a-t-il minimisé les dommages ?

                        d)         il y a-t-il lieu d'accorder des dommages punitifs ?

                        e)         il y a-t-il lieu d'accorder des dommages pour souffrance morale ?

ANALYSE

            1)         L'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés

[49]                   Le demandeur a fait valoir que les actes du défendeur, à savoir de mettre fin à son emploi et de lui offrir un poste moins élevé à Ottawa, constituaient de la discrimination fondée sur son état matrimonial, en contravention de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, précitée. L'analyse adoptée par la Cour suprême du Canada pour l'article 15 de la Charte repose sur les trois éléments suivants : La loi a-t-elle pour objet ou pour effet d'imposer une différence de traitement entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou plusieurs caractéristiques personnelles ? La différence de traitement est-elle fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues ? La loi en question a-t-elle un objet ou un effet discriminatoire au sens de la garantie d'égalité ? (Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497)

[50]                   Abstraction faite, pour l'instant, de la suffisance des motifs du défendeur, le demandeur n'a produit aucun élément de preuve démontrant que la décision du défendeur était de quelque façon que ce soit liée à son état matrimonial. Sans égard à la question de savoir si le demandeur était marié, en instance de divorce ou célibataire au cours de la période pertinente, il a été congédié par suite de la relation ayant débuté entre lui et une employée subordonnée et du retard qu'il a mis pour en informer ses supérieurs.

[51]                   A mon avis on peut supposer qu'un comportement équivalent de la part d'un autre employé aurait entraîné un résultat similaire. En résumé, l'égalité est un concept relatif (Law, précité, au paragraphe 56) et, sans un « élément de comparaison » pertinent, l'argument du demandeur relatif à la Charte est sans fondement.

[52]                   Dans la présente instance, il convient plutôt de mettre l'accent sur le conflit d'intérêts dans lequel se serait placé le demandeur, sur sa conduite ultérieure et sur la réponse de son employeur.

            2)         La terminaison d'emploi du demandeur s'est-elle faite pour des motifs valables ?

[53]                   Le défendeur soutient que M. Gélinas a manqué aux attentes légitimes et raisonnables du CANAFE ainsi qu'aux exigences de son contrat d'emploi et des politiques pertinentes en ne divulguant pas en temps opportun à son employeur le fait de sa relation intime avec une subalterne. Le défendeur reproche également au demandeur la recommandation qu'il avait faite au mois de novembre 2002 de reclassifier le poste de Mme Rocheville à un niveau supérieur. Il reproche enfin au demandeur son refus de reconnaître le manque de jugement et de loyauté dont son comportement a fait preuve.

[54]                   Malgré le témoignage de Mme Cuddihy et de M. Meunier à l'effet que M. Gélinas n'a pas été congédié à cause de sa relation amoureuse, je retiens cependant que dans la lettre qu'il adressait au demandeur le 1er mai 2003, le CANAFE affirme que le motif principal au soutien du congédiement est le fait que le demandeur ait entamé une relation intime avec une subalterne d'oj il en résultait un conflit d'intérêts.

[55]                   Bien que conformément au contrat d'emploi et aux politiques pertinentes, il était légitime pour le CANAFE de s'attendre à ce que le comportement de M. Gélinas comme gestionnaire fasse preuve d'intégrité, de transparence et de bon jugement et qu'il divulgue tout conflit d'intérêts réel ou potentiel en temps opportun, je n'ai pu trouver ni dans le contrat d'emploi ni dans les politiques pertinentes, une interdiction d'avoir une relation amoureuse avec une subalterne.

[56]                   Qui plus est, dans le Guide pour l'application du code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat (Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada) ( « Guide » ), il y est clairement édicté qu'un fonctionnaire peut être surveillant de son conjoint puisque aucune disposition de la Loi ne l'interdit. Je dois donc conclure que ce n'est pas le fait de la relation comme telle qui peut légitimement être reprochée au demandeur mais plutôt le fait que cette relation n'ait pas été divulguée en temps opportun afin que des mesures soient prises pour éviter tout conflit d'intérêts potentiel ou réel.

