Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20031229

Dossier : DES-5-01

Référence : 2003 CF 1523

Ottawa (Ontario), le 29 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                    HASSAN ALMREI

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur, M. Almrei, a présenté une demande d'ordonnance de mise en liberté en application du paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Durant l'audition de la présente demande les 27 et 28 novembre 2003, le demandeur a demandé l'autorisation de présenter des observations quant à l'applicabilité de l'article 78 de la LIPR à la présente demande.


Observations du demandeur


[2]         Dans une lettre datée du 5 décembre 2003, le demandeur a prétendu que le paragraphe 84(2) de la LIPR ne prévoyait pas l'application de l'article 78 de la LIPR et que le ministre ne pouvait donc pas soumettre des éléments de preuve secrets à la Cour en l'absence de la personne concernée. Le demandeur soutient que le fait que le paragraphe 84(2) ne prévoit pas expressément l'application de l'article 78 n'est pas un oubli du législateur, mais qu'il s'agit plutôt d'une exclusion volontaire. Selon le demandeur, le certificat final de sécurité fait foi de l'interdiction de territoire. En conséquence, l'existence d'un certificat de sécurité valable fait disparaître la nécessité de soumettre des éléments de preuve secrets. Les dispositions de la LIPR qui prévoient des procédures où il y a un certificat de sécurité n'ont pas besoin de prévoir l'application de l'article 78, puisque le certificat de sécurité fait foi de l'interdiction de territoire. Selon le demandeur, l'économie de la loi appuie son point de vue selon lequel il ne faudrait pas interpréter les dispositions pour lesquelles il existe un certificat de sécurité comme prévoyant l'application de l'article 78. Le paragraphe 83(1) et l'article 86 prévoient tous deux des procédures où il n'y a pas de certificat final de sécurité qui fait foi de l'interdiction de territoire, et ces deux dispositions prévoient expressément l'application de l'article 78. Par ailleurs, les paragraphes 83(2) et 84(2) prévoient des procédures où il y a un certificat final de sécurité sans aucune mention de l'application de l'article 78. Par conséquent, le demandeur soutient que, compte tenu de l'existence d'un certificat final de sécurité dans le cadre d'un contrôle des motifs de la détention en application du paragraphe 84(2), aucune autre preuve d'interdiction de territoire n'est nécessaire, et on ne devrait pas interpréter le paragraphe 84(2) comme prévoyant l'application de l'article 78.

[3]                 Selon le demandeur, compte tenu de la nature de l'audience, les règles de preuve ne devraient pas être appliquées d'une manière stricte dans le cadre d'un contrôle des motifs de la détention.

[4]                 Enfin, le demandeur soutient qu'on ne devrait pas interpréter le paragraphe 84(2) comme prévoyant l'application d'une procédure inéquitable qui favorise le ministre sans autorisation législative en ce sens. Le demandeur prétend que le ministre a déjà eu la possibilité de soumettre des éléments de preuve secrets et ne devrait pas être de nouveau autorisé à le faire. Le demandeur maintient qu'on ne devrait pas contrevenir ou porter atteinte aux droits à la liberté garantis par l'article 7 de la Charte en l'absence d'autorisation législative en ce sens, et que, bien qu'il soit nécessaire de soupeser les intérêts de sécurité nationale, la nature concluante du certificat de sécurité protège suffisamment ceux-ci.

Observations des défendeurs


[5]         Les défendeurs ont soumis des observations en réponse dans une lettre datée du 10 décembre 2003. Les défendeurs soutiennent qu'il n'y a aucune raison de s'écarter des décisions rendues par Mme la juge Dawson dans Mahjoub c. M.C.I., 2003 CF 928, et par M. le juge McKay dans Jaballah, précitée, décisions suivant lesquelles l'article 78 de la LIPR s'applique aux contrôles des motifs de la détention fondés sur le paragraphe 84(2).

[6]                 Les défendeurs maintiennent que l'interprétation proposée par le demandeur mène au résultat absurde suivant lequel une personne détenue en raison d'un certificat de sécurité jugé raisonnable pourrait être mise en liberté sans égard aux motifs pour lesquels elle a été mise en détention, et ce, même si le deuxième volet du critère applicable exige la prise en compte des intérêts de sécurité nationale.

[7]                 Les défendeurs soutiennent que le demandeur a mal interprété l'intention du législateur et que les dispositions relatives au certificat de sécurité ne sont pas intrinsèquement inéquitables, leur validité ayant été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh c. Canada, 2002 CSC 1. Les défendeurs affirment que le législateur voulait clairement que toute décision relative à la mise en liberté d'une personne qui fait l'objet d'un certificat de sécurité repose sur une preuve complète, y compris tout élément pertinent recueilli à huis clos.

[8]                 Les défendeurs soulignent l'incohérence de la position du demandeur puisque, d'une part, il demande un assouplissement des règles de preuve habituelles et, d'autre part, il demande que l'article 78 soit jugé non applicable, alors que l'alinéa 78j) permet la réception et l'admission en preuve de tout élément utile, même inadmissible en justice.

[9]                 Enfin, les défendeurs prétendent qu'il est dans l'intérêt de tous les Canadiens que la Cour rende une décision fondée sur la preuve la plus complète possible lorsqu'elle est appelée à déterminer s'il y a lieu de mettre en liberté une personne faisant l'objet d'un certificat de sécurité.

