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Date : 20010207


Dossier : IMM-2604-00


2001 CFPI 40

Entre :

     MARY BERNADETTE RANDOLPH

     Demanderesse

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Défenderesse

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON


[1]      La demanderesse attaque une décision de Kwee Luan Tan, un agent des visas, rendue le 18 avril 2000, refusant sa demande de résidence permanente dans la catégorie des indépendants (parents aidés).

[2]      La demanderesse a obtenu 56 points, soit 9 points de moins que les 65 points requis sous le paragraphe 10(1)(d) du Règlement sur l'immigration de 1978 (le « Règlement » ). La décision de l'agent des visas fut communiquée à la demanderesse par lettre datée le 18 avril 2000, qui se lit comme suit:

This refers to your application for permanent residence in Canada and your interview held on 18 April 2000 at the Canadian High Commission in Singapore. I have now completed the assessment of your application and have determined that you do not meet the requirements for immigration to Canada.
Unfortunately, you failed to achieve sufficient units of assessment to qualify for immigration to Canada. For this reason, you are a member of the inadmissible class as described in 19(2)(d) of the Immigration Act, 1976. You are a person "who cannot or do(es) not fulfil or comply with any of the conditions or requirements of the Act or the regulations or any orders or directions lawfully made or given under this Act or the regulations."
Pursuant to section 10(1) of the Immigration Regulations, 1978 as amended, prospective immigrants in the Assisted Relative category are assessed on the basis of each of the factors listed in column I of Schedule I of the Regulations. These factors are: education, education/training factor (ETF), experience, occupational demand, arranged employment or designated occupation, demographic factor, age, knowledge of the English and French languages and, on the basis of an interview, personal suitability. Sections 10 (1) and 11 (1) and (2) of the Regulations require that an assisted relative applicant obtain at least one unit of assessment in each of the factors of experience and occupational demand, and a minimum of 65 units of assessment, to qualify for admission to Canada.
Your occupational skills and qualifications were assessed with reference to the National Occupational Classification (NOC). The NOC is a reference text which outlines and describes in the Canadian context the duties, responsibilities and minimum qualifications necessary for various occupations undertaken in Canada. The NOC has been in effect since 01 May 1997 and all applications received at this office after this date are assessed under NOC criteria.
You were assessed based on the requirements for the following occupation:
     Secretary                  NOC: 1241.0
You were awarded the following units of assessment:

     NOC

AGE (45)

     10

OCCUPATIONAL DEMAND

     05

EDUCATION/TRAINING FACTOR

     07

EXPERIENCE

     4

ARRANGED EMPLOYMENT

     0

DEMOGRAPHIC FACTOR

     8

EDUCATION

     10

ENGLISH

     6

FRENCH

     0

PERSONAL SUITABILITY

     6

     TOTAL

     56

You have obtained insufficient units of assessment to qualify for immigration to Canada in your intended occupation.
Based on my evaluation of your ability to speak English, and upon my assessment of the results of the tests I administered during the course of your interview to gauge your ability to read and write English, you have demonstrated that you read, speak and write English "well". Accordingly, pursuant to Factor 8 of Schedule I of the Immigration Regulations, I have awarded you 6 units of assessment with respect to your ability in this regard.
According to Factor 9 of Schedule [sic] to the Immigration Regulations, "Units of assessment shall be awarded [to a maximum of 10] on the basis of an interview with the person to reflect the personal suitability of the person and his dependants to become successfully established in Canada based on the person's adaptability, motivation, initiative, resourcefulness and other similar qualities". I have awarded units of assessment in this regard based on the information provided with your application and your answers to my questions at interview. Among the factors I have taken into account in determining your personal suitability award are: the extent of the preparations you have undertaken to inform yourself about general living conditions in Canada and about labour market conditions in your particular intended occupation, efforts you have made to keep current with regard to developments in your occupational field, the transferability of your skills to the Canadian labour market, assets readily available for establishment in Canada, and the number and ages of your dependants and their capability of contributing at this time to your successful establishment in Canada.
I consider the total units of assessment which you have been awarded to be an accurate reflection of your ability to successfully establish in Canada.
Although this decision is unfavourable to you, the interest you have shown in Canada is appreciated.


[3]      Le paragraphe 11(3) du Règlement permet à un agent des visas de délivrer ou de refuser un visa nonobstant le nombre de points obtenus par un immigrant. Le paragraphe se lit comme suit:

11 (3) L'agent des visas peut

a)      délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

b)      refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10, s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

11 (3) A visa officer may

a)      issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

b)      refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.


[4]      Il appert de la lettre de l'agent des visas qu'elle était d'avis que les points obtenus par la demanderesse constituaient une appréciation exacte de ses chances de réussir son installation au Canada. À mon avis, en concluant comme elle l'a fait, l'agent des visas a commis une erreur qui justifie une intervention de ma part.