Le délai

[57]                   CANAFE reproche essentiellement à M. Gélinas de ne pas avoir divulgué au CANAFE sa relation amoureuse en temps opportun.

[58]                   D'ailleurs, le demandeur a reconnu lui-même dans son témoignage que la relation pouvait entraîner des problèmes dans un milieu de travail dont le favoritisme, la perception de favoritisme, l'abus de pouvoir et le harcèlement sexuel, d'oj l'importance d'informer l'employeur de la situation le plus tôt possible.

[59]                   La preuve révèle que l'intérêt du demandeur pour Mme Rocheville s'est développé tout au cours de l'automne. Celui-ci situe le début de la relation à la fin décembre; cependant la fréquence des appels téléphoniques du demandeur à Mme Rocheville au cours de l'automne 2002 ainsi que le courriel envoyé à son fils vers la mi-janvier 2003 dans lequel il admet avoir trompé sa femme et avoir consulté un psychologue à l'automne à cet égard, me permet d'inférer qu'il est plus plausible que la relation ait commencé un peu plus tôt qu'au moment avoué par le demandeur. Je note également que dans ce même courriel il admet aimer une autre femme passionnément, ce qui laisse entrevoir que la relation datait déjà depuis quelque temps.

[60]                   Quoiqu'il en soit, le demandeur a attendu jusqu'à la mi-février pour divulguer sa relation intime. Ce délai démontrait-il dans les circonstances un manque de jugement d'une telle magnitude qu'il constituait un motif valable de congédiement ? Je ne le crois pas.

[61]                   La preuve révèle que le demandeur a décidé de mettre fin à son mariage et de divorcer au mois de décembre. Il prévient son employeur de ce fait en janvier, faisant preuve de transparence puisqu'il n'avait aucune obligation de révéler sa situation personnelle. A quel moment aurait-il df dévoiler sa relation amoureuse avec Mme Rocheville ? Peut-être dans un monde idéal aurait-il pu le faire en janvier au mLme moment oj il faisait part de son divorce. Il a jugé bon d'attendre au mois de février. Peut-on lui en faire le reproche ? Le développement d'une relation amoureuse n'obéit pas aux lois de la mécanique. Est-ce au moment oj il a ressenti une attirance pour Mme Rocheville ou au moment oj il a acquis une assurance que cette relation est sérieuse et durable, qu'il doit avertir son employeur ? La réponse n'est pas évidente.

[62]                   Ce qui m'amène à analyser la situation de l'employeur pendant ce délai d'un ou deux mois afin de déterminer s'il n'a subi aucun dommage. La preuve ne le démontre pas. Le défendeur n'a pas fait la preuve que la relation amoureuse a en soi affecté d'aucune façon ses opérations ni la preuve qu'elle a entaché sa réputation ou qu'elle était inconsistante avec les devoirs du demandeur comme gestionnaire ou créait un conflit d'intérêts puisque même son propre Guide prévoit qu'un employé peut être le superviseur de son conjoint.

[63]                   Il s'agissait d'une situation qui nécessitait des mesures d'accommodement entre autres pour ce qui est de l'évaluation de Mme Rocheville. Comme le suggérait le demandeur, celle-ci aurait pu être faite par un autre gestionnaire et le défendeur n'a pas démontré que cela représentait un problème insurmontable.

[64]                   De plus, bien que l'on reproche à M. Gélinas d'avoir recommandé Mme Rocheville pour une reclassification à un poste supérieur, celle-ci n'a jamais été rétrogradée après le départ de M. Gélinas. S'il y avait eu influence indue de la part de M. Gélinas et donc une injustice envers les autres employés, l'employeur aurait corrigé la situation. Au contraire, Mme Rocheville a bénéficié d'une augmentation de salaire dans les deux années qui ont suivi.

[65]                   Je reconnais que la transparence et l'intégrité sont des valeurs importantes pour l'employeur mais dans les circonstances, M. Gélinas n'a pas caché sa relation avec Mme Rocheville mais a retardé la divulgation d'un mois ou deux tout au plus. Je ne crois pas qu'une telle omission démontre un manque de jugement si sérieux qu'il constitue un motif valable de congédiement.