Observations du demandeur en réponse

[10]       Le demandeur a soumis des observations en réponse dans une lettre datée du 11 décembre 2003. Il répète que le certificat de sécurité fait foi de l'interdiction de territoire et des motifs de cette interdiction. Il dit que le processus relatif au certificat de sécurité constitue une dérogation importante à la norme canadienne qui veut que les audiences soient équitables, et que la pondération des intérêts en cause ne change rien au fait que cette norme n'est pas respectée dans ce genre de causes. Le demandeur soutient que, contrairement à ce que prétendent les défendeurs, la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh n'était pas saisie de la question de la constitutionnalité du processus relatif au certificat de sécurité. Le demandeur répète que les contrôles des motifs de la détention et les demandes de mise en liberté sous caution entraînent normalement l'admission d'éléments de preuve qui ne seraient pas admissibles suivant les règles de preuve applicables en matière civile et criminelle, mais distingue cette situation de celle où l'on interprète des dispositions législatives comme prévoyant l'application d'un processus qui s'écarte de la « norme » et qui ne s'applique pas d'une manière égale à la poursuite et à la défense. Enfin, le demandeur maintient que le ministre ne peut invoquer comme lui un droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne dans le cadre de la pondération des principes de justice fondamentale effectuée en application de l'article 7.


Analyse

[11]       J'ai lu attentivement ces observations et je ne suis pas convaincu que je devrais m'écarter des principes établis dans la décision Mahjoub.

[12]            Le paragraphe 84(2) ne prévoit rien quant à la procédure à suivre dans le cadre d'un contrôle des motifs de la détention. Le paragraphe 40.1(10) de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, établissait qu'à l'audition d'une demande de contrôle des motifs de la détention, le juge désigné pour entendre la demande examinait à huis clos et en l'absence de l'auteur de la demande et du conseiller le représentant, tout élément de preuve ou d'information présenté au ministre concernant la sécurité nationale ou celle de personnes, et fournissait ensuite à l'auteur de la demande un résumé des éléments de preuve ou d'information dont il disposait, à l'exception de ceux dont la communication pouvait porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes.

[13]            Mme la juge Dawson a décidé dans la décision Mahjoub que, même si l'on ne trouve pas de disposition semblable dans la loi actuelle, cette procédure est encore celle qu'il faut suivre. Dans son analyse au paragraphe 25, elle dit que le contrôle des motifs de la détention après 120 jours ne se fait pas dans l'abstrait :

[...] la décision sur le danger que la mise en liberté de l'intéressé pourrait constituer pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui n'est pas prise dans l'abstrait ou d'une manière qui obligerait les ministres à présenter de nouveau les éléments de preuve et d'information qu'ils ont déjà soumis à la Cour pour obtenir de celle-ci qu'elle décide si le certificat est raisonnable ou non.


[14]            L' « instance » introduite par la délivrance d'un certificat de sécurité se poursuit, à son avis, aussi longtemps que la personne visée par le certificat demeure en détention ou tant qu'elle n'est pas mise en liberté sous caution en attendant son renvoi. Mme la juge Dawson conclut, et je suis d'accord avec elle, que parce que la requête en mise en liberté fait partie intégrante de l'instance toujours en cours dans le cadre de laquelle le demandeur est détenu, les alinéas 78e) et 78h) de la Loi continuent à s'appliquer.

[15]            En vertu de l'alinéa 81a), le certificat de sécurité jugé raisonnable en application du paragraphe 80(1) fait foi de l'interdiction de territoire du résident permanent ou de l'étranger qui y est nommé. À mon avis, ce n'est pas parce que le certificat de sécurité fait foi de l'interdiction de territoire qu'il fait également foi du fait que la personne qui y est nommée constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. L'existence d'un certificat de sécurité valable n'entraîne pas automatiquement la conclusion que la personne qui y est nommée constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui (deuxième volet du critère applicable aux contrôles des motifs de la détention énoncé au paragraphe 84(2)). Conclure autrement rendrait inopérant le deuxième volet du critère applicable aux contrôles des motifs de la détention.


[16]            En outre, j'estime que les exigences du paragraphe 84(2) nécessitent l'application des procédures de l'article 78. Le paragraphe 84(2) exige de l'étranger détenu en raison d'un certificat de sécurité jugé raisonnable qu'il prouve qu'il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. Le deuxième volet du critère, savoir que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui, exige que le juge examine les motifs de la détention. Il est tout simplement illogique de prétendre que le juge désigné peut trancher cette question correctement sans disposer de l'ensemble de la preuve quant aux motifs pour lesquels il y a lieu de poursuivre la détention. En outre, les défendeurs devraient avoir la possibilité de mettre à jour les renseignements secrets en cas de changement de circonstances.

[17]            Je note également qu'une conclusion semblable a été tirée par le M. le juge MacKay dans la décision Jaballah c. M.C.I. (20 novembre 2003), DES-04-01.

[18]            Pour ces motifs, je conclus que l'article 78 de la LIPR s'applique aux contrôles des motifs de la détention fondés sur le paragraphe 84(2) de la LIPR.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         L'article 78 de la LIPR s'applique aux contrôles des motifs de la détention fondés sur le paragraphe 84(2) de la LIPR.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         DES-5-01

INTITULÉ :                                                       HASSAN ALMREI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION ET LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :              27 ET 28 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                     LE 29 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                                  POUR LE DEMANDEUR

Donald A. MacIntosh                                           POUR LE DÉFENDEUR LE MCI

Toby Hoffmann                                                    POUR LE DÉFENDEUR LE SGC

Daniel Henry                                                         POUR L'INTERVENANT

                                                                                                                   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Barbara Jackman                                                  POUR LE DEMANDEUR

596, avenue St. Clair Ouest, unité 3

Toronto (Ontario) M6C 1A6

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR LE MCI

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR LE SGC

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)          


COUR FÉDÉRALE

                 Dossier : DES-5-01

ENTRE :

                HASSAN ALMREI

demandeur

                               et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                défendeur

                                                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                         


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.