[5]      Dans Chen c. Canada, [1994] 1 C.F. 639 (C.A.F.), et [1991] 3 C.F. 350 (1ère inst.), cette Cour a eu l'occasion de considérer l'étendue de la discrétion que possède un agent des visas sous l'alinéa 11(3)(b) du Règlement. Voici ce qu'a déclaré aux pages 649 à 651 le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale, dont la dissidence a été accueillie par la Cour suprême du Canada1:

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident): Je déclare respectueusement que je ne peux pas souscrire au jugement.
     Je n'approuve certes pas ce qu'a fait l'intimé, mais je n'estime pas non plus que le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978 ait pour but de conférer aux agents des visas un pouvoir discrétionnaire résiduel aussi vaste de décider de délivrer ou de refuser un visa. Je souscris à ce qu'a déclaré le juge de première instance (à la page 359):
De façon plus précise, la question fondamentale est la suivante: sur quels motifs l'agent des visas peut-il fonder l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider qu'il existe « de bonnes raisons » de croire que le nombre de points d'appréciations obtenu ne reflète pas adéquatement les chances d'un immigrant de « s'établir avec succès » au Canada? Il est inconcevable que cette disposition législative ait pour but de donner à l'agent des visas un pouvoir illimité de décider si un immigrant particulier est généralement apte ou non à devenir un futur membre de la société canadienne, étant donné l'existence d'autres dispositions importantes de la Loi précisant l'identification de personnes qui sont aptes ou inaptes. Il y a lieu de noter d'abord que le paragraphe 11(3) ne peut être interprété comme empiétant sur les motifs d'exclusion obligatoire établis dans la description des catégories « non admissibles » donnée à l'article 19.
     Bref, j'estime qu'on doit, pour décider si une personne est en mesure ou non de s'établir avec succès au Canada, ne tenir compte que des facteurs qui influent sur sa capacité de gagner sa vie. La conduite jugée moralement indigne de cette personne ne peut pas et ne devrait pas influencer cette décision. Le Parlement a expressément envisagé ce genre de préoccupation lorsqu'il a exclu, dans les articles 9 et 19 et la Loi sur l'immigration de 1976, les personnes qui ont commis des actes qui, selon lui, justifient leur exclusion. En l'espèce, le ministre a reconnu qu'on ne peut invoquer ni le paragraphe 9(3) ni l'alinéa 19(2)d) de la Loi, selon le texte en vigueur à l'époque, pour exclure l'intimé et sa famille. Sur ce point, l'arrêt Kang c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 807, de cette Cour fait jurisprudence et, pour cette raison, je ne pense pas qu'il soit permis à cette Cour d'invoquer le paragraphe 11(3) en vue d'obtenir un résultat qu'il lui est impossible d'obtenir autrement.
     Il ressort des faits de l'espèce que l'agent des visas s'est fondé sur le comportement de l'intimé pour écarter une appréciation qui a toujours été favorable. Je ne comprends pas comment le « présumé pot-de-vin » peut être considéré comme un facteur pertinent ou prépondérant pour apprécier si l'intimé serait en mesure de s'établir avec succès au Canada. J'ai également de la difficulté à songer à accorder une reconnaissance judiciaire à un critère qui repose sur les notions de « bonnes raisons » et de « réussite sociale » . Plus précisément, mes collègues ont dit à ce sujet (supra, à la page 646):
[Les facteurs mentionnés dans le Règlement] se rapportent aussi à la réussite sociale, c'est-à-dire à la capacité ou aux chances d'un immigrant de s'établir avec succès sur le plan social au Canada.
     Bien sûr, certains veulent juger cet appel d'une manière qui donne un résultat équitable. Je me préoccupe aussi du fait qu'il faut évaluer objectivement les appréciations subjectives des agents des visas.
     Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

[6]      Donc, afin de décider si un immigrant est en mesure ou non de s'établir avec succès au Canada, l'agent des visas ne doit tenir compte que des facteurs qui influent sur la capacité de l'immigrant de gagner sa vie. En d'autres mots, comme le disait le juge Strayer en première instance, dans Chen, supra, à la page 361, l'agent des visas ne doit, en exerçant sa discrétion sous l'alinéa 11(3)(b) du Règlement, considérer que les facteurs économiques mis de l'avant par le législateur et par le gouverneur en conseil.

[7]      En réponse à l'affidavit de la demanderesse, Mme Tan a déposé un affidavit en date du 2 août 2000. Plus particulièrement, au paragraphe 15 de son affidavit, l'agent des visas répond au paragraphe 13 de l'affidavit de la demanderesse. Le paragraphe 13 de l'affidavit de la demanderesse se lit comme suit:

13.      That Mrs. Tan did not take into consideration that fact that my husband and I hold job offers in Canada. A job offer letter from Mr. Anthony Persaud, CAN_US [sic] International Consolidators Inc., is attached hereto and marked as Exhibit-H.