[66]                   La jurisprudence citée par le défendeur à l'appui de sa position concernait des manquements beaucoup plus sérieux que celui reproché au demandeur.

[67]                   Par exemple dans l'arrêt Smith c. Kamloops and District Elizabeth Fry Society (1996), 136 D.L.R. (4th) 644 (C.A. C.-B.), la cour a déterminé qu'il y avait un motif valable de congédiement. Toutefois, la situation de fait dans Smith est très différente de la situation de fait dans l'affaire dont nous sommes saisis.

[68]                   Dans Smith, précité, l'employée était une travailleuse sociale. Elle a établi une relation personnelle avec une personne déclarée coupable d'infractions sexuelles à qui il avait été ordonné d'avoir recours à un service de counseling auprès de la société dont la travailleuse sociale était à l'emploi, et ce, en contradiction avec le libellé des dispositions du code de déontologie applicable aux travailleurs sociaux. L'employée a activement tenté de cacher l'existence de la relation. Lorsque l'on a finalement révélé à l'employeur l'existence de cette relation, et ce, après huit mois, l'employée a refusé de reconnaître qu'il y avait là un conflit d'intérêts. De plus, le juge de première instance a conclu que la conduite en question avait probablement causé un préjudice à la société employeuse.

[69]                   La présente affaire est différente eu égard à chacun des aspects suivants : le code de déontologie pertinent n'interdit pas expressément la conduite reprochée; il n'existe aucune preuve que le demandeur a activement caché l'existence de la relation à ses employeurs; l'employeur en l'espèce n'a pas démontré, compte tenu de la preuve, qu'il avait subi un préjudice indu.

[70]                   En effet, il s'agit-là de différences contextuelles cruciales dont l'importance a été soulignée à maintes reprises par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt McKinley c. BC Tel, [2001] 2 R.C.S. 161. Le juge Iacobucci, au nom de la Cour à l'unanimité, a souligné qu'un acte malhonnête n'enclenche pas automatiquement le droit de congédier un employé pour un motif déterminé. Au contraire, « il s'agit de savoir si la malhonnêteté de l'employé a eu pour effet de rompre la relation employeur-employé » dans le contexte dans lequel l'inconduite alléguée s'est produite (McKinley, au paragraphe 48).

[71]                   Rappelons que, en l'espèce, la conduite en question était plutôt une présumée omission de divulgation en temps opportun qu'un acte malhonnête. Dans la mesure oj cette omission peut être interprétée comme constituant de la malhonnêteté, l'absence d'élément de preuve donnant à penser que M. Gélinas a délibérément caché sa relation avant de décider de la révéler est importante. De toute manière, je ne suis pas convaincu que CANAFE a démontré que la conduite de M. Gélinas violait une condition essentielle du contrat de travail, constituait un abus de confiance inhérente à l'emploi ni n'était fondamentalement incompatible avec les obligations de l'employé avec son employeur, comme l'exige l'arrêt McKinley, précité.

            a)         Aquel préavis raisonnable de fin d'emploi le demandeur a-t-il droit ?

[72]                   En cas de congédiement sans motifs valables, le recours normal de l'employé est une indemnité tenant lieu de préavis raisonnable de fin d'emploi.

[73]                   L'arrêt Bordal c. The Globe and Mail (1960), 24 D.L.R. (2d) 140, dont les principes ont été affirmés par la Cour suprême du Canada dans Wallace c. United Grain Growers Ltd. (Public Press), [1997] 3 R.C.S. 701, énumère les facteurs dont il faut tenir compte dans la détermination d'une indemnité raisonnable soit la nature de l'emploi, la durée du service de l'employé, son âge, la disponibilité d'emplois alternatifs eu égard à l'expérience et les qualifications de l'employé.

[74]                   Au moment de son congédiement le demandeur était âgé de 46 ans et avait été à l'emploi du CANAFE pendant environ un an et demi. Il occupait un poste de gestionnaire, soit le poste de directeur régional de l'Est, responsable de l'administration du bureau de Montréal.

