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Date : 20011127

Dossier : 01-T-47

Référence neutre : 2001 CFPI 1297

ENTRE :

                                                                     ROMA LEBOEUF

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                                  et

                                              MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

                                                                                   

                                                                                                                                                   Défendeur

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une requête de la part du demandeur pour obtenir une prorogation de délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[2]                 En fait, le demandeur souhaite demander le contrôle judiciaire d'une décision rendue par le défendeur en date du 28 avril 1994, en vertu de la Loi sur les prestations supplémentaires de retraite (la "Loi").

[3]                 Le demandeur admet lui-même, dans sa demande, qu'il avait jusqu'au 28 mai 1994 pour déposer une demande de contrôle judiciaire en vertu des règles applicables.

[4]                 Il s'agit en fait d'une situation incongrue où le demandeur a été membre des Forces armées canadiennes jusqu'à sa libération le 10 juillet 1973, date à laquelle il a pu retirer une pension de $250.64 par mois.

[5]                 Plus tard, au cours des années 1981-82, le demandeur est retourné travailler dans la réserve des Forces armées canadiennes et il a été à nouveau libéré le 31 août 1982 avec une pension qui, suite à son travail subséquent dans les Forces armées, a été majorée à $406.02 par mois.

[6]                 En vertu de la Loi, la pension dont jouissait le demandeur n'était indexée qu'au moment où ce dernier arrivait à son 60ème anniversaire, soit le 1er mars 1994.

[7]                 À cette date, le demandeur a vu sa pension de $406.02 majorée de $385.50, en vertu du paragraphe 4(8) de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes (LPRFC), Partie III, en vertu de laquelle la libération du demandeur était présumée le 1er janvier 1975. Il se retrouvait donc avec une pension de $791.52, à partir de l'âge de 60 ans.


[8]                 Le phénomène curieux dont le demandeur est victime, est que s'il n'avait jamais pris la décision de revenir travailler pour le Ministère de la Défense nationale et contribuer pendant presque deux ans à son fond de pension, sa pension originale de $250.64 aurait été indexée d'une somme supplémentaire de $679.23 à l'âge de 60 ans et il se serait retrouvé avec une pension d'un montant total brut de $929.87 à partir du 1er mars 1994, alors qu'il touche une pension de $791.52, à partir du 1er mars 1994, après avoir contribué un montant supplémentaire pour les années où il a travaillé en 1981-82.

[9]                 Cette situation est due principalement au fait que les années entre le 10 juillet 1973, date de sa première libération, et le 1er janvier 1975, date de sa libération présumée en vertu des dispositions de la Loi, lui ont fait perdre les bénéfices de l'indexation pour les années 1973 et 1974 qui étaient très élevés à l'époque.

[10]            Les prétentions du défendeur sont à l'effet que la Loi doit s'appliquer telle qu'elle est et que c'était la Loi qui s'appliquait à l'époque où le demandeur a pris ses décisions de retourner au travail.

[11]            Suite à cette décision, le demandeur a pris différentes mesures soit de communiquer de façon régulière par lettres et par différentes autres démarches auprès du Ministère de la Défense nationale pour que sa pension puisse être réajustée ayant son épouse à charge et, avec une pension de $791 par mois, avait de la difficulté à subvenir à ses propres besoins pour les cinq années suivantes avant de pouvoir bénéficier de sa pension de vieillesse à l'âge de 65 ans.

[12]            Le demandeur, malgré ses nombreuses démarches, a toujours rencontré une fin de non recevoir de la part des autorités du ministère et il n'avait pas la possibilité avec son revenu, ni d'avoir accès à l'aide juridique, ni de se payer des frais d'avocat pour le représenter dans son dossier.

[13]            Le demandeur a donc décidé de se ramasser un peu de capital avec les années afin de pouvoir continuer d'exiger que le ministère corrige la situation en sa faveur. À cet effet, il a demandé l'aide de son député, ce qui a amené un échange de correspondance avec le Ministre de la Défense nationale.


[14]            Le demandeur suggère qu'il fait face à une situation tout à fait inéquitable et que le seul recours disponible est une demande de contrôle judiciaire dans les circonstances et que les intérêts de la justice seraient bien servis si une prorogation de délai lui était accordée afin qu'il puisse déposer cette demande de contrôle judiciaire.