L'offre d'emploi de CAN-US International Consolidators Inc., à laquelle fait référence la demanderesse, est une lettre du 24 mars 2000, signée par M. Anthony B. Persaud, vice-président exécutif. La lettre se lit comme suit:

     I would like to acknowledge that I have known Bernadette Randolph and her husband Cedric Randolph for several years, and we have spent some memorable times together in Bangladesh, where they were most hospitable in making my stays truly enjoyable.
     I have also been involved with a number of business deals with Cedric Randolph, in the Freight Forwarding industry, which continues today.
     Given my knowledge of both of their good character and extensive relevant work experience, I would be more than willing to offer Bernadette Randolph a full-time position with our company as an Executive Secretary, and for Cedric Randolph, a full-time position as an Associate Overseas Freight Coordinator.
     I trust this information is helpful to you, and should you wish to contact me at any time, please don't hesitate to do so at your convenience.

[8]     

Quant au paragraphe 15 de l'affidavit de Mme Tan, il se lit comme suit:

15.      In response to paragraph13 of the Applicant's affidavit, I did consider the job offers submitted by the Applicant but did not give them much weight as they were not validated by a Canada Employment Centre.

[9]      Au paragraphe 15 de son affidavit, Mme Tan explique qu'elle a donné peu d'importance aux offres d'emploi parce que ces offres n'avaient pas été validées. À toute fin pratique, Mme Tan n'a pas considéré les offres d'emploi faites à la demanderesse et son époux. Me Moreau, procureur de la demanderesse, m'a expliqué qu'une offre validée était pertinente en ce qui concerne le facteur 5 de l'Annexe I du Règlement, qui se lit comme suit:

5. Emploi réservé ou profession désignée

Dix points d'appréciation sont attribués si, de l'avis de l'agent des visas,

a) le requérant a, au Canada un emploi réservé qui, d'après les renseignements fournis par le service national de placement, offre des perspectives de durée raisonnablement bonnes et des conditions de travail et un salaire de nature à attirer des citoyens canadiens ou des résidents permanents pour qu'ils exercent et continuent d'exercer l'emploi en question,

b) d'après les renseignements fournis par le service national de placement, le fait d'employer le requérant au Canada ne nuira pas aux possibilités d'emploi des citoyens canadiens ni des résidents permanents résidant au Canada, et

c) le requérant pourra probablement obtenir, des autorités fédérales, provinciales et autres, l'autorisation nécessaire pour l'emploi en question,

ou si, de l'avis de l'agent des visas,

d) le requérant possède les compétences voulues pour exercer un emploi dans une profession désignée et est disposé à le faire,

e) d'après les renseignements fournis par le service national de placement, l'emploi dans cette profession désignée offre des perspectives de durée raisonnablement bonnes et des conditions de travail et un salaire de nature à attirer des citoyens canadiens ou des résidents permanents pour qu'ils exercent et continuent d'exercer l'emploi en question, et

f) le requérant pourra probablement obtenir des autorités fédérales, provinciales et autres, l'autorisation nécessaire pour exercer un emploi dans cette profession désignée.

5. Arranged Employment or Designated Occupation

Ten points shall be awarded if, in the opinion of the visa officer,

a) the person has arranged employment in Canada that, based on the information provided by the National Employment Service, offers reasonable prospects of continuity and wages and working conditions sufficient to attract and retain in employment Canadian citizens or permanent residents,



b) based on information provided by the National Employment Service, employment of the person in Canada will not adversely affect employment opportunities for Canadian citizens or permanent residents in Canada, and

c) the person will likely be able to meet all federal, provincial and other applicable licensing and regulatory requirements related to the employment, or

if, in the opinion of the visa officer,

d) the person is qualified for and is prepared to engage in employment in a designated occupation,

e) based on information provided by the National Employment Service, employment in the designated occupation offers reasonable prospects of continuity and wages and working conditions sufficient to attract and retain in employment Canadian citizens or permanent residents, and



f) the person will likely be able to meet all federal, provincial and other applicable licensing or regulatory requirements related to employment in the designated occupation.

Le facteur 5 prévoit qu'un certain nombre de points seront alloués à un immigrant si son offre d'emploi est validée. Vu la non-validation des offres d'emploi en l'instance, l'agent des visas, à mon avis correctement, n'a accordé aucun point à la demanderesse.

[10]      Toutefois, en ce qui concerne les chances de la demanderesse de s'établir avec succès au Canada, la validation de son offre d'emploi n'est aucunement pertinente. Il ne peut faire de doute que les offres d'emploi sont pertinentes relativement à l'exercice du pouvoir discrétionnaire sous l'alinéa 11(3)(b) du Règlement et, par conséquent, Mme Tan se devait de les considérer. Mme Tan n'a pas refusé de considérer les offres d'emploi parce qu'elle ne les croyait pas sérieuses, mais parce qu'elles n'avaient pas été validées. Cela, à mon avis, constitue une erreur telle que le dossier devra être retourné à un autre agent des visas pour reconsidération.

[11]      La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et le dossier sera retourné à un autre agent des visas pour être reconsidéré à la lumière de mes motifs.




     Marc Nadon

     Juge


OTTAWA (Ontario)

le 7 février 2001

__________________

1      [1975] 1 R.C.S. 725.

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