[75]                   Eu égard aux facteurs ci-haut mentionnés, je suis d'avis que l'indemnité raisonnable pour ce qui est du demandeur est de quatre mois.

[76]                   Le salaire du demandeur était de 91 000, $ par année. L'indemnité raisonnable sera donc de 30 333, $ auquel j'ajoute 6 % de bonus de rendement soit 5 460, $ pour la période allant du 1er avril 2002 au 31 mars 2003. Le défendeur reconnaît que le demandeur était un bon employé, il est donc probable qu'il aurait eu son bonus de 6 % pendant cette période.

[77]                   De plus, puisque le nouvel emploi du demandeur a commencé après la période du préavis, je ne déduis pas le salaire gagné à Sportcom.

[78]                   Quant à la réclamation concernant les cotisations de l'employeur au régime de retraite du demandeur, la preuve non contredite de Mme Cuddihy est à l'effet que la période d'acquisition des droits du régime de retraite au CANAFE est de deux ans de service. M. Gélinas n'ayant pas atteint deux ans de service, il n'a aucun droit au régime de retraite.

            b)        La réintégration

[79]                   Le demandeur sollicite que la Cour rende une ordonnance le réintégrant dans son ancien poste de gestion auprès du CANAFE. Bien que la réintégration soit en théorie possible comme réparation contre le congédiement injustifié d'un employé, il est très rare qu'on y ait recours en common law (Dupré Quarries Ltd. c. Dupré, [1934] R.C.S. 528). Une cour est même allée jusqu'à affirmer qu'il lui était difficile de concevoir dans quelles circonstances il serait possible sur le plan pratique d'ordonner la réintégration dans un poste de gestion (Backman c. Hyundai Auto Can. Inc. (1990), 100 N.S.R. (2d) 24 (C.S.N.-É., 1re inst.)).

[80]                   Quoi qu'il en soit, lorsque la relation de confiance entre l'employeur et l'employé s'est considérablement dégradée, la réintégration est vraisemblablement inappropriée (Énergie atomique du Canada Ltée c. Scheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349; Chalifoux c. PremiPre nation de Driftpile (2002), 237 F.T.R. 142 (C.A.F.)). Dans certains contextes d'emploi, il peut être plus facile d'effectuer une réintégration, par exemple, dans les grandes organisations bureaucratiques qui bénéficient de mesures de gestion du personnel perfectionnées et oj l'employé réintégré peut être affecté à un autre secteur de l'organisation (G. England et I. Christie, Employment Law in Canada, 3e éd., vol. 2), ou lorsque l'employé peut effectuer son travail en autonomie.

[81]                   Ce n'est cependant pas le cas ici. La défenderesse est une petite organisation qui, à son bureau de Montréal, ne compte que quatre employés dont le demandeur était le superviseur. Par conséquent, je suis d'avis qu'il n'y a aucun motif valable pour justifier une ordonnance de réintégration. Le demandeur ne peut contraindre l'employeur à le garder à son service alors que celui-ci a jugé qu'il avait manqué de jugement. Je suis d'avis que la relation de travail a été rompue de façon irrémédiable.

c)         Le demandeur a-t-il minimisé les dommages ?

[82]                   Le défendeur soutient que le demandeur a manqué à son obligation de mitiger les dommages qu'il réclame en refusant l'offre du CANAFE d'un emploi alternatif à Ottawa.

[83]                   La Cour suprême du Canada dans l'affaire Michaels c. Red Deer College, [1976] 2 R.C.S. 324, a décidé qu'une partie qui prétend avoir subi des dommages a une obligation de minimiser son préjudice.

[84]                   Dans l'affaire Mifsud c. MacMillan Bathurst Inc. (1989), 70 R.J.O. 2e 701, citée par le défendeur, la Cour d'appel de l'Ontario précisait que lorsque le salaire offert est le même, que les conditions d'emploi ne sont pas substantiellement différentes que les relations personnelles entre les personnes impliquées ne sont pas tendues, il est raisonnable de s'attendre à ce que l'employé accepte le poste offert pour mitiger les dommages.

[85]                   Or, dans le présent dossier, le poste offert comportait une rétrogradation; il était offert dans une ville différente et bien que l'employeur se montrait flexible quant aux conditions d'emploi, le salaire offert était moindre que celui du poste que M. Gélinas détenait à Montréal. Il ne s'agissait donc pas d'un poste comportant les mêmes conditions d'emploi. De plus, vu la situation personnelle de M. Gélinas, je ne crois pas qu'il était acceptable de l'obliger à travailler dans une autre ville. En conséquence, il n'était pas déraisonnable pour celui-ci de refuser l'emploi offert à Ottawa. De plus, le demandeur a activement cherché un emploi à Montréal. La preuve révèle que dès le mois de mai 2003 il a fait approximativement 130 démarches d'emploi pour accepter finalement une offre avec Sportcom avec une dimunition de salaire de 30 000, $. On ne peut lui reprocher de ne pas avoir minimisé les dommages.

            d)        Il y a-t-il lieu d'accorder les dommages punitifs ?

[86]                   Les dommages punitifs constituent une exception à la règle générale selon laquelle les dommages visent à composer la personne visée.

[87]                   Seule une conduite malveillante ou malicieuse peut justifier d'accorder des dommages-intérêts punitifs.

[88]                   Or, rien dans la preuve devant moi ne peut justifier d'accorder des dommages punitifs. CANAFE a toujours été de bonne foi et même si j'ai conclu que les faits en l'espèce ne constituaient pas un motif valable de congédiement, l'employeur a agi sans malice et a tenté de remédier à la situation en lui offrant un emploi alternatif.

            e)         Il y a-t-il lieu d'accorder les dommages pour souffrance morale ?

[89]                   Le demandeur n'a présenté aucune preuve qu'il a subi une blessure physique ou morale attribuable au défendeur. Son état de santé résultait en grande partie d'autres problèmes personnels dont son divorce et les préoccupations qu'une telle situation entraîne. Il n'y a donc pas lieu d'accorder des dommages pour souffrance morale.

Les intérLts

[90]                   L'article 36 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7, prévoit le calcul des intérêts avant jugement :

36. (1)    Intérêt avant jugement - Fait survenu dans une province - Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale, et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d'intérêt avant jugement qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent B toute instance devant la Cour et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

36. (1)    Prejudgment interest, cause of action within province - Except as otherwise provided in any other Act of Parliament, and subject to subsection (2), the laws relating to prejudgment interest in proceedings between subject and subject that are in force in a province apply to any proceedings in the Court in respect of any cause of action arising in that province.

[1]                     La cause d'action ayant pris naissance au Québec, les intérêts seront donc calculés selon le C.c.Q.

[2]                     Pour ces motifs, la Cour accueille en partie l'action du demandeur ; condamne le défendeur le CANAFE à payer au demandeur la somme de 35 792, $ avec intérêts et indemnité additionnelle selon l'article 1619 C.c.Q.

[3]                     Quant aux dépens, j'accepte d'entendre les arguments des parties suite au présent jugement avant de me prononcer sur ce point.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que l'action du demandeur est accueillie en partie ; condamne le défendeur le CANAFE à payer au demandeur la somme de 35 792, $ avec intérêts et indemnité additionnelle selon l'article 1619 C.c.Q.

                                                                                                         « Danièle Tremblay-Lamer »

                                                                                                                        J.C.F.



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              T-1190-03

INTITULÉ :                                              M. Marc Gélinas c. Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le 19 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                            Le 17 décembre 2004

COMPARUTIONS :

Me Bruno Meloche                                                     pour la partie demanderesse

Me Georges Vuicic                                                    pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Meloche Larivière

390, rue Notre-Dame ouest

Montréal (Québec)

H2Y 1T9                                                                      pour la partie demanderesse

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

150, rue Metcalfe

Ottawa (Ontario)

K2P 1P1                                                                     pour la partie défenderesse

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