[15]            J'ai examiné avec attention les prétentions écrites des parties et également porté une attention particulière aux prétentions qui ont été présentées verbalement devant moi lors de l'audition du 16 novembre dernier.

[16]            Je puis comprendre facilement l'étendue de la frustration du demandeur qui se retrouve dans un cul de sac juridique alors qu'il avait cru améliorer sa situation lorsqu'il était revenu travailler pour le Ministère de la Défense nationale, il y a vingt ans et que les effets pervers de cette décision se font sentir au moment de sa retraite, soit le moment où il aurait le plus besoin d'avoir un fond de pension raisonnable, au moment où il est plus difficile pour lui de se maintenir sur le marché du travail, alors qu'il était âgé de plus de 60 ans.

[17]            Les procureurs étaient également devant moi le mois dernier et j'avais consenti à accorder une remise d'un mois afin de permettre au procureur du défendeur de vérifier avec ses clients les données du dossier et les possibilités que le dossier puisse être réglé de façon administrative.

[18]            Cependant, cela n'a pas été possible et les parties sont revenues devant moi le 16 novembre et le procureur du défendeur m'a mentionné que ses clients l'ont informé que le demandeur, M. Leboeuf, aurait pu prendre différentes décisions au moment de son retour au travail en 1981-82, qui auraient pu lui permettre d'éviter les inconvénients fâcheux actuels, soit par exemple, en travaillant un an moins un jour, ce qui aurait pu permettre de déjouer "les dispositions prévues par la loi".

[19]            J'ai manifesté avec vigueur mon profond désaccord avec cette façon de faire considérant que les justiciables ne devraient pas être tenus de devoir recourir à des options ressemblant à de la magouille pour éviter de se conformer à la Loi et que je trouvais d'autant plus insultant que ces suggestions viennent des gestionnaires responsables de l'administration de ces programmes au premier chef.

[20]            De l'aveu même du procureur de défendeur, la situation du demandeur peut sembler absurde, mais découle néanmoins de l'application rigoureuse de la Loi.

[21]            Les procureurs qui ont d'ailleurs tous deux fait très bien leur travail m'ont soumis de la jurisprudence et notamment l'arrêt Tarsem Singh Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1985] 2 C.F. 263, qui a établi les normes applicables lorsqu'on doit avoir recours à une demande de prorogation de délai.

[22]            Je n'ai nulle hésitation à reconnaître que le demandeur, M. Leboeuf, a toujours eu l'intention de maintenir son recours dans le présent dossier et qu'il l'a exprimé de façon non équivoque à de nombreuses reprises depuis le 28 avril 1994, date de la décision.

[23]            Le procureur du demandeur m'a soumis une preuve convaincante à l'effet que le demandeur se retrouvait dans une situation financière extrêmement difficile et m'a démontré de façon raisonnable qu'il avait été empêché pendant toute cette période de présenter une demande de contrôle judiciaire dans les délais prescrits.

[24]            À ce stade-ci, je n'ai pas à décider du fond du dossier, mais de la légitimité de la requête, quant à ses motifs et particulièrement quant à l'existence d'un motif sérieux à débattre devant la Cour fédérale.

[25]            Je me dois cependant de rappeler aux gestionnaires responsables de l'administration de ce programme auprès du défendeur, qu'au lieu de suggérer aux bénéficiaires de la loi de tenter de la contourner pour améliorer les bénéfices éventuels, ils devraient se mettre à l'oeuvre sans tarder pour que leur gestion soit transparente et qu'il y ait non seulement justice, mais également apparence de justice dans l'application de la loi.

[26]            Le demandeur m'a aussi convaincu qu'il avait un motif sérieux à débattre devant la Cour fédérale et qu'il était dans l'intérêt de la justice qu'il puisse être entendu pour faire valoir ses droits.

                                                                     ORDONNANCE

[27]            En conséquence, la COUR ORDONNE QUE la demande de prorogation de délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire soit accordée et que le demandeur soit autorisé à déposer une demande de contrôle judiciaire dans les quinze jours de la date du présent jugement.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 27 novembre 2